• Wandervogel

    wandervogelPetite histoire des Wandervögel

    À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, le mouvement des Wandervögel (Oiseaux migrateurs) rassembla une partie importante de la jeunesse sur les routes d'Allemagne. Pèlerinages sur les hauts-lieux historiques, vie communautaire en plein air, recueil de chants populaires, danses et sports traditionnels animaient les longues randonnées de garçons et de filles épris de liberté.

    [Ci-contre : photo de Julius Gross]

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    ◘ Origines et racines culturelles :

    • antécédents des guerres anti-napoléoniennes ; 1813 ; volontaires étudiants (Discours de Fichte ; mort au combat du poète Theodor Körner ; Jahn et ses sociétés de gymnastique).
    • velléités nationales et révolutionnaires des Burschenschaften étudiantes ; opposition à l'Europe de la Restauration et de Metternich : pas de représentation populaire dans les assemblées décisionnaires ; opposition à la censure (attentat de l'étudiant Sand contre le poète, dramaturge et acteur réactionnaire Kotzebue) ; => 1848.

    ◘ Seconde moitié du XIXe siècle :

    • Révolte générale contre les effets sociaux et esthétiques de l'industrialisation de l'Europe.

    • Angleterre : atténuer la laideur des villes industrielles : messages des poètes et des urbanistes. Pré-Raphaélites, mouvement des cités-jardins autour de l'artiste et architecte Ruskin, Mouvement dit des Arts & Crafts (jusqu'au début du XXe).

    • Autriche : mouvement culturel revendiquant la réconciliation de l'art et de la politique.

    • Allemagne : réunification en 1871 ; industrialisation outrancière ; révolte des philosophes et des poètes : Nietzsche, Langbehn (Rembrandt-Deutscher). Langbehn aura un impact prépondérant dans le développement des idées du mouvement de jeunesse allemand. Les choses de l'esprit, le donné naturel, l'âme simple des gens du peuple doivent recevoir priorité absolue sur l'esprit marchand et industriel, sur les choses construites par l'homme, sur les calculs de la bourgeoisie.

    • 1896 : Hermann Hoffmann fonde une association d'étudiants en sténographie, liée au Lycée (Gymnasium) de Steglitz, une commune verte et non industrielle de la grande banlieue de Berlin. Une idée simple germe : la jeunesse ne peut pas rester prisonnière des cités enfumées de l'ère industrielle : elle doit sortir de cette cangue et partir en randonnée (mot magique en langue allemande : wandern). Résistance des autorités scolaires, contre les excursions proposées. Résistance balayée par les parents et des pédagogues moins classiques, conscients, grâce à leur lecture de Nietzsche et de Langbehn, que l'éducation doit quitter le trop-théorique pour prendre la vie et le réel à bras le corps.

    [Ci-dessous Karl Fischer tout à g., Hermann Hoffmann au milieu, et le comité pour les voyages scolaires, hiver 1896]

    wvschu10.jpg• 1898 : premières excursions des lycéens de Steglitz sur les bords du Rhin ; 1899 : excursions de 4 semaines dans les forêts de Bohème. Ces 2 expéditions constituent une révolution dans le système éducatif de l'Allemagne wilhelminienne. Cette pédagogie non conventionnelle, ces excursions deviennent les symboles d'une révolte générale contre l'ordre établi (école, industrie, administration, etc.).

    • Karl Fischer (19 ans, plus conscient de cette révolte que Hoffmann) prend le relais de son aîné : randonnées + critique fondamentale de l'ordre établi, au nom d'une éthique de l'austérité (anti-consumériste). Ses origines sont plus populaires (ni aristocrate ni bourgeois). Fischer instaure une discipline plus militaire et organise des excursions plus aventureuses : l'association des sténographes devient une Communauté alternative (à laquelle il donne le nom classique de Gemeinschaft).

    • Le 4 novembre 1901, réunion dans une brasserie de Steglitz, présidée par Fischer : on y décide la fondation d'une association dénommée Wandervogel, Ausschuß für Schülerfahrten (Oiseau migrateur, Commission pour les excursions scolaires). Veulent renouer avec la tradition médiévale des Vagantes, des escholiers pérégrinants.

    • Introduction des soirées autour de feux de camp (dans la vallée de la Nuthe, près de Steglitz), visite de châteaux en ruines et de vestiges médiévaux (romantisme ; enracinement dans l'histoire nationale) ; fêtes solsticiales ; romantisme de la montagne, des hauts sommets ; culte des lansquenets ; etc. Ces grandes idées ont été véhiculées par tous les mouvements de jeunesse idéalistes jusqu'à nos jours, y compris en France.

    • Sous l'impulsion de Fischer, diffusion du mouvement dans toute l'Allemagne puis dans les Sudètes, à Prague et à Vienne. Le mouvement Wandervogel devient l'expression d'une jeunesse joyeuse, allègre, qui aime la musique, crée ses propres chansons et ses propres mélodies, etc. Mais elle commence à rêver d'un Jugendreich, d'un règne de la jeunesse, affranchi de la tutelle des adultes.

    • En 1906, Fischer se retire du mouvement, s'inscrit à l'Université de Halle, puis part pour servir dans la marine allemande, dont une unité est casernée dans la forteresse de Tsing-Gao en Chine (il ne reviendra qu'en 1921, dans une Allemagne complètement transformée).

    • Wilhelm Jansen (40 ans à l'époque) prend le mouvement en main : il veut créer une jeunesse énergique à l'âme forte. Il est un bon organisateur. En 1906, année où il prend ses fonctions, les premières sections féminines sont mises sur pied (Mädchenwandern), à l'initiative de Marie-Luise Becker. Au départ, hostilité à cette mixité et repli sur la masculinité (notion de Männerbund). À Iéna, les groupes mixtes sont acceptés sans aucune arrière-pensées.
    => scission : Wandervogel Deutscher Bund. 2 modes cohabiteront : la mixité et la masculinité exclusive (d'où le reproche récurrent d'homosexualité).

    • Jansen quitte le mouvement
    => Hans Breuer, Hans Lissner, Edmund Neuendorff. Breuer, ancien lycéen de Steglitz, sera volontaire de guerre et tombera devant Verdun le 20 avril 1918. Il crée le chansonnier du mouvement, toujours d'actualité : le Zupfgeigerhansl.

    wan-fe10.jpg• Toutefois la diffusion du mouvement de jeunesse Wandervogel est incompréhensible sans référence à la culture alternative qui se répandait en Allemagne à la même époque ; la figure-clef de ce renouveau culturel et métapolitique est l'éditeur Eugen Diederichs, qui fonde à Florence, Leipzig et Iéna une maison d'édition en 1896 (qui existe toujours aujourd'hui, sans renier son passé), la même année où Hoffmann lance son groupe d'excursionnistes sténographes à Steglitz. Diederichs est également inspiré par Langbehn et Paul de Lagarde. Mais il ne sombre pas dans un nationalisme étroit, il vise une universalité plurielle et alternative, qu'il oppose à l'universalisme monochrome et conventionnel du libéralisme dominant. On peut résumer la pensée et les objectifs de Diederichs en 8 points (que la dite Révolution conservatrice radicalisera après 1918) :

    • 1) donner priorité à la vie et au dynamisme (apport de Bergson, dont il sera l'éditeur allemand) ;
    • 2) nécessité de promouvoir une nouvelle mystique religieuse, en dehors des institutions confessionnelles rigides ; recours aux patrimoines germaniques (Edda) ainsi qu'aux religiosités traditionnelles et non chrétiennes de Chine et d'Inde ;
    • 3) valoriser un art organique (Langbehn, les Pré-Raphaëlites anglais, Ruskin et ses cités-jardins, les prémisses de l'art nouveau/Jugendstil) ;
    • 4) retour au romantisme en littérature ;
    • 5) revaloriser les liens légués par le sang et le passé ;
    • 6) penser la nature (pensée écologique avant la lettre) ;
    • 7) forger un socialisme dynamique, anti-bourgeois, éthique, inspiré de la Fabian Society anglaise, de Jean Jaurès et de Henri de Man ;
    • 8) susciter sans relâche la créativité chez les adolescents (Raison pour laquelle Diederichs soutient le mouvement Wandervogel).


    • Notons que Diederichs fonde lui-même une société juvénile et festive (alors qu'il a largement dépassé la quarantaine) : la société SERA, qu'il finance généreusement, où des artistes et des musiciens de renom viennent animer les initiatives. La société SERA fête les solstices, milite en faveur d'une joie de vivre débarrassée des conventions rigides.

    wandervoegel3uy7.gif• Grand moment de l'aventure Wandervogel : le grand rassemblement de la jeunesse allemande, tous groupes confondus, sur le sommet du Hoher Meißner en 1913. Le philosophe Ludwig Klages écrit en souvenir de ce rassemblement un discours sur la nécessité de préserver le donné naturel, inaugurant ainsi la pensée écologique qui ne cessera plus d'être virulente en Allemagne (sauf pendant les années 50 et 60). À partir de ce grand rassemblement, de nombreuses initiatives locales, étudiantes, lycéennes ou ouvrières se regroupent dans une structure souple et informelle qui reçoit le nom de Freideutsche Jugend.

    • En 1914, la jeunesse se porte volontaire en masse pour la “Grande Randonnée” (Die Große Fahrt), qui se terminera tragiquement pour la plupart : des 12.000 Wandervögel d'avant-guerre, 7.000 ne reviendront jamais des champs de bataille. Trois valeurs éthiques fondamentales animent ces jeunes volontaires : l'absence d'intérêts (matériels et personnels), l'altruisme et la camaraderie. Cette éthique s'exprime dans le livre de Walter Flex, Der Wanderer zwischen beiden Welten (Le Randonneur entre les deux mondes).

    • Ernst Jünger, récemment décédé, a également été jeune Wandervogel en 1911-12. Il dépassera l'éthique purement naïve et romantique du Wandervogel dans les tranchées et réfléchira sur l'irruption de la technique dans la guerre.

    • Après 1918 : nécessaire réorganisation dans un climat de guerre civile entre Rouges et Corps Francs. Enrôlement de jeunes dans les Corps Francs en Silésie contre l'armée polonaise, dans le Corps Franc Oberland contre les Rouges en Bavière.

    • Trois groupes dominent dans l'immédiat après-guerre : la Freideutsche Jugend (Jeunesse libre-allemande), les Landesgemeinden (Communautés rurales) et le Kronacher Bund (Ligue de Kronach). Mais ils connaîtront l'échec, vu l'impossibilité de réconcilier l'esprit Wandervogel d'avant 14, l'esprit des jeunes soldats revenus du front (désillusion, amertume, lassitude face aux discours trop idéalistes/cf. Jünger, déconfessionalisation, etc.), l'esprit de la “génération 1902”, qui n'a pas eu le temps de connaître le front et l'idéalise outrancièrement et hors de propos. Volonté générale : pas d'activisme politique, ni gauche ni droite, mais toujours opter pour le “renouveau” (Bergson !).

    • Une personnalité se profile : le manchot Ernst Buske, non mobilisé à cause de son terrible handicap, animateur dans le Reich en guerre des groupes de jeunes non encore mobilisés, inspirateur du Altwandervogel (une ligue qui entendait préserver les valeurs et l'esprit du premier mouvement de Fischer), juriste professionnellement actif au service d'une association paysanne en Allemagne du Nord-Ouest, personnalité forte, tranquille, mûre, idéaliste, modeste, hostile à toute grandiloquence visionnaire, pragmatique. De 1920 à 1922, Buske fonde un nouveau concept : celui de Jungenschaft. En 1925-26, ce concept est à la base de la fondation d'un nouveau grand mouvement, la Freischar (Libre bande), qui comptera de 10.000 à 12.000 membres, dont les 3/4 avaient moins de 18 ans. La Freischar regroupait de petites unités locales d'une moyenne de seize jeunes. Buske meurt subitement en 1930.

    [Ci-dessous : défilé de la Freischar : “Plus jamais de guerre”]

    freischareb3.jpg• La Freischar a compté en son sein de fortes et célèbres personnalités du monde des lettres et de l'université, notamment les philosophes Hans Freyer, Leopold Dingräve (du Tat-Kreis révolutionnaire-conservateur), Eugen Rosenstock-Huessy (théoricien des révolutions européennes, que l'on range à tort ou à raison dans la catégorie de la Révolution conservatrice) et l'activiste socialiste Fritz Borinski (auteur d'une excellente histoire du Wandervogel et des mouvements de jeunesse). À noter également la présence au sein de la Freischar de Johann Wilhelm Hauer, futur animateur de la Deutsche Glaubensbewegung (Mouvement de la foi allemande), un mouvement souhaitant retourner aux racines religieuses de l'Europe et réhabiliter toutes les religiosités qui fondent les communautés humaines. Le thème central de la démarche de Hauer est effectivement la communauté. Il exprimera ses idées dans un mouvement de jeunesse plus philosophiques, le Köngener Bund (Ligue de Köngen), qui organisera des colloques et des débats contradictoires très importants, notamment avec Martin Buber.

    • Matthias von Hellfeld, auteur d'ouvrages sur les mouvements de jeunesse allemands des années 30, mélangeant critique et enthousiasme, nous dresse un panorama des ligues de jeunesse de l'époque (Bündische Jugend), qui venaient de prendre le relais de la Freischar après le décès de Buske en 1930. M. von Hellfeld distingue :

    ◘ 1) Le courant idéaliste, fidèle à l'esprit de 1913 (Rassemblement sur le Hoher Meißner, discours de Klages) et à l'esprit de la  Freideutsche Jugend.

    La Deutsche Freischar de Buske renoue avec cette tradition et entend concrétiser son rêve de Jugendreich par l'organisation régulière de “camps de travail” (Arbeitslager) où jeunes paysans, ouvriers et étudiants peuvent se retrouver pour construire une nation solidaire. L'esprit pragmatique de Buske a pu s'y exprimer. À sa mort, la direction du mouvement est reprise en main par l'Amiral von Trotha, adversaire en 1919 d'une élimination par la force armée des officiers putschistes de Kapp (ultra-droite ; cf. Histoire d'un fascisme allemand : les corps-francs du Baltikum et la Révolution conservatrice, D. Venner). Beaucoup de jeunes voient d'un mauvais œil le contrôle de ce vieil officier conservateur. D'où des dissidences ou, plus exactement, l'autonomisation de groupes menés par de jeunes chefs charismatiques.

    Parmi eux :

    • La Deutsche Jungenschaft von 1. 11 (Jeunes Allemands du 1er Novembre ; en abrégé : d.j.1.11), dirigée par Eberhard Koebel , qui s'était déjà heurté à Buske en 1928 (Koebel n'est exclu de la Freischar qu'en 1930). Grande originalité de ce groupe : il appréhende le monde de la technique de manière plus positive que l'ancienne tradition idéaliste, véhiculée de Fischer à Buske. Plus rebelle mais aussi plus intellectuelle, la d.j.1.11 aborde des sujets philosophiques, littéraires, s'intéresse à l'architecture et aux courants de l'art contemporain. Elle fonde un théâtre, introduit le banjo et la balalaïka russe dans le folklore du mouvement de jeunesse. Les influences scandinaves, finnoise (la tente laponne dénommé dans le jargon des mouvements de jeunesse allemands, la Kohte) et russes sont prépondérantes. La d.j. 1.11 sort du cadre strictement allemand-germanique, voire européen quand elle se met à idéaliser le samourai japonais. Koebel, dit “Tusk” depuis ses voyages en Scandinavie et en Finlande (tusk = allemand en langues scandinaves), crée un style nettement nouveau, un graphisme audacieux et moderne, plus dynamique et quelque peu futuriste. L'ensemble du mouvement de jeunesse tombe bon gré mal gré sous l'influence de cette étonnante modernité, y compris les groupements confessionnels, catholiques et protestants.

    • La d.j. 1.11, fidèle à son romantisme scandinave, finnois et russe, a acquis une notoriété importante en Allemagne après avoir organisé une expédition sur les rives de l'Arctique et en Nouvelle-Zemble. “Tusk” en faisait évidemment partie et nous a laissé une description intéressante de la faune et des oiseaux des îles de l'Arctique. De même, on peut lire dans son carnet de bord, une fascination pour le jour éternel de la zone polaire en été.

    Eberhard Koebel, dit “Tusk”

    • Qualifié de “desperado du mouvement de jeunesse”, Koebel ne trouve qu'un seul allié réel, le Suisse Alfred Schmid, chef du Graues Korps (Corps Gris). Koebel fonde ensuite des “garnisons rouges-grises”, dont la première ouvre ses portes à Berlin en 1930. Ces garnisons sont des communautés d'habitation, où les jeunes peuvent vivre et loger, en dehors de toute tutelle adulte. En 1932, Koebel évolue vers le communisme et tente de mettre sa ligue au service du PC allemand, ce qui entraîne bon nombre de désaccords. Un ancien dira : « Je n'ai pas admis que Tusk ait envoyé des jeunes pour accompagner les colleurs d'affiches communistes dans les rues de Berlin ».

    • Parallèlement aux garnisons rouges-grises, Koebel fonde des Kultur-Clubs, qui ont pour mission d'éduquer les jeunes « à la révolution et au socialisme ». Cette orientation non déguisée vers le communisme marxiste provoque des scissions : la d.j.1.11 se scinde en 4 groupes. Quand les nationaux-socialistes prennent le pouvoir en 1933, Tusk est arrêté par la Gestapo. En juin 1934, il émigre en Suède puis en Angleterre. Il mourra à Berlin-Est en 1955.

    • Autre évolution intéressante après la mort de Buske et toujours de le cadre de la jeunesse “idéaliste” (selon la classification de von Hellfeld) : les Nerother, surtout originaires de Rhénanie. Ceux-ci inaugurent des expéditions lointaines, plus lointaines encore que celles organisées par Tusk. Ainsi, on a vu des Nerother escalader les parois des Andes et revenir avec des films extraordinaires, présentées dans les salles de cinéma de toute l'Allemagne, pour financer le mouvement, qui ne comptera jamais plus de 1.000 membres. Fondateurs du mouvement étaient les frères Oelbermann. Robert sera arrêté par la Gestapo et mourra à Dachau en 1941. Karl partira en Afrique pendant la guerre et ne reviendra que 19 ans plus tard dans une Allemagne complètement transformée.

    ◘ 2) L'aile völkisch :

    Plus nationaliste, moins liée à la tradition idéaliste et hégélienne, l'aile völkisch comprenait des mouvements comme les Adler und Falken (Aigles et Faucons), les Geusen (Gueux), les Artamanen et la Freischar Schill. Les Artamanen fusionneront avec les services agricoles du IIIe Reich (leur activité principale avait été d'organiser des colonies agricoles dans les zones rurales de l'Allemagne et en Transylvanie roumaine, où vit une forte minorité allemande). Les ministres nationaux-socialistes Himmler (police) et Darré (agriculture) en firent partie. La Freischar Schill évolua vers le nationalisme-révolutionnaire, not. selon les directives des frères Strasser. Dirigée par Werner Lass, elle a pu bénéficier de la collaboration d'Ernst Jünger.

    ◘ 3) Les groupes nationaux-révolutionnaires :

    Ils sont surtout animés par le Rhénan Hans Ebeling (Jungnationaler Bund - Deutsche Jungenschaft) et par le socialiste révolutionnaire Karl Otto Paetel, qui fondera le Gruppe sozial-revolutionärer Nationalisten (GSNR, en fr. : Groupe des Nationalistes Sociaux-Révolutionnaires). Paetel évoluera vers l'anti-fascisme, s'engagera côté républicain pendant la guerre civile espagnole, connaîtra un exil new-yorkais où il contribuera à lancer le mouvement contestataire de la Beat Generation dans les années 50. Il reviendra en Allemagne pour y mourir en 1969.

    Citons encore la Schwarze Jungmannschaft de Heinz Gruber et la Bündische Reichsschaft de Kleo Pleyer.

    À partir de 1933 vient la mise au pas progressive des ligues de jeunesse jugées trop indépendantes. Les jeunesses hitlériennes absorbent petit à petit les militants jeunes, marginalisant les chefs (Koebel, Paetel, Ebeling) et les contraignant à l'émigration.

    aw710.gifQue conclure de ce panorama ?

    • Les principes énoncés par Diederichs dans le cadre de sa maison d'édition et de son groupe SERA restent valables, non seulement sur le plan philosophique ou idéologique mais aussi et surtout sur le plan politique ; une traduction politique de ce programme en 8 points me paraît possible aujourd'hui, vu que ces 8 points résument parfaitement des problématiques qui travaillent, pour le meilleur comme pour le pire, la sphère politique européenne.
    • Le discours écologisant du philosophe Klages en 1913 en souvenir du rassemblement au sommet du Hoher Meißner reste valable, en tant que texte fondateur de l'écologie fondamentale.
    • Le pragmatisme de Buske reste valable.
    • Les démarches philosophiques de Hauer restent valables : à l'individualisme et au collectivisme, il faut opposer la notion de communauté (communauté de travail, de combat, d'étude, de survie, de loisirs, etc.).
    • Les innovations de Tusk sur le plan du graphisme et sur le plan de l'audace restent valables, même si on ne partage pas son engagement communiste des années 32/33. L'idée de faire des expéditions lointaines intéressantes reste valable. L'idée de ramener des documents sonores et filmés également.

    Aujourd'hui, à la lumière de ce passé, un mouvement de jeunesse doit :

    • conserver l'esprit du Wandern, surtout dans son propre pays. La redécouverte du terroir régional/national est un impératif de réenracinement, mais aussi un mode de contestation des voyages de masse sans aventure, où tout est prépéparé, nivelé, patronné et mâché d'avance (Club Med, etc.).
    • combiner cet esprit randonneur avec un engagement philosophique cohérent et solide (modèles : Diederichs, Hauer), puis organiser cette cohérence sur le plan pratique (création d'une maison d'édition ; celle de Diederichs a tenu le coup jusqu'à aujourd'hui (elle a été fondée en 1896) en dépit des crises économiques allemandes de 1918-23, 1929, 1945-49 ; les colloques de Hauer se sont poursuivis après 1945 et le relais a été pris à sa mort ; l'initiative qu'il a lancée se poursuit toujours).
    • ne pas se limiter aux randonnées, mais ne pas s'enfermer non plus dans les spéculations philosophiques stériles ;
    • reste le problème de l'engagement politique : il est exact que du temps de Tusk, par ex., le jeune idéaliste était soit nationaliste soit communiste et souvent son choix oscillait entre ces 2 extrêmes. Aujourd'hui, la donne a changé dans la mesure où, comme le disait l'hebdo français Marianne, les jeunes de notre décennie n'ont plus que des soucis limités : faire de l'argent, refuser toute formation culturelle, refuser tout service à autrui, refuser de penser la politique, etc. Toutes les idéologies politiques dominantes sont responsables de ce désastre pédagogique et anthropologique, y compris les partis qui leur ont servi de véhicule. Rien qu'avoir le souci de la Cité aujourd'hui constitue déjà une contestation radicale du pouvoir en place. Donc un acte politique.

    ► Robert Steuckers, Nouvelles de Synergies Européennes n°34, 1998.

     

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    Une histoire des mouvements de jeunesse allemands (1896-1933) :

    du Wandervogel à la dissolution des ligues par le régime national-socialiste


    En 1986 venait de paraître en langue française chez Pardès (reprint éd. ACE, 2005] un opuscule didactique sur l’histoire des mouvement de jeunesse allemands [Jugendbewegung] de 1896 à 1933. Cet ouvrage, dû à la plume de Karl Höffkes avait été traduit, annoté et postfacé par le rédacteur en chef de Vouloir, Robert Steuckers. Ce livre, écrit avec le cœur, visait à initier le public francophone à un monde exaltant, un monde généré par l’âme romantique allemande. Les mouvements de jeunesse sont nés d’une volonté de rupture avec un monde sans foi, marqué par un optimisme matérialiste assez vulgaire, par la bonne conscience bourgeoise, par le culte des petits conforts. Deux ou trois générations d’Allemands ont été formées par cette concrétisation d’un vieux mythe, celui de la jeunesse autonome. Le livre de Höffkes n’est qu’une introduction. Puisse le dossier bibliographique qui suit susciter un intérêt croissant pour ce mouvement, en Suisse romande, en Wallonie et en France, où la vieille âme européenne, pendant 3 bonnes décennies, s’est émancipée de ces vieux dogmes… Et a su créer la seule vraie contre-société de ce siècle. Pourquoi ne pas réessayer, puisque l’imagination devait prendre le pouvoir ?

     

    Les 4 phases de l’histoire du mouvement de jeunesse allemand


    wandtr10.gif« C’est incontestablement la meilleure histoire du mouvement de jeunesse allemand ». Presque tous sont unanimes pour accepter ce jugement, porté sur le petit livre de Fritz Borinski et Werner Milch. Ces 2 auteurs ont quitté l’Allemagne nationale-socialiste, respectivement en 1934 et en 1938.
    Borinski, militant socialiste, échouera en Angleterre pour être déporté en Australie en 1940. En 1941, il revient à Londres et participe aux travaux d’une commission chargée de « rééduquer » les Allemands, une fois leur pays mis à genoux par les Alliés. W. Milch est libéré d’un camp de concentration en 1938 et choisit, lui aussi, la Grande-Bretagne comme terre d’exil. Il subit 6 mois d’internement à Exeter en 1940, pendant la Bataille d’Angleterre.

    Leur livre s’inscrit donc dans un projet de « rééducation forcée ». Généralement, ce genre d’ouvrages ne brille pas par leur objectivité. À la propagande, il a été trop souvent répondu par la propagande, au dam de la vérité historique et de l’honnêteté intellectuelle. Pour ce qui concerne le mouvement de jeunesse, toutes les idées et tous les thèmes qui relèvent de lui ont été assimilés à leur traduction nazie. Ce type d’amalgame, heureusement, ne se retrouve nullement dans l’ouvrage de Borinski et Milch. Leur but n’est pas de condamner le phénomène de la Jugendbewegung mais, au contraire, de le ressusciter, de lui redonner vigueur et de restaurer sa pluralité, sa diversité, son foisonnement de perspectives d’avant 1933. Dans la courte préface à la première édition anglaise de 1944, ils disent clairement vouloir le retour de l’idéal de liberté spirituelle, propre aux Wandervögel et à leurs héritiers. Pour eux, le phénomène est indissociable de l’histoire allemande et ne saurait être biffé par décret.

    L’intérêt historique de leur ouvrage réside principalement dans la classification chronologique qu’ils nous livrent. Quatre périodes marqueraient ainsi l’histoire du mouvement. 1) La phase du Wandervogel ; 2) la phase de la Freideutsche Jugend ; 3) la phase de la Bündische Jugend ; 4) la phase de dissolution par la répression nationale-socialiste. Ce canevas reste valable. L’évolution du mouvement de jeunesse s’est bien déroulé en 4 phases. L’histoire, après 1945, n’a pas permis l’éclosion d’une cinquième phase ; la rééducation a laminé la matrice de l’humanisme, sous prétexte que cette matrice avait engendré aussi le nazisme. Borinski et Milch n’ont pas vu leur espoir se réaliser.

    [Ci-contre : photo de Julius Gross]

    wander11.jpgInaugurée par Karl Fischer, la première phase est essentiellement une réaction contre les rigidités bourgeoises, contre les attitudes guindées de la Belle Époque, le snobisme matérialiste, etc. Le Wandervogel de Fischer s’instaure comme une “nouvelle école”, plus proche de la nature, plus émancipée par rapport aux conventions et aux institutions scolaires, vectrices d’un savoir schématique. Le Wandervogel, c’est la contestation d’avant 1914. Le mouvement inaugure des contre-Institutions comme les auberges de jeunesse, revient au terroir et quitte les déserts de pierre que sont les villes, découvre le camping et les randonnées en forêt. Le Wandervogel rejette les frivolités du « bourgeoisisme » : il ne danse pas, ne suit pas la mode, condamne l’alcoolisme et l’abus de tabac.

    La deuxième phase, celle portée par la Freideutsche Jugend, est en fait une phase de transition, entre le mouvement d’écoliers et de lycéens qu’était le Wandervogel et celui, plus politisé, de la phase bündisch. Cette phase est encore apolitique, dans une large mesure. Les Freideutsche communistes seront les premiers à être absorbés par une formation politique adulte. Par cette scission, le signal de la politisation générale de la société allemande est donné. La politisation s’enclenchera sous la pression des événements tragiques que connaît l’Allemagne : inflation, disette, réparations imposées par Versailles, agitation sociale, etc. Le grand sociologue Max Weber parlera, à ce propos, de « la nuit polaire des réalités politiques et de la paupérisation économique qui tuera l’extase de la révolution et étouffera le printemps d’une jeunesse exubérante et florissante ».

    La fuite hors des réalités, la marginalisation voulue par Fischer se heurtent aux frustrations du réel social, frustrations dues au constat qu’il n’est plus possible, avec une économie aussi défaillante et une nation aussi asservie, de créer l’homme nouveau. Pour ôter les obstacles de la misère socio-politique, il faut, bien évidemment, agir sur le terrain politique… Les chefs des divers mouvements ne peuvent plus cultiver indéfiniment leurs dadas philosophiques ni poursuivre leur rêve romantique de liberté, de détabouisation sociale. Du magma d’idéaux idylliques ou fumeux, sublimes ou excentriques, naît la troisième phase : la phase bündisch.

    L’anarchisme s’estompe. Les ligues qui se constituent acceptent désormais des principes directeurs et des hiérarchies organisatrices. Dans la foulée, les uniformes apparaissent et remplacent petit à petit les attirails chamarrés, les chemises colorées et les chapeaux à fleurs. Le “style” succéda ainsi à la fantaisie charmante. L’accent est mis désormais sur le Bund [ligue], en tant que communauté, qu’instance supra-personnelle (« Les personnalités meurent comme les mouches mais ce qui est objectif ne meurt jamais »). Le Bund recrute les meilleurs garçons et en ce sens il est élitiste. Mais ses chefs sont élus, comme chez les anciens Germains. Le Bund fonctionne démocratiquement : les chefs élus discutent plans et projets avec tous les membres.

    Le principe d’autonomie demeure, malgré le changement de formes. Mais, quand la politisation de la société allemande atteint son paroxysme lors des campagnes électorales qui amèneront Hitler au pouvoir, ce principe d’autonomie s’avère terriblement faible face aux groupes politisés et fanatisés. Hitler avait toujours montré son mépris pour les “marginaux” des mouvements de jeunesse. Il fera tout pour que ceux-ci rejoignent les rangs de son parti ou disparaissent. Malgré une ultime tentative de regroupement, sous l’égide du vieil Amiral von Trotha, les Bünde finiront par être tous interdits et dissouts. Les récalcitrants seront impitoyablement pourchassés. Le nouveau totalitarisme allemand, comme le totalitarisme mou que nous subissons aujourd’hui, ne toléra aucun espace d’autonomie… Quand bien même serait-il sublime, efficace, sainement éducateur comme l’ont été les Bünde. À la brutalité des SA a succédé la bave de crapaud des journalistes inquisiteurs, des psychanalystes vicieux, des petits bourgeois écœurants, des consommateurs aux regards vides, des sujets silencieux et mornes de Big Brother

    ♦ F. Borinski, W. Milch, Jugendbewegung : Die Geschichte der deutschen Jugend 1896-1933 / Jugendbewegung : The Story of German Youth 1896-1933, (édition bilingue), dipa-Verlag, Frankfurt am Main, 1967-1982, 139 p.

    ► Michel Froissard, Vouloir n°28/29, 1986.

     

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    wander10.gifJünger Wandervogel

    Dans bon nombre de publications, Ernst Jünger témoigne de ses ancrages personnels dans le monde d'avant la Première Guerre mondiale.

    Ceux qui connaissent la biographie de Jünger savent que l'adolescent détestait la rationalité, se sentait étranger à elle, tout comme à la quotidienneté du monde de son époque. Il était un rêveur qui ne connaissait rien du monde des autres et n'y cherchait pas son chemin. Cette attitude d'anarque, nous ne cessons de la découvrir dans toute l'œuvre d'Ernst Jünger. À la même époque, Franz Kafka ou Thomas Mann affichaient une même distance par rapport au monde de la majorité. Les intérêts du jeune Jünger résident tout entiers dans son monde onirique individuel. Le monde dans lequel évolue l'adolescent Jünger est marqué par tous ces facteurs sociaux qui orientaient la vie de la plupart des fils de la société bourgeoise : une maison parentale reposant sur des fondements solides, une vie quotidienne à l'école obnubilée par les bonnes notes, l'idéal d'une profession stable. C'est dans ce type de monde que le jeune homme de la Belle Époque devait trouver sa voie. L'écrivain Ernst Jünger sera le contraire de son père, Ernst Jünger senior (1868-1943).

    En 1901, le père quitte, avec sa famille, la pittoresque cité de Heidelberg pour émigrer à Hannovre, ensuite à Schwarzenberg dans l'Erzgebirge, enfin à Rehberg : au fil de ces transplantations, le fils Ernst Jünger junior, se détache de plus en plus nettement de la vision du monde positiviste du XIXe siècle. Son père ne réussit qu'à lui communiquer sa passion pour l'entomologie. Mais au-delà de cela, s'est rapidement évanouie l'influence intellectuelle que le père, chimiste et pharmacien doué, exerçait sur son fils épris d'indépendance. Dès l'âge de 13 ans, nait dans le cœur de Jünger un enthousiasme et un émerveillement pour l'agencement des choses dans la nature, pour le sens qu'elles nous communiquent.

    NATURE ET AVENTURES

    wander10.jpgLes séjours en pleine nature, la collection de ces petites pierres, de ces petites mosaïques, aux formes diverses, leur agencement en images aux couleurs châtoyantes, les voyages imaginaires du jeune Jünger féru de lectures dans des mondes lointains, aventureux, ont fait en sorte que les journées d'école sont vite apparues fort mornes. Dans Le cœur aventureux, Jünger dépeint ses aspirations avec une indéniable volupté : « Mes parents possédaient une serre… et, souvent, lorsque l'air brûlant frémissait sur le toit de verre, je songeais, avec un plaisir étrange, qu'il ne devait pas faire plus chaud en Afrique. Mais il devait sans doute y faire un peu plus chaud, car c'est ce qui était quasi insupportable, ce qui n'avait jamais encore été vécu, qui était le plus attirant ».

    Comme des milliers d'autres garçons, Jünger, à 16 ans, en 1911, rejoint le Wandervogel [Oiseau migrateur]. Une des raisons qui l'ont poussé dans les rangs de ce mouvement de jeunesse : le recul de ses résultats scolaires. Comme l'avait déjà constaté Gerhard IIle dans son livre Es begann in Steglitz (Berlin, 1987), le développement du mouvement de jeunesse est étroitement lié à l'augmentation rapide du nombre d'élèves dans les grandes écoles. Le nombre des adhérents du Wandervogel s'est multiplié. Les temps d'apprentissage étaient devenus plus long, le corps des enseignants tendait à s'enfler démesurément et à se bureaucratiser ; tout cela contribuait à diminuer sensiblement la qualité de l'enseignement dans les Gymnasia [lycées]. Pour beaucoup d'élèves, l'école devenait aliénante ; elle les préparait à des professions qui n'étaient plus, en dernière instance, que des “fonctions” dans les structures de la société allemande, de plus en plus technologisée et bureaucratisée.

    SUICIDES

    jugend10.jpgJünger ne se sentait pas exposé à la pression sociale, qui poussait les jeunes gens à terminer la seconde moitié de leurs humanités afin d'obtenir le droit d'effectuer un service militaire volontaire d'un an seulement (en 1912, Jünger décrochera finalement ce diplôme). Ce type de service militaire prévoyait un temps réduit à une seule année, permettait aux jeunes de gagner du temps et de l'argent et autorisait le volontaire à postuler le statut d'officier de réserve. Mais si le jeune homme ne réussissait pas à atteindre cette position sociale tant briguée, il restait tenaillé par la crainte des examens ; s'il ne les passait pas ou s'il n'obtenait pas l'affectation désirée, cela pouvait se terminer en tragédie. Les statistiques de 1883-1888 nous signalent le suicide de 289 élèves, dont 110 dans les grandes écoles.

    Chez les Wandervögel, qui cultivaient un ressentiment certain à l'égard de la société qu'ils détestaient, ces considérations n'avaient pas leur place. L'officier de réserve issu du Wandervogel envisageait toujours une réforme “par le haut”, et, plus tard, pendant la guerre, il cherchait à promouvoir une réforme globale de la vie dans le corps même des officiers. Ce fut un échec. Mais le scepticisme de ces jeunes officiers à l'égard de l'armée en tant que forme d'organisation, à l'égard de sa technicisation et de sa rationalisation, est demeuré : c'était un scepticisme pour une part plus “progressiste” que celui qui régnait dans d'autres secteurs de la société.

    Ernst Jünger, lui, n'a jamais songé au suicide, car il ne prenait pas l'école au sérieux. « Je rêvais sans tenir compte de rien, avec passion… et je me cherchais chaque nouvelle année un nouveau chef droit aux épaules larges, derrière lesquelles je pouvais opportunément me réfugier » (Das abenteuerliche Herz, 1ère version).

    La fantaisie juvénile influencée par la lecture de livres d'aventures, comme ceux de Karl May, ou de récits coloniaux ou d'ouvrages de géographie, l'a conduit à rêver à de longs voyages dans des contrées inexplorées. La notion de communauté qui, pour d'autres, est la clef de l'aventure, ne constitue pas l'essentiel pour Jünger. À ce moment-là de son existence, comme plus tard, pendant la guerre, elle n'est qu'un moyen pour compléter son univers d'ivresse et de rêves. L'énergie pour l'aventure, Jünger la porte en lui, il n'a pas besoin d'une dynamisation complémentaire, qui lui serait transmise par d'autres. Jünger ne s'est jamais entièrement soumis à un groupe ni n'a adhéré exclusivement à un mouvement précis. C'est ce qui ressort des quelques rares descriptions que nous livre Jünger sur le temps où il était Wandervogel : beuveries vespérales à la manière des étudiants des corporations.

    Sur les visites hebdomadaires aux brasseries de Hameln, où Jünger était lycéen en 1912, nous avons un récit, publié seulement en 1970 dans Approches, drogues et ivresse : « Les chansons et toute sorte de cérémonies telles que la salamandre [rite qui consiste à frotter 3 fois la table en rond du fond de son pot avant de faire cul sec] étaient ordonnées après un silentium préparatoire ; un moment de détente, la fidelitas, suivait l'exécution du rituel. On buvait dans des pots à couvercle ; parfois aussi un hanap circulait à la ronde. Il avait la forme d'une botte qu'on ne cessait de remplir à nouveau, aux frais de celui qui avait été l'avant-dernier à la tenir. Quand la bière tirait à sa fin, il fallait, ou bien en boire de toutes petites gorgées, ou bien faire cul sec d'un trait (…) Il existait toute une série de délits qu'on expiait en vidant une petite ou grande quantité de liquide - ce qu'on appelait descendre dans le pot. Souvent des étudiants, ex-membres du club, étaient nos hôtes ; ils louaient notre zèle gambrinesque ».

    LA LÉGION ET L'AFRIQUE

    medium_junger.jpgPar la suite, Jünger a essayé de traduire en actes ce que d'autre n'évoquaient qu'en paroles. À la recherche de la vie dans sa pureté la plus limpide, avec la volonté de se plonger dans l'ivresse extrême de l'aventure et dans l'émerveillement intense de nouvelles découvertes, de nouvelles couleurs, odeurs et plantes, de nouveaux animaux, Jünger décide de franchir le pas, un pas extraordinairement courageux pour un adolescent, un pas dangereux : à Verdun, en Lorraine, sans avoir averti son père, il s'engage dans la Légion Etrangère française. Un an seulement avant la Grande Guerre, avant même d'avoir passé son examen de maturité [NDT : équivalent du baccalauréat français], le jeune Jünger amorce une aventure audacieuse, mais qui sera de très courte durée. La même année, au moment où Ernst Jünger part, un revolver dans la poche, pour rejoindre la prestigieuse phalange des professionnels de l'armée française, le mouvement Wandervogel réunit ses adeptes allemands sur une montagne d'Allemagne centrale, le Hoher Meißner. Un Wandervogel autrichien avait appelé les Germains au “Combat contre les Slaves” ; les Allemands veulent prendre position et répondent, par la voix de leur porte-parole : « La guerre ? Cette manifestation de la folie des hommes, cette destruction de la vie, ce massacre en masse des hommes, faut-il la réactiver de nos jours ? Qu'un destin bienveillant, que notre œuvre quotidienne, exécutée en toute fidélité à nos idéaux, nous en préservent ! »

    Cette attitude pacifiste a été celle de la majorité dans le mouvement de jeunesse bourgeois avant le déclenchement de la Grande Guerre. La volonté d'action de Jünger, d'une parfaite cohérence, ne pouvait pas se concrétiser dans sa patrie. Son départ pour la Légion fit la une dans les quotidiens de sa région. Par voies diplomatiques, le père de Jünger obtient assez rapidement le rapatriement de son fils fugueur, qui se trouvait déjà en Afrique. Détail intéressant : le père lui ordonne par télégramme de ne pas revenir sans s'être laissé photographier en uniforme de légionnaire.

    JEUX AFRICAINS

    Jünger eut en Afrique des expériences plutôt dégrisantes. Il nous décrit par ex. comment il a été cueilli par des policiers militaires français, peu après son arrivée au Maroc, et exposé à la risée des indigènes. Les chambres sont pareilles à celles des détenus. Dès ce moment, l'aventure africaine laissait à désirer. Mais son livre Jeux africains demeure un récit légendaire, qui ne cesse de captiver ses lecteurs. En 1939, le Meyers Lexikon, pourtant fidèle à la ligne imposée par le régime, fait tout de même l'éloge de ce texte : Jünger, écrit le rédacteur, prouve avec ce livre « qu'il est doué d'une grande capacité poétique à décrire et à contempler », surtout « après avoir approché dangereusement un retournement, celui qui mène du réalisme héroïque au nihilisme sans espoir ».

    Après avoir passé un Abitur accéléré, Jünger se porte volontaire dès le début de la guerre. Sa jeunesse était définitivement passée. Le monde obsolète de sa ville natale, endormi et médiéval, moisi et vermoulu, il l'abandonnait définitivement. Il appartiendra désormais au petit nombre de ceux qui abandonnent le romantisme sans une plainte, pour adopter le pas cadencé, pour troquer le béret de velour des Wandervögel pour le casque d'acier de l'armée impériale. Numquam retrorsum, semper prorsum !

    ► Patrick Neuhaus, Vouloir n°123-125, 1995. (article extrait de Junge Freiheit n°12, 1995)

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    Eberhard Koebel, dit “Tusk”,

    créateur d’un mouvement de jeunesse radicalement antibourgeois

     

    tusk310.jpgParmi les mouvements de jeunesse, il y en a un qui s’est tout particulièrement signalé par son radicalisme antibourgeois : la dj.1.11 ou la Deutsche Jungenschaft 1.11 (1er novembre, date de sa fondation). Le radicalisme de ce mouvement est dû essentiellement à la personnalité de son chef et fondateur : Eberhard Koebel, surnommé “Tusk”. Né en 1907 à Stuttgart, fils d’un haut fonctionnaire, Eberhard Koebel a adhéré très jeune au Wandervogel. Plus tard il est passé à la Freischar, dont il deviendra Gauführer pour le Würtemberg en 1928. Cet homme de taille menue, nerveux et énergique, ne fut pas un théoricien. Ce fut surtout un artiste qui révolutionna le “style” des mouvements de jeunesse, en donnant un visage moderne à ses revues, en conférant à celles-ci un graphisme osé, épuré, moderne.

    Sa célébrité dans le mouvement et dans toute l’Allemagne, “Tusk” la doit à ses innovations. Et celles-ci n’étaient pas seulement d’ordre graphique. Inlassable voyageur, Koebel avait campé et vécu avec les éleveurs de rênes en Laponie, sillonné le Nord de la Russie d’Europe, débarqué en Nouvelle-Zemble. De ces voyages inédits et franchement originaux, “Tusk” rapporte, outre son surnom (“L’Allemand” en scandinave), la Kohte (la tente des Lapons), la Balalaïka et le Banjo. Cette tente noire et ces instruments de musique seront adoptés avec enthousiasme par les jeunes. “Vivant avec intensité”, Koebel parcourt son pays à moto (autre trait de modernisme) pour recruter de nouveaux membres. Les Wurtembergeois de Tusk font progressivement scission au sein de la Freischar et, le 1er novembre 1929, se rassemblent derrière la bannière de la dj.1.11. Tusk possède désormais son propre mouvement auquel il donnera un style original et une éthique nouvelle. Ce style et cette éthique marqueront le camp qu’il organisera en 1931 (Sühnelager).

    Un style nouveau naît : froid et hiératique dans ses aspects extérieurs, incandescent et fou dans sa dimension intérieure. Tusk élimine le romantisme passéiste de l’ancien Wandervogel, qui idéalisait trop le Moyen Âge, au risque de dégénérer en mièvreries, en kitsch à la Hollywood. En cela, Koebel est bien le contemporain des futuristes italiens et soviétiques et d’Ernst Jünger, prophète annonciateur de l’avènement de l’ère “métallique”. Parallèlement à ce culte de l’homo metallicus, les groupes animés par Tusk idéalisent la figure du Samouraï, anticipant ainsi la vogue occidentale pour Mishima. Koebel/Tusk, Allemand de Weimar, incarne aussi les contradictions de son temps : il agit politiquement à la croisée des chemins. Jusqu’en 1932, son action n’est guère politisée. Mais, dès cette année fatidique, où la crise atteignait son apogée, Koebel se jettera dans l’aventure politique. Ses positions, jusque là, avaient été finalement assez conventionnelles ; il était un nationaliste allemand non extrémiste, qui contestait surtout l’annexion de la Posnanie et du Corridor à la Pologne. L’idéal du soldat, chez Koebel/Tusk, n’est pas au service d’une cause nationale bien précise. Comme chez Jünger et Drieu. Il est davantage religieux et éthique.

    Le nationalisme de Tusk n’est pas hostile à la Russie. Cet immense pays, pour lui comme pour Niekisch n’a pas été perverti par les Lumières (Berdiaev ne l’aurait pas démenti), qui ont fait vieillir les peuples d’Occident. Le romantisme russophile triomphe dans les rangs de la dj.1.11. Pêle-mêle, sans a priori idéologique, les garçons de ce mouvement chantent la geste de Staline et des armées rouges et les prouesses des soldats blancs de Koltchak. Ils lancent à travers toute l’Allemagne la mode des chants cosaques. Au Sühnelager de 1931, Tusk dirigera sa troupe (Horte), vêtu d’une pelisse cosaque et d’une toque de fourrure.

    Avec ce style, impliquant une rupture totale avec le monde adulte et bourgeois, Koebel/Tusk réalise radicalement les vœux initiaux du mouvement de jeunesse. II déclara un jour : « La jeunesse, est la valeur en soi et la maturité est presque a priori une mauvaise chose ». Pour Tusk, platonicien qui s’ignore, il faut couper dès que possible la jeunesse des compromissions que lui impose le monde adulte. Il faut la préserver des miasmes du bourgeoisisme. Koebel/Tusk luttera dans ce sens contre les mouvements traditionnels, dont le style ne provoque pas cette rupture thérapeutique. Les idéologèmes du peuple (Volk), de la patrie (Heimat) et du Reich, qui mobilisent aussi le monde des adultes, doivent céder le pas au concept radical de l’ORDRE. « Dans l’ORDRE, écrit Tusk, conçu comme communauté autonome, comme communauté de choix, comme communauté libre de toute attache aux choses révolues, l’homme jeune trouvera l’assise de son être ».

    Avec la volonté de créer un ordre imperméable aux influences délétères de la société libérale, Tusk oppose 2 modèles anthropologiques antagonistes ; l’un constitue l’idéal à atteindre ; l’autre représente la négation du premier, le pôle négatif, le repoussoir. Ce dernier, il le baptise « le modèle répétitif ». « C’est le modèle de l’homme qui parasite et végète dans le maximum de confort possible. Cet homme-là veut vivre le plus longtemps possible, ne jamais être malade, ne jamais souffrir physiquement, ne jamais exprimer d’idées ; il souhaite mâchonner du déjà mâché, répéter ce qui lui a été dit, être heureux quand la routine quotidienne s’écoule sans bouleversements majeurs. Face aux moutonniers du répétitif, se dresse le membre de l’ORDRE, libre de toute espèce d’obligation à l’égard des visions-du-monde caduques, libre de ne pas répéter les slogans conformistes, libre de ne pas devoir fréquenter les répétitifs, d’adopter leurs formes de vie et leurs idées ». Symbole de cette attitude devant la vie : l’Eisbrecher, le “Brise-glace”.

    Pour “briser la glace” qui fige les sociétés, les formes et les idées, l’ORDRE doit créer une discipline de fer. Il faut saluer ses supérieurs, leur obéir sans discuter car cette obéissance-là donne naissance à la liberté, elle provoque la rupture. Les vêtements du membre de l’ordre doivent être impeccables ; son langage doit être châtié et épuré de gros mots.

    Mais l’ordre ne subsistera pas intact sous la pression des passions politiques. Tusk choisira d’abord le NSDAP, puis le parti communiste pour, enfin, abandonner la chimère de vouloir transposer ses idéaux dans une formation politique. Les communistes ne cesseront jamais de se méfier de lui. Tusk essaiera alors de noyauter la Hitlerjugend, en demandant à ses lieutenants d’y acquérir des postes de commandement. L’échec ne devait guère se laisser attendre… L’itinéraire politique de Tusk l’a mené au-delà de la gauche et de la droite, tout comme ceux des nationaux-bolchéviques et nationaux-révolutionnaires autour de Niekisch et Paetel.

    Cette position entre 2 chaises était difficile à tenir. En janvier 1934, Tusk est arrêté par la Gestapo ; il tente de fuir et se fracture le crâne, avant d’être relâché. Il quitte l’Allemagne et se réfugie en Suède. Sa vie publique était finie. Le maladie s’empare de son corps et ne le lâchera plus. À Londres, deuxième étape de son exil, il tentera de gagner péniblement sa croûte comme photographe et professeur de langues orientales. Les exilés communistes acceptent de l’écouter mais n’acceptent pas sa candidature de membre. Toutes ses tentatives de reprendre le combat tournent à l’échec. Après la guerre, à Berlin-Est, il n’aura pas plus de chance. Il y mourra seul en 1955, à l’âge de 48 ans.

    Tusk : une figure à redécouvrir. Une figure qui résume au fond toute la philosophie allemande depuis Herder. Une philosophie qui privilégie, dans ses explorations de l’aventure humaine, les balbutiements primordiaux aux productions des âges mûrs. Une philosophie qui se jette à corps perdu dans les mondes homériques et rejette les mièvres esthétiques hellénistiques… Le culte de la Russie et celui du Samouraï rejoignent cette vieille option. Tusk : une figure au-delà de la droite et de la gauche, au-delà des insuffisances politiciennes…

    ♦ Helmut Grau, dj. 1.11, Struktur und Wandel eines subkulturellen jugendlichen Milieus in vier Jahrzehnten, dipa-Verlag, Frankfurt am Main, 1976, 186 p.

    ♦ Clans Graul, Der Jungenschafter ohne Fortune. Eberhard Köbel (tusk) erlebt und biographisch erarbeitet van seinem Wiener Gefährten, dipa-Verlag, Frankfurt am Main, 1985, 248 p.

    ► Bertrand Eeckhoudt, Vouloir n°28/29, 1986.

     

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    Lukanga Mukara : une satire de l’Allemagne wilhelmienne

     

    [Ci-dessous couverture de la première édition de Lukanga Mukara. Cet ouvrage est bien le produit de son époque. En effet, le début du siècle a vécu sous le progressisme libéral. Sur le plan intellectuel, cette “béatitude” a suscité pas mal de réactions. Georges Sorel parlait de la bourgeoisie qui oubliait ses vertus quiritaires pour se noyer dans le frivol. La réaction de Paasche sera, elle, moralisante et critique. Il opposera le mythe du bon sauvage, étranger aux bouffoneries occidentales. Le mouvement de jeunesse se comparera à cette humanité innocente, annonciatrice d'un “homme nouveau”]

    lukang10.jpgHans Paasche est né à Rostock le 3 avril 1881. Fils de Hermann Paasche, professeur d’économie et député national-libéral devenu, au cours de sa brillante carrière politique, Vice-Président du Reichstag, iI deviendra “cadet de la mer” puis, à 20 ans, officier de marine. Quatre années plus tard, il part en Afrique pour mâter une révolte indigène. Cette expérience provoque, chez lui, un retournement de perspective. La victoire facile des Allemands sur les indigènes lui fait douter de la validité de la chose militaire. II devient pacifiste sans éclat, avec toute l’intensité de la conversion intérieure. En découvrant l’Afrique, en photographiant pour la première fois des éléphants et des lions de près, dans leur milieu naturel, Paasche devient un défenseur acharné de la nature, du monde animal et, simultanément, un ennemi farouche, froidement passionné et résolu, du matérialisme économiste occidental, de la mentalité consumériste qui se dessine à l’aube de notre siècle et de la fébrilité insensée qui agite — avec quelle vanité ! — la Belle Époque.

    Ces positions philosophiques, Paasche les communiquera à ses camarades des mouvements de jeunesse. Dès octobre 1913, il participe à la célèbre fête du Hohen Meißner, qui célèbre le centième anniversaire de la bataille des nations, livrée à Leipzig en 1813. En 1911, il fait partie de la rédaction de la revue Der Vortrupp. Plus tard, il passera à celle de Junge Menschen. La nature africaine, vierge des souillures industrielles, l’âme africaine, vierge des miasmes du matérialisme et du consumérisme, continuent à le fasciner. Avec sa jeune épouse Helga, il part, en 1910/11, explorer les sources du Nil. C’est là qu’il rencontrera Lukanga Mukara, un jeune notable indigène, interprète du roi Ruoma de Kitara et natif de l’île Ukara située au milieu du Lac Victoria. Paasche dialoguera longuement avec cet intermédiaire ignorant la civilisation occidentale. C’est ce dialogue que reprend son célèbre conte Die Forschungsreise des Afrikaners Lukanga Mukara ins innerste Deutschland (Le voyage de l’Africain Lukanga Mukara au plus profond de l’Allemagne). Mais les rôles y sont inversés. C’est l’Africain qui visite l’Europe et s’étonne des mœurs bizarres des indigènes. Un peu semblable aux Lettres Persanes de Montesquieu, ce livre renoue avec les meilleurs principes de la satire corrosive et mordante ; l’ouvrage deviendra rapidement un best-seller.

    Lukanga Mukara écrit à son roi demeuré en Afrique et lui fait part des impressions qu’il recueille dans l’Allemagne wilhelmienne, bourgeoise et cossue. Les marottes européennes sont prises à partie : règles de politesse ridicules et désuètes, inhumanité du travail, culte bouffon du papier-monnaie, accoutrements grotesques, manie du tabac et de l’alcool, etc. Qu’on en juge par cet extrait :

    « Grand Roi ! Unique Roi ! Saches que le pays où je voyage présentement s’appelle Allemagne. Les naturels de ce pays ne comptent pas au moyen de bœufs ou de chèvres, ni de perles de verre, ni de coquillages ou de ballots de coton. Ils ont de petits morceaux de métal et du papier colorié… Et ce papier vaut plus que le métal ! Il existe même un papier qui vaut plus que tous ces bœufs ! Et quand je dis à ces indigènes que nous, à Kitara, nous manipulons une toute autre monnaie, ils répondent que ce qu’ils ont, eux, est meilleur et demandent s’ils doivent venir chez nous et t’apporter ce “meilleur”.

    L’ensemble de ce qu’ils veulent nous apporter, ils le nomment du mot Kultur. Tous ces indigènes ne se promènent qu’habillés. Même pour se baigner, ils mettent un vêtement léger. Personne n’a le droit d’aller nu et personne ne trouve inconvenant et ridicule de porter des vêtements. Et ce que ces Wasungu (les Allemands, ndt) doivent porter sur le corps est prescrit par des artisans qui cousent ces vêtements. Ce sont surtout les indigènes les plus riches qui suivent leurs prescriptions à la lettre…

    Et puis il y a le faire-la-fumée. Ils font venir des feuilles roulées d’une plante rare, font une flamme et allument ces rouleaux à une extrémité. L’autre extrémité, ils la coincent entre leurs dents. Ils ferment alors leurs lèvres et aspirent, de façon à ce que la fumée pénètre dans leur bouche. De leur bouche, ils expirent la fumée dans l’atmosphère et la pièce où ils se trouvent s’emplit alors de cette fumée sortie de leurs poumons… Puis ils installent des tonneaux remplis d’un liquide brun et puant et parlent haut de la mousse blanche qui nage à la surface de ce liquide et qu’ils nomment la “fleur”… Tous les Wasungu ne font pas de la fumée puante. On distingue chez eux les puants des non-puants. Quand l’atmosphère est devenue suffisamment pestilentielle, on discute pour savoir s’il faut ouvrir une porte…

    Ô Rigombe, toi qui vit au-dessus de la montagne de feu et qui rafraîchit tes pieds dans la neige, protège nous, mon Roi et moi, son serviteur… »

    Paasche, par le truchement de son héros africain, critique la consommation naissante : « En Allemagne, pas un homme ne peut être heureux sans travailler, sauf s’il a beaucoup d’argent. Et quand ils ont de l’argent, ils ne l’utilisent pas pour faire leur bonheur, ce qui ne coûterait rien mais se laissent convaincre par d’autres qui, eux, veulent gagner de l’argent, d’acheter, pour compléter leur bonheur, toutes sortes de choses qui n’ont aucune espèce d’utilité et qui sont fabriquées dans les bâtiments qui font de la fumée. Je pense qu’un homme qui se satisfait de peu et n’achète rien n’est pas bien vu en Allemagne. En revanche, un homme qui s’entoure de mille choses qu’il conserve, protège, enferme, nettoie et doit contempler chaque jour, acquiert une certaine considération… »

    Quand la Première Guerre mondiale éclate, Paasche, rejoint la Marine et participe aux combats pendant 2 ans. Dégoûté de la guerre, il quitte l’uniforme, devient un pacifiste militant, connaît la prison, est libéré par les soviets de matelots, d’ouvriers et de soldats qui l’élisent à la tête d’une commission puis se retire de toute vie active et réside sur ses terres. Sa femme meurt et quelques mois plus tard, à la suite d’une fausse dénonciation, une soixantaine de soldats de la Brigade Ehrhardt se présentent chez lui et l’abattent, croyant découvrir dans sa demeure un arsenal secret.

    Paasche est l’un des premiers satires modernes de la société libérale avec ses absurdités de consommation et d’administration. Sa fille Helga dénonce les tentatives de récupérer Paasche politiquement. Durant sa courte vie, il est resté un esprit solitaire et indépendant. Pour lui, le mal, c’est l’esprit matérialiste généré par les faux concepts qui régissent nos économies occidentales. Comme Ezra Pound, autre grand solitaire, Paasche pense que « l’économie politique qui prévaut aujourd’hui met au centre de ses préoccupations la chose morte et non l’homme ».

    Homme de gauche et chrétien marginal, Paasche a lutté dès sa jeunesse contre l’alcoolisme. En ce sens, il est une sorte d’utopiste puritain qui considère que l’alcool est le ferment de la décadence européenne. Son obsession de la décadence le marginalise paradoxalement par rapport aux milieux de gauche de son temps qui vénéraient l’idole “progrès”.

    L’humanisme de Paasche peut laisser sceptique. On peut ne pas partager sa sublime naïveté et ce qu’elle implique sur le plan politique, c’est-à-dire la critique incisive sans contrepartie constructive. Mais qui resterait insensible à son plaidoyer pour le monde animal, aux phrases dures qu’il a écrites pour stigmatiser la chasse aux oiseaux pour vendre des plumes aux modistes des bourgeoises, la chasse aux phoques pour offrir des paletots à toutes ces sinistres cloches pomponnées, etc. Avec Paasche, comme plus tard avec un philosophe aussi profond que Klages, on découvre une vision acceptante de la Vie, du cosmos, de la totalité biologique. Et un dégoût bien campé pour les grimaces et les singeries que sont les conventions sociales stériles. Le rêve des mouvements de jeunesse allemands, du Wandervogel initial à la Freideutsche Schar, a été de créer un Jugendreich, un Reich de la jeunesse, où ces reliquats, ces bouffonneries n’auraient plus de place.

    Quelle bonne idée a eue Helmut Donat, l’éditeur de cette réédition de Lukanga Mukara

    ♦ Hans Paasche, Die Forschungsreise des Afrikaners Lukanga Mukara ins Innerste Deutschland, Donat & Temmen Verlag, Bremen, 1989, 136 p.

    ► Serge Herremans, Vouloir n°28/29, 1986.

     

    Blüher, Wyneken et l’invention de la “Jugendbewegung”

    [Ci-contre : un groupe de Wandervögel se dirige vers les ruines du château de Greifenstein (en Thuringe). Photo de Julius Gross, vers 1920]

    WandervogelLa seconde moitié du XVIIIe siècle avait “découvert” l’enfant, notamment avec Rousseau ; autour de 1900, on “découvre” l’adolescence et la jeunesse [1]. Ce phénomène s’est produit dans la plupart des sociétés modernes, industrialisées ou en voie de l’être. La cause en résidait essentiellement dans les transformations que ces sociétés ont connues au cours de la révolution industrielle, notamment les migrations et concentrations de populations, le développement des grandes villes, la séparation du lieu de vie et du lieu de travail. La croissance démographique, l’allongement de l’espérance de vie, la prolongation de la scolarité et une entrée plus tardive dans la vie active ont été d’autres facteurs décisifs dans ce processus. Par ailleurs, la diminution du contrôle social sur les comportements individuels dans l’anonymat des grandes villes et l’affaiblissement du rôle des forces éducatives traditionnelles comme les Églises ou les familles (de plus en plus réduites au modèle “nucléaire” parents / enfants) ont créé, surtout en milieu urbain, une sorte de vide éducatif pour les adolescents d’âge post-scolaire avant qu’ils n’accèdent au statut social de l’adulte. Ces problèmes ne se sont pas posés de la même façon selon les différentes couches de la société et ils ne se sont pas produits au même moment et au même rythme dans les différents pays.

    En Allemagne, la date tardive du décollage industriel et le rythme beaucoup plus rapide de la croissance ont eu pour conséquence de donner une plus grande acuité à ces problèmes et à la nécessité d’y apporter des solutions. Depuis la fin du XIXe siècle (Kulturkampf), l’État a imposé sa primauté dans le domaine de l’éducation scolaire, laissant aux autres forces sociales, notamment aux ses, le domaine de l’éducation péri- et postscolaire. Malgré les efforts de ces dernières, cette répartition des tâches a montré ses limites et vers 1910, l’État sous l’impulsion de la Prusse surtout) est massivement intervenu aussi dans le domaine de l’éducation post-scolaire, montrant par là que le “problème de la jeunesse” était perçu de plus en plus clairement dans ses différentes implications orales, sociales et politiques.

    À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, la jeunesse a également été “découverte” par les sciences de l’homme et de la société. Il s’agissait là aussi d’un phénomène général, mais la contribution des chercheurs allemands y a été essentielle. La jeunesse a été étudiée d’abord comme une réalité individuelle, biologique ou psychologique (Jungsein, Jugendlichkeit), autrement dit, comme un stade du développement de l’être humain entre l’enfance et l’âge adulte ou comme un état d’esprit. Parallèlement, l’on s’est intéressé au contexte social et notamment aux conditions dans lesquelles l’adolescent vit ces années décisives, à son processus de socialisation et aux règles et institutions spécifiques que la société a créées à son intention, ainsi qu’aux modes de vie et de comportement spécifiques à ces classes d’âge (la subculture des jeunes).

    Mais en Allemagne les problèmes de la jeunesse n’ont pas été perçus seulement par le monde adulte (parents, éducateurs, hommes de science ou hommes politiques) : il y a eu également une prise de conscience chez les jeunes eux-mêmes, individuellement et collectivement, notamment parmi les élèves de l’enseignement secondaire. C’est ainsi qu’à côté des initiatives officielles prises par l’État ou par différentes forces sociales pour tenter de remédier aux problèmes de la jeunesse — pour s’occuper d’elle en l’occupant (en allemand, on appelle cela la Jugendpflege) — il y a eu également des initiatives ou des organisations créées spontanément par les jeunes : la première manifestation importante a été le mouvement Wandervogel, cellule originaire d’un mouvement social porté par la jeunesse allemande au cours du premier tiers du XXe siècle, connu sous le nom de Jugendbewegung, ce que nous proposons de traduire par juvénilisme.

    Jugendbewegung” – Juvénilisme : un mouvement social

    Ce “mouvement des jeunes” est difficile à définir et à cerner. L’homogénéité idéologique et sociologique qui caractérisait encore le Wandervogel a rapidement disparu à mesure que le phénomène s’est répandu et diversifié. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la Jugendbewegung correspondait à une nébuleuse d’organisations et de groupements de toute nature, aux frontières incertaines et aux contenus variables. Leurs adhérents différaient par leurs origines sociologiques, leurs objectifs et leurs orientations idéologiques, qui reproduisaient tout l’éventail des familles de pensée confessionnelles, philosophiques et politiques existantes en Allemagne. Mais au-delà de ces différences idéologiques ou politiques, confessionnelles ou sociologiques, au-delà de l’éparpillement et de l’instabilité institutionnelle, on peut découvrir une certaine unité du phénomène. Cette unité résidait d’une part dans un sentiment de solidarité de génération, dans la conscience de partager les problèmes propres à la jeunesse et d’avoir à représenter et défendre les intérêts de celle-ci. Elle reposait donc aussi sur un socle commun de convictions, d’aspirations et de rejets, sur un certain “discours de la jeunesse” et sur un désir de changer la société et l’échelle des valeurs sociales et morales en vigueur. C’est le propre d’un véritable “mouvement social” à l’instar, par ex., du mouvement féministe.

    Pour les sociologues, les mouvements sociaux sont parmi les principaux agents du changement social et des acteurs importants de l’histoire. Un mouvement social a pour objectif de propager, promouvoir et faire adopter un certain nombre d’idées et de valeurs et de modifier ainsi la société dans laquelle vivent ses membres. L’existence d’un cadre institutionnel nettement défini et unique n’est nullement nécessaire, pas plus que l’existence d’un corps de doctrine cohérent et complet. En revanche, selon Alain Touraine, les questions à se poser sont : a) au nom de qui le mouvement parle-t-il ? Qui représente-t-il ? b) quel est l’adversaire, quelles sont les résistances à vaincre et c) au nom de quelles valeurs supérieures, de quel idéal agit-il ?

    Le juvénilisme entendait parler au nom de l’ensemble des jeunes Allemands, une Jeunesse qui exigeait que sa valeur soit reconnue, que ses “qualités” (authenticité, spontanéité, activité) et même ses défauts (le manque d’expérience, de persévérance et de mesure) soient acceptés au lieu d’être réprimés, parce ils sont promesses de renouveau, de dynamisme, de vie et d’un avenir meilleur. Il s’opposait à la société établie et était à la recherche d’un modèle social différent, plus fraternel et plus communautaire, d’une culture nouvelle ’il appartiendrait à la jeunesse d’inventer. Cette “idéologie” forcément sommaire, dont on retrouvera progressivement des éléments et des variantes dans la plupart des organisations de jeunesse allemandes — à des concentrations variables —, était suffisante pour créer une certaine solidarité au-delà des clivages sociaux et idéologiques traditionnels et a conduit les observateurs de l’époque tout comme les historiens d’aujourd’hui à considérer la multitude chatoyante des organisations de jeunesse qui représentaient le “juvénilisme” comme un mouvement social unique.

    Un nouveau “discours de la jeunesse”

    Si ce phénomène n’a pas eu de véritable équivalent, à l’époque, dans les es sociétés modernes comparables, cela ne nous semble pas dû seulement à l’intensité et à la rapidité des changements qui ont affecté la société allemande mais aussi à certains traits spécifiques de sa tradition intellectuelle. Même si la notion de jeunesse ne correspondait pas, dans le passé, à la même réalité sociologique qu’autour de 1900, il existait dans la littérature et la pensée allemandes une longue tradition de glorification de la Jugend et du personnage du Jüngling.

    À la fin du XIXe siècle, ce thème a connu en Allemagne un regain d’actualité pris une signification nouvelle. Sans remonter trop loin on peut identifier une source essentielle du nouveau “discours de la jeunesse” chez Nietzsche celui des Unzeitgemäße Betrachtungen [Considérations inactuelles] des années 1870. C’était un discours de rupture.

    Au nom de la jeunesse, il protestait, notamment dans sa deuxième Intempestive, contre les dangers que l’abus de culture historique représentait pour la jeune génération et pour l’avenir de la culture allemande [2]. Il faut éviter, écrit-il, que la jeunesse soit tournée vers le passé, car il lui appartient d’inventer son avenir. C’est elle seule qui peut remédier aux maux de l’époque actuelle, à condition qu’on l’écoute et qu’on lui permette de créer une véritable culture à partir de l’expérience de la vie, au lieu d’être obligée de conformer sa vie à des valeurs historiques mortes.

    Ce sera sans doute d’abord une jeunesse inculte :

    « On peut la taxer de rudesse et de démesure, mais elle n’est pas encore assez vieille ni assez sage pour savoir se modérer. Avant tout, elle n’a pas besoin de feindre qu’elle possède et défend une culture achevée, et elle jouit de tous les réconforts et de tous les privilèges de la jeunesse, surtout d’une probité courageuse et sans calcul et de la consolation exaltante de l’espérance ».

    Cette génération de jeunes barbares doit trouver en elle-même le chemin de la nouvelle culture :

    « Et voilà où je reconnais la mission de cette jeunesse, de cette génération de lutteurs et de tueurs de serpents qui annoncent une culture et une humanité plus heureuses et plus belles, sans avoir de ce bonheur futur et de cette beauté supérieure plus qu’un pressentiment plein de promesses » [3].

    Plus encore que les écrits de Nietzsche, que l’on redécouvrait seulement vers 1900, c’étaient les variations que ces thèmes avaient connues dans le contexte de la Kulturkritik qui influencèrent profondément certaines couches de la population allemande — antimodernistes par attachement à la société préindustrielle et à ses valeurs, qu’ils identifiaient aux valeurs intemporelles, essentielles, du Wesen allemand (Nietzsche avait déjà mis en garde contre die Extirpation des deutschen Geistes zugunsten des deutschen Reiches, l’extirpation de l’esprit allemand au bénéfice de l’Empire allemand) [4].

    Parmi ces épigones, il faut citer surtout Paul de Lagarde et Julius Langbehn, qui ont profondément marqué les mouvements de “réforme de la vie” (Lebensreform) et les mouvements de réforme pédagogique (Reformpädagogik). Ces mouvements, qui recrutaient leurs adhérents principalement dans les classes de la petite et moyenne bourgeoisie, chez les Gebildeten, les Akademiker et en particulier parmi les enseignants, ont aussi influencé indirectement les jeunes Allemands à travers leur milieu familial ou par leurs professeurs. C’est dans ces milieux et dans les établissements d’enseignement secondaire que sont nés des mouvements comme le Wandervogel — spontanément, sans programme, par une réaction de rejet quasi instinctif de la civilisation moderne et des conventions de la société bourgeoise.

    Peu à peu les adhérents de ces mouvements ont pris conscience qu’ils ne représentaient pas seulement eux-mêmes, que ce qui les motivait était un sort partagé par beaucoup d’autres jeunes de leur âge et qu’ils ne devaient pas en rester au stade de la révolte, mais aussi chercher des solutions alternatives. Cette prise de conscience ne s’est pas faite en un jour ; elle ne s’est pas faite non plus sans intervention extérieure, ni sans réticences intérieures. En effet, l’apparent vide idéologique dont se glorifiait le mouvement Wandervogel n’a pas manqué de susciter chez certains, notamment chez des éducateurs, des vocations de donneurs de conseils et de guides auto-proclamés, qui se sont heurtés souvent à de fermes résistances. Et c’est précisément l’objet de cette contribution : jeter quelques lumières sur le moment et la manière dont les jeunes Allemands du Wandervogel ont été invités à prendre conscience du sens et de la portée de leur démarche et sur leurs réactions. Ce tournant décisif dans l’histoire générale de la jeunesse allemande se situe à la veille de la Première Guerre mondiale. C’est à ce moment et sous l’influence notamment de Hans Blüher et de Gustav Wyneken que s’est opérée la transformation d’un ensemble d’organisations de jeunesse en un mouvement social dont l’opinion publique a aussitôt pris conscience, pour s’en réjouir ou s’en inquiéter.

    Situation du “Wandervogel” en 1910

    En 1910, le Wandervogel en est à sa énième crise depuis qu’il avait franchi en 1901 le pas décisif en se faisant inscrire au registre des associations, devenant ainsi un e.V. (eingetragener Verein), avec des statuts, des responsables et une raison sociale. En régularisant ainsi vis-à-vis des autorités scolaires, mais aussi des parents d’élèves, une pratique qui avait commencé au lycée de Steglitz dans banlieue de Berlin depuis 4-5 ans, le fondateur Karl Fischer cherchait surtout à prouver que les petites excursions et les grandes randonnées qu’il entreprenait avec des élèves de l’établissement qu’il venait de quitter, l’Abitur en poche, n’avaient rien de clandestin ni de répréhensible. Certes, par principe, les adultes en particulier les professeurs étaient exclus des Wanderfahrten que les lycéens organisaient et effectuaient généralement sous la conduite d’un étudiant un peu plus âgé. C’était même leur motivation principale de pouvoir échapper pour un temps à l’œil vigilant des éducateurs et à leurs règles de conduite et de savoir-vivre. Mais, à l’intention du monde extérieur, ils jugeaient préférable de mettre en avant d’autres motivations, comme la possibilité de voyager à peu de frais, de voir du pays, de découvrir l’Allemagne (die Heimat erwandern), de vivre au grand air ou d’aller à la rencontre du “peuple”.

    Dans les premiers temps, ces randonnées se caractérisaient plus par la frugalité des repas et l’inconfort des nuits passées dans la paille d’une grange que par les acquis culturels ; ce qui compensait tout, c’était la vie en groupe et le sentiment de vivre une aventure exaltante ; les “hordes” — nom qu ils se donnaient eux-mêmes — accentuaient volontiers, dans leurs tenues, leurs comportements et leur langage, le style des vagabonds rencontrés sur les routes (Kunden, Tippelbrüder), ou des écoliers et étudiants du Moyen-Âge dont ils avaient entendu parler à l’école (Scholaren, Vaganten). Cependant, certains de ces jeunes lycéens, issus de familles bourgeoises aisées et cultivées, furent bientôt rebutés par ce style et auraient souhaité trouver dans l’association des activités plus culturelles, plus exigeantes, sans renoncer pour autant à ce qui faisait son originalité : la vie de groupe et les randonnées. Mais leurs propositions se heurtaient à l’intransigeance du “chef suprême”, Karl Fischer, qui y voyait une remise en question de son autorité. Cela provoqua la première crise et la première scission dès 1904 : une partie des membres se sont rebellés et ont fondé une association concurrente en gardant le nom de Wandervogel, ce qui incita Fischer à rebaptiser l’ancienne association sous le nom de Altwandervogel. Les sécessionnistes mirent l’accent sur l’approfondissement et le perfectionnement des activités (randonnée, productions littéraires, chansons populaires, aménagement des locaux) mais n’ont pas connu une croissance numérique notable. Les groupes fidèles à Fischer, en revanche, plus dynamiques et moins soucieux de la “qualité” du recrutement, ont rapidement essaimé dans toute l’Allemagne. Mais ce développement numérique provoqua dès 1906 une nouvelle crise au sein du Altwandervogel. Contraint à la démission par un véritable coup d’État de ses adjoints, Fischer s’engagea dans les troupes du corps expéditionnaire allemand en partance pour Tsing-Tao (Chine). Cela n’arrêta pas la croissance des effectifs, mais changea les modes de fonctionnement et de commandement.

    En janvier 1907, une nouvelle sécession se produisit : le groupe d’Iéna du Altwandervogel voulut imposer au mouvement deux décisions : interdiction totale de la consommation d’alcool et admission des jeunes filles dans les groupes. Le refus de la direction conduisit à la création du Wandervogel Deutscher Bund für Jugendwanderungen (WVDB) qui, adosse au puissant mouvement anti-alcoolique (Abstinenzbewegung), devint rapidement la branche la plus nombreuse et la plus dynamique du mouvement d’ensemble. Pour compléter le tableau, il faut encore mentionner la sécession qui a donné lieu en 1910 à la création du Jungwandervogel par opposition au Altwandervogel, auquel les rebelles reprochaient d’être devenu, à son tour, trop sage, trop respectueux du règlement et des autorités, d’avoir laissé les Oberlehrer et les comités de parents et d’amis (Eltern- und Freundesrat — alias Eufrat) prendre le pouvoir, trahissant ainsi la nature initiale du mouvement. On retrouve là l’essentiel des critiques que Hans Blüher, peu après, portera sur la place publique par son livre sur l’histoire du Wandervogel.

    Ces crises à répétition, ces luttes de tendances et ces scissions étaient certes des indices du succès et de la vitalité du mouvement. Faute d’une structure centrale solide, la rapidité de son développement entraînait inévitablement la prolifération d’organisations semblables et rivales. Mais on doit aussi remarquer une autre constante dans ces crises : au-delà des questions de personnes, d’incompatibilités d’humeur ou d’ambitions, c’est autour de problèmes de “contenu” que ses parents esprits. Mouvement spontané de jeunes gens, le Wandervogel n’avait au départ pas de programme, à peine des objectifs. C’est peu à peu qu’il a cherché à donner un sens à ses activités, soit par la réflexion en interne, soit par des interventions de l’extérieur. C’était un problème de prise de conscience de ce qu’il était et voulait au fond de lui-même, un problème d’identité. En revanche, la progression des effectifs montre clairement le succès de la “formule” : en 1912, l’ensemble des mouvements se réclamant du Wandervogel comptait 694 groupes (Ortsgruppen) répartis dans 496 localités sur toute l’Allemagne, les deux organisations les plus importantes étant le Altwandervogel et le Wandervogel Deutscher Bund.

    Au début de la deuxième décennie du siècle, l’instabilité institutionnelle continua de plus belle : mais au mouvement centrifuge qui a conduit à l’éclatement du mouvement en branches multiples se superposait maintenant une volonté d’unification qui aboutit partiellement, mais sans arrêter la tendance à la diversification. Les efforts d’unification ont conduit en 1912 à la création du Wandervogel, eingetragener Verein (WV e.V), dominé par le Wandervogel Deutscher Bund qui changea de nom mais dont les idées et orientations restèrent déterminantes dans la nouvelle association, notamment grâce à la revue Wandervogel, Monatsschrift für deutsches Jugendwandern et à quelques jeunes géants : entre autres Walter Fischer [5], Hans Breuer [6] et Hans Lissner [7] qui dirigea la revue, et bien d’autres. Le Bundesführer Edmund Neuendorff [8] restait plus discret dans les publications, mais son influence était essentielle.

    Lorsqu’on lit le sommaire de cette revue, on a un bon aperçu des thèmes qui intéressent le Wandervogel et de ce qu’il appelle lui-même pompeusement la Wandervogel-Kultur. Passons sur les conseils pratiques concernant l’équipement pour les randonnées, sur les comptes rendus et annonces de réunions et de randonnées et sur les informations à propos de l’évolution des projets d’unification. La rubrique Betrachtungen parle essentiellement de “choses vues” ou entendues : descriptions de villes pittoresques ou de maisons typiques des régions allemandes, évocations de vieux métiers, paysages “romantiques”, coutumes et manifestations folkloriques, etc. Les auteurs de cette rubrique comme ceux des Gedichte und Sprüche sont en majorité des membres du mouvement, jeunes ou moins jeunes; parfois aussi il est fait appel à des textes d’auteurs anciens ou récents : F. L. Jahn (le Turnvater), Wilhelm Riehl, Hermann Hesse. Il en va de même pour les illustrations : l’essentiel est fourni par les membres du mouvement et accessoirement par des artistes comme Hans Thoma, Caspar David Friedrich, Moritz von Schwind et surtout Ludwig Richter (le plus représenté).

    Les Abhandlungen aus der Praxis unseres Jugendwanderns permettent de se faire une idée plus précise de la vie des groupes en randonnée : on y trouve entre autres des conseils sur la bonne lecture des cartes, sur l’organisation d’un Kriegsspiel, sur la meilleure manière de photographier, de prévoir le temps qu’il fera, de préparer ses repas sur un feu de bois, les règles de sécurité à respecter pour ne pas risquer des ennuis avec la force publique ou des conseils d’aménagement du refuge à la campagne (Landheim) ou en ville (Stadtnest). Les problèmes de fond n’y sont évoqués que de manière incidente : par ex., la question de la place des filles dans le mouvement (Teegespräch par Hans Breuer [9]), le développement des organisations de jeunesse soutenues par l’État et l’armée (Jungdeutschlandbund, Pfadfinder) ou l’utilité de visiter les provinces d’Europe centrale (par ex. la Bohême) où la présence germanique est menacée par les progrès du panslavisme. Au total, le niveau culturel est très modeste et les thèmes politiques, sociaux contemporains quasiment absents.

    La Programmlosigkeit [absence de dogmatisme politique] semble avoir été érigée en programme unique du Wandervogel et celui-ci semblait allergique à toute tentative pour lui assigner une quelconque “mission”. En réalité, il s’agissait surtout pour les responsables du mouvement de ne pas laisser pénétrer dans le mouvement des idées contraires à leurs propres positions, prétendues apolitiques mais en réalité résolument conservatrices. L’image d’un mouvement inoffensif, respectueux des règles, de l’autorité, de la loi, que présente la revue n’était pas seulement un leurre pour rassurer les adultes ; elle correspondait aussi à l’idée que les responsables du mouvement se faisaient de la nature et des objectifs du Wandervogel. Ils appartenaient à ce courant de la bourgeoisie allemande qui éprouvait des difficultés pour adhérer à toutes les orientations et évolutions de l’empire wilhelminien parce que précisément ils y voyaient une dérive et un abandon des valeurs fondamentales de la germanité. Voici ce que Hans Breuer écrit en 1912 dans l’avant-propos de la 6e édition du Zupfgeigenhansel :

    « En ces temps difficiles, la chanson populaire a pour nous une signification bien plus profonde; elle doit nous fortifier et nous élever en nous faisant sentir clairement ce qui est allemand, elle doit apporter sa modeste contribution aux aspirations internes de la nation, à la pleine réalisation de la germanité ».

    Hans Blüher l’imprécateur

    Hans Blüher [10] le premier des deux protagonistes qui seront au centre des événements qui nous intéressent ici, a été étroitement mêlé à ces péripéties du mouvement Wandervogel. Né en 1888, il fréquenta à partir de 1897 le lycée de Steglitz et entra en 1902 au Wandervogel AfS, où il conçut à l’égard de Karl Fischer une grande admiration et un attachement passionné, vivant mal les vicissitudes et les contestations auxquelles celui-ci était en butte. Mais s’il voua une haine farouche aux “traîtres”, et aux “renégats” qui avaient provoqué la chute et le départ de Fischer, ce n’était pas seulement par loyauté envers ce dernier, c’est aussi parce qu’il leur reprochait d’avoir dénaturé l’esprit du mouvement. Bien qu’il eût quitté le Wandervogel dès 1909, il resta proche du mouvement, en particulier de la branche Jungwandervogel et chercha un moyen pour réhabiliter Fischer et son œuvre. Son histoire du Wandervogel, qu’il entreprit de rédiger en 1910, devait être l’instrument de sa vengeance.

    Ce que le Wandervogel était devenu en 1910 n’était pour Hans Blüher qu’une caricature de l’idée originelle du mouvement, le résultat de la victoire médiocres, des esprits mesquins et pusillanimes, des “pieds plats” à cause desquels le mouvement était devenu une association bien sage, respectueuse des règlements, soucieuse de ne pas déplaire aux autorités, tombée en réalité sous la coupe de la « clique des Oberlehrer ». Le vrai Wandervogel, celui des origines, avait été, selon lui, un mouvement de révolte des fils contre les pères, des élèves contre les maîtres, un mouvement romantique et surtout un mouvement profondément anti-bourgeois, puisque — telle est sa thèse — conscientes ou refoulées, acceptées ou surcompensées, les motivations érotiques y jouaient un rôle primordial. C’est ce qu’il développe dans le livre qu’il publie entre 1911 et 1913 en trois parties : Wandervogel, Geschichte einer Jugendbewegung ; 1. Teil : Heimat und Aufgang ; 2. Teil : Blüte und Niedergang ; 3. Teil : Die deutsche Wandervogelbewegung als erotisches Phänomen.

    Pour Blüher, le romantisme n’est pas un phénomène littéraire ou intellectuel historique, c’est le propre de la jeunesse. L’enfant, dit-il, est réaliste, il ne s’intéresse qu’à ce qui est tangible. L’adulte, normalement, découvre la beauté classique. Mais, entre les deux, il y a la période romantique, celle de l’adolescence. L’éducation traditionnelle a ignoré cette spécificité des besoins de chaque âge et elle a été un échec.

    « Le romantisme est […] la révolte contre le dressage, l’effronterie face aux interdits, le désordre contre l’ordre des choses — le romantisme est sain » [11].

    Plus l’oppression est grande, plus la réaction sera violente. Le Wandervogel s’est insurgé contre la répression du romantisme naturel des adolescents à l’école et dans la société, c’est pourquoi

    « le temps qui a produit le Wandervogel est caractérisé par la lutte de la jeunesse contre les vieux » [12].

    Mais oublieux de sa vraie nature, le Wandervogel s’est inventé, chemin faisant, à l’usage du public et des autorités, « toutes sortes de fins, de buts et d’intentions fort louables  » [13]. Certains correspondaient, dit Blüher, à ceux que poursuivait aussi la génération des pères et que propageait notamment l’école : en les affichant, le Wandervogel était sûr de trouver toutes les protections qu’il voulait ; d’autres, parmi ces objectifs, étaient plus modernes et convenaient mieux aux besoins de la jeunesse : l’anti-alcoolisme, la renaissance de la chanson populaire, la co-éducation, etc. Mais en poursuivant ces objectifs, le Wandervogel était devenu, selon Blüher, infidèle à sa nature véritable, qui est de pure révolte, et avait précipité sa décadence.

    Gustav Wyneken l’idéologue

    Le second protagoniste de notre histoire, Gustav Wyneken, né en 1875, n’avait eu à cette date que des rapports très lointains avec les mouvements de jeunesse en général et le Wandervogel en particulier. Ce descendant d’une longue lignée d’enseignants et de pasteurs protestants avait fait des études de théologie et de philosophie avant de se tourner vers la pédagogie. Après avoir enseigné pendant plusieurs années dans une de ces écoles expérimentales (Landerziehungsheime — internats à la campagne) qui se créaient en Allemagne autour de 1900 sur le modèle des public schools anglaises, il fonda en 1906 sa propre école privée a Wickersdorf (Saxe-Meiningen). C’est là que mûrit sa conception de l’école nouvelle, au contact des élèves, par la réflexion et par les échanges d’idées avec un corps enseignant de qualité. Cette école, la Freie Schulgemeinde Wickersdorf, fut le modèle sans cesse perfectionné qu’il prônera inlassablement et proposera à l’imitation de ses contemporains.

    Pour Gustav Wyneken aussi, l’année 1910 signifiait un tournant. Sa création, la Freie Schulgemeinde de Wickersdorf avait prospéré et acquis rapidement une réputation flatteuse dans les milieux intellectuels. Mais à la suite d’un conflit avec le gouvernement de Saxe-Meiningen, dont dépendait son établissement, Wyneken se vit retirer sa concession et dut abandonner la direction de l’école. Il en profita pour intensifier son activité de conférencier et d’auteur afin de propager le modèle de la Freie Schulgemeinde, qu’il considérait comme la solution à tous les problèmes de l’école et de la société allemande [14]. Cette activité se déploya dans différentes directions. Prenant la suite de la série des Wickersdorfer Jahrbücher, la revue trimestrielle Die Freie Schulgemeinde [15] en fut pendant dix ans le principal vecteur. Wyneken fit aussi de nombreuses conférences dans les villes universitaires et entretint des relations particulièrement étroites avec la Freie Studentenschaft (organisation d’étudiants refusant le modèle des corporations traditionnelles). Par l’intermédiaire de son ancien élève Walter Benjamin, il prit contact aussi avec un groupe de jeunes Berlinois qui avaient publié avec des moyens de fortune une revue intitulée Der Anfang et il leur donna les moyens de la faire reparaître en mai 1913.

    La lecture du livre de Blüher le persuada que le Wandervogel, ce mouvement de jeunes lycéens, pouvait être un relais efficace pour la propagation de ses idées. Il avait puisé chez Blüher la conviction que c’était potentiellement un mouvement de révolte qui simplement n’avait pas encore trouvé sa voie et ses moyens et s’était sclérosé faute d’avoir trouvé un objectif et un guide dignes de lui. Il reconnaissait, dans le tableau que Blüher en avait tracé, des éléments de sa propre vision du rôle et de la nature de la jeunesse.

    Comme de nombreux pédagogues et psychologues de son temps, Wyneken partait du postulat qu’entre l’enfance et l’âge adulte, l’adolescence constituait un stade spécifique de l’évolution de l’homme, tout comme la jeunesse en tant que collectif avait un rôle particulier à jouer dans l’évolution des sociétés humaines. Alors que l’enfance est encore très proche de l’animalité, de la nature, la jeunesse, le troisième septennat de la vie, de 14 à 21 ans, est la période cruciale puisque c’est là que l’être accède à la fonction essentielle de l’humanité : la pensée. C’est en quelque sorte le temps de la Menschwerdung [maturation physique et psychique, devenir-homme], lorsque l’individu accède à « l’esprit objectif », notion empruntée à Hegel. Il appartient ensuite à l’adulte de participer à l’activité de cet « esprit objectif » et d’apporter sa contribution à l’histoire de l’humanité [16]. On trouve chez Wyneken un discours de la jeunesse qui sera la composante centrale du juvénilisme ; s’il n’a pas, comme il le disait, « découvert la jeunesse », il a relancé et propagé vigoureusement et efficacement l’idée d’une « mission de la jeunesse » et d’une « valeur spécifique de la jeunesse ».

    « Une jeunesse à laquelle on permet d’être jeune est le grand remède de la société contre le conformisme, l’étroitesse d’esprit, et la pusillanimité » [17].

    Pour Wyneken, la jeunesse se définit par un ensemble de qualités et de caractéristiques propres à cet âge humain « appelé à se mettre tout entier au service de l’esprit, de la volonté de culture » parce qu’il est la part de l’humanité qui ne se trouve pas encore « intellectuellement intégrée dans le corps social » [18]. La jeunesse est « le temps de la passion et de l’amour, de la capacité de croire et de s’enthousiasmer » [19]. Wyneken ne minimise pas la valeur de l’âge adulte, ni la nécessité d’agir dans la société existante et de participer au processus de production [20]. Il admet que la jeunesse ne peut pas être productrice de biens matériels ou spirituels, mais ce qu’il récuse, c’est le dédain dans lequel on la tient traditionnellement du fait de son immaturité. Les adultes doivent accepter que la jeune génération leur propose l’image d’une humanité plus noble, plus pure et plus belle et que, dans son immaturité et son improductivité, elle possède une valeur en soi. D’une certaine manière, affirme Wyneken, la période de la jeunesse est un sommet dans l’évolution des individus, c’est la période où ils sont les plus aptes à accéder aux valeurs absolues de l’humanité. L’âge adulte, qui arrive fatalement, constitue une régression : l’utilitarisme remplace l’idéalisme.

    Mais si l’on reconnaît la valeur spécifique de la jeunesse et l’importance de son rôle, il faut aussi accepter de lui permettre de vivre pleinement ce temps privilégié, sous la direction des guides qu’elle s’est choisis, de la laisser aussi longtemps que possible à l’écart de la mentalité utilitariste des adultes, des parents comme de la société. C’est dans l’intérêt de l’humanité et du progrès : l’esprit de jeunesse pénétrera à la longue la société tout entière. Pour Wyneken, le stade de l’adolescence est essentiel, car il est important pour le progrès de l’humanité de savoir de quelle manière les jeunes sont mis en contact avec l’esprit objectif, quelle éducation ils reçoivent. Il ne s’agit pas d’adapter les jeunes aux valeurs de la culture existante ou de l’État et de la société dans lesquels ils vivent. L’éducation ne doit pas être déterminée par le passé ou par le présent, mais par l’avenir et les valeurs éternelles.

    « Par l’éducation, il s’agit de façonner l’avenir, de faire jaillir la source d’un temps meilleur, dans un esprit nouveau et totalement étranger à la génération présente » [21].

    L’éducation n’est pas au service de la société ni de l’État, c’est une « tâche au service de l’histoire du monde » [22]. L’éducation traditionnelle de la jeunesse, selon Wyneken, accomplit mal cette tâche. D’abord, elle donne trop d’importance à 1’éducation familiale. Celle-ci, indispensable pendant les premières années de la vie de l’enfant, est totalement inappropriée à la période de l’adolescence. Les familles devraient enfin reconnaître qu’elles ne constituent pas le milieu le plus favorable pour l’éducation des jeunes et s’en remettre à ceux qui sont aptes à les éduquer. Mais ce n’est pas non plus l’État et le système éducatif existant !

    Wyneken qualifie d’« appareil à faire vieillir » [23] l’école traditionnelle, qui se fixe comme objectif de rendre les jeunes aptes à tenir leur place dans la lutte économique pour l’existence. Il considère qu’il est inutile de chercher à réformer le système en changeant les programmes ou les méthodes ; ce qu’il faut, c’est une révolution. Il faut une nouvelle conception de la nature de l’école ; il faut qu’elle devienne un lieu qui,

    « au milieu de la convention bourgeoise, sache offrir à la jeunesse un refuge pour son être le plus profond, qui ne considère pas que sa tâche est de faire vieillir, mais de découvrir, d’affirmer et de renforcer ce qu’il y a de juvénile dans la jeunesse » [24].

    Wyneken ne manque jamais de rappeler que le modèle de cette nouvelle école existe déjà à Wickersdorf. Elle est capable, selon lui, de préparer les élèves à la vie active en développant les aptitudes particulières de chacun et en même temps de les faire participer à la totalité de la culture. La nouvelle école selon Wyneken est un lieu de vie. L’enseignement, les activités sportives, manuelles ou artistiques et la participation des élèves à la gestion de l’école forment un tout, inspiré par un même esprit, par une même exigence intellectuelle, par le même refus de la facilité. La Freie Schulgemeinde où garçons et filles sont éduqués ensemble est la patrie, le foyer de la jeunesse. Les maîtres ne sont pas seulement des enseignants, ce sont de véritables éducateurs, c’est-à-dire des guides. Leur charisme ne vient pas seulement de leur personnalité mais aussi du fait qu’ils sont les porte-paroles de l’esprit vivant.

    La rencontre

    En découvrant le livre de Blüher, Wyneken y reconnut un esprit voisin du sien et, mieux encore, y trouva la description d’un mouvement déjà constitué dont il pensa qu’il devrait être prêt à entendre sa voix et à suivre ses idées. C’est pourquoi il consacra un grand article à sa découverte dans sa revue Die freie Schulgemeinde tout en reconnaissant qu’il connaissait le Wandervogel essentiellement à travers ce qu’en disait Blüher. C’est-à-dire comme un mouvement de révolte contre le monde des parents et de l’école. Mais alors que Blüher reprochait au mouvement d’avoir oublié sa nature véritable et lui demandait de retrouver l’esprit de révolte de ses débuts, Wyneken considérait que le Wandervogel devait aller plus loin et se donner à présent des objectifs dignes de lui. Une jeunesse qui s’arrêterait au stade de la révolte, estime-t-il, périrait de « sous-alimentation intellectuelle » [25]. Le Wandervogel a su se créer un espace de liberté où il se trouvait ne serait-ce que provisoirement affranchi de la tutelle de la famille et de l’école traditionnelle. Il doit maintenant donner un sens et un contenu à cette liberté.

    Wyneken proposait au Wandervogel et plus largement à la jeunesse allemande en révolte contre la culture dominante de placer leur quête sous la bannière de la Jugendkultur, une notion qui résumait pour lui sa conception de la mission de la jeunesse et des rapports de la jeunesse avec la culture, ainsi que sa vision de la nouvelle école. Il ne l’a jamais définie avec précision et surtout n’a jamais essayé d’en préciser les contenus : la vraie « Jugendkultur n’est pas un programme, mais une idée, pas une mosaïque de réformes de la manière de vivre, mais une nouvelle vie » [26]. C’est surtout un mot d’ordre mobilisateur autour duquel il voulait rassembler la nouvelle jeunesse.

    Le Wandervogel prétendait, lui aussi, avoir inventé, par son style de vie non conformiste et son retour aux traditions et à l’art populaires, une nouvelle “culture jeune”. Wyneken estimait qu’on ne pouvait pas considérer cela comme une authentique culture jeune, même pas comme un succédané provisoire. Il n’y voyait que le règne du Kitsch, de l’imitation et de la banalité et estimait qu’en allant à la recherche des vestiges de l’art populaire et du folklore allemands, en particulier du Volkslied et du Volkstanz, le Wandervogel avait seulement ranimé artificiellement une culture qui appartenait au passé. Et de surcroît, il n’avait pas fait preuve de beaucoup d’esprit critique. En fait, plus que la valeur artistique, ce qui comptait pour lui c’était la valeur sentimentale :

    « Quand j’examine l’attitude générale du Wandervogel en matière d’art, je constate qu’il n’y recherche qu’une ambiance plaisante et qu’il va vers ce qu’il y a de plus facile et de meilleur marché » [27].

    Le Wandervogel n’a guère réagi aux critiques et aux avances que lui faisait Wyneken : il a préféré les ignorer. On chercherait vainement des traces de polémique dans la revue Wandervogel ; seule la Wandervogel-Führerzeitung a publié sous la plume de Karl Wilker une réfutation d’où il ressortait que : a) Wyneken n’avait rien compris au Wandervogel et b) que ce dernier faisait preuve dans ses choix artistiques et culturels d’un sens très sûr pour ce qui est essentiel, naturel et « sain », contrairement à « l’esthétisme exacerbé » (Über-Asthetentum) de la Freie Schulgemeinde. Cette réaction est de même nature que celle qu’a suscitée le livre de Blüher. Même les deux premiers volumes n’ont jamais été jugés dignes d’une critique en règle dans les revues du Wandervogel [28] (à l’exception de celle du Jungwandervogel) sans parler du tome III dans lequel Blüher avait enfreint le puissant tabou de l’homosexualité ; pourtant ce silence n’a pas vraiment nui au succès et à la vente de l’ouvrage. Quant à Blüher, dans sa réponse à Wyneken [29], il a donné entièrement raison à celui-ci et admis que le Wandervogel avait succombé à une “mode” romantique qui n’avait rien de commun avec le vrai romantisme comme Lebensstil.

    L’invention de la “Jugendbewegung”

    L’article de janvier 1913 par lequel Wyneken a tenté de gagner à sa cause le Wandervogel est important aussi pour une autre raison. Pour caractériser le livre de Blüher, il écrit en effet :

    « Blüher ne veut pas être le chroniqueur d’une association, mais l’historiographe d’un mouvement de jeunesse, ou plutôt du mouvement de la jeunesse allemande, de la seule œuvre authentiquement allemande et authentiquement jeune que notre jeunesse a jamais réussi à produire par ses propres moyens » [30].

    Le passage de l’article indéfini eine à l’article défini die change profondément la signification du substantif Jugendbewegung. A priori, ce terme peut désigner, comme le “mouvement de jeunesse” en français, toute organisation dont l’objet principal est de regrouper selon divers critères, en vue d’activités et d’objectifs variables, des individus, filles et garçons, dont la principale caractéristique commune est leur jeune âge (généralement entre 13 et 23 ans). Il a été utilisé ainsi en Allemagne à propos des organisations de la jeunesse socialiste : par ex. en 1906-1907 dans le titre de la brochure Militarismus und Antimilitarismus unter besonderer Berücksichtigung der internationalen Jugendbewegung de Karl Liebknecht. En 1910, Karl Korn, historien de la jeunesse ouvrière allemande, après avoir évoqué la sozialistische Jugendbewegung, désignait logiquement par bürgerliche Jugendbewegung l’ensemble des organisations que les Églises, l’État et l’armée avaient créées ou s’apprêtaient à créer pour la jeunesse d’âge post-scolaire.

    En disant die Jugendbewegung sans qualificatif restrictif précisant la nature et éventuellement le contexte sociologique et historique du mouvement, si ce n’est die deutsche Jugendbewegung, on ne parle plus d’une organisation en particulier, ni d’un genre d’organisation, mais d’un phénomène plus général qui concerne la société allemande dans sa totalité, d’un mouvement social aux contours plus vastes et moins définis. Dès lors, on trouve de plus en plus souvent sous la plume de Wyneken, mais aussi chez d’autres, la notion de Jugendbewegung utilisée dans ce sens nouveau, valorisé, absolu, qui finira par s’imposer. Il ne s’agit plus d’un mouvement de jeunesse parmi d’autres, mais du “mouvement de la jeunesse” par excellence, du mouvement de la jeunesse pour son émancipation, pour la reconnaissance de son droit à vivre une vie conforme à sa nature et à ses désirs, pour la reconnaissance de sa valeur spécifique et pour une nouvelle école conforme à ces principes. C’est le passage de l’article indéfini à l’article défini qui fait la différence.

    Sur le plan des organisations, ce tournant qui a vu naître la notion de Jugendbewegung dans ce sens nouveau coïncide aussi avec un passage de relais. À partir de 1913, ce n’est plus le Wandervogel mais la Freideutsche Jugend qui constitue le noyau et l’élément déterminant de la Jugendbewegung (à la fois dans la perception intérieure du mouvement et aux yeux de l’opinion publique) et qui le restera pendant une dizaine d’années. Comme le constatera bien plus tard Hans Blüher lui-même dans sa préface pour la réédition de son Histoire du Wandervogel :

    « [Mon] Histoire du Wandervogel va presque exactement jusqu’au terme de la première période du Mouvement de la jeunesse. Cette période est celle du Wandervogel et de lui seul. À partir de la proclamation du Hoher Meißner commence la deuxième période, celle d’un “Mouvement de la jeunesse” [Jugendbewegung] […], conscient de sa signification sociale, et dont l’histoire n’a pas encore été écrite » [31].

    La “Freideutsche Jugend”

    Né les 11 et 12 octobre 1913 à l’occasion d’un grand rassemblement de la jeunesse (Freideutscher Jugendtag), aux environs de Kassel (sur les pentes du Meißner, modeste “sommet” culminant à 790 m), le mouvement appelé Freideutsche Jugend a marqué la deuxième décennie de la Jugendbewegung, moins par l’importance de ses effectifs que par son dynamisme et sa présence dans les médias. Le rassemblement de 1913 fut loin de réunir des représentants de tous les mouvements de jeunesse allemands. Parmi les absents, il y avait entre autres tous les mouvements confessionnels, la jeunesse ouvrière, les Turner et même certaines branches du Wandervogel. Par ailleurs, il y avait aussi parmi les associations organisatrices et parmi les participants beaucoup d’adultes. Malgré cela, la manifestation mérite bien, par son caractère symbolique et son retentissement, le nom de fête de la jeunesse qui lui fut donné à l’époque.

    La raison du rassemblement n’avait qu’un rapport indirect avec les mouvements de jeunesse. L’Allemagne wilhelminienne s’apprêtait à célébrer en grande pompe le centième anniversaire de la bataille de Leipzig de 1813, la “bataille des nations”. Le déroulement de ces festivités était facilement prévisible : défilés et discours patriotiques, le tout noyé dans des flots de bière. C’est pourquoi l’idée d’organiser une “action parallèle” germa dans les milieux attachés à une “réforme de la vie”, pour montrer que les grandes manifestations nationales pouvaient être célébrées de manière plus digne et que le patriotisme pouvait s’exprimer autrement. Cette fête “alternative” n’était dirigée contre personne : ni contre l’État, ni contre la société ; elle ne voulait pas non plus être une protestation contre le nationalisme ou le patriotisme, mais seulement contre les formes dans lesquelles ceux-ci se manifestaient traditionnellement : néanmoins les orateurs devaient tirer les leçons des événements de 1813 et montrer à la jeunesse la voie de l’avenir.

    Un rôle essentiel dans la conception et l’organisation du rassemblement incomba à des associations estudiantines, en particulier aux nouvelles associations issues du Wandervogel ou du Bund deutscher Wanderer comme par ex. les Akademische Vereinigungen ou les Deutsche Akademische Freischaren, ainsi que des corporations militant contre le « fléau social » de l’alcoolisme (Deutscher Bund abstinenter Studenten, Burschenschaft Vandalia). Plus folklorique, le Sera-Kreis d’Iéna, vague imitation du cercle de Stefan George, se groupait autour de la personnalité haute en couleurs de l’éditeur Eugen Diederichs (1867-1930). Ces groupes constituèrent le noyau de la Freideutsche Jugend créée à l’issue de la manifestation. Quant aux associations d’adultes présentes sur le Meißner, comme par ex. le Vortrupp de Hermann Popert militant pour tous les courants de “réforme de la vie” — anti-alcoolisme, antitabagisme, végétarisme, réforme de l’habillement, etc. — ou encore le Dürerbund de Ferdinand Avenarius et le Bund der Volkserzieher, association antisémite de Wilhelm Schwaner et même le Bund der Freien Schulgemeinden de Wyneken, elles furent écartées par la suite.

    Pourtant Gustav Wyneken avait joué un rôle décisif dans la préparation et le déroulement de la manifestation. Ses idées et ses formules se retrouvent dans le texte de l’invitation et dans la déclaration finale, la fameuse Meißnerformel considéré comme le texte fondamental de la Jugendbewegung, la « charte de la jeunesse ». L’invitation officielle rédigée par Wyneken fut publiée dans toute la presse : elle commençait par l’affirmation que la jeunesse se trouvait placée « à un tournant historique », qu’elle a pris conscience de sa spécificité et de son rôle dans l’histoire de l’humanité et que cette prise de conscience la conduit à réclamer son droit à vivre conformément à sa propre loi, à rejeter les règles et les habitudes de la génération des adultes. La vie juvénile ne devrait plus être considérée comme futile ou puérile : elle a sa valeur propre, et elle est en mesure d’apporter sa contribution à l’évolution de la culture. La Jugendkultur pour laquelle se bat la nouvelle jeunesse sera un bienfait pour la nation tout entière, dont elle assurera le rajeunissement spirituel. On reconnaît sans peine dans ces passages les thèmes centraux de la pensée de Wyneken et les objectifs de son combat personnel.

    La fête sur le Meißner fut le premier apogée du mouvement né avec la création du Wandervogel. En même temps elle marqua un tournant, un passage de témoin entre le Wandervogel et la Freideutsche Jugend, créée à l’issue du rassemblement, — qui incarnera la Jugendbewegung pendant la décennie suivante. La présence de Wyneken, parmi les organisateurs et les orateurs de la journée et le rôle décisif qu’il a joué comme auteur et inspirateur de l’invitation et de la motion finale illustrent une fois de plus l’importance de son action pour faire émerger le juvénilisme par une prise de conscience générale. Malgré l’éviction rapide de Wyneken, la Freideutsche Jugend a pu être pendant une décennie, entre 1913 et 1923, le centre et l’organisation la plus représentative du juvénilisme, précisément parce qu’elle était peu structurée, parcourue de nombreuses tendances parfois diamétralement opposées, allant de l’extrême gauche à l’extrême droite. Mais cette hétérogénéité explique aussi pourquoi le mouvement était incapable d’agir et devait se contenter d’agiter des idées. Dans la Freideutsche Jugend se concentraient tous les courants, toutes les promesses et toutes les insuffisances du juvénilisme.

    La fête du Meißner fournit aussi une “formule” célèbre (Meißnerformel) ou se reconnaissait toute la Jugendbewegung en dépit ou peut-être précisément à cause de son imprécision. Adoptée par acclamation et dans l’enthousiasme général elle déclara :

    « La Freideutsche Jugend veut façonner sa vie selon sa propre loi, sous sa propre responsabilité, conformément à sa vérité profonde. En toute circonstance, elle se trouvera unie pour la défense de cette liberté intérieure. L’alcool et le tabac sont bannis de toutes les manifestations communes de la Freideutsche Jugend ».

    Les réactions de l’opinion publique furent contrastées : certes les comptes rendus positifs ne manquaient pas, mais il y eut aussi des voix inquiètes qui croyaient déceler dans la déclaration du Meißner les prodromes d’une révolution de la jeunesse, une déclaration de guerre à la société existante et aux valeurs de la morale et de la religion. Surpris par l’écho suscité dans toute la presse allemande par la manifestation et par le manifeste final, effrayés par les attaques virulentes des milieux conservateurs et bien-pensants (notamment en Bavière), les responsables de la Freideutsche Jugend n’eurent qu’une idée : se désolidariser des positions qu’ils avaient prises dans l’euphorie de la réunion et sous l’influence de Wyneken, et se débarrasser de ce mentor encombrant. Les deux objectifs furent atteints lors d’une assemblée générale réunie à Marburg en mars 1914. La déclaration fut reformulée et complètement dénaturée. Ce n’est qu’en 1918 qu’elle sera rétablie comme charte officielle de la Freideutsche Jugend.

    Gustav Wyneken a contribué directement ou indirectement, par ses articles ou par les réactions qu’il suscita, à faire prendre conscience à l’opinion publique de la naissance d’un nouveau mouvement social. C’est ainsi, par exemple, qu’il publia dans la Frankfurter Zeitung du 28 décembre 1913 un article sous le titre « Die deutsche Jugendbewegung ». Après avoir rendu compte de la réunion du Meißner, il y développa sa thèse de la naissance d’un grand mouvement porté par la jeunesse allemande, qui devait bouleverser la vie des jeunes dans la société et révolutionner l’école. Il ne manqua pas, évidemment, de rappeler que cette école nouvelle existait déjà à Wickersdorf où avaient été expérimentés et éprouvés les principes et les possibilités de la nouvelle “culture jeune”.

    Cette fin de l’année 1913 est devenue ainsi la date de naissance réelle de la Jugendbewegung ; ce fut le moment où elle a commencé à exister en tant que mouvement juvéniliste, à la fois dans la conscience des jeunes appartenant aux organisations de la mouvance du Wandervogel et aux yeux des observateurs extérieurs, de la presse et de tous ceux qui avaient en charge les problèmes de la jeunesse, notamment les éducateurs et les pouvoirs publics. Dans les deux cas, il s’agissait d’une prise de conscience, qui fit découvrir soudain la signification véritable de réalités plus anciennes. La notion de Jugendbewegung utilisée dans son sens nouveau, absolu, devint à partir de ce moment d’un usage courant dans le public : les nouveaux comportements et discours de la jeunesse allemande, qui paraissaient souvent incompréhensibles au monde des adultes, prenaient soudain un sens en tant que manifestations d’un grand mouvement d’ensemble. De leur côté, les jeunes membres des organisations de jeunesse purent s’identifier maintenant à un ensemble qui dépassait le cadre étroit de leur Bund ou de leur Verein. Pourtant, les contours et les contenus du juvénilisme n’étaient pas devenus plus clairs pour autant. Attribuée pendant un temps aux seuls groupes “indépendants” dans la mouvance du Wandervogel et de la Freideutsche Jugend, l’appartenance à la Jugendbewegung fut progressivement revendiquée par des organisations de jeunesse les plus diverses, issues notamment du scoutisme ou de mouvements à caractère confessionnel, syndical ou politique. Ces revendications ne furent pas toujours accueillies de bonne grâce par les organisations “historiques”, mais l’opinion publique ne s’en souciait guère. Pour elle, la Jugendbewegung existait, et il n’importait pas vraiment de savoir si tel ou tel groupe pouvait légitimement s’en réclamer. Elle existait précisément à partir du moment où le nom die Jugendbewegung n’a plus désigné eine Jugendbewegung mais une réalité qui dépassait n’importe quelle organisation de jeunesse.

    Hans Blüher, affirma dans son autobiographie de 1953 :

    « personne ne peut nier que c’est seulement avec la parution de mon Histoire du Wandervogel — et pas avant — que la Jugendbewegung a pris conscience d’elle-même, devenant de ce fait même une réalité » [32].

    Il oubliait certes le rôle essentiel que Gustav Wyneken a joué dans ce processus de découverte, en formulant les idées centrales du nouveau discours de la jeunesse véhiculé par le juvénilisme, mais il n’avait pas entièrement tort puisque son livre a servi d’une certaine manière de déclencheur du processus.

    Gilbert Krebs, Recherches germaniques hors-série n°6/2009.

    Notes :

    • 01 Cf. entre autres Agnès Thierce : Histoire de l’adolescence (1850-1914), Belin, Paris, 1999. Également Lutz Roth : Die Erfindung des Jugendlichen, Juventa, München, 1983.
    • 02 Friedrich Nietzsche : Vom Nutzen und Nachteil der Historie für das Leben (1874). In : Werke in drei Bänden. Bd. I, Hrsg. v. K. Schlechta, München, 1954.
    • 03 Ibid., p. 282-283.
    • 04 Ibid., p. 137.
    • 05 Walter Fischer (1887-1924). Altwandervogel, puis membre de la Bundesleitung du WVeV. Nombreuses publications dans les revues, surtout sur les questions pratiques.
    • 06 Hans Breuer (1883, tombé en 1918). Élève du lycée de Steglitz jusqu’en 1903, études de médecine à Heidelberg. Participe aux activités du Wandervogel depuis le début et adhère en 1907 au WV Deutscher Bund. A publié de nombreux articles dans la revue du WV unifié et surtout le recueil de chansons Zupfgeigenhansl en 1908.
    • 07 Hans Lissner (1886). Études à Heidelberg, directeur de la revue du WV unifié à partir de 1911, engagé volontaire en 1914-1918, publie en 1918 le recueil Fahrtenspiegel.
    • 08 Edmund Neuendorff (1875-1961). Enseignant et directeur d’école. Fonctions dirigeantes dans le WVeV et le mouvement des gymnastes (Turnerbund). Dirige de 1925 a 1934 la Preußische Hochschule für Leibesübungen. Nombreuses publications sur le sport et l’éducation physique.
    • 09 In : Wandervogel : Monatsschrift für deutsches Jugendwandem, Jg. l, H. 2, p. 31.
    • 10 Hans Blüher (1888-1955). Fils de pharmacien. Principales œuvres : Wandervogel : Geschichte einer Jugendbewegung (1912-1913) ; Die Rolle der Erotik in der männlichen Gesellschaft (l9l7-1919) ; Die Achse der Natur (1919) ; Werkeund Tage [autobiographie] (1953).
    • 11 Hans Blüher: Wandervogel  : Geschichte einer Jugendbewegung. Bd. 1. Prien : Kampmann & Schnabel 6 1922, p. 58.
    • 12 Ibid., p. 65.
    • 13 Ibid., p. 76
    • 14 Entre autres, sur le sujet qui nous intéresse ici : Schule und Jugendkultur, Jena, 1913. — Der Gedankenkreis der Freien Schulgemeinde : Dem Wandervogel gewidmet, Jena, 1913. — « Die neue Jugend : Ihr Kampf um Freiheit und Wahrheit in Schule und Elternhaus », in : Religion und Erotik, München 1913. — Der Kampf für die Jugend, Gesammelte Aufsätze, Jena, 1919. Sur G. Wyneken, cf. Erich Geissler : Der Gedanke der Jugend bei Gustav Wyneken, Frankfurt am Main, 1963. — Ulrich Panter : Gustav Wyneken : Leben und Werk, Weinheim, 1960.
    • 15 Die Frei Schulgemeinde : Organ des Bundes für freie Schulgemeinden, Verlag Eugen Diederichs, Jena, 1. Jahrg., H. l (oct. 1910) bis XI. Jg., H. l (oct. 1920).
    • 16 Wyneken : Schule und Jugendkultur (note 14), p. 5 sqq.
    • 17 Ibid., p. 39
    • 18 Wyneken : Der Kampf für die Jugend (note 14), p. 143.
    • 19 Wyneken : Schule und Jugendkultur (note 14), p. 43.
    • 20 Ibid., p. 34.
    • 21 Wyneken : Der Kampf für die Jugend (note 14), p. 225.
    • 22 Ibid., p. 239.
    • 23 « Ein Veralterungsapparat ». Wyneken : Schule und Jugendkultur (note 14), p. 37.
    • 24 Ibid.
    • 25 Wyneken : Der Kampf für die Jugend (note 14), p. 124.
    • 26 Gustav Wyneken : « Jugendkultur » (1914). In : Der Kampf für die Jugend (note 14), p. 127.
    • 27 Gustav Wyneken : « Wandervogel und freie Schulgemeinde ». In : Die Freie Schulgemeinde, III. Jg., H. 2 (janv. 1913), p. 36-37 et p. 39.
    • 28 Hans Breuer s’en est acquitté d’une pirouette (révélatrice) : « Der Wandervogel ist voller Sackgassen, und das Blühertum ist nur ein Gäßchen. Sein heiterer Hellenismus taugt nicht für uns nordische Männer », (« Herbstschau 1913 », in : Wandervogel VIII, H.10, oct. 1913, p. 282).
    • 29 Hans Blüher : « Wandervogel und Freie Schulgemeinde ». In : Die Freie Schulgemeinde n°13 (avril 1913), p. 83 sq.
    • 30 Wyneken : « Wandervogel und Freie Schulgemeinde » (note 27), p. 33.
    • 31 Hans Blüher : Avant-propos pour une réédition de son livre (1948). Version française dans Hans Blüher : Wandervogel  : Histoire d’un mouvement de jeunesse, tome 1, Paris, 1994.
    • 32 Hans Blüher : Werke und Tage, München 1953, p. 181 (« une réalité », souligné dans l’original).

     

     

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    ◘ Wandervogel : Révolte contre l'esprit bourgeois

    hoff210.jpgImaginons une nuit froide de janvier. Sur les champs abandonnés, sur les branches des pins mutilés qui jalonnent le chemin, il y a encore de la neige. Un poteau indicateur, taillé à la main, semble perdu au milieu de ce paysage sans vie. Il leur a souvent servi de point de rassemblement et indique : “Zum Fichteberg : 1 km”. Après tant d’années de vagabondages joyeux, les voilà qui entreprennent la dernière marche en commun. Demain, déjà, l’un des deux jeunes gens qui suivent ce chemin durci par le gel, quittera la ville pour séjourner pendant des années à Constantinople. Et les voilà qui atteignent le sommet où trône un imposant château d’eau.

    Karl Fischer, le plus jeune des deux, jette un regard sur les lumières de la petite ville, qu’ils distinguent à travers le brouillard vespéral qui tombe. Les citoyens de Steglitz ont terminé leur journée de labeur et rallient l’âtre pour y chercher chaleur. Hermann Hoffmann, plus grand et plus posé que son jeune compagnon, reprit alors la conversation interrompue. Il se remémore les événements passés. Que n’avaient-ils pas créé au départ de sa société de sténographie de Steglitz, société qu’il avait fondée quelques années auparavant dans le Gymnasium de la ville ! C’était en 1896. Très vite les exercices de sténo furent remplacés par de petites promenades. Et celles-ci devinrent, petit à petit, le centre réel de leur vie communautaire.

    Les excursions en forêt et dans les vallées de la région s’allongèrent toujours plus, pour devenir des randonnées respectables. Tout le Harz fut sillonné de leurs pistes. Mais c’est surtout la randonnée de l’année précédente qui hante, vivante, leurs mémoires : ils ont marché et marché dans les forêts de Bavière et de Bohême. Ils ont planté leurs tentes quand tombaient des hallebardes. Ah ! ces journées de marche et cette vie simple ! Ces cuissons communautaires avec feu de bois et marmites fumantes ! Et la fête du solstice sur le sommet du Grosser Falkenstein ! Le départ de Hoffmann risque de mettre fin à tout cela. Longtemps il a réfléchi pour savoir lequel de ses jeunes chefs serait le plus capable de poursuivre l’œuvre créée et de sauver de la dissolution le groupe d’amis qu’il avait rassemblé autour de lui. Un seul lui semble capable de mener à bien cette tâche et il veut l’en convaincre : Karl Fischer.

    Mais cela ne lui coûtera pas beaucoup d’efforts. Depuis longtemps déjà, Karl Fischer est décidé à reprendre le flambeau et à donner un souffle nouveau à ce qu’ils avaient commencé ensemble. Hoffmann avait trouvé son successeur : très rapidement, ils s’étaient mis d’accord pour continuer l’organisation des randonnées d’écoliers sous la houlette de Fischer. Hoffmann n’est pas un penseur révolutionnaire. Il estime suffisant de diriger une association de Gymniasten inscrits au cours de sténographie et férus de randonnées, avec l’accord des instances directrices de l’école et des autorités, et en respectant scrupuleusement le système des valeurs de l’Allemagne bourgeoise et wilhelmienne.

    Les plans de Fischer, en revanche, sont nettement plus “subversifs”. Leur style et leur ampleur sont tels qu’aucun membre du groupe n’est prêt à les suivre, sauf lui. Vient enfin la dernière poignée de mains entre les deux amis, le lendemain matin, quand Hoffmann quitte Steglitz avec le premier train. L’heure de Fischer a sonné. Karl Fischer a la réputation d’un original. Il salue la froidure hivernale en circulant sans manteau, pour blinder son corps contre les morsures du gel. La flemme qu’on ressent au saut du lit, il la combat en se lavant à l’eau glacée, la fenêtre ouverte. Le petit monde des aristocrates de Steglitz et de leurs tristes imitateurs bourgeois, il le perçoit comme le prisonnier perçoit son boulet. Les normes sociales, avec leurs interdits et leurs exigences, il les ressent, depuis sa prime jeunesse, comme des garrots qui empêchent l’ardeur de sa jeunesse de s’exprimer. L’école, avec ses vieilleries de programmes et la rigidité de son quotidien, lui fait souvent douter des “vertus” de l’éducation. Tout son être est animé par la volonté de trancher ces garrots. Des jours entiers, après le départ de Hoffmann, il errera dans les forêts qui entourent Steglitz. Ses pensées vagabondent et s’entrechoquent, elles forgent des images, des leitmotive dont la vigueur et la force suggestive le pousseront à l’action.

    Conséquent avec lui-même, il commence à réaliser ses idées au sein du groupe que lui a légué Hoffmann. Les excursions communautaires se font plus fréquentes et plus longues. Les rassemblements, plus réguliers. Ils en organisent même pendant la semaine. Mais tout cela est encore loin de le satisfaire. Il crée un sifflement de reconnaissance et un salut qui distinguera son groupe de tous les autres. Ce groupe, il veut le détacher de la vie quotidienne paralysante de Steglitz. Il sait que la conception des choses qu’il porte en lui est frappée du sceau de l’unicité et il cherche des voies pour représenter cette originalité. « Nous sommes une caste particulière, nous sommes hors du commun et n’avons nul besoin de singer les manières des autres gens ». Il modifie l’habillement et bientôt tout Steglitz jasera et parlera de ce « fou de Fischer » et de ses copains. Avec ses compagnons, il chante de vieux Lieder du peuple, ébauche de nouvelles randonnées et rêve d’aventures palpitantes. Mais le contraste entre le rêve et la réalité est désenchanteur : le lendemain, dès le matin, les voilà tous assis dans les classes aux grands murs nus du Gymnasium de Steglitz, et ils potassent du vocabulaire grec ou latin.

    Mais les idées de Fischer poursuivent leur vagabondage et se focalisent sur le groupe. Pourtant, à ce groupe, il manque un nom qui puisse dès l’abord allumer les cœurs ; il n’y a pas assez de membres et pas de possibilité de faire de la publicité. Fischer, pourtant, échafaude ses plans… Il est aussi un réaliste. Il sait analyser la situation avec exactitude et raison garder : il est encore trop tôt pour déclencher une rébellion ouverte contre les principes de base, solidement imposés, de la bourgeoisie wilhelmienne. Il doit donc trouver une voie sans confrontation pour pouvoir se libérer et libérer la société des garrots qui briment toute originalité. Il repart marcher, errer, dans les champs de la campagne qui s’étend autour de Steglitz. Il rumine et pèse le pour et le contre, évalue les possibilités. Il finit par clarifier ses idées. Sa décision est prise. Il sait ce qu’il veut.

    ► Karl Höffkes, Wandervogel, la jeunesse allemande contre l’esprit bourgeois, extrait du ch. 1. (tr. fr. : RS)

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    ◘ Les “Oiseaux Migrateurs” : Wandervögel en France aujourd’hui

    wander11.jpgIl a fallu attendre exactement 90 ans après la création officielle du mouvement Wandervogel à Steglitz pour voir l’émergence d’une organisation de jeunesse se réclamant de ce mouvement en France, prenant pour nom sa traduction française : “Les Oiseaux Migrateurs”.

    Ce mouvement est parti de Normandie, au cœur du Cotentin, de l’initiative d’une poignée de jeunes Normands, à la fois profondément attachés à la culture de leur région, et fascinés par le modèle du mouvement allemand, si méconnu en France, et qu’ils avaient découvert au travers de leurs lectures. Ils avaient le sentiment que là était le modèle qui apportait enfin la réponse à leurs aspirations, que le scoutisme français ne pouvait que laisser insatisfaites. En effet, ils y avaient trouvé le développement d’une “éducation totale”, d’une éthique de vie telles qu’ils les concevaient. Elles mêlent tout à la fois esprit völkisch (notion complexe signifiant en même temps “régionaliste”, “traditionnel”, “populaire” et “rural”), esprit de camaraderie, de liberté (1) et de “révolte contre l’esprit bourgeois” (2). Ils y retrouvent aussi une certaine conception écologique du monde, l’aspiration à une vie simple, saine et proche de la nature, le rejet du monde des villes et de ses valeurs artificielles qui aliènent la jeunesse, et qui ont fait oublier aux hommes l’essence des choses et de la nature. Enfin, et surtout, ils font leur l’exaltation des grandes randonnées de la jeunesse wandervogel dans une nature retrouvée, à la découverte de leurs régions, mais aussi de l’Europe, sillonnant bocages, landes, forêts et montagnes. Là est d’ailleurs la première devise que prit leur groupe : “Normands et Européens”, à savoir enracinés et affirmés dans leur culture propre (esprit völkisch), et partageant les valeurs universelles, européennes des Wandervögel, ainsi qu’un héritage et un patrimoine culturel communs aux peuples européens.

    Par une analogie étonnante, et de façon bien inconsciente d’ailleurs, les premiers développements de ce mouvement naissant suivirent ceux des premiers groupes “wandervogels” allemands. En effet, ce fut d’abord un “groupe de copains”, comme on dirait familièrement, peu structuré — même si les activités étaient relativement nombreuses, principalement des randonnées en Normandie —, et sans grande unité dans la tenue vestimentaire, typiquement à l’image de ce qu’on a appelé le Ur Wandervogel, celui des premiers temps.

    Puis, à la suite des premiers contacts avec un des plus anciens groupes “wandervogels” allemands, une nouvelle impulsion fut donnée aux jeunes Oiseaux Migrateurs Normands, qui découvrirent alors de visu l’esprit et la forme “wandervogels” qu’ils n’avaient connus jusqu’à présent que dans les livres : la réalité dépassait la fiction. Définitivement convaincus qu’ils avaient trouvé la bonne voie, ils furent aussi conscients de l’ampleur de la tâche à accomplir : ils partaient de zéro, n’ayant pour eux que leur volonté, leurs bonnes intentions, et leur état d’esprit. Le tournant bündisch fut alors pris : il fallait structurer le mouvement.

    Très vite, une tenue vestimentaire “Oiseaux” fit son apparition, voulant se démarquer par son côté völkisch, traditionnel, de l’uniforme scout. Elle est issue d’une synthèse d’éléments “wandervogels” bündisch (knickers et chemise) et de spécificités régionales françaises : le “Afe” (sac à dos) des Allemands fut remplacé par le bon vieux “Bergame” français, la JuJa par l’ancien “track” des chasseurs alpins français. Quant à la Kohte, la fameuse tente lapone emblématique des Wandervögel, elle fut évidemment adoptée. De même apparut sur les chemises l’insigne des Oiseaux Migrateurs : le “Bouais-Jan” (mot normand signifiant “fleur d’ajonc”), symbolisant pour la Normandie ce qu’est le “Chardon” à l’Écosse (3). Mais aussi porte-t-on dorénavant, sur l’épaule, l’écu de sa région. En effet, de nouveaux jeunes, nombreux, se sont joints au mouvement, venant d’autres régions de France, où ils formèrent à leut tour leur propre groupe régional des Oiseaux Migrateurs. Le premier fut celui de Bretagne.

    Outre dans la forme, c’est aussi dans le fond que le mouvement prit alors son essor et sa maturité, cultivant ses spécificités régionales. Concernant l’aspect völkish, on y apprend et pratique les langues, les danses traditionnelles et les chants des régions. On y remet aussi au goût du jour les fêtes traditionnelles régionales qui, depuis la nuit des temps, ont rythmé la vie de nos peuples, et que les aléas du monde moderne ont pu faire tomber en désuétude : feux de solstice d’été (Saint Jean), fêtes de solstice d’hiver (Jul, Noël), et autres Champs de Mai (1er mai). De plus, partant du principe que l’esprit du peuple vit dans les campagnes, les jeunes “Oiseaux” aspirent à entretenir un contact étroit avec le monde rural, en participant par exemple aux travaux des champs. Enfin, ils pratiquent ce qui fait l’essence du mouvement : la vie de groupe, les sports collectifs, et surtout les grandes marches à travers les régions sauvages de France et d’Europe, qui contribuent à cultiver la défense de l’environnement par l’apprentissage de la nature.

    Enfin, une des grandes spécificités du mouvement des Oiseaux Migrateurs réside dans l’organisation de “Hautes Écoles Populaires”, dont le nom et le concept sont issus de la Folke Hojskole fondée par le réformateur danois NFS Grundtvig dans la première moitié du XIXe siècle, qui a initié un fort courant de renouveau culturel et populaire dans toute la Scandinavie, et qui se voulait un “éveilleur de peuple” (4). Il voulait en faire une alternative à l’éducation académique d’état (universités, etc.), qu’il qualifiait d’« école de mort », opposant à cette dernière une « école de vie », celle qu’il prônait. Par des cours qui vont de l’histoire régionale et européenne à la mythologie (5) et légendes populaires, en passant par les traditions, les danses, les chants, les langues, la faune et la flore régionales, on y apprend la “culture populaire” (dans le sens du Folke-Dannelse de Grundtvig), une “culture de la vie”, visant à insuffler, à éveiller “l’esprit du peuple” (l’esprit folkelig des Norvégiens) et à transmettre le “souffle vital” (6), à forger des esprits enracinés.

    En conclusion, les Oiseaux Migrateurs, Wandervogel en France aujourd’hui, sont nés de la même révolte de la jeunesse que celle dont étaient animés leurs prédécesseurs allemands, voici maintenant un siècle. En effet, même si en surface la société française apparaît difficilement comparable à la société wilhelmienne de l’époque, les problèmes de fond demeurent intacts pour la jeunesse : aliénation dans le monde urbain, prise d’otage morale, politique, voire religieuse par le monde des adultes (notamment celui des médias et scolaire), endoctrinement consumériste et matérialiste, déracinement et perte de repères culturels et moraux. La jeunesse actuelle ne pense pas par elle-même : on conçoit pour elle du “prêt à penser”. Cette société ne lui sert plus qu’un monde insipide, fade, gris et indifférencié. Rien n’a changé en fait depuis un siècle. L’esprit bourgeois tel que le définissent un Flaubert ou un Höffkes demeure : est bourgeois celui qui accepte un tel monde et y participe.

    À cela, les Oiseaux Migrateurs opposent une “école de vie”, celle des Wandervogel et de NFS Grundtvig, et une “éducation totale”, telle que définie par Pierre de Coubertin. Il y opposent aussi un culte de la “grande santé”, promue par Jean Prévost (7). Il y opposent enfin l’esprit du peuple, l’esprit völkisch wandervogel ou folkelig des grands réformateurs scandinaves.

    Le tout se résume dans leur devise (8) : “Devenir mûr et rester pur”.

    ► Arnvald du Bessin, annexe de : Wandervögel : Révolte contre l'esprit bourgeois, K. Höffkes, ACE, coll. Jeunes-Europe, 2001.

    • notes :

    (1) Il s’agit ici de la liberté de la jeunesse dirigée par la jeunesse, libérée de toute emprise – voire prise d’otage – politique, philosophique ou religieuse par la société, celle des adultes.
    (2) Cela dans le sens où le commente Karl Höffkes
    (3) Le symbole du “Bouais-Jan” a été exalté par le poète et écrivain normand Louis Beuve (1869-1949). Ce fut aussi le nom d’une revue régionaliste normande du début du XXe siècle.
    (4) cf. Réveil national et culture populaire en Scandinavie d’Erica Simon (1960). On notera qu’il reste de ce courant de très nombreuses écoles de ce type en Scandinavie, et aussi en Allemagne. Elles y sont très populaires, et désormais institutionnalisées. Néanmoins, la plupart se sont éloignées sensiblement de leur vocation première.
    (5) Grundtvig mettait un accent particulier sur cet aspect, qu’il considérait comme fondamental, car porteur selon lui de l’essence d’un peuple, de son univers mental et spirituel. C’est ainsi que dans sa logique, par exemple, tout Normand devrait apprendre la mythologie scandinave, et tout Breton la mythologie celtique.
    (6) Le folkeand des Norvégiens
    (7) Écrivain normand (1901-1944), Grand Prix de l’Académie Française. Comme ouvrages relatant son “école de pensée”, nous mentionnerons : Dix-huitièmme année (Gal.), Nous marchons sur la mer : Trois nouvelles nouvelles exemplaires (Gal.), Plaisir des sports (Gal.), Essai sur l’introspection (Au sans pareil, 1927).
    (8) Empreintée au Pèlerin entre deux mondes de Walter Flex.

     

    Wandervogel

     

    Jugendbewegung

    « Es brennt im deutschen Haus, wir sind die Feuerwehr »

    Vor 90 Jahren traf sich die deutsche Jugend auf dem Hohen Meißner und gründete die Freideutsche Jugend

    Was Ende des 19. Jahrhunderts mit Schülerwanderungen im Berliner Umland begonnen hatte und 1901 mit der Gründung des Wandervogels eine organisatorische Gestalt erhielt, fand im Oktober 1913 bei dem Großtreffen der Jugendbewegung auf dem Hohen Meißner einen symbolischen Höhepunkt. Aus Erinnerung an die 100 Jahre zurückliegende Völkerschlacht bei Leipzig feierte der lebensreformerisch gesinnte Teil des jungen Deutschlands seine Ideale der Selbsterziehung, Naturverbundenheit und Vaterlandsliebe.

    Von den romantischen Sehnsüchten, den idealistischen Träumen von einem “Jugendreich” und dem revolutionären Aufbruchsgeist der späteren Zeit war im Jahr 1896 nichts zu spüren oder zu erahnen. In diesem Jahr unternahm der Berliner Student und spätere Diplomat Hermann Hoffmann mit Schülern des Steglitzer Gymnasiums, denen er Stenographieunterricht erteilte, zuerst eintätige Wanderungen in den Grunewald. Hoffmann gelang es, die Begeisterung der Jungen für mehrtägige Wanderungen zu entfachen, denen im Sommer 1897 eine zweiwöchige Harzfahrt folgte, die als die “Urfahrt” der Jugendbewegung gelten kann. Die Wanderungen, gedacht als nettes Kontrastprogramm zum schon damals reizüberfluteten und hektischen Großstadtleben, folgten noch den bürgerlichen Benimm- und Kleidungsvorstellungen. Es ging kaum um mehr als einmal die junge Seele baumeln zu lassen und schöne Natureindrücke zu gewinnen.

    Einen unbürgerlichen Hauch, einen anarchischen Impuls erhielt das Jungenwandern erst mit dem Gymnasiasten Karl Fischer, der Hoffmann in der Führung der Schülergruppe ablöste. Nach der Art ungezwungener mittelalterlicher Scholaren wollte Fischer mit den Seinen auf selbstbestimmte und jugendgemäße Abenteuersuche gehen. Den bedrängenden Ansprüchen der Elternhäuser und den verstaubten Bildungsideen der Zeit stellte er ein frisches Lebensideal des jungen Menschen entgegen, der sich nicht länger in das Korsett gesellschaftlich normierter « Funktionstüchtigkeit » stecken lassen sollte. Die Gebote und Verbote der wilhelminischen Gesellschaft erschienen Fischer als Fesseln der Lebenslust, die es zu sprengen galt, um im hochindustrialisierten Zeitalter der Moderne wieder Luft zum Atmen und Kontakt zum Ursprünglichen zu gewinnen. Dieses Aufbegehren war romantisch-revolutionär, aber nicht politisch geeicht. Vor allem unterschied Fischer zwischen der erstarrten Adels- und Bürgerwelt mit ihrem phrasenhaften Hurra-Patriotismus und der wirklichen Volks- und Vaterlandsliebe, die sich aus tieferen Quellen speist. Zum Vaterland bekannte sich der « verrückte Fischer », wie der jugendbewegte Idealist von manch einem in Steglitz genannt wurde, stets auch öffentlich. Es ist überliefert, daß er sofort aufstand und den Hut abnahm, als auf einer Fahrt das Lied Oh Vaterland, wie bist du schön angestimmt wurde.

    Vom neuen Geist kündete schon das Auftreten der Gruppe, die sich bald Wandervögel nennen sollte : Zur Bekräftigung des eigenen Freiheitswillens trug man nun Bundhosen, Kniestrümpfe, Schlapphüte, Halstücher und Rucksäcke. Man begann, sich mit dem germanischen “Heil !” zu grüßen und trug als Zeichen der Zugehörigkeit eine grün-rot-goldene Kordel. In langen Tagesmärschen erkundeten die Jungen bei einfachster Lebensweise, mit Kochen im Freien und Übernachtung in Zelten oder Scheunen, die heimatliche Natur und pflegten dabei das Gesangsgut des Volkes.

    Weder gab es ein zeitgeschichtliches Ereignis oder eine konkrete Situation, die als Initialzündung der Jugendbewegung gelten kann, noch hatte sie ein festes Ziel oder gar ein Programm. Sie war einfach da, sie lag in der Luft – und das nur in Deutschland ! In der Schrift Aufstand der Jugend führte der Schweizer Fred Schmid, Führer des Gauen Korps, die Jugendbewegtheit auf innere Unruhe und Seelenbedürfnisse der jungen Generation zurück. Darin heißt es :

    « Diese neuerwachte Kraft ist durch niemand veranlaßt worden, sondern sie ist an vielen Stellen gleichzeitig durchgebrochen. Wie die Blutbuche nicht gezüchtet und gepflanzt wurde, sondern im gleichen Jahr an verschiedenen Stellen Deutschlands gleichzeitig entstand, so ist die seelische Beunruhigung der besten deutschen Knaben gleichzeitig aus dem Ungewollten her erfolgt. Sie war mehr als die Unruhe der Übergangsjahre und sie war mehr als die Bindung an irgendein Ideal oder ein Vorbild. Nein, es geht eben einfach nicht an, daß die Generation unserer Väter behauptet, sie hätte das auch erlebt. Sicher hat sie Romantik, Flegeljahre, Liebesgefühle, Willensdurchbrüche und was alles mehr die jugendliche Brust erschüttert, auch gehabt. Dies war aber eine natürliche Erscheinung und hat nichts gemein mit der Tiefe der Gewalt und der zersprengenden Ahnung, die die Besten einer Generation gleichzeitig überfiel und sie beinahe wie Irre in die Herbstwälder trieb, wo sie im Halbdunkel der Feuer vor dem aufwühlenden Dämon Ruhe fanden, wie durch die beschwörende Wirkung eines Symbols ».

    Gründung des Wandervogels

    Fischers schwärmerische Visionen und träumerische Vorstellungen vom Reich der Jugend trübten jedoch nicht seinen Realitätssinn ; er war sich bewußt, daß die ihm vorschwebende Jugendbewegung einen organisatorischen und finanziellen Rahmen brauchte. Im November 1901 gründete der Tatmensch mit befreundeten Erwachsenen und Steglitzer Pennälern den Wandervogel – Ausschuß für Schülerfahrten. Die Gönner verschafften dem Wandervogel, dessen Funke im ganzen Reich zündete, amtliches Wohlwollen. Das jugendliche Autonomiestreben kollidierte indes zunehmend mit dem autoritären Führungsstil Fischers und führte 1904 zum Bruch. Die Abneigung gegen einengende Bindungen und starre Vorschriften machte in der Folgezeit alle Vorstellungen von einer einheitlichen Jugendbewegung gegenstandslos : Gruppen entstanden und vergingen, spalteten sich und formierten sich neu. Verschworene Fahrtengemeinschaften, die sich ihre Führer selbst wählten, standen einem Großbund ebenso im Wege wie inhaltliche Streitfragen, etwa das Mädchenwandern, die Rolle der Älteren, der Politisierungsgrad und die Wahl zwischen Groß- und Kleinfahrt.

    Gegenüber der reglementierten Erwachsenenwelt überwog das Verbindende aber bei weitem das Trennende. Das blut- und bodenverhaftete Lebensgefühl und die Pflege des überlieferten Kulturgutes schufen feste Bande der Zusammengehörigkeit. Im Sinne der Urideen Karl Fischers wirkte vor allem Hans Breuer, der mit dem « Zupfgeigenhansl » das bekannteste Liederbuch des Wandervogels herausgab. Im Vorwort stellte Breuer fest : « Die Güte eines Liedes erprobt sich an seiner Dauerhaftigkeit ; was hier gebracht wird, hat seit Wandervogels Anbeginn eine unverwüstliche Lebenskraft bewiesen, nein, viel mehr, das hat Jahrhundert um Jahrhundert im Volke fortgelebt. Was der Zeit getrotzt, das muß einfach gut sein ».

    Erinnerung an Befreiung des Vaterlandes

    Als 1913 der 100. Jahrestag der Völkerschlacht nahte, einigten sich mehrere Bünde, Fahrtengruppen und einzelne Wandervögel auf die Ausrichtung einer jugendhaften Erinnerungsfeier, die aus der Beschwörung der nationalen Einigkeit des Jahres 1813 heraus auch an die Einheit der Jugendbewegung gemahnen sollte. Auf dem Hohen Meißner bei Kassel wollte man abseits offizieller Feierlichkeiten das kulturerneuernde Wollen endlich in eine organisatorische Form gießen. In einer Einladung zum Fest ist zu lesen : « Wir wollen auf dem Hohen Meißner der Befreiung des Vaterlandes von fremdem Joch mit dem Gelöbnis gedenken, uns innerlich und äußerlich von allem frei zu machen, was auf unserem ureigensten Wesen als fremdes Joch lastet ».

    In welch starkem Maße die Jugendbewegung der deutschen Zivilisationskritik verpflichtet war, ist einem Beitrag Hans Breuers im Oktoberheft 1813 des Wandervogels – Monatsschrift für deutsches Jugendwandern zu entnehmen. Die Anklage galt der lebensfeindlichen und alles voneinander entfremdenden Grundtendenz der modernen Marktgesellschaft. Seit dem vorletzten Menschenalter sei « unsäglich viel gearbeitet worden, einseitige Verstandesarbeit ; Wissenschaft, Industrie und Technik schossen ins Kraut, über unseren Köpfen einen undurchdringlichen Wirrwarr webend. Der Einzelne, nur immer vorwärts arbeitend, verlor den Boden unter den Füßen, die Fühlung mit dem Ganzen, schrankenloses Ichtum, Quadratzentimeter-Sozialismus waren die Folgen. Und das Ganze, durch den Fall tausendjähriger Schranken, (…) ineinander gemischt, beginnt zum Brei farbloser Weltbürgerei zu zerfließen. Gewaltige Zersetzungs- und Fäulnisprozesse haben eingesetzt, Moral und Väterglauben bröckeln auseinander ».

    In die gleiche Kerbe schlug der Philosoph Ludwig Klages, Verfasser des vielgelesenen Werkes Der Geist als Widersacher der Seele, in seinem Aufruf Mensch und Erde, den er für die Festschrift der Freideutschen Jugend anläßlich des Meißnertreffens verfaßt hatte.

    Genau hundert Jahre nach der Völkerschlacht strömten Hunderte junge Deutsche — am Ende waren es über 2.000 — auf den Hohen Meißner und lagerten als buntes Völkchen auf den Wiesen. Bei einbrechendem Abend schlugen auf dem großen Feuerplatz die Funken hoch in den Nachthimmel. Unter dem Eindruck der machtvollen Zusammenkunft glaubten viele den erhofften großen Bund zum Greifen nahe. Am Vorabend hatten sich die Führer der Bünde auf den Aufruf : « Es brennt im deutschen Haus, wir sind die Feuerwehr », geeinigt.

    Am Haupttag wurden zahlreiche Reden an die hoffnungserfüllte Jugend gerichtet, die in ihrer inneren Vagheit und relativen inhaltlichen Breite die bevorstehende Gründung der Freideutschen Jugend unter keinem guten Stern erscheinen ließen. Ein österreichischer Wandervogel beschwor den Volkstumskampf seiner Heimat : « Mitten im Kampf um unser Deutschtum stehen wir, in einem verzweifelten Kampf gegen die slawische Hochflut. Nicht nur geistig, nein, schwere blutige Kämpfe stehen bevor ». Den Kontrast bildete die Rede Gustav Wynekens, der zwar dem Patriotismus sein Existenzrecht zubilligte und ein freies Deutschtum proklamierte, sich aber betroffen über den Nationalismus einiger Bünde meinte äußern zu müssen. Im weiteren Redeverlauf verlor er sich in abstrakten Ausführungen über den Hegelianischen Weltgeist und verfehlte damit die Erwartungshaltung seiner tatbereiten Zuhörer. Der erste Freideutsche Jugendtag endete mit der Verabschiedung der sogenannten Meißnerformel : « Die Freideutsche Jugend will ihr Leben nach eigener Bestimmung, vor eigener Verantwortung, in innerer Wahrhaftigkeit gestalten. Für diese innere Freiheit tritt sie unter allen Umständen geschlossen ein ». Mit diesem recht unbestimmten Bekenntnis zu jugendlicher Selbsterziehung und Bindungsfreiheit war die Freideutsche Jugend aus der Taufe gehoben worden.

    Wie bindungssuchend, opferbereit und vaterländisch gesinnt die Jugendbewegung trotz ihres Unabhängigkeitsanspruchs war, zeigte sich im Herbst 1914 bei Langemarck, als blutjunge Studenten- und Wandervogelkompanien mit dem Lied der Deutschen auf den Lippen gegen die britischen Stellungen anrannten. Wer die Geschichte und Ideale der Jugendbewegung nicht kennt, der weiß nichts von der deutschen Seele.

    ► Jürgen W. Gansel, Deutsche Stimme, oct. 2003.

     

    Fidus

     

    Müdigkeitsdiagnosen und Ermannungsstrategien

     Berliner Forscherin über Jugendkult um 1900

     

    ◊ Recension : Birgit Dahlke, Jünglinge der Moderne : Jugendkult und Männlichkeit in der Literatur um 1900, Böhlau Verlag, Köln 2006. 

    FidusEin Jahrhundert danach kann man sich nur wundern, dass die Zensur Thomas Manns zweiten Roman, Königliche Hoheit, nicht sofort verboten hat. Der Erbprinz des kleinen Großherzogtums, wo der Roman aus dem Jahr 1909 spielt, kommt mit einer verkümmerten linken Hand zur Welt. Es ist genau dieselbe Behinderung, mit der auch Kaiser Wilhelm II. geboren war, der Berliner Hof gab sich seit Jahrzehnten alle erdenkliche Mühe, diese Schwäche zu kaschieren, auf offiziellen Bildern ist die linke Seite in Halbdunkel belassen. 

    Denn mit sonderbarer Selbstverständlichkeit war diesem dritten Kaiser des preußisch-deutschen Reiches von vornherein die Rolle des jugendlichen Helden zugefallen. Deutschland, hieß es in der Zeitschrift Die Zukunft, ersehne einen Mann, der « wie kein anderer seit den mythischen Tagen Siegfrieds und des grimmigen Tronjerjunkers germanische Männlichkeit verkörpert ». Mit dem "Tronjer" war Hagen gemeint, Siegfrieds Gegner in der Nibelungensage ; die Zeit des Wilhelminismus ist uns bis in den Sprachgebrauch hinein fremd geworden. Birgit Dahlke, Literaturwissenschaftlerin an der Berliner Humboldt-Universität, hat in der deutschen Literatur und Essayistik jener Jahre um 1900 nach solchen Sehnsüchten von Jugend und Heldentum geforscht. Es ist ein ambivalentes Bild, das diese Jahrhundertwende dem historischen Rückblick darbietet. Die Epoche hatte etwas zu kompensieren. Krise, Müdigkeit, Verfall lauteten die beherrschenden Stichworte von Thomas Mann bis Robert Musil, von Frank Wedekind bis Hugo von Hofmannsthal, und dagegen standen dann jene "Ermannungsstrategien", die so erschreckend bruchlos in den Ersten Weltkrieg mündeten. 1920 hat Ernst Jünger den psychologischen Mechanismus offen gelegt : « Da hatte uns der Krieg gepackt wie ein Rausch. In einem Regen von Blumen waren wir hinausgezogen, in einer trunkenen Stimmung von Rosen und Blut. Der Krieg musste es uns ja bringen, das Große, Starke, Feierliche. Er schien uns männliche Tat, ein fröhliches Schützengefecht auf blumigen, blutbetauten Wiesen ».

    Da ist Dahlke vor allem im seit 1908 immer wieder aufgelegten Liederbuch der Wandervogeljugend, im Zupfgeigenhansl, fündig geworden : « Kein schönrer Tod ist in der Welt, als wer vom Feind erschlagen, auf grüner Heid, im freien Feld darf nicht hörn groß Wehklagen ». Und im großen Bestseller der frühen 1920er Jahre, im Kriegsroman Der Wanderer zwischen zwei Welten, worin der Autor Walter Flex dem Wandervogel noch einmal ein Denkmal setzen wollte : « Wildgänse rauschen durch die Nacht mit schrillem Schrei nach Norden — unstäte Fahrt ! Habt acht, habt acht ! Die Welt ist voller Morden. Fahrt durch die nachtdurchwogte Welt, Graureisige Geschwader ! Fahlhelle zuckt und Schlachtruf gellt, weit wallt und wogt der Hader ».

    Der Zusammenhang dieser "männlichen" Rhetorik mit dem Müdigkeitsthema könnte noch deutlicher werden, wenn die Forscherin, quasi mikrophilologisch, beide Phänomene jeweils im Werk eines einzigen Autors verfolgt hätte. « Von angesehenen Autoren wie Thomas Mann, Hermann Hesse und Robert Musil sind Äußerungen bekannt, in denen Künstlertum und kriegerisches Heldentum ineins gesetzt werden", berichtet Dahlke. Aber die Forscherin stellt nicht bloß Buddenbrooks und Zupfgeigenhansl nebeneinander, das Ziel ist, wie Dahlke erklärt, « eine kulturwissenschaftliche Germanistik, für die Literatur ein Kulturphänomen unter anderen darstellt » — ein in den Voraussetzungen plausibles und im Ziel vielversprechendes Konzept, das jedoch, wie die Autorin selbst einräumt, die « Gefahr des Auseinanderlaufens » birgt. Es geht also um thematische Querschnitte, quer zu den gewohnten "disziplinären" Einteilungen in Belletristik einerseits, pädagogische, psychologische, jugendsoziologische und kulturphilosophische Sachliteratur andererseits. Ein solches Thema findet sich in dem Wahlspruch vorgegeben, den Flex’ Wandervogelführer Ernst Wurche dem jungen Dichter mitgegeben haben soll : « Rein bleiben und reif werden ». Von heutiger Perspektive aus erscheint der Jugendkult dieser Jahrhundertwende als eine einzige große Sexualverdrängung. Der Jugendstilkünstler und Lebensreformer Fidus (alias Hugo Höppener) ließ einen Aufsatz mit Phantasien von einem "Ringelreif" nackter Jungen und Mädchen in die Mahnung ausklingen : « Halte tief Deinen Atem an, Deine Sinne zusammen, und lass Deine Seele in weißer Liebe erglühen, sonst erliegst Du der sendenden Schönheit, der tausendfältigen, ungeahnten, ungewollten Verlockung ».

    « Das Hinausschieben genitaler Sexualität wird selbst sexualisiert », — resümiert Dahlke nüchtern. Es gab sogar Mediziner, die versuchten, die Pubertät mittels operativer Techniken aufzuhalten, der Physiologe Eugen Steinach entwickelte hierzu die Methode des "Steinachens", des Abbindens der Samenstränge. Kurios liest sich, was die HU-Forscherin aus den Polemiken um die Wandervogelbewegung referiert. Der Propagandist Hans Blüher setzte homoerotisches Empfinden auch bei den erwachsenen Führern als selbstverständlich voraus, wehrte jedoch erbittert jeden Verdacht ab, da würde irgendetwas sexuell ausgelebt. Dahlke : « Homoerotik im Männer- (oder Jungen)bund wurde entsexualisierend überhöht und als eigentliche, übersexuelle Form der Kameradschaft geadelt ».

    "Reinheit" wurde von Blüher und anderen Vertretern der Jugendbewegung, wie Dahlke überzeugend nachweist, sowohl misogyn als auch antisemitisch gedeutet (was übrigens nicht daran hinderte, dass auch Blühers Buch selbst als unrein, undeutsch, krank und fremdrassig angegriffen wurde). Von den Wandervogelbünden waren Mädchen und Juden im allgemeinen ausgeschlossen, in genauer Parallele zu dem Schriftsteller Otto Weininger, der seiner Zeit die Diagnose stellte, sie sei "nicht nur die jüdischste, sondern auch die weibischste aller Zeiten". Weininger, der mit Geschlecht und Charakter 1903 den ersten Bestseller des Jahrhunderts vorlegte, war selbst Jude, er erschrieb sich, so Dahlke, « um ein großer Mann zu werden, Distanz zu allem Weiblichen und Jüdischen ».

    Sigmund Freud hat den Zusammenhang, der da in der Seele seiner Zeitgenossen hergestellt wurde, auf den psychoanalytischen Begriff des Kastrationskomplexes gebracht : Wie das Weib würde auch der Jude unbewusst verachtete, weil ihm durch die Beschneidung etwas am Penis fehle. Und ebenso wie Freuds Interesse primär der männlichen Psychologie galt, so befasste sich die Adoleszenzliteratur der Jahrhundertwende, zum Beispiel Frank Wedekinds Frühlings Erwachen, mit dem Erwachsenwerden der männlichen Jugend, hat Dahlke beobachtet. Bei dem Wiener Bohemien Peter Altenberg freilich war ein groteskes Gegenbeispiel zu finden : Fotografien sehr junger Mädchen, auf einer Art von Altar arrangiert, in einem seiner berühmten Ansichtskartenalben von Altenberg wie folgt beschriftet : « Klara, heilige 12-jährige ! Oh, melde mir den Tag, die Nacht, da Dich Natur zum Weibe macht ---, auf dass ich Abschied nehme --- von Deinen Göttlichkeiten ! »

    Damit verglichen sind die Zeichnungen von Fidus, am berühmtesten wohl das Lichtgebet, doch sehr zurückhaltend. Aber die Parallele ist unverkennbar : Auch Fidus’ Jünglinge sind (noch) geschlechtslos, in einem doppelten Sinn : ohne Sexualität und sogar ohne geschlechtliche Zuordnung. Oder auch "vorgeschlechtlich" ; diese Androgynität ist eben nur sehr jung, beinahe kindlich zu denken. Man möchte sich, ganz unwissenschaftlich, einer Phantasie überlassen : Was wohl wäre aus Stefan Georges quasireligiösen Kult um seinen jungen Freund Maximin geworden, wenn nicht dieser Maximin alias Maximilian Kronberger im Alter von 16 Jahren an Gehirnhautentzündung gestorben wäre ?

    Natürlich liegt es nahe, die keusche, sozusagen offizielle Seite des Jugendkultes um 1900 ideologiekritisch oder entlarvungspsychologisch zu verdächtigen. Aber das ist nicht Dahlkes Thema. Unsere Gegenwart geht mit dem Thema bekanntlich anders um. Wenn heutzutage der Nachwuchs der High society medial beobachtet wird, richtet sich das Interesse unverhohlen auf den Geschlechterkampf. Die Mode um 1900 propagierte zwar Erotik, wollte Sexualität dagegen strikt ausblenden. In seiner Psychologie des Jugendalters, die noch nach dem Zweiten Weltkrieg viel gelesen wurde, hat Eduard Spranger dieser Trennung die wissenschaftliche Weihe verliehen, mit einem scharfen Angriff auf einige Repräsentanten der Jahrhundertwende, die doch von ganz ähnlichen Voraussetzungen ausgegangen waren wie Spranger selbst. Vor allem in den Großstädten, schrieb der Psychologe, würden die "Frank-Wedekind-Figuren" gedeihen, für die Freud, Weininger und Blüher die theoretische Basis geschaffen hätten. « In der Tat, hier bereitet sich der Untergang des Abendlandes vor ».

    « Rein bleiben und reif werden ». Dass sich in den Konzepten der Jahrhundertwende die Kriegsbegeisterung von 1914 und die soldatische Haltung des Ersten Weltkriegs vorbereiteten, ist der Forschung seit langem aufgegangen, auch dass "völkische" Gruppierungen in Körperkultur und Lebensreform dieser Zeit allerlei Ansatzpunkte fanden. Dahlke warnt jedoch davor, aus der Komplexität der Epoche jene Linien zu isolieren, die sich als Vorgeschichte des Faschismus lesen lassen. Vor ein paar Jahren hatte der Berliner Kulturhistoriker Thomas Macho bereits darauf hingewiesen, dass dieses "heroische" Jugendbild auch mit der Ausbildung moderner Nationalstaaten zusammenhängt, die « an stelle transnationaler Söldnerheere die eigene Jugend auf das Schlachtfeld » schickten.

    Das allerdings ist keine bloß deutsche, sondern eine gesamteuropäische Entwicklung, die bereits mit der Französischen Revolution eingeleitet wurde. Wie eigentlich sahen in der Zeit von Jugendbewegung und Jugendstil und Wilhelminimus in Frankreich oder England oder Italien die müden Jünglinge und ihre Ermannungsstrategien aus ? Dahlke spricht von einem « Unruhezustand gerade in Deutschland um 1900 », verzichtet aber darauf, ihren Querschnitt durch die deutschsprachige Belletristik und Sachliteratur durch internationale Vergleiche zu bereichern — sehr begreiflich, das Thema wäre endgültig überfrachtet worden. Eine Auslassung macht sich aber doch als blinder Fleck bemerkbar. Ein Großteil der Autoren, die Dahlke berücksichtigt hat, von Hofmannsthal bis Sigmund Freud, waren nicht Deutsche (im Sinne des wilhelminischen Kaiserreichs), sondern Österreicher oder auch Schweizer.

    Und da kann der jugendlicher Kaiser Wilhelm II. ja wohl kaum als Chiffre für die Epoche herhalten, im Gegenteil, in Wien herrschte der Greis Franz Josef. Oder wenn das zu biographisch-zufällig ist : 1894 sagte der Soziologe Max in seiner Freiburger Antrittsrede, dass « die Einigung Deutschlands ein Jugendstreich war, den die Nation auf ihre alten Tage beging und seiner Kostspieligkeit halber besser unterlassen hätte, wenn sie der Abschluss und nicht der Ausgangspunkt einer deutschen Weltmachtpolitik sein sollte ». Eine Äußerung, die bei einem deutsch-österreichischen oder deutsch-schweizerischen Intellektuellen jener Zeit nicht vorstellbar wäre. Da liegt die Frage nahe, ob nicht auch innerhalb des "deutschen" Jugendkultes dieser Jahrhundertwende Differenzierungen angebracht sind.

    ► Josef Tutsch, Scienzz Magazin, mai 2007.

     

    Wandervogel

     

    Breuer statt Fischer, die Älterengruppen in der Wandervogelbewegung

    Wenn Menschen erwachsen und älter werden, dann ändern sich in der Regel im Verlauf ihres Älterwerdens viele Interessen, die Schwerpunkte ihrer Interessen oder zumindest die Intensität ihrer Jugendbegeisterungen. Das ist ganz normal. Viele begeisterte jugendliche Musiker der gerade up-to-daten Modernen entdeckten als reifere Erwachsene auch die musikalischen Schönheiten der klassischeren Musik. Viele begeisterte adoleszente wilde Karatesportler beruhigen sich im Laufe ihres Erwachsenenlebens und beginnen sich der sanften Selbstverteidigungskunst Aikido oder einer asiatischen Meditationsform zuzuwenden. Protest- und veränderungswütige Juso-Linke wurden allmählich zu ausgewogenen realistischen Politikern. Reformschwangere Jungpädagogen schleifen Teile ihrer Illusionen allmählich im Schulalltag ab. Exaltierte, permanentes Umworbensein suchende Mädchen und junge Frauen wurden zu ausgeglichenen reifen Müttern und Großmüttern.

    Es wäre schlimm, wenn mit dem fortschreitenden Älterwerden kein Reiferwerden, keine Zunahme von Realismus, keine solche Veränderung oder Ausweitung der Interessen und keine Zunahme von Toleranz verbunden wäre. Jede Gesellschaft, jede Bewegung, jede Idee benötigt die gesetzteren, gereifteren Älteren. Es ist von Nachteil, wenn sie aus irgendwelchen Gründen ausgegrenzt werden. Aber natürlich gibt es auch Erwachsene, die solch eine Reifung und Klärung nicht durchgemacht haben, die unausgereift sind, die in der Jugend oder Adoleszenz stecken geblieben sind. Solchen Unausgereiften, Steckengeblieben sieht man ihre Unfertigkeit bald an, sie wirken überspannt, unnatürlich oder sogar lächerlich. So gibt es ältere Frauen, die nicht in Würde alt werden können und mit allen Mitteln der modernen Kosmetik und mit aufgesetztem jugendlichen Verhalten krampfhaft Dauerjugendlichkeit vortäuschen wollen. Da gibt es faltige, kahlköpfige Jazzmusiker, die zu fetzigern Klängen auf der Musikbühne herumhampeln, graubärtige Karatekämpfer, die ihre Kreislaufschwäche nur schlecht verbergen können, grauhaarige politische Dauerprotestler, die nichts in unserer Gesellschaft als vorteilhaft zu beurteilen vermögen.

    Solche Steckengebliebenen, Unausgereiften, nicht wirklich erwachsen Gewordene spüren meistens selber ihre Unfertigkeit und versuchen oft ihre eigene Unsicherheit durch ein gesteigertes selbstbewusstes Verhalten und eine überdeutliche Verachtung gegenüber den normal älter Gewordenen zu überspielen. Das erwähnte gesteigerte Selbstbewusstsein vieler Steckengeblieben hat häufig aber auch eine Quelle in der eigenen Jugendzeit. Damals waren nämlich viele von ihnen gerade wegen ihrer neuartigen Ideen, ihrer Reformpläne, ihrer heftigen Kritik, ihres musikalischen Avantgardismus, ihres unbürgerlichen Verhaltens usw. für andere interessant, wurden beachtet oder sogar bewundert oder waren Anführer kleinerer oder größerer Gruppen. Je mehr ihnen aber im späteren Alltagsleben diese Beachtung und Anerkennung nicht entgegengebracht wurde, je mehr sie keine führenden Rollen mehr spielen konnten, desto mehr flüchteten sie sich in ihre erfolgreichere Vergangenheit als interessante, auffällige, unbürgerliche Jugendliche oder junger Erwachsene und such(t)en dort bis ins höhere Alter hinein ihre Selbstbestätigung.

    Entsprechendes gilt für die Wandervogelbewegung und ihre Generationsproblematik. Es sollte bei den Wandervogelromantikern natürliche Altersunterschiede bezüglich der Formen und Intensität geben, wie sie ihre altersspezifische Wandervogelromantik gestalten und leben wollen. Es wäre unnatürlich, wenn das nicht so wäre. Und es gibt in der Realität diese Unterschiede, wenn man Älterentreffen besucht. Aber es gibt natürlich auch jene unausgereiften, steckengeblieben Älteren, die dauerhaft in Wanderschuhen, Kniebundhosen, Jungenschaftsbluse oder gruppenspezifischer Windjacke herumlaufen, die permanent von Kohtennächten oder Trampfahrten träumen, ständig auf Fahrt sein wollen, jugendlich-bündische Slogan pflegen und sich überwiegend nur in Kreisen von bündischen Jugendlichen oder jungen Erwachsenen wohlfühlen und aufhalten.. Häufig sind sie im bürgerlichen Alltagsleben weniger bzw. wenig erfolgreich oder sogar gescheitert, was sie noch mehr in eine übersteigerte Jugendnostalgie hineintreibt, oder sie propagieren gegenüber anderen Jugendlichen eine selbstüberhebliche Abwertung des normalen bürgerlichen Alltagslebens als muffige, verkrustete, minderwertige Spießbürgergesellschaft.

    Für diese steckengeblieben, unausgereiften Wandervogelromantiker sind die vorliegenden Zeilen nicht geschrieben. Diese Individuen wollen bzw. können gar nicht mehr aus ihrer engen, einseitigen und unwirklichen Welt heraustreten. Jede Kritik geht an ihnen vorbei oder wird bewusst ignoriert. Sie können höchstens als Antwort auf vorsichtige Kritik mit unverhältnismäßiger Aggressivität antworten, in Wirklichkeit eine Art Selbstschutz vor der eigenen mageren Alltagsrealität. Wenn solche Steckengebliebenen, Unfertigen dann noch Führungspositionen innerhalb von Jugendbünden erreicht haben, wehren sich oft heftig gegen den Aufbau von Älterengruppen, weil sie mit Recht fürchten, unter im bürgerlichen Leben teilweise erfolgreicheren Erwachsenen nur noch eine Randfigur zu sein oder sogar belächelt zu werden. Sie vertreten exponiert die Richtung "Jugendbewegung" im Sinne von "nur für Jugendliche und für jugendlich gebliebene Erwachsene" und erschwer(t)en direkt oder indirekt bis heute die großräumige Bildung /Gründung von Älterengruppierungen.

    Die nachfolgenden Zeilen sind erst recht nicht für diejenigen geschrieben, für die die Wandervogelromantik ein rein jugendliches Problem war oder zu sein hat oder die sogar beschämt ihre romantische Jugendzeit als eine jugendliche Torheit empfinden. Es gibt viele Menschen, bei denen verkümmern tatsächlich idealistisch-romantische Empfindungen mit fortschreitendem Alter, oder die sich aus irgendwelchen Gründen einreden, dass Romantik nichts mehr für Erwachsene sei. Dieser Artikel ist also hauptsächlich für diejenigen Erwachsenen geschrieben, die die Wandervogelromantik weiterhin als eine Bereicherung ihres Erwachsenenlebens wünschen, die sich aber nicht sicher über die altersstufenspezifische Gestaltung dieses Wunsches sind.

    Exponenten beider hier angedeuteten Hauptrichtungen (die Richtung der Steckengeblieben und die der mit fortschreitendem Alter Sich-Weiterentwickelnden) hat es bereits in der Frühzeit der Wandervogelbewegung gegeben und zwar an führender Stelle, nämlich Karl Fischer und Hans Breuer. Auf das prägende Erbe beider und die Konsequenzen für großräumige Älterengruppierungen soll hier kurz eingegangen werden.

    Ein Steckengebliebener in der eigenen erfolgreichen Jugend- und Jungmännerzeit war der Gründer der Wandervogelbewegung Karl Fischer. Sein Stil, sein Erbe, sein persönlich gewählter Lebensweg und sein Scheitern im bürgerlichen Alltag haben bis heute die Wandervogelbewegung belastet. Verfolgen wir kurz diese Entwicklung. Karl Fischers große Zeit waren die ersten Jahre kurz vor und nach der offiziellen Gründung des Ausschusses für Schülerfahrten (1900 bis 1906). Hier leitete er anfangs neben Hoffman bereits ziemlich autoritär als Unterführer Fahrten, dann nach Hoffmann's Ausscheiden deutlich autoritär-monarchisch den AfS-Urwandervogel und setzte dort seinen Stil eines fahrenden Scholarens durch, nämlich mit der Tendenz zu einem naturverbundenen, singenden und romantisierenden Lumpazi-Vagabunden, was schon früh Bedenken und Kritik hervorrief (s. Copalle /Ahrens, Chronik der freien deutschen Jugendbewegung, 1954, S. 17f). Seinen Studien der Rechtswissenschaften scheinen nicht sehr erfolgreich gewesen zu sein, weil er sich zu sehr mit der Gestaltung und dem Fahrtenprogramm seines Wandervogels beschäftigte und auch viel Kraft und Zeit mit unnötigen inneren Streitereien verbrauchte, die er letztlich mit seinem autoritärem Selbstbewusstsein und seiner Lumpazi-Vaganten-Tendenz selbst auslöste (s. Copalle /Ahrens, 1954, an verschiedenen Stellen). Als er dann 1904 als monarchischer Führer abgewählt wurde, warf er im Kurzschluss seine Studien ganz hin und ging ab 1906 zur deutschen Kolonialtruppe in Ostasien. Dort blieb er bis 1914, geriet dann bis 1920 in japanische Gefangenschaft und kehrte dann als im bürgerlichen Leben weitgehend Gescheiterter nach Berlin zurück, wo er in kleinen Ansätzen immer wieder vergeblich versuchte, Wandervogel-Jugendgruppen in seinem alten Stil neu zu gründen.

    Aber trotzdem war sein Stil nicht ohne langfristige Wirkungen. Gerade für pubertierende Jugendliche und junge Erwachsene in der Sturm- und Drang-Phase hat dieses natur-verbundene romantisierende Edel-Kundentum einen bedeutenden Reiz und wer/welche Gruppe das zeitweise pflegen möchte, der/die möge das tun. Denn auch innerhalb der Jugend- und jüngeren Erwachsenengruppen muss so viel pluralistische Toleranz bestehen, dass diese Wandervogelform gelebt und erlebt werden darf. Aber als Dauerstil oder sogar als Wandervogel-Leitbild ist er pädagogisch wie kulturell zu mager und die jeweiligen Verantwortlichen sollten, wenn ein Dauerverharren in diesem Wandervogelverständnis erkennbar wird, vorsichtig auf Bereicherungen hinarbeiten. Als Leitidee von großräumigen Älterengruppierungen ist dieses romantisierende Pseudo-Vagantentum aber mit Sicherheit zu mager und ungeeignet. Die Gründer des Nerother Wandervogels, Robert und Karl Oelbermann, haben auf dieses romantisierende Vagantentum zurückgegriffen, haben es aber erweitert und erhöht durch die Leitidee des fahrenden Ritters und Minnesängers. Das war ein bereichernder Forschritt, hat aber die Tendenz zu einer Geringschätzung des bürgerlichen Alltags und der bürgerlichen Lebensgestaltung prinzipiell nicht beseitigt. Das hat auch die persönliche Lebensgestaltung der beiden Oelbermänner selbst gezeigt. Und auch deswegen hat sich im Nerotherbund von selbst keine eigenständige großräumige Älterenorganisation entwickelt. Älterentreffen der Nerother ha(tt)ben häufig den Charakter nostalgischer, zeitlich begrenzter Rückkehr in das Glück der aktiven Jugendzeit. Die überwiegend aus einer Gruppe von erwachsenen Nerothern hervorgegangene Arbeitsgemeinschaft Burg Waldeck (ABW) hat sich dagegen mit ihrem Versuch, erweiterte und neue kulturelle Inhalt zu finden, auf ein wandervogelfremdes politisch-ideologisches Glatteis begeben, das der Wandervogelidee als solcher wenig genützt hat.

    Geeigneter als Leitidee für eine Wandervogelbewegung, die sich aus einer Jüngeren -und Älterenorganisation zusammensetzt, sind die Vorstellung von Hans Breuer und seiner Freunde. Hans Breuer erlebte unter Karl Fischer den Urwandervogel aktiv mit und gestaltete auch aktiv das frühe Wandervogelleben mit. Er und seine Freunde erkannten aber schon früh die Einseitigkeiten und Schwächen von Fischers romantisierendem Kundentum und dessen autokratischem Führungsstil (s. Copalle /Ahrens, 1954, S. 17 und 21). Schon früh pflegen sie innerhalb der Gruppen anspruchsvolleres Liedgut, beschäftigen sich dort auch mit naturkundlichen, volkskundlichen und kulturhistorischen Inhalten und ordneten den Wandervogel als eine pädagogische Ergänzung neben der Schule ein. Die Zentralperson und Zentralgruppe dieser breitgefächerteren, inhaltsreicheren Wandervogelrichtung wurde "nach der inneren Überwindung des Vaganten- und Kundentums" (Copalle /Ahrens, 1954, S. 21) Hans Breuer und seine Heidelberger Pachantei im ehemaligen Forsthaus am Klingenteich. Leider fiel Breuer 1918 im Weltkrieg als Feldarzt. Er hätte bei längerem Leben den Wandervogelgeist vermutlich mehr "entfischert" und manche Verflachung innerhalb der Wandervogel-Bewegung verhindert.

    Besonders bemerkenswert ist ihr Ansatz, die Wandervogelbewegung in drei Hauptstufen zu untergliedern, nämlich in den Wandervogel-Jungenbund unter 16 Jahren, den Bund der Wanderer für die 16-20 Jährigen und die Deutsch-Akademische Freischar für die über 20Jährigen. Dieser Versuch in die richtige Richtung kam aber über erste Ansätze nicht hinaus, litt auch daran, dass er, den damaligen Arbeitszeiten für die Berufstätigen entsprechend, schüler- und studentenlastig war und noch keine breite Gruppierung von ehemaligen Wandervögeln über 30 Jahren berücksichtigen musste. Aber der Student Hans Breuer erkannte klar die normale, selbstverständliche Weiterentwicklung des jugendlichen Wandervogels zu einem erwachsenen aktiven, nützlichen und erfolgreichen Mitglied in der beruflichen Alltagswelt. Kurz vor dem Meißnertreffen 1913 schrieb er darüber ausführlicher in der Bundeszeitschrift des damaligen Wandervogels e.V. (Wandervogel, Jahrgang 8, Heft 13 unter dem Titel "Herbstschau 1913"). Weil den meisten heutigen Wandervögeln dieser Aufsatz (in einem bildhaften, verschlüsselten, fast expressionistischem Sprachstil geschrieben) nicht bekannt sein dürfte, der sich deutlich gegen die Leitidee vom lebenslangen romantisierenden Wandervogel-Kunden ausspricht, sei daraus ausführlicher zitiert: "Und sie (die ersten jungen Wandervögel ; Anm. d. Verf.) fluchten ihrer Großstadt, verhöhnten und verlästerten, was noch an Heiligem daran klebte. Sie kürten sich Armut, Not und Entbehrung, stürmten hinaus in wilde Klüfte und Wälder und tagten dort in der Einsamkeit. Das war eine wilde, schöne Zeit. Aber mählich, wie sie reifer wurden, zog sie's, die bäuerlichen Stuben zu schmecken, durch Gässchen altfränkischer Städte zu schweifen, sie sahen den feierlichen Ernst wuchtiger, rundbogiger Münster, die ragenden Dienste gotischer Kathedralen und spürten einen Hauch von ihrem Genius.- So wanderten sie, immer reifer werdend, auf der Straße einer natürlichen Erziehung hinauf bis in unsere Tage, bis sie staunend an den Feuerschlünden nächtlicher Gießhütten standen und mit Ernst ihre Augen am Stahlgerippe breiter Bahnhöfe weideten. Da freuten sie sich wieder, Zeitgenossen zu sein... Versöhnt kehrten sie in den Straßentrubel der einst verhassten Großstädte zurück... Viele waren irre gegangen, hatten verzweifelt die Flagge gestrichen vor ihrer Zeit, hatten wieder angefangen zu ackern, zu misten und zu melken. Das war Mönchstum im neuen Kleide...Sie flohen zurück zur Natur... Andere hatten die Brücke aus diesem Wandern ins Leben verfehlt, waren in Gleichgültigkeit versunken...Noch andere hatten sich verrannt. Der Wandervogel ist voller Sackgassen und das Blühertum ist nur ein Gäßchen... Viele sind dann in der Heimat geblieben, haben Haus, Familie und Beruf gegründet. sie waren wieder ins Leben zurückgekehrt... Rechte Wandervögel sind und bleiben Wanderer ihr Leben lang, aber nicht als Tippler mit dem Stenz, in Bleiben und Winden, sondern Wanderer des Berufes, der Arbeit...Wer andere reformieren will, soll sich erst selbst bei der Nase packen und etwas leisten !... Kommen wir zum Schluss. Der Wandervogel war das Ausdrucksmittel der Jugend, ihr eigenstes, unbestrittenes Recht... Der Ältere hat andere Pflichten... Dann aber der Abenteurerlust herzhaft den Rücken gewandt! Den Blick hinaus ins Leben gerichtet! - Dem Mann Gewordenen blüht die Tat" (S. 283-285).

    Und im nächsten Artikel desselben Heftes verwies der Wandervogel und promovierte junge Sprachforscher Frank Fischer darauf, dass die Wandervogelinhalte sich nicht nur in Naturromantik erschöpfen sollten, sondern dass es beim Wandern lebendige Berührungs-punkte mit der Volksvergangenheit geben solle. "Die heute viel gehörte Lehre vom ungebundenen Draufloswandern ohne Plan und Namen ist wohl gut, um erst aus den abgetretenen Geleisen des oberflächlichen Reisens hinauszuführen, aber der Weisheit letzter Schluss wird sie nie bleiben, dazu ist sie zu bequem und inhaltslos" (S. 289).

    Breuers Gedanken dürfen nicht so missverstanden werden, dass der Wandervogel nur eine altersmäßig limitierte Bewegung bis zum Ende der Studentenzeit, also bis etwa Ende 20 Jahren sein soll. Für ihn stellte sich noch nicht die Frage nach den noch Älteren innerhalb dieser Bewegung. Aber er erteilte dem Leitbild des lebenslang unsteten, romantisierenden und singenden Vaganten-Kundentums, neben der realen Alltagswelt angesiedelt, eine deutliche Absage. Es war eine Absage an das Wandervogelverständnis Karl Fischers und seiner Anhänger und Nachfolger. Gelegentliches oder häufiges befristetes Ausbrechen älterer Wandervögel aus ihrer Alltagswelt in eine alterstufengerechte Romantik hätte er vermutlich selber begeistert mit getragen.

    Als Ergebnis möchte der Verfasser festhalten, dass Wandervogel-Älterenbünde kein behäbigerer Abklatsch von aktiven Jugendgruppen sein können und sollen und dass sie von deren Warte nicht beurteilt werden können und sollen. Die große gemeinsame Wandervogel-familie ist keine Lösung. Die Hauptaltersstufen sollten getrennte Wege gehen, einmal weil sie in aller Wandervogelromantik unterschiedlichen Reifungsstufen angehören und weil man damit unnötigen Streitereien aus dem Weg geht. Denn die im Alltagsleben bewährten und teilweise sehr erfolgreichen Altwandervögel werden verständlicherweise nicht immer mit Kritik an Vorhaben, Entscheidungen und Pannen im Jungenbund zurückhalten, wodurch sich dessen Mitglieder, besonders Führer bevormundet fühlen. Und die Älteren wollen nicht ständig von den Jüngeren hören, dass sie keine zünftigen Wandervögel in ihrem Sinne mehr wären. Die Älteren sollten sich an den Überlegungen von Hans Breuer orientieren und von der Tradition um Karl Fischer immer mehr Abstand nehmen.

    Das leitet über zu einigen Bemerkungen zum richtigen Führungsstil innerhalb einer Wandervogel-Älterenorganisation. Was die Führungsmodelle und -stile innerhalb der Jugendgruppen betrifft, so sind alle wissenschaftlich-pädagogischen Standardmodelle für eine theoretische Erfolgsanalyse und für praktische Empfehlungen zur Führungspraxis nur begrenzt hilfreich. In der Praxis entschieden und entscheiden schwer zu standardisierende und katalogisierende emotionale und psychologische Kriterien mehr als alle erlernbaren Führungsmodelle. Zu solchen Kriterien gehören jugendliches Charisma, erfolgreiches Imponiergehabe, bewundert werden wegen irgendeiner Qualität oder Fähigkeit, Freundschaft, Anerkennung wegen Altersunterschiede usw. Es ist gefährlich, sich aus traditionellen Gründen innerhalb von Organisationen auf einen bestimmten Führungsstil zu konzentrieren. Führungsstile sollten je nach der Zusammensetzung der Gruppen variabel und flexibel sein. Es darf nicht dazu kommen, dass sich wegen bestimmter verkrusteter Führungsstile jugendliche Mitglieder aus Gruppen abmelden. Das betraf konkret beim frühen Wandervogel das übertrieben monarchische Führungsverständnis und Führungsverhalten von Karl Fischer. Dieser Stil war zwar im wilhelminischen Deutschland ein Produkt der Zeit. Aber viele Jugendliche innerhalb des Wandervogels, die u. a. ja gerade aus Protest gegen die Strukturen ihrer Zeit im Wandervogel ein Oppositionsventil suchten, standen diesem monarchischen Stil kritisch gegenüber, insbesondere der autokratischen Art, wie Karl Fischer ihn handhabte. U.a. an diesem Fischer'schen Führungsstil zerbrach letztlich der Urwandervogel. Wenn in einzelnen Wandervogelbünden aus traditionellen Gründen monarchische Nomenklaturen innerhalb der Führungshierarchie bestehen, dann sollte die reale Führungspraxis doch flexibel und vielfältig sein. Das Gefühl von erfahrener Geborgenheit, Freundschaft, Fürsorge, Verständnis usw. sind letztlich wichtigere Kriterien als Respekt und Gehorsam gegenüber einem Monarchen, wie sich Fischer das vorstellte.

    Diese Hinweise sollen nicht so missverstanden werden, dass der Verfasser entschieden nur einem demokratischen Führungsstil das Wort redet, dass also die Gruppen der Jugendlichen sich stets selber steuern und ihre Verantwortlichen selber wählen sollen. Wo das Gruppen freiwillig wünschen, sollen sie so ihre Verantwortlichen auswählen dürfen. Aber von oben aufzwingen sollte man einen solchen Weg der Leiterberufung nicht. Denn typisch jugendspezifisch ist solch ein demokratisches Verständnis nicht. Jugendliche wünschen und brauchen auch feste Führung und wollen sich häufig begeistert einordnen und unterordnen. Das sollte aber nicht so weit gehen, dass auch heute noch in feierlichen Versprechen absolute Treue und Gehorsam dem zentralen Vorgesetzten gegenüber geschworen wird. Der Verfasser hält auch die Diskussion über die heute passendere Bezeichnung "Führer/Führung" oder "Leiter/Leitung" für ein Produkt einer noch unbewältigten NS-Vergangenheit und unnötig. Er benutzt deswegen die in Frage kommenden Bezeichnungen (wie Führer, Leiter, Beauftragter, Verantwortlicher, Vorgesetzter, Vorstand usw.) gleichwertig synonym. Aber König oder Monarch findet er als Titel, Untertitel oder ergänzende Bezeichnung für einen zentralen Führers eines Jugendbundes antiquiert.

    Besonders innerhalb einer Älterenorganisation haben solche historisch-monarchischen Führungstraditionen und Führungsstile noch weniger Berechtigung und Erfolg. Eine solche Älterenorganisation setzt sich aus einer Vielzahl persönlich unterschiedlicher und im Alltagsleben unterschiedlich erfolgreicher Individuen zusammen, die sich nur schwer unterzuordnen bereit sind, besonders wenn sie selber leitende Funktionen ausüben. Solche Älterenbünde benötigen allerhöchstens zentrale Integrationsfiguren, normalerweise genügen fleißige, persönlich zurückhaltende Verwalter und Koordinatoren, die niemanden durch Herrschaftsanspruch, zur Schau gestelltes übersteigertes Selbstgefühl, unnötige Zurechtweisungen oder unnötige ideologische Kritik verprellen. Sie können sich leicht ohne besonderes Charisma u.a. dadurch allgemeine Anerkennung erwerben, dass sie wirklich ihre ganze Kraft nur der einen Aufgabe widmen. Denn eine Vielämterhäufung auf den Schultern einer Person war schon teilweise eine "Krankheit" des frühen Wandervogels. Mehr denn je gehören heute die Mitteleuropäer von ihrer Kindheit an verschiedenen Organisationen gleichzeitig an und kreisen als recht lockere Mitglieder um die Leitungszentren dieser Organisationen. Dem Verfasser drängt sich als bildliche Beschreibung das Saturn-Modell auf. Um einen relativ kleinen festen Kern (Führungsmannschaft bzw. mit ganzem Herzen Aktive) kreisen auf verschiedenen Bahnen recht locker viele Zugehörige bzw. Mitglieder und nur von weitem sieht das ganze Gebilde umfänglich und kompakt aus. Aber damit muss man heute leben, auch im Wandervogel. Durch längerfristige Projekte (wie z.B. Bau zentraler Treffpunkte, Sammlung von Liedgut oder von Verbandschroniken, Gestaltung von Wandervogelchören usw.) kann man den harten Kern temporär erweitern. Das praktizierte schon relativ früh die Wandervogelbewegung und der Bau einer zentralen Jugendburg war ein Erfolgsrezept des Nerother Wandervogels. Solche Projekte bringen mehr Gemeinsamkeit als ein straffer Führungsstil.

    Als Ergebnis möchte der Verfasser festhalten, dass Älterenorganisationen sensibler gegenüber Bevormundung und übersteigertem Selbstgefühl von Verantwortlichen sind als Jugendliche, dass ihre Kraft und Wirkungsmöglichkeiten in ihrer Freiwilligkeit und in ihrer Vielfältigkeit liegen und dass das Führungsverhalten innerhalb solcher Älterorganisationen ein hohes Maß an Fleiß, Feinfühligkeit und Toleranz erfordert. Anregen, vermitteln, delegieren, koordinieren, unauffälliges Zurücktreten werden mehr mit Erfolg belohnt als das Sich-Berufen auf Amtsbefugnis und traditionelle Rechte.

    ► Helmut Wurm. [source]

     


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