• Bund

    Mouvement de jeunesse

    et idéologie nationale-révolutionnaire sous la république de Weimar

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    Depuis les années 1924/25 jusqu'aux élec­tions législatives de septembre 1930 qui, brusquement, projetèrent au premier plan le parti national-socialiste, le militantisme na­tionaliste était principalement représenté en Allemagne par les groupes paramilitaires (Wehrverbände), héritiers des Corps Francs et par les ligues de jeunesse (Bünde) (1). Sous l'effet de la crise économique, les élé­ments les plus radicaux de ces groupes et de ces ligues évoluèrent vers le national-so­cialisme révolutionnaire (tendance Strasser) ou le national-bolchévisme tandis que les au­tres (c'est-à-dire la plupart des membres des ligues et leurs leaders) cherchèrent un temps un accommodement avec le système et ralliè­rent de nouveaux partis, comme le Parti d'État allemand (issu de la fusion du Parti Démocrate et de l'Ordre jeune-allemand d'Arthur Mahraun) et le Parti Populaire Conservateur (formé par les sociaux-chré­tiens et des éléments issus du parti d'extrê­me-droite, la DNVP) en essayant, en vain, d'en faire des instruments de rénovation de l'Allemagne.

    Le socialisme bündisch

    Les membres des ligues de jeunesse s'en­flammaient pour le “socialisme bündisch”, variante du “socialisme allemand” auquel se ralliaient de nombreux milieux socio-profes­sionnels et groupes politiques de l'Allemagne de Weimar. Le “socialisme bündisch” était très proche du “socialisme soldatique” que professaient leurs aînés des groupes para-mi­litaires. Dans les 2 cas, le socialisme, c'était “l'accent mis sur le groupe”, pas seu­lement sur le Bund ou le groupe militarisé mais aussi sur la Volksgemeinschaft (Communauté du Peuple) que sert le Bund ou le groupe et dans laquelle il s'insère (2). Tandis que le “socialisme soldatique” des aînés se basait sur l'expérience de la guerre et de la camaraderie du Front, le “socialis­me bündisch” des plus jeunes s'appuyait sur l'expérience des randonnées à travers l'Alle­magne, au contact du peuple allemand, et sur l'expérience communautaire du Bund, sur la camaraderie vécue au sein du Bund. Avec la crise et la radicalisation croissante de la jeunesse des ligues, le “socialisme bündisch” devient plus concret et se transforme en un socialisme national-révolutionnaire favorable à la nationalisation totale ou partielle des moyens de production, à l'économie de Plan et à l'autarcie allemande ou centre-euro­péenne.

    Le défi hitlérien

    Après l'accession de Hitler au pouvoir, les principales ligues de jeunesse (c'est-à-dire exception faite des “Gueux”, les plus modé­rés, notamment l'importante Deutsche Frei­schar) s'unirent en mars 1933 dans le Grossdeutsche Jugendbund placé sous le pa­tronage de l'Amiral von Trotha, un proche du Président du Reich Hindenburg. Elles es­péraient ainsi échapper à la “synchronisa­tion” (Gleichschaltung), c'est-à-dire à la dissolution et à l'intégration de leurs mem­bres dans la Jeunesse hitlérienne. De leur côté, les ligues les plus “dures”, les plus völkisch (pour lesquelles Volk était sou­vent synonyme de Rasse) et en même temps les plus critiques à l'égard de l'hitlé­risme (qu'elles jugeaient d'un point de vue national-socialiste révolutionnaire ou natio­nal-bolchévique) se regroupèrent dans un Bündische Front für Wehr-, Arbeits- und Grenzdienst (Front bündisch pour le servi­ce de défense, de travail et de garde-fron­tières), sous la présidence d'un “trotskyste du national-socialisme”, le Dr. Kleo Pleyer (3).

    Les ligues de jeunesse furent, malgré leurs efforts désespérés, dissoutes lors de l'été 1933. Leurs membres entrèrent alors massi­vement dans la Jeunesse hitlérienne et sur­tout dans l'encadrement du Deutsche Jung­volk (qui regroupait les éléments les plus jeunes de la jeunesse Hitlérienne) pour y continuer leurs activités et y promouvoir l'esprit bündisch. D'autres, plus âgés (les proches de Friedrich Hielscher), entrèrent dans la SS et dans l'Ahnenerbe (“Héritage des ancêtres”, secteur de la SS spécialisé dans la recherche scientifique, particulière­ment dans la recherche historique et préhis­torique). D'autres encore (les strassériens sous la direction de Heinz Gruber) choisirent d'entrer dans le Front du Travail afin d'en accentuer l'orientation socialiste. Enfin, le Dr. Werner Haverbeck essaya de regrouper dans une organisation, le Reichsbund Volks­tum und Heimat, association satellite de la KdF (Kraft durch Freude, “Force par la joie”), la jeunesse d'esprit bündisch — cette organisation compta bientôt près d'un million de membres (4).

    La répression commence

    Mais, sous la pression notamment de Baldur von Schirach, chef de la jeunesse Hitlérien­ne, qui craignait de voir son autorité sur la jeunesse allemande contestée, la répression s'abattit dès 1934 sur les anciens leaders bündisch : certains furent exclus de la HJ [Werner Lass) (5)], d'autres furent arrêtés [Heinz Gruber (6), Robert Oelbermann (7)] ou contraints à l'exil [Eberhard Köbel dit “tusk” (8), Fritz Borinski (9), Hans Ebeling (10), Karl-Otto Paetel (11), etc.], d'autres enfin assassinés [Karl Lämmermann (12), pendant la Nuit des Longs Couteaux]. Le Reichsbund de Haverbeck fut dissous.

    Malgré 4 interdictions successives (en 1933 et 1934, le 6 février 1936 et le 13 mai 1937) et l'incorporation obligatoire des jeunes Allemands dans la jeunesse Hitlérien­ne, décidée en 1936, appliquée dans les faits en 1939, certaines ligues continuèrent leurs activités en Allemagne dans la clandestinité et l'illégalité. Ce fut le cas : 1) de la “dj. 1. 11”, fondée par “tusk”, alias Eberhard Köbel, en 1931 (13), en liaison avec Karl-Otto Paetel et Otto Strasser alors en exil (Helmut Hirsch, membre de la “dj. 1. 11” et correspondant de Strasser, condamné à mort le 4 juin 1937, sera pendu à Plötzensee), 2) du Nerother Wandervogel (14) et 3) du Jungnationaler-Bund, deutsche Jungenschaft (15) démantelé en 1937 et dont les chefs seront lourdement condamnés lors du procès d'Essen.

    Si certaines ligues purent survivre dans la clandestinité, avec des effectifs restreints, de nouveaux groupes apparurent, bandes d'a­dolescents qui refusaient l'intégration dans la HJ et la militarisation de la jeunesse (16). Certaines de ces bandes imitaient les modes occidentales et préfiguraient les ban­des de l'après-guerre, d'autres professaient un christianisme moralisateur et consti­tuaient la survivance des organisations de jeunesse chrétiennes, d'autres encore re­nouaient avec l'idéal romantique des Wan­dervögel. Parmi ces nouveaux groupes, le plus connu fut sans conteste Die weiße Rose, dont certains membres parmi les plus âgés avaient appartenu à des ligues de jeu­nesse.

    Les jeunes bündisch, et leurs émules, ne fu­rent pas les seuls à résister au “fascisme” hitlérien : il faut mentionner aussi la ré­sistance des jeunes communistes en milieu ouvrier et des jeunes catholiques en Rhéna­nie et en Bavière. Tandis que les premiers s'appuyent sur l'infrastructure clandestine du Parti Communiste allemand, les seconds s'a­britent derrière le Concordat signé en 1933 entre Hitler et le Pape.

    L'idéal bündisch en exil

    L'idéal bündisch, progressivement étouffé en Allemagne, se maintint à l'étranger en exil. Otto Strasser suscita la création d'un Ring bündischer Jugend qui s'intégra dans son Deutsche Front gegen das Hitlersystem (Front allemand contre le système hitlérien). Une revue anti-fasciste, contrôlée par les communistes, vit le jour à Paris sous le titre Freie deutsche Jugend (ce vocable avait désigné entre 1913 et 1923 une fraction du mouvement de jeunesse indépendant et dé­signera après la Deuxième Guerre mondiale l'organisation de jeunesse de la RDA). Karl­-Otto Paetel éditait à Stockholm, puis à Bru­xelles et enfin à Paris les Schriften der jungen Nation et les Blätter des sozialis­tischen Nation (diffusés en Allemagne par les sœurs Siliava, membres de la “dj.1.11” de Berlin). Enfin, en Belgique, Hans Ebeling et Theo Hespers fondèrent en 1935 l'Arbeitsgemeinschaft Bündischer Jugend, auquel adhérèrent Paetel, Tusk, la revue Freie deutsche Jugend, etc., et qui donna naissan­ce au Deutsche Jugendfront. Ce Front de la jeunesse était lié à des groupes néerlan­dais, belges et britanniques. Il était né de la volonté de regrouper toute la jeunesse alle­mande opposante. Mais cette tentative é­choua à cause des manœuvres communistes et du manque de cohésion de ces jeunes op­posants. Ebeling et Hespers, qui ne se dé­courageaient pas, firent alors paraître, de 1937 à 1940, la revue Kameradschaft (Camaraderie).

    Hans Ebeling et Theo Hespers

    [Ci-dessous : La revue Kameradschaft d'Ebeling et Hespers rêvait de regrouper tous les jeunes animés par l'idéal bündisch au-delà des clivages politiciens conventionnels. Leur volonté de lutter contre l'uniformité d'organisation introduite par la NSDAP procède d'une volonté de n'exclure aucun Volksgenosse de la future communauté en construction. Vu les passions qui animaient la scène politique de l'époque, ce projet et cet espoir ne pouvaient être qu'utopiques, ce que perçurent parfaitement les communistes. Un lourd soupçon de trahison pèsera sur leurs animateurs, en contact avec des gens qui complotaient réellement contre l'Allemagne au bénéfice de services étrangers. Le pauvre Hespers paiera cher son engagement idéaliste : il périra pendu à Berlin-Plötzensee]

    kam1110.jpgLe fac-similé de la revue Kameradschaft constitue un important té­moignage sur la résistance de la jeunesse bündisch à l'État hitlérien et le projet d'É­tat et de société que celle-ci a opposé au fascisme. Cette revue de langue allemande, éditée en Belgique, était diffusée clandesti­nement en Allemagne. Ses fondateurs, Hans Ebeling et Theo Hespers étaient 2 an­ciens chefs de ligues de jeunesse en exil. Le premier, né en 1897 à Krefeld, avait pris part à la Première Guerre mondiale (il en était sorti avec le grade de lieutenant), aux com­bats de 1920 (en Rhénanie) dans les rangs de la Reichswehr provisoire et à la résistan­ce contre les troupes d'occupation françaises dans la Ruhr. Il avait rejoint peu après le Jungnationaler Bund dont il s'était séparé en 1924 pour fonder le Jungnationaler Bund, deutsche Jungenschaft plus activiste et plus radical qui évolua vers le national-bolché­visme. À partir de la fin de 1929 et jus­qu'en janvier 1933, Ebeling dirigea, avec le Professeur Lenz, la revue Der Vorkämpfer (17).

    Theo Hespers, né en 1903, rentra à l'âge de 14 ans dans l'organisation de jeunesse catho­lique Quickborn à laquelle il appartint jusqu'en 1927, il participa lui aussi à la ré­sistance passive contre l'occupation franco-­belge de la Ruhr. Il adhéra ensuite à la Vi­tus-Heller-Bewegung (18) et dirigea la Pfadfinderschaft Westmark qui constitua, avec la ligue d'Ebeling, celle de Werner Lass (la Freischar Schill) et la Ligue Jeu­ne-prussienne de Jupp Hoven, le “comité de lutte des groupes nationaux-révolutionnaires de la Marche occidentale” en Rhénanie.

    Le Bund, alternative aux partis et au parti unique

    Kameradschaft se voulait la tribune des jeunes opposants à l'hitlérisme. Les Jeunes ­Nationaux, Jeunes-Socialistes, Jeunes-Ca­tholiques et Jeunes-Protestants qui s'ex­primaient dans Kameradschaft s'y affir­maient à la fois bündisch, nationalistes völkisch et grand-allemands, chrétiens, démo­crates et socialistes.

    Pour eux, le Bund constituait un modèle po­litique, le modèle d'une “démocratie à l'alle­mande”, fondé sur le couple Führer / Gefolgschaft (le Führer charismatique, au service de l'idée, librement choisi et soumis à l'ap­probation permanente du groupe, n'étant ici qu'un primus inter pares). Ils opposaient le Bund aux partis faillis de la démocratie weimarienne et au parti unique de la dictature hitlérienne. Le Bund était aussi un modèle social fondé sur la camaraderie (Kamerad­schaft) — opposée à la Schadenfreude hit­lérienne — et un modèle d'intégration de l'individu et de socialisation fondé sur l'en­thousiasme ; un modèle d'éducation politique et le modèle même de la communauté de combat révolutionnaire formée par la jeunes­se activiste allemande, ennemie de Weimar puis de l'hitlérisme.

    Pour les collaborateurs de Kameradschaft, qui insistaient particulièrement sur le rôle joué par le Bund en matière d'éducation po­litique et pour qui l'homme bündisch était l'homme politique par excellence entière­ment dévoué au service de l'État et du peu­ple, l'État hitlérien apparaissait comme une dictature d'éléments petit-bourgeois apoliti­ques (associés à une Reichswehr politisée mais fuyant toute responsabilité politique). La liquidation politique voire physique sous le IIIe Reich de l'activisme nationaliste (groupes paramilitaires et ligues de jeunes­se), considéré comme dangereux par les nou­veaux maîtres de l'Allemagne, leur semblait révélatrice à cet égard (19).

    Redéfinir la Volksgemeinschaft

    Nationalistes völkisch, ils prenaient la défen­se du Volk et du Volkstum mais refusaient “l'impérialisme néo-allemand” des hitlériens. Dans d'esprit des collaborateurs de Kame­radschaft, le nationalisme völkisch s'atta­chait à défendre l'indépendance et le Volkstum de tous les peuples. Ils prenaient égale­ment la défense des Volksgenossen, contre l'exploitation capitaliste qui perdurait et contre l'arbitraire de l'État hitlérien ; ils prônaient la constitution d'une vraie Volks­gemeinschaft (communauté du peuple) sans rapport avec la soi-disant Volksgemein­schaft, produit de la dictature policière et de la massification hitlériennes ; la constitu­tion de cette “vraie” Volksgemeinschaft né­cessitait à leurs yeux un nouvel ordre socio-­économique (socialiste), qui mettrait fin à l'ordre des classes né du capitalisme, et une réorientation spirituelle (völkisch) d'essence chrétienne, qui combattrait le désarroi ma­térialiste de l'époque (20).

    Comme Otto Strasser, ils opposaient la tra­dition grand-allemande, fondée sur le refus du dualisme austro-prussien, dans laquelle ils se situaient, au pangermanisme. Ils rejetaient l'économie capitaliste fondée sur le profit tout autant que l'économie de guerre et “l'anarchie bureaucratique” (dont l'Allemagne hitlérienne réalisait la symbiose) auxquelles ils prétendaient substituer un Plan (Plan allemand, puis européen). Ils préconi­saient, dans le cadre de ce Plan, une écono­mie destinée à satisfaire les besoins du peu­ple, la nationalisation des industries-clés qui briserait la puissance du grand capital et le partage des grandes propriétés terriennes, et enfin la constitution de coopératives dans tous les domaines de l'activité économique.

    La tradition libertaire du Wandervogel

    En fait, la rédaction de Kameradschaft se posait en héritière de 2 traditions :

    1) celle du mouvement de jeunesse indépen­dant, notamment de la Jeunesse allemande libre née lors de la rencontre du Hohe Meißner en 1913. Contre le monde paternel/paternaliste (Väterwelt), le mouvement de jeunesse avait affirmé sa fidélité aux pères originaires, aux ancêtres (Vorväter) (21). Contre la tutelle des institutions (école, église, famille) et la société bourgeoise, il avait revendiqué l'in­dépendance et choisi en son sein de jeunes chefs. Contre l'État wilhelmien et le chauvi­nisme bourgeois, il avait affirmé son amour pour le Volk et son allégeance au Volk (22). Contre la grande ville, le mouvement de jeunesse avait proposé le Wandern, la ran­donnée à travers le pays allemand (“l'Alle­magne profonde”) au contact du Volk alle­mand authentique. Contre la religion révé­lée, il avait encouragé une religiosité ger­manique. Contre le tabagisme et l'alcoolisme qu'il condamnait, contre la dégénérescence physique, il avait exalté la force physique et la beauté nordique (dépeinte par le dessina­teur Fidus), pratiqué le gymnastique et le nudisme.

    Finalement, après l'épreuve de la Grande Guerre, le mouvement de jeunesse avait dé­bouché sur les ligues de jeunesse issues en 1924/25 de la fusion de groupes scouts dis­sidents et de Wandervögel, où, dès 1919, de la jeunesse allemande libre.

    La tradition des “Corps Francs”

    2) Celle des Corps Francs, qui avaient formé en 1919 la Reichswehr provisoire avant de devenir les ennemis de la Reichswehr issue des clauses militaires du Traité de Versailles (qui avait relevé les traditions nobiliaires de l'Armée impériale, mettant ainsi un terme à la démocratisation de l'armée, et notamment du corps des officiers, provoquée par la Grande Guerre et ses suites), et celle des groupes paramilitaires nationaux-révolution­naires qui, succédant aux Corps Francs, s'en étaient pris à la Réaction incarnée par les industriels et les agrariens, les généraux de la Reichswehr et les politiciens de droite.

    Malgré l'originalité du phénomène hitlérien et l'originalité de l'interprétation qu'en don­nait la revue (interprétation qui se rappro­chait à certains égards de la “théorie du to­talitarisme”), Kameradschaft reprenait con­tre l'hitlérisme certaines critiques formulées auparavant par ses prédécesseurs du mouve­ment de jeunesse à l'égard du wilhelminisme, par ses prédécesseurs des Corps Francs ou des groupes paramilitaires à l'égard de Weimar et de la Réaction à l'époque de Weimar (et notamment de la Reichswehr as­sociée au pouvoir hitlérien).

    Les liens des Bündische en exil avec les “non-conformistes” et les planistes français

    Outre ce lien de filiation évident entre le mouvement de jeunesse allemand, les Corps Francs et groupes paramilitaires et Kame­radschaft, on constate une étonnante paren­té entre les idées de la jeunesse bündisch telles qu'elles s'exprimaient dans Kamerad­schaft et celles des jeunes non-conformistes français des années 30 qui adhéraient aux mots d'ordre patriotiques et fédéralistes, personnalistes et communautaires, planistes et corporatistes (ou syndicalistes).

    Des contacts avalent existé entre représen­tants des ligues de jeunesse allemandes et groupes non-conformistes français : ainsi, Harro Schulze-Boysen (ancien militant de l'Ordre Jeune-Allemand, qui devait jouer plus tard un rôle de premier plan dans l'Orchestre Rouge, directeur de Planer (l'équivalent allemand de la revue française Plans, dirigée par Philippe Lamour), fut, avec Otto Abetz, l'un des délégués alle­mands au Front unique de la Jeunesse Euro­péenne, créé à l'initiative des groupes fran­çais Plans et Ordre Nouveau (23). Par la suite, Ordre Nouveau entretint des con­tacts assez étroits avec Otto Strasser, le groupe constitué autour de la revue Die Tat et surtout la revue Der Gegner (L'Adversaire) — à laquelle Louis Dupeux con­sacre un chapitre de sa thèse sur le natio­nal-bolchévisme — animée par Harro Schulze­-Boysen et Fred Schmid, fondateur et chef de la ligue Le Corps Gris, scission de la Deutsche Freischar (24).

    Mais les contacts personnels ne peuvent ex­pliquer à eux seuls une telle convergence : ce qui rapprochait les meilleurs éléments de la jeunesse allemande et française était tout à la fois un refus commun du libéralisme et du totalitarisme, qui en était issu, et une aspiration commune à une Révolution spiri­tuelle (ou si l'on préfère : culturelle), politi­que et socio-économique.

    ► Thierry Mudry, Vouloir n°43/44, 1987.

    • Notes :

    • 1) « Pendant les 4 ou 5 ans de la brève prospérité de Weimar, et surtout entre 1925 et 1927, le premier rôle en matière d'activisme ultra-nationaliste revint aux ligues ou associations paramilitaires (Wehrverbände). Ces ligues étaient généralement issues des Corps Francs de l'immédiat après-guerre, mais elles recrutaient de plus en plus dans le mouvement de jeunesse “bourgeois”, dont elles aimaient d'ailleurs à se présenter comme parties intégrantes » (Louis Dupeux, Stratégie communiste et dynamique conservatrice : Essai sur les différents sens de l'expression “national-bolchévisme” en Allemagne, sous la République de Weimar (1919-1933), Honoré Champion, 1976, pp. 244-245).
    • 2) « Le Bund, c'est la vigueur du lien communautaire, à l'opposé de l'individualisme anarchisant de l'ancien Wandervogel ; c'est l'accent mis sur le groupe (et qui permettra de parler d'un « socialisme bündisch ») mais aussi sur la hiérarchie, la sélection des membres et la libre désignation des “chefs” ; c'est enfin l'auto-éducation d'une élite destinée à diriger et à servir l'Allemagne au terme d'une révolution culturelle ; c'est l'image même en miniature de cette nouvelle Allemagne » (L. Dupeux, ibid., p. 335). Pour tous renseignements complémentaires sur le « socialisme bündisch », son évolution ultérieure vers un socialisme national-révolutionnaire, se reporter au chapitre « Bündischer Sozialismus » in : Karl-Otto Paetel, Versuchung oder Chance ? Zur Geschichte des deutschen National-Bolschewismus, Musterschmidt-Verlag, Göttingen, 1965, pp. 130 à 152.
    • 3) Cf. Hans-Christian Brandenburg, Die Geschichte der HJ, Verlag Wissenschaft u. Politik, Köln, 1982, pp. 137 et 139.
    • 4) Cf. HC Brandenburg, ibid., pp. 194/195.
    • 5) Wemer Lass : fondateur et chef de la « Freischar Schill » et de l'organisation secrète des Eidgenoßen (Conjurés).
    • 6) Heinz Gruber : fondateur et chef de la Schwarze Jungmannschaft, dissidence social-révolutionnaire de la Jeunesse Hitlérienne, devenue partie intégrante du Front Noir d'Otto Strasser.
    • 7) Robert Oelbermann : fondateur et chef du Nerother Wandervogel.
    • 8) Eberhard Köbel, dit « tusk » : fondateur et chef de la « d.j.1.11 », dissidence de l'importante Deutsche Freischar.
    • 9) Fritz Borinski : un des dirigeants de la Deutsche Freischar, social-démocrate.
    • 10) Hans Ebeling : fondateur et chef du Jungnationaler Bund, deutsche Jungenschaft.
    • 11) Karl-Otto Paetel : fondateur et chef du Gruppe Sozialrevolutionärer Nationalisten.
    • 12) Karl Lämmermann : un des dirigeants de la Deutsche Freischar.
    • 13) Sur la « d.j.1.11 » et « tusk », lire : Hans Graul, Der Jungenschafter ohne Fortune, Eberhard Köbel (tusk), erlebt und biographisch erarbeitet von seinem Wiener Gefährten, dipa-Verlag, Frankfurt-am-Main, 1985; Helmut Grau, D.j.1.11 : Struktur und Wandel eines subkulturellen jugendlichen Milieus in vier Jahrzehnten, dipa-Verlag, Frankfurt-am-Main, 1976.
    • 14) Sur le Nerother Wandervogel, lire : Stefan Krolle, « Bündische Umtriebe » : Die Geschichte des Nerother Wandervogels vor- und unter dem NS-Staat. Ein Jugendbund zwischen Konformität und Widerstand, Lit­-Verlag, Münster, 1485.
    • 15) voir plus loin.
    • 16) Sur ces nouveaux groupes, lire : Fritz Theilen, Edel - weisspiraten, Fischer Taschenbuch Verlag, Frankfurt a. M., 1984.
    • 17) Hans Ebeling participa en compagnie d'autres dirigeants bündisch (Werner Lass et Karl-Otto Paetel notamment) aux rencontres internationales de Freusburg (août 1927) et d'Ommen en Hollande (août 1928), destinées à préparer la fondation d'une ligue mondiale pour la paix. Ces rencontres internationales, lors desquelles les jeunes chefs bündisch nouèrent des contacts avec des représentants de l'extrême-gauche et des peuples colonisés, accélérèrent la radicalisation des ligues de jeunesse (remarquons que Ebeling, Lass et Paetel qui y participèrent devinrent par la suite des figures du national-bolchévisme) et déterminèrent Ebeling à fonder avec le Prof. Lenz, quelques mois plus tard, en janvier 1930, la revue Der Vorkämpfer d'orientation ultra-nationaliste, anti-capitaliste (le Vorkämpfer adoptait des éléments d'analyse marxiste) et anti-impérialiste (et pro-soviétique).
    • 18) Le mouvement de Vitus Heller auquel appartenait Theo Hespers était le seul mouvement national­-bolchévique chrétien (les autres mouvements de ce type affectaient l'indifférence en matière religieuse, voire un athéisme agressif, ou se prononçaient pour un néo­paganisme germanique) et réellement implanté en milieu catholique (le national-bolchévisme était, comme l'a montré L.  Dupeux, un phénomène très majoritairement “protestant” – rien d'étonnant à cela d'ailleurs puisque le national-bolchévisme se rattachait à la tradition protestataire allemande des Arminius, Witukind et Luther – ce qui n'empêchait pas la Rhénanie catholique, région-frontière sensible aux thèses nationales-­allemandes, d'être, avec Berlin et la Franconie, une des places fortes du national-bolchévisme).
    • 19) Kameradschaft consacra deux gros articles aux procès intentés contre le Jungnationaler Bund, deutsche Jungenschaft, contre Niekisch et les « camaraderies Eberhard ».
    • 20) Les « nationaux-socialistes révolutionnaires » d'Otto Strasser et les « nationalistes sociaux-révolutionnaires » de KO Paetel défendaient le même point de vue (à cette nuance près que la réorientation spirituelle envisagée par Paetel et ses amis aurait été plus païenne-germanique que chrétienne).
    • 21) Cf. Jean-Pierre Faye, Langages totalitaires, Hermann, 1973, p. 221.
    • 22) Pour George Mosse, le mouvement de jeunesse indépendant était indiscutablement völkisch mais son nationalisme s'opposait au nationalisme wilhelminien officiel, impérialiste et chauvin. Son nationalisme, fondé sur le Volk et non sur l'État, au lieu d'être agressif et expansif, était intensif ou intraverti (cf. G. Mosse, The crisis of German Ideology, Schocken Books, NY, 1981, p. 179).
    • 23) Cf. Jean Louis Loubet del Bayle, Les non-­conformistes des années 30, Seuil, 1969, p. 98.
    • 24) JL Loubet del Bayle, ibid., p. 113.

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    Une réédition complète de tous les numéros de la revue Kameradschaft est parue aux éditions « Vive-le-Gues », spécialisées dans la production de disques où sont enregistrés des chants contestataires. Adresse : Luise-Gueury-Strasse 15, D-4050 Mönchengladbach 6. « Vive-le-Gues » édite également des disques de chants en dialecte de la région de Clèves.

     

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    Fondements de la pensée bündisch

    bundisch

    [Insignes de mouvements de jeunesse bündisch. De gauche à droite : Deutsche Freischar, Die Geusen, Nerother Bund, Bund Artam, Freischar Schill (W. Lass), Kronacher Bund der alten Wandervögel, Sudetendeutscher Wandervogel, Die fahrende Gesellen, insigne du mouvement de scoutisme Deutscher Pfadfinderbund

     

    Parmi les nombreux ouvrages parus récem­ment et consacrés aux mouvements de jeu­nesse politisés de l'ère weimarienne, le livre d'Ulrike Treziak possède un double mérite : 1) celui de passer succinctement en revue, dans un ordre chronologique, l'ensemble des mouvements qui ont existé depuis l'aube du siècle jusqu'à l'avènement de Hitler et 2) d'analyser de façon fort concise les idées motrices des ligues bündisch.

    De nouveaux concepts politiques

    Le survol historique qu'elle nous livre est assez complet et nous renseigne sur les ef­fectifs de chaque groupe, mouvement, cé­nacle de cet univers si complexe, pour le non-Allemand non initié. Son approche chro­nologique permet justement de repérer les étapes de la politisation croissante de ce mouvement — au départ totalement apoliti­que — et de comprendre les raisons de sa radicalisation, survenue dans les circonstan­ces troubles de la crise économique de 1929. Au cours de cette phase de radicalisation, les concepts politiques du socialisme alle­mand et du nationalisme militant vont ac­quérir une dimension nouvelle, tout en quit­tant le domaine des bibliothèques et celui des spéculations savantes. Prenant leur envol au départ des esprits prophétiques ou des cerveaux des sociologues, les concepts s'in­carneront dans les corps vigoureux de jeunes garçons pétris d'idéalisme et descendront du coup dans les rues tristes des villes alle­mandes secouées par la misère, le chômage, le désarroi des masses ; dans des rues deve­nues l'arène d'une tragédie sanglante, qui marquera à jamais l'histoire européenne.

    Comme l'écrivait Bracher, le spécialiste contemporain du totalitarisme (et du totali­tarisme allemand en particulier) : « Mots et concepts ne sont pas seulement des outils indispensables pour décrire et juger les phé­nomènes historiques ; ils constituent en eux­mêmes des éléments essentiels de l'agir po­litique ; ils fonctionnent comme impulseurs puissants de changements historiques, comme facteurs de force ; depuis toujours, on s'est servi d'eux pour imposer et justifier le poli­tique ».

    La pensée bündisch a-t-elle été “prénazie” ?

    À sa suite, Arno Klönne, sociologue contem­porain spécialisé dans les problèmes de jeu­nesse, historien des mouvements de jeunesse bündisch (1), critique “démocrate” du néo-na­tionalisme contemporain mais collaborateur occasionnel de Wir Selbst et Kurt Sont­heimer, à qui l'on doit un ouvrage devenu classique sur la pensée “anti-démocratique” de l'ère weimarienne (2), estiment nécessaire d'analyser les concepts manipulés par les mouvements politiques de l'histoire alleman­de des années 20 et 30. L'analyse de ce vo­cabulaire, exprimant sans détours des pas­sions politiques de nature franchement idéa­liste, permet d'entrevoir une proximité lexi­cologique évidente avec le discours national-­socialiste. Or, les leaders bündisch connaîtront, quand les nationaux-socialistes arrive­ront au pouvoir, les interdictions profession­nelles, les cachots, les interrogatoires mus­clés, les chemins amers de l'exil, les poten­ces ou l'oubli… Les similitudes de vocabulai­re n'ont pas engendré de complicités qui, aujourd'hui, seraient compromettantes, vu la défaite totale du nazisme en 1945.

    De ce fait, la réappropriation d'un vocabulaire, qui recèle dans les méandres et les recoins de ses “plages sémantiques” bien des potentiali­tés et des virtualités pour notre époque de crise sinon bien des leçons d'histoire et de culture politique, ne peut en aucun cas être jugé compromettante. Klönne, qui s'est donné pour tâche militante de contrer tout retour éventuel d'un totalitarisme à la Hit­ler — ce qui est somme toute assez facile dans la RFA actuelle — ne réfutera pas l'es­sentiel de cette opinion, du moins si l'on prend en compte les termes de son essai Der lange Abschied vom Bürgertum ? An­merkungen zur Geschichte von Jugendbe­wegungen (3), où il souligne que le néo-or­ganicisme contemporain, hostile au mécani­cisme industrialiste, impliqué dans les activi­tés écologistes, ne saurait déboucher sur au­cune espèce de totalitarisme, mais risque néanmoins de délayer les structures libérales de la RFA, inspirée idéologiquement des mo­dèles anglo-saxons, par la mise en avant d'un communautarisme romantique, quelque­fois très marginal, qui, qu'on le veuille ou non, conserve une parenté idéologique avec l'idée de Volksgemeinschaft (communauté populaire), axe central de la pensée bündisch et spécificité la plus prégnante des pensers politiques germaniques (y compris scandina­ves, vieil-anglais et, en dehors de la sphère germanique, celtiques).

    Volk et Volksgemeinschaft

    Pour U. Treziak, la notion de Volksge­meinschaft correspondait à l'idéal absolu, “l’utopie” finale, le telos ultime et salvateur de tous les mouvements de jeunesse, indé­pendamment des clivages idéologiques et re­ligieux qui les animaient. Cette “communau­té du peuple” n'obéirait pas, comme la dé­mocratie weimarienne, à des principes méca­nicistes mais à des lois naturelles organi­ques, qui feraient tomber les différences et les inégalités de classe et instaurerait une profonde solidarité entre tous les ressortis­sants du peuple.

    Le Volk en lui-même est tantôt perçu comme une “communauté de sang”, où les liens de consanguinité, les facteurs raciaux, acquièrent une prépondérance absolue, tantôt comme une “communauté spirituelle”, ainsi que la définissait Ernst Buske, chef de la Deutsche Freischar, pour qui ce sont les affinités électives, dans les domaines scien­tifique, philosophique, artistique, etc. qui dé­terminent l'appartenance à la “communauté”. Il écrit, à ce propos : « Le Volk est une communauté de culture et, de ce fait, la race, l'espace, la langue, l'État ne sont que de simples circonstances, certes significati­ves, dans le processus de communautarisa­tion culturelle ».

    Idéalistes, Völkische et pré-nazis

    À partir de cette distinction entre, d'une part, ligues et mouvements mettant l'accent sur les facteurs raciaux et, d'autre part, groupements “idéalistes” insistant sur les facteurs intellectuels ou artistiques, on peut deviner les clivages qui s'opéreront ultérieu­rement, opposant les nationaux-socialistes aux bündischen, restés à 100% fidèles à la tradition des Wandervögel. Les ligues völkisch, elles, insistent fortement sur la né­cessité d'appartenir à l'humanité nordique et couplent ce culte du Nord à un mythe pay­san, où l'homme rural symbolise la résistan­ce à tout ce qui ne correspond pas à une spécificité germanique, posée d'emblée com­me “pure”. Cette mythologie paysanne avait toutefois sa raison d'être historique (U. Treziak omet curieusement de le signaler) : le recul de la paysannerie au cours du pro­cessus d'industrialisation de 1880 à 1919 avait limité les ressources alimentaires di­rectes du peuple allemand et entraîné la fa­mine pour un million de citoyens lors du blocus anglais de 1918/19. De là, les ligues völkisch, et les Artamanen en particulier, appuyaient leur propagande et leurs images mobilisatrices idylliques sur une nécessité vi­tale.

    La communauté populaire comme communauté de combat

    U. Treziak distingue une troisième fa­mille “philosophique”, aux côtés de la fa­mille idéaliste (incarnée par exemple par Buske) et de la famille völkisch (appuyant son discours sur l'image fixe d'une germani­té idéale) : la famille de ceux qui perçoivent la communauté populaire comme communau­té de combat, selon les “idées de 1914”. Le déclenchement de la Grande Guerre a créé du jour au lendemain un “peuple en armes”, qui, comme l'avait dit l'Empereur Guillaume, ne « connaissait plus de partis ». L'État sans classes, solidaire, était né de la guerre et s'était fortifié dans les tranchées. L'État du peuple en armes n'était pas un tas de sable où les individus n'étaient que des grains épars mais un corps combattant dans lequel chaque citoyen était une cellule organique­ment imbriquée, contribuant à le vivifier et s'efforçant sans cesse de le rendre plus vi­goureux et plus puissant. Cette notion de la Volksgemeinschaft combattante, produit de 1914, était nouvelle et dépassait les fixismes idéalistes et völkisch. Les ligues nationales­-révolutionnaires incarneront cette notion nouvelle de la communauté populaire, impli­quant une mobilité permanente et une ten­sion physique et psychologique constante. Le membre de ces ligues de nouvelle mouture doit être sans cesse prêt à l'action politi­que ; il doit être un “lansquenet” amoureux du combat qui endurcit et débourgeoise ; il ne se pose pas la question du pourquoi mais agit, parce que l'action est inévitable dans le destin qu'il s'est choisi.

    Engagement social et anti-parlementarisme

    L'enthousiasme pour ce combat politique mi­litant attire les plus audacieux, dont pas mal d'anciens activistes communistes, et sé­duit l'écrivain Ernst Jünger. Ceux-ci esti­meront que le combat doit se poursuivre à l'intérieur de la nation allemande, afin d'é­liminer les clivages de classes, réinstaurés après Versailles. L'idée de communauté po­pulaire ne doit pas éluder le problème de la lutte des classes, car aucune Volksge­meinschaft n'est viable durablement s'il subsiste des oppressions, si une partie du peuple est dominée par une autre. De ce fait, les conceptions classiques de la Volks­gemeinschaft sont inadéquates car elles suggèrent un idéal de stabilité, de quiétude, qui est soit réactionnaire-idyllique soit paci­fiste et petit-bourgeois. Cette idéologie qui prône l'absence totale de “repos” allait de­meurer incompatible avec toutes les formes d'État stables : la démocratie weimarienne, l'État hitlérien, la République Fédérale occi­dentalisée ou l'ordre communiste de RDA.

    Les bündischen, qu'ils soient idéalistes, völkisch-idylliques ou nationaux-révolutionnaires, rejetteront la démocratie parlementaire, pro­duit des idées françaises de 1789, parce que cette démocratie offre un parlementarisme de façade, où la représentativité du peuple est un leurre ; sous son emprise, l'État dégénère en société par actions, où seuls les intérêts de “parties du peuple” sont défendus et pris en compte.

    b610.jpgContre 1789

    [Première page d’un numéro de la revue Die Bündischen, édité à Potsdam en février (Hornung) 1933, juste après la prise du pouvoir par Hitler. On y lit un manifeste signé par Kleo Pleyer]

    Le slogan majeur de 1789, “Liberté, Égalité, Fraternité” est, pour les bündisch nationaux­-révolutionnaires, une pure hypocrisie, une révoltante escroquerie car la liberté que cette idéologie prône, n'est pas la liberté de servir la communauté mais la liberté d'agir à son profit, au bénéfice de son seul égoïsme ; l'égalité, elle, est absente dans les faits, bien qu'omniprésente dans les mots ; quant à la fraternité, elle manque cruellement à l'appel. Les idéaux de 1789 sont des idéaux individualistes, égoïstes, tandis que ceux de 1914 sont des idéaux de solidarité, de camaraderie, générateurs d'un homme nouveau non plus replié sur son égoïté nar­cissique et hédoniste mais serviteur d'une dimension collective, celle du Volk.

    Ces déclarations de principes — la solidarité de la Volksgemeinschaft, l'hostilité aux idéaux de 1789, etc. — ont engendré un dé­bat sur les aspects pratiques que devrait re­vêtir l'État idéal, dont rêvaient les adhé­rants des ligues, groupes et mouvements de jeunesse. Le premier grand thème de ce dé­bat, c'était celui qui envisageait la mise sur pied de “chambres corporatives”, où les cito­yens seraient représentés plus directement, tout en étant imbriqués dans des organisa­tions correspondant aux prestations qu'ils ef­fectuaient quotidiennement pour la commu­nauté populaire. Cet État, animé par des chambres corporatives et débarrassé des par­tis, serait “présidentiel” comme la Républi­que de Weimar. Pour d'autres participants au débat, c'était une erreur de vouloir sub­stituer aux divisions engendrées par les par­tis, une division fixe basée sur les métiers, car cette division engendrerait des conflits, effacerait la solidarité et ne favoriserait pas l'avènement de la Volksgemeinschaft. Au système républicain, les plus conservateurs voulaient substituer une “dictature décision­naire”, tempérée par la religion et évitant, du même coup, les excès du fascisme et du bolchévisme. Les nationaux-révolutionnaires, animés par leur idéal combattant, ne suggé­raient rien de concret, puisque, pour eux, toute constitution stable était un non-sens, un provisorium que les aléas, les impondé­rables de l'histoire allaient balayer tôt ou tard.

    Vers un nouvel État ?

    Le plus souvent, cette idée d'un “nouvel État” s'exprime dans l'aspiration à un “Reich nouveau”. Après la tourmente de 1919/18 et celle de la révolution spartakiste, cette spé­culation, à accents messianiques, va aboutir sur le terrain politique, non sans avoir, avec Stefan George, opéré un détour par le mon­de enchanteur de la poésie. Dans les rangs de la Deutsche Freischar, pétrie d'idéalis­me philosophique, le Reich est un idéal qu'on essaie d'atteindre mais qui ne sera ja­mais de “ce” monde… Pour les groupements “jeunes-conservateurs”, placés sous le patro­nage du vieil Amiral von Trotha, le Reich idéal acquiert des contours plus concrets : ceux de la Mitteleuropa des projets fomen­tés au cours de la Première Guerre mondia­le. Ce Reich serait la puissance hégémoni­que en Europe, entre la Mer du Nord et la Mer Noire. Il réaliserait la synthèse entre d'une part, ce mélange de lourdeur et de mysticisme enflammé des Russes et, d'autre part, la sécheresse rationaliste et stérilisan­te de l'Occident anglo-français. Les natio­naux-révolutionnaires se moqueront de ces spéculations aux relents mystiques, réaction­naires et étroitement nationalistes, souligne U. Treziak. Enregistrant les leçons de Spengler et d'Ernst Jünger, ces jeunes gens savent confusément que l'idée de Reich alle­mand est morte et que s'ouvre l'ère des “grands espaces”, organisés selon des princi­pes nouveaux, calqués sur les impératifs de la “Technique”. Eberhard Köbel, dit “tusk”, chef de la “dj.1.11” (Deutsche Jungenschaft 1. November), voulait faire table rase des idées du passé, des spéculations oiseuses sur le Volk, la Heimat ou le Reich, pour consacrer les forces de la jeunesse à forger un ordre propagateur d'une Weltanschauung nouvelle, hyper-politisée et activiste, moder­niste et surhumaniste.

    Un tel ordre constituait, peut-être à l'insu de ses protagonistes, une synthèse entre le mysticisme des ligues traditionnelles et l'i­déal guerrier de la communauté de combat, soudée et disciplinée, que représentait le communisme soviétique en Russie et dans les cellules militantes des PC européens. Le glissement vers l'activisme pur des NR, cou­plé à l'ouverture au socialisme, idéologie ju­gée capable de structurer la Volksgemeinschaft solidaire, conduira bon nombre d'in­tellectuels des mouvements de jeunesse à s'interroger sur la valeur et la fonction du marxisme. Dès l'abord, les sentiments à l'é­gard du marxisme sont plutôt négatifs : l'idée de Volksgemeinschaft s'adresse à tous les citoyens et pas seulement à la classe ou­vrière ; de ce fait, le marxisme est une idéologie partisane qui divise la nation et l'affaiblit. Pour Paetel, idéologue social-ré­volutionnaire et national-révolutionnaire (NR), le marxisme est certes à rejeter mais, dans ce rejet, il ne faut surtout pas oublier l'urgente nécessité du combat de classe me­né par le prolétariat allemand. Le proléta­riat allemand est la partie du peuple la plus victimisée par l'ordre de Versailles ; donc, le nationaliste, intellectuel qui s'est détaché des contingences de classe pour adopter une perspective “régalienne”, doit soutenir acti­vement le combat du prolétariat allemand, car un prolétariat précarisé affaiblit la na­tion tout entière.

    Admiration pour Lénine et socialisme de Plan

    soap210.jpg

    [La misère s'abat sur l'Allemagne, comme sur le reste du monde capitaliste, à la suite du krach de 1929. Cette précarité omniprésente entraîne la politisation croissante des mouvements de jeunesse. Les mouvements apolitiques, soucieux de respecter le principe de non-intervention dans le monde des adultes préconisé par la Wandervogel des origines, seront progressivement absorbés par les formations communistes ou nationales-socialistes. Ci-dessus, une soupe populaire est distribuée à des miséreux à  Berlin  en 1931]

    Si le marxisme est contesté, en tant qu'i­déologie génératrice de partis, le léninisme est accepté avec enthousiasme parce qu'il substitue au slogan “Prolétaires de tous les pays, unissez-vous”, la parole “Prolétaires et Peuples opprimés de tous les pays, unissez­-vous”. Lénine, ce « gaillard » de grande enver­gure, comme le décrivait une brochure NR, avait forgé un instrument de libération des peuples opprimés ; et le peuple allemand, à cause de Versailles, était un peuple cruelle­ment opprimé par le capitalisme internatio­nal.

    Vu la complexité de la société allemande, offrant aux regards une diversité plus cha­toyante que la société russe pré-révolution­naire où dominait lourdement l'élément pay­san, le modèle bolchévique se révèle inadé­quat. C'est pourquoi, dans les ligues et mou­vements, germe l'idée d'une “Économie de Plan”. Cette économie n'abolit pas la pro­priété privée des moyens de production mais limite et canalise le pouvoir d'utilisation de ces moyens au bénéfice de la collectivité. L'État devient ainsi l'avocat permanent des démunis. L'économie de Plan vise à maximi­ser les virtualités créatrices du peuple et à promouvoir une souveraineté nationale en matière économique.

    Dans cet univers juvénile et militant, le na­tionalisme subit une mutation : il n'est plus adhésion passive et apolitique à la nation mais devient une “milice intérieure” qui mo­bilise en permanence la totalité de la per­sonne. Ernst Jünger écrira toutefois que le nationalisme des NR n'est en rien construc­tif ; il vise essentiellement à détruire l'ordre établi de Weimar, à rejeter avec passion tout ce qui est occidental. C'est sa dimen­sion “anarchique”, que nous devons bien ju­ger telle, vu l'absence de projets concrets et réalisables dans la littérature NR de l'é­poque, malgré les suggestions séduisantes qu'elle recelait.

    Pourquoi relire aujourd'hui les écrits bündisch ?

    Et c'est dans ce hiatus entre la richesse théorique des illuminations séduisantes et la faiblesse du discours pratique, que doit se nicher toute critique contemporaine du dis­cours NR et bündisch. U. Treziak re­prend à son compte les critiques rationalis­tes actuelles de RFA, qui mettent en exer­gue, pour les réfuter, l'irrationalisme et le propagandisme des textes NR. Mais elle ne tombe pas trop dans les excès des zélotes qui affirment, péremptoires, la filiation di­recte entre idéologie bündisch et hitlérisme. Avec A. Klönne, elle constate la parenté lexicologique, tout en admettant que d'au­tres possibles auraient pu naître de l'idéal de la Volksgemeinschaft, comme une so­cial-démocratie planiste, un communisme à discours plus “organicisant”, etc. Ces possi­bles ne se sont toutefois pas concrétisés et U. Treziak, A. Klönne et les autres analystes critiques ont beau jeu, aujourd'hui, de tergiverser en disant que, malgré les nu­ances qu'il faut apporter, malgré le refus de l'ordre nazi par bon nombre de chefs bün­disch après 1933, la parenté de vocabulaire suscite la suspicion a posteriori.

    Le passé étant ce qu'il est, la participation d'écrivains aussi essentiels que les frères Jünger, Ernst von Salomon, etc., à l'aven­ture et à la littérature NR, la diversité des engagements des figures de proue NR de 1933 à 1945, n'autorise aucune simplification ni aucun jugement moralisateur de la part de nos contemporains, vivant dans un tout autre contexte. Paetel a participé à la guer­re d'Espagne du côté républicain, Harro Schulze-Boysen a travaillé pour l'Orchestre Rouge — ce qui lui a valu la potence — Nie­kisch a croupi dans un camp d'internement, le dessinateur A. Paul Weber a purgé quel­ques mois de prison avant de mettre sa ver­ve anti-britannique au service de Goebbels, Ernst Jünger a choisi une espèce d'émigra­tion intérieure, Köbel/tusk a pérégriné de Stockholm à Londres, étapes d'un exil sans relief, Ernst von Salomon s'est retiré dans sa tour d'ivoire pour ciseler anticipativement ses moqueries inclassables, beaucoup de figu­res moins connues ont sans doute fini dans l'uniforme d'un officier de la Waffen SS ; cette vaste panoplie de destins révèle sûre­ment une chose : l'univers NR ramasse toutes les hésitations, tous les engagements exis­tentiels, toutes les motivations de notre siècle. De là, il est microcosme et intéres­santissime à étudier. Pourquoi ne pas com­parer le destin tragique et réel de ces per­sonnages avec ceux, fictifs, des romans d'A­bellio, lui-même collabo et résistant à la fois…

    ♦ Ulrike Treziak, Deutsche Jugendbewegung am Ende der Weimarer Republik : Zum Ver­hältnis von Bündischer Jugend und National­sozialismus, dipa-Verlag, Frankfurt am Main, 1986, 137 p.

    ► Luc Nannens, Vouloir n°43/44, 1987.

    • Notes :

    • (1) Cf. Arno Klönne, Zurück zur Nation ? Kontroversen zu deutschen Fragen, Diede­richs, Köln, 1984. Cf. également, A.K., “Ein­leitung”, in Michael Jovy, Jugendbewegung und Nationalsozialismus, Lit, Munster, 1989. (Cf. Vouloir n°15 et 28/29).
    • (2) Cf. Kurt Sontheimer, Antidemokratisches Denken in der Weimarer Republik : Die poli­tischen Ideen des deutschen Nationalismus zwischen 1918 und 1933, DTV (WR 4312), München, 1978.
    • (3) Cf. Arno Klönne, « Der lange Abschied vom Bürgertum ? Anmerkungen zur Geschich­te von Jugendbewegungen », in : Joachim H. Knoll & Julius H. Schoeps, Die Zwiespältige Generation : Jugend zwischen Anpassung und Protest, Burg Verlag, Sachsenheim, 1985.

    nw310.gif oelber10.jpgLes Nerother, “anarques” du mouvement de jeunesse 

    [Ci-contre : Karl et Robert Oelbermann en 1917]

    « La jeunesse allemande libre (Freideutsche Jugend) veut façonner son existence comme elle l'entend, en prenant volontairement ses responsabilités et en pleine conscience des ressorts intimes de son intériorité. Pour l'épanouissement de cette liberté intérieure, la jeunesse est prête à marcher en rangs serrés, quelles que soient les circonstances. » Mouvement de jeunesse audacieux, organisa­teur de randonnées, expéditions et voyages les plus osés, le Nerother Wandervogel, fondé par les frères Robert et Karl Oelber­mann et quelques-uns de leurs amis après la Première Guerre mondiale, fonctionnait selon les principes du “chef” (Führer) et de sa “suite” (Gefolgschaft) — distinction classique dans la sociologie implicite du socialisme propre aux mouvements de jeunesse — et selon les cri­tères de l'amitié et de la fidélité, définis depuis toujours par les mouvements d'adoles­cents, réagissant contre l'égoïsme intrinsèque des sociétés individualistes, libérales et bourgeoises. Les frères Oelbermann avaient réussi à rassembler 1.500 jeunes derrière eux. Leur Bund a incarné successivement des op­tions très diverses, souvent apolitiques.

    Le maelström de 1914

    Après la fin de leurs études, les 2 jeunes garçons avaient été entraînés dans le mael­ström de la Première Guerre mondiale ; dès 1914, comme la plupart des chefs de mouvements de jeunesse, ils se portent volontaires dans le 7ème Régiment des Hussards de Bonn et sont rapidement promus lieutenants et déco­rés pour leur bravoure au feu. Robert est gravement blessé en 1916 et c'est dans un “Lazarett”, où il restera cloué pendant 3 ans, qu'il ébauchera les grandes lignes de son futur mouvement.

    Ce Bund sera marqué par l'expérience de la guerre, que les Oelbermann seront loin d'exalter avec cet insupportable pathos du nationalisme chauvin de la bourgeoisie exal­tée mais non combattante. Les tranchées, affirment ces lieutenants de l'armée impé­riale hautement décorés, ont bestialisé les jeunes volontaires ; elles ont perverti leur sens de l'idéal, du sublime que leur avait lé­gué le philosophe esthétisant Julius Lang­behn. Mais malgré ce jugement sévère, porté à l'encontre d'une guerre qu'il fallait néan­moins faire jusqu'au bout par devoir, Robert Oelbermann refuse toute forme de “démo­cratisation” politicienne et irénique. Le Wandervogel doit être une école de chefs, de meneurs de “suites”, qui incarnent un idéal sublime, auquel on obéit sans condi­tion, précisément pour éviter des déraille­ments horribles comme celui que fut la Grande Guerre. Sans cette obéissance spon­tanée, librement acceptée, la masse ne sau­rait devenir peuple (Volk). Les ressortis­sants de la masse, de toute masse, ne sont que des bourgeois sans dimension verticale, tandis que les ressortissants d'un Volk sont des “chevaliers” qui aident fidèlement leurs chefs à réaliser une dimension plus sublime, plus haute, plus élevée, qui gît en germe au fond de leurs âmes.

    Une optique chevaleresque

    bundes10.gifDans cette optique chevaleresque, les frères Oelbermann fondent, dans le village de Ne­roth, en plein Eifel rhénan, un “ordre” se­cret, le Nerommenbund ou les “Chevaliers Rouges”, ordre qui demeure ancré au sein du vieux Wandervogel, ébranlé par la guerre et la révolution. Plus tard, cet ordre élitaire prendra le nom de Nerother Wandervogel, du nom du village où il avait été secrète­ment fondé.

    D'emblée, les frères Oelbermann assignent au groupe la mission d'organiser des randon­nées de grande envergure, afin de mettre fin aux bavardages stériles des discutailleurs qui infestaient et investissaient le mouve­ment de jeunesse. “Mobilité” et “action con­crète” deviennent aussitôt les leitmotive du Bund des frères Oelbermann. Comme ail­leurs en Allemagne, l'idée d'un ordre va au­tomatiquement de pair avec la possession d'un château. Les Nerother se mettront en quête de la bâtisse idéale qui symboliserait leur “ordre”.

    Dès la découverte de ce château, les Nero­ther se définiront eux-mêmes comme un groupement favorisant la création de com­munautés de paysans et d'artisans. Ces com­munautés devaient, selon les statuts du mou­vement, demeurer neutres vis-à-vis des que­relles politiques & confessionnelles qui divi­saient le peuple allemand. Mieux : en rédi­geant ses “sagesses” (Weistümer) et ses sta­tuts, Oelbermann mettait fin à la subdivision traditionnelle en groupes régionaux des mou­vements de jeunesse. L'appartenance régio­nale importait peu, seul importait l'idéal commun. Cette décision n'impliquait nulle­ment une centralisation puisque Oelbermann supprimait les cadres géographiques rigides tout en tolérant la formation de groupes d'amis autour de jeunes chefs dynamiques. Dans une même région, plusieurs groupes pouvaient ainsi coexister parallèlement, selon l'amitié qui liait leurs adhérents et selon les compatibilités d'humeur. À l'arrière-plan, selon les vœux d'Oelber­mann, la direction du mouvement pratiquait une sélection rigoureuse des membres d'éli­te, qui étaient censés devenir le noyau dur de la génération montante.

    wander13.jpgExpéditions de grande envergure ; formation d'une aristocratie juvénile

    [Un groupe de Wandervögel en randonnée. Les Nerother des frères Oelbermann donneront un sens très vaste à la randonnée. Des groupes sélectionnés participeront à un tour du monde. Oelbermann séjournera aux Indes, puis organisera des « safari-films » en Afrique australe. L'image de marque principale des Nerother, c'était l'organisation de séances de cinéma, où étaient projetés les films tournés lors de ces expéditions lointaines. Ces séances attiraient des foules innombrables, à une époque où la télévision n'existait pas. L'idéal chevaleresque, imaginé par Oelbermann, se combinait ainsi avec l'utilisation appropriée des  techniques les plus modernes]

    De 1919 à 1933, l'activité centrale des Ne­rother, c'était d'organiser des expéditions à l'étranger, auxquelles participaient quelque­fois 60 à 100 jeunes gens. L'ampleur de ces expéditions était unique au sein du mouve­ment de jeunesse de l'époque. Elles offraient aux jeunes la possibilité de connaître les normes de vie, les valeurs identitaires et la vie politique des autres peuples. Cet élargis­sement considérable des horizons, cette dé­sinstallation fructueuse, feront des Nerother une véritable élite, riche en innovations po­tentielles, qu'aucun autre mouvement n'éga­lera. Les Nerother forment dès lors une aristocratie juvénile, qui ne connaît pas les enfermements de son époque et bénéficie d'un esprit ouvert, sensible à la relativité des choses. Symbole immédiat de cette ou­verture constante : l'acquisition de nouveaux chants, venus du monde non germanique, dans le chansonnier du mouvement, pièce centrale du folklore des Wandervögel. L'inté­rêt permanent pour les choses du monde n'empêche nullement les Nerother de de­meurer des patriotes allemands ; ainsi, en 1923, en pleine occupation française, un groupe de Nerother de Coblence fait sauter une imprimerie séparatiste soutenue par l'occupant et protégée par les baïonettes sénégalaises.

    Refus de toute politisation extrémiste

    Les péripéties de la vie du mouvement tour­naient essentiellement autour du style à adopter. Face à l'opinion d'Oelbermann, qui voulait un système souple de chefs et de suites, unis par une foi commune, certains responsables des Nerother souhaitaient soit une démocratie interne, avec votes et remi­ses en question des chefs et des statuts, soit un regroupement classique par régions. Des scissions virent ainsi le jour, comme celle de l'Ordre des Amelungen. Ensuite, survint la période de politisation généralisée de la société allemande, où s'éclaircirent les rangs des Nerother ; les jeunes radicaux s'en­gagent dans les rangs communistes ou nazis ou sont séduits par l'Ordre SS. Oelbermann, personnellement, refuse tout extrémisme po­litique. En plein milieu de ce processus de dissolution, il persiste dans sa volonté de bâtir un “château de la jeunesse” (Jugendburg), renoue avec Karl Fischer, fondateur du Wandervogel des origines, invite le prix Nobel de littérature indien, Rabindranath Tagore, chantre de l'indépendance de son pays. Oelbermann revenait effectivement d'un long périple aux Indes et adhérait ainsi à la tradition allemande de soutenir l'indépendantisme indien, dans l'optique d'affaiblir l'impérialisme britannique et de promouvoir un idéal d'auto-détermination pour tous les peuples.

    En refusant la politisation, Oelbermann vou­lait maintenir l'originalité de son mouve­ment, conserver l'ouverture su monde qui l'avait caractérisé, garder la puissance di­dactique des voyages. Dans sa IVème Sages­se, il écrit : « Vivre sa jeunesse, c'est cher­cher, lutter, croître, apprendre, combattre. Les formes se manifestent sans discontinuité et nous poussent en avant. C'est là mouve­ment. Donc : le Bund ne doit jamais se lais­ser comprimer en un seul moule, car cela signifierait qu'il ne puisse plus épouser le mouvement général du monde ». Ce principe est en contradiction fondamentale avec les règlements et le style des mouvements de jeunesse politisés. Situation qui provoquera la confrontation entre Oelbermann et ses Nerother, d'une part, Baldur von Schirach et sa HJ, d'autre part.

    De l'euphorie nationaliste à la confrontation

    Avant que la Gestapo ne se mêle de la que­relle Schirach/Oelbermann et ne lance une série de mesures répressives à l'encontre des adhérents du Nerother Wandervogel, l'eupho­rie de la “révolution nationale” avait inau­guré une période de trêve entre les factions rivales du nationalisme allemand. Lors des défilés de la prise du pouvoir, le 30 janvier 1933, des éléments des Nerother marchent côte à côte avec les jeunes de la HJ. Lors de la fête commémorative en l'honneur d'Albert Leo Schlageter, fusillé par les Français en 1923, Nerother et Hitlerjungen défilent conjointement dans les rues de Düsseldorf ; il est vrai que la figure de Schla­geter était honorée avec la même ferveur par les communistes, les nationalistes de gauche et les nationaux-socialistes. Radek, animateur du Komintern en Allemagne, avait rédigé un vibrant discours posthume à la gloire de Schlageter ; il sera suivi plus tard par le philosophe Heidegger.

    Dès la Pentecôte 1933, où les Nerother or­ganisent leur dernier camp “légal”, les rela­tions entre la jeunesse officielle de Schirach et les Nerother se détériorent. Un mois plus tard, dans la nuit du 17 au 18 juin 1933, 200 SA et 50 HJ envahissent Burg Waldeck, le château des Nerother. Le charisme d'Oel­bermann permet d'éviter la bagarre généra­le. Turner, chef nazi local et ami des Nero­ther (son fils en était un), envoie un com­mando SS qui chasse manu militari les tru­blions. Cet incident montre combien la si­tuation était confuse, ce qui était typique pour l'Allemagne de 1933. Les nazis se bat­taient entre eux et leurs militants les plus obtus accusaient de « communisme » et d'« apatridisme » tous ceux qui ne s'alignaient pas strictement sur les règlements internes de la NSDAP. L'incident de Burg Waldeck provo­quera dans toute l'Allemagne des bagarres entre HJ et Nerother. Pour éviter le pire, Oelbermann prend la sage résolution de dis­soudre son mouvement le 22 juin 1933 et in­vite sa suite à pratiquer de l'entrisme dans la HJ et d'y imposer l'idéal dé liberté et d'ouverture-au-monde des Nerother. Les chefs les plus âgés estiment que cet entris­me est impossible et que la discipline politi­que et militariste de la HJ empêche tout déploiement culturel original. L'un d'eux, Wolf Kaiser, fonde un Ordre des Pachanten en octobre 1933, qui survivra dans l'illéga­lité.

    Une lente disparition…

    Les Sarrois, vivant sous protectorat français, gardent leurs unités de Nerother telles quel­les mais celles-ci sont amenées à militer dans la NSDAP clandestine, seul parti crédi­ble dans la lutte contre l'occupant. Certains Nerother de la Ruhr (Krefeld et Düsseldorf) passent, eux, au parti communiste. Le ton montera sans cesse entre les jeunes des 2 mouvements : les Nerother fascinent les HJ par leurs récits de voyage, critiquent la discipline scolaire contraire aux principes du Wandervogel des origines et obtiennent un certain succès. Les autorités du mouvement de Schirach perçoivent jalousement le dan­ger. Les accusations, souvent gratuites, fu­sent contre les Nerother : marginalité, indis­cipline, mendicité, homosexualité.

    La carte de visite des Nerother, celle qui leur permettait de trouver toujours des por­tes ouvertes en Allemagne, c'était leur art d'organiser des séances cinématographiques, en projetant les films tournés lors de leurs expéditions. Ainsi, tandis qu'un Nerother purgeait une lourde peine de prison pour “subversion”, ses films étaient primés d'une médaille d'or à Berlin et d'une médaille d'argent à Budapest ! Les HJ organisaient dés chahuts monstres lors de ces séances. Karl Oelbermann part en expédition en Afrique en 1937 ; son frère Robert reste en Allema­gne, est arrêté et termine sa vie prisonnier à Dachau en 1941. Karl est interné en Afri­que du Sud en 1939 par les autorités bri­tanniques en tant que sujet allemand ; il y restera jusqu'en 1950.

    Quelques unités éparses conserveront intact l'esprit des Nerother jusqu'en 1945. La tra­gédie des Nerother, ce fut d'avoir été un mouvement strictement culturel, refusant les engagements politiques trop simplistes ; et d'avoir voulu vivre et s'épanouir au-delà des clivages politiciens qui divisaient les sociétés européennes. L'intérêt de l'étude de Krolle est purement historique. À cet intérêt histo­rique, il conviendrait de mieux mettre en évidence l'apport culturel innovateur que les Nerother ont injecté dans la société alle­mande de leur temps. Cette innovation transcende les engagements politiciens, sans sombrer dans un de ces convivialismes com­merciaux dont notre après-guerre à été si friand. L'idéal chevaleresque, cette quête du beau et de l'original, cette volonté de voya­ger intelligemment en dehors des circuits touristiques, sans moyens importants, sans confort bourgeois, sont toutes attitudes juvé­niles exemplaires. Elles forment et cultivent le sens de l'initiative ; elles ont un impact didactique capital que jamais l'école, trop étriquée, machinerie trop lourde, ne pourra apporter.

    ♦ Stefan Krolle, “Bündische Umtriebe”, Die Geschichte des Nerother Wandervogels vor und unter dem NS-Staat : Ein Jugendbund zwischen Konformität und Widerstand, Lit­Verlag, Münster, 1986, 155 p.

    ► Bertrand Eeckhoudt, Vouloir n°43/44, 1987.

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    ◘ Hommage à Peter Schmitz

    Peter Schmitz était un garçon formidable, calme et doux, déterminé et sûr de son engagement. Quiétude et détermination, voilà les deux qualités que Schmitz reflétait d’emblée. Il nous avait rendu visite 2 fois lors de séminaires du comité de rédaction de Vouloir et Orientations, qui se tenaient chaque année en Flandres, avant que nous ne joignions nos efforts à ceux de la FACE, pour organiser nos universités d’été estivales. Thierry Mudry, Christiane Pigacé, nos camarades marseillais de Libération païenne et plus tard de l’équipe de Muninn, Ralf Van den Haute du magazine Europe-Nouvelles, Eric Van den Broele, Rein Staveaux, les jeunes du mouvement De Vrijbuiter, les Burschenschafter viennois, Alessandra Colla, Marco Battarra et moi-même conservons un souvenir ému de celui qui avait rendu justice au mouvement des Artamanen en leur consacrant une thèse de doctorat. C’est en son souvenir, notamment, que nous voudrions activer l’initiative Jeune d’Europe. La responsable allemande de ce projet, Beate-Sophie Grunske, rend ici à Peter Schmitz l’hommage qu’il mérite et nous reproduisons la recension qu’avait consacrée à son livre l’historien Jan Creve, créateur du mouvement de jeunesse libertaire, régionaliste et écologiste flamand De Vrijbuiter. (RS)

    Il y a un an environ, notre ami Peter Schmitz est mort inopinément dans un accident d’auto. Beaucoup d’entre nous l’avaient connu sous son nom de randonneur, “Wieland”. Dans tout le mouvement de jeunesse allemand, P. Schmitz avait acquis une popularité bien partagée grâce à son livre Die Artamanen, Landarbeit und Siedlung bündischer Jugend in Deutschland 1924-1935.

    C’est en 1985 que sa thèse sur le mouvement des Artamanen est publiée sous forme de livre. Quand Schmitz a abordé cette thématique, une véritable mutation s’est emparée de sa personne, a modifié la trajectoire de sa vie. Mais, indépendamment de cette sorte de transfiguration personnelle, sa thèse est très importante car elle constitue une contribution à l’histoire du mouvement de jeunesse allemand à équidistance entre la rigueur scientifique, la distance que celle-ci implique et l’intérêt et l’enthousiasme que cette thématique peut susciter chez le chercheur.

    Un “Folcisme” pratique

    Les Artamanen constituaient en effet un courant particulier au sein du mouvement de jeunesse allemand de l’époque de Weimar, dont la pensée et les idées motrices étaient pour une bonne part dérivées de la matrice dite völkisch (folciste). “Folciste”, cela signifiait pour une ligue comme celle des Artamanen, focalisée comme l’indique le titre du livre de Schmitz sur le travail rural et sur la colonisation de terres en friche, un phénomène typiquement urbain, dans des villes où l’on cultive justement la nostalgie de la vie à la campagne et des rythmes immuables de l’existence paysanne. Les jeunes citadins, en cette époque de crise, constataient qu’ils ne devaient plus espérer une embauche dans l’industrie ou dans le secteur tertiaire, en dépit des aptitudes professionnelles qu’ils avaient acquises ; une fraction d’entre eux a donc décidé de se consacrer entièrement à l’agriculture, non pas dans l’espoir de faire fortune, mais justement pour vivre en conformité avec leurs idéaux folcistes.

    L’intention des Artamanen était aussi nationaliste et anti-capitaliste : les associations de propriétaires terriens faisaient venir des travailleurs agricoles et saisonniers polonais dans les provinces orientales de l’Allemagne (Poméranie, Brandebourg, Silésie), ce qui donnait à ces Polonais le droit de revendiquer le sol qu’ils cultivaient. Dans leur logique folciste, les Polonais et les Artamanen disaient : le sol appartient à celui qui le cultive. Ensuite, à l’instar de tout le mouvement de jeunesse de l’époque, les Artamanen souhaitaient lancer un pont entre, d’une part, les citadins aliénés, ignorant l’essentiel que sont le travail et la production agricoles pour la vie d’une nation, et, d’autre part, les populations rurales qui conservaient tout naturellement les linéaments d’une culture paysanne germanique pluri-séculaire, des coutumes fondamentales dans le patrimoine de la nation et surtout les réflexes communautaires de la vie villageoise.

    Des communautés agricoles autonomes/span>

    Dans leur majeure partie, les travaux agricoles entrepris par les Artamanen étaient ponctuels et temporaires : ils exécutaient des tâches saisonnières de mars à décembre. À une époque où le chômage était omniprésent et où l’État n’assurait pas le minimum vital parce qu’il ne le pouvait plus, l’Artambund devenait automatiquement le lieu où la jeunesse idéaliste se retrouvait, où ces jeunes condamnés au chômage recevaient une aide en échange d’une activité productive : ils bénéficiaient d’un logement et de la nourriture et/ou d’un salaire modeste correspondant à celui des travailleurs saisonniers polonais. L’égalité de traitement entre les Artamanen, aux mobiles idéalistes, et les travailleurs polonais a conduit à des conflits avec les propriétaires terriens car ceux-ci refusaient les revendications des Artamanen qui exigeaient un minimum de partenariat social. Résultat de ce conflit : les Artamanen établissent leurs propres communautés agricoles, où ils pouvaient pleinement vivre l’idéal du “Nous” communautaire, le fameux Wir-Gefühl, typique du mouvement de jeunesse.

    Comme toutes les autres ligues de jeunesse, l’Artambund a été dissout après la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes. Ses idées sont récupérées et reprises dans le cadre du Service Rural de la Hitlerjugend. Après 1945, les Artamanen ne ressuscitent pas, car la jeunesse prend malheureusement une toute autre attitude face à des valeurs telles l’altruisme, le sens du service et de la camaraderie ; ensuite, les conditions de la vie agricole sont complètement bouleversées. Les régions où se trouvaient avant-guerre les latifundia allemandes sont sous administration polonaise.

    La thèse de Peter Schmitz

    Au début des années 80, P. Schmitz, fils d’un médecin de Duisburg dans la Ruhr, commence à s’intéresser à ce mouvement et en fait l’objet de son travail de fin d’études. C’est donc en rédigeant une thèse sur les Artamanen qu’il termine son cycle d’ingénieur agricole à la Haute École de Kassel. La rédaction de cette thèse a été pour lui un tournant important dans son existence : il a eu l’occasion, au cours de son enquête, de rencontrer d’anciens Artamanen ainsi que tous ceux qui les avaient côtoyés. P. Schmitz a pu ressentir tout l’enthousiasme qui les avait animés lors de leur engagement dans les années 20. Il reste quelque chose de cet enthousiasme dans les ligues de jeunesse actuelles, ce qui a décidé Schmitz à s’engager à son tour et à participer à cette longue aventure.

    Via un ami de son père, P. Schmitz prend connaissance du Wandervogel Deutscher Bund et, dès la fin de ses études, au milieu des années 80, il s’engage dans le mouvement de jeunesse, à un âge où la plupart des Wandervögel mettent un terme à leur vie de randonneurs, fondent une famille et amorcent une carrière professionnelle. Avec Holger Hölting, “Chancelier” de la Ligue, il co-dirige le mouvement Deutsch Wandervogel. Très vite, les 2 hommes font une excellente équipe. Schmitz préférait rester à l’arrière-plan, s’occuper des questions logistiques et des tâches de rédaction, tandis que Hölting prenait en charge la direction concrète du mouvement. Cela ne signifie pas que Schmitz restait confiné dans son bureau et que la vie du mouvement se déroulait sans lui. Schmitz, pourtant un garçon très calme, aimait les imprévus et les fantaisies qui émaillent la vie de tout mouvement de jeunesse. C’est ainsi qu’une expédition prévue pour le Sud-Tyrol n’est jamais arrivée à son lieu de destination mais… dans un camp du mouvement français Europe Jeunesse près de Lyon !

    Une forme nouvelle de colonisation communautaire ?

    Très souvent, Schmitz aiguillait les expéditions vers les camps des groupes amis à l’étranger, notamment ceux du mouvement Vrijbuiter en Flandres ou d’Europe Jeunesse en France. C’est au cours d’un de ces camps que Schmitz a rencontré l’amour, en la charmante personne d’une jeune Flamande, Anne. Au printemps 1990, le couple se marie et s’installe à proximité de Kassel, où Schmitz travaille dans le domaine de la protection du patrimoine hydrographique, pour le Land de Hesse. La vie professionnelle commençait, mais Schmitz n’abandonnait pas ses idéaux : on pense qu’il continuait à conceptualiser une forme nouvelle de colonisation communautaire, parfaitement réalisable dans les conditions actuelles. Il en avait déjà parlé dans son livre, mais trop vaguement. Schmitz, à la veille de sa mort, était devenu un ingénieur agronome expérimenté, fort d’un double savoir : il connaissait l’arrière-plan idéologique du rêve néo-paysan des ligues de jeunesse et il connaissait les paramètres scientifiques et écologiques de l’agriculture. Cependant, les projets écologiques du Land de Hesse ne lui convenaient pas. Il décida, avec la complicité d’un entrepreneur privé, de travailler dans un projet de recyclage que quelques communes voulaient lancer en guise d’alternative au système dit du “point vert”.

    Avant que P. Schmitz n’ait pu se donner entièrement à ce projet nouveau, un accident d’auto met fin à ses jours, au printemps 1995. Anne lui donne une fille quelques mois plus tard.

    Son livre sur les Artamanen est devenu un véritable manuel pour comprendre toutes les questions relatives à cette colonisation agricole intérieure, telle que l’a pratiquée le mouvement de jeunesse allemand. Voilà pourquoi Peter Schmitz restera vivant dans le souvenir de ses amis et camarades, de tous ceux qui ont le bonheur et l’honneur de le connaître. 

    ► Beate-Sophie Grunske, Nouvelles de Synergies Européennes n°19, 1996.

     

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    ◘ L'aventure des Artamanen


    artam10.gifÀ la fin du XIXe siècle, les premiers mouvements de jeunesse libres voient le jour en Allemagne. L'émergence de ces groupes correspondait bien à la mentalité “fin-de-siècle”, typique d'une urbanisation galopante avec, pour corollaire, un embourgeoisement de plus en plus accentué et de plus en plus critiqué. Les critiques à l'encontre de la société du XIXe siècle, jugée trop bourgeoise et trop matérialiste, suscitent un renouveau de la tradition des randonnées, de même qu'un intérêt de plus en plus prononcé pour la culture populaire et la vie traditionnelle à la campagne. Tout cela fournit un terreau idéal pour les auberges de jeunesse, les cercles de randonneurs, les groupes de danses populaires et les mouvements de jeunesse libres.

    Un mouvement protestataire

    Les racines du mouvement Wandervogel, le premier mouvement de jeunesse libre en Allemagne, se situent résolument dans ce vaste mouvement protestataire. Toutefois, dans la phase initiale du mouvement de jeunesse libre, on ne trouvera nulle critique fondamentale de la société. Avant toute chose, ces garçons souhaitaient fuir l'emprise étouffante de la Belle Époque et de son kitsch. Pour parvenir à leurs fins, ils s'en allaient dans le vaste monde et prônaient une existence libre, sans soucis, en osmose avec la nature. Il faudra attendre 1910 pour que l'on rompe avec ces tendances purement individualistes. Mais à partir de cette année-là, l'intérêt croît pour les danses populaires, les coutumes, les vieux lieder et les vieilles légendes, de même que pour l'histoire nationale allemande.

    Avec la rencontre sur le Hoher Meißner, les 11 et 12 octobre 1913, la protestation contre la société bourgeoise s'exprime pourla première fois en toute clarté. On disait désormais sans ambages que l'on voulait créer un “royaume de la jeunesse” (Jugendreich) sans immixtion des adultes. Ce serait pour cette raison que les dizaines de ligues présentes se sont jointes à la Freideutsche Jugend. Tous voulaient dépasser l'individualisme de la période Wandervogel. Le désir de mener une action commune devenait de plus en plus fort et on croyait, dur comme fer, en la possibilité de forger une nouvelle communauté, une communauté vivante déployant son style propre, en opposition frontale à la société de masse des adultes.

    Quand éclate la Première Guerre mondiale, ce rêve se brise en mille morceaux. Sur tous les fronts les volontaires issus du mouvement de jeunesse tombent au service d'une société qu'ils avaient méprisée. La guerre laissa ses traces aussi après Versailles dans le mouvement de jeunesse. Plusieurs ligues, dans les circonstances de l'époque, finissent par s'engager dans des mouvances politiques ou s'adonnent aux expériences les plus insolites. On ne pouvait plus parler d'unité. C'était le morcellement complet. Pourtant, certains groupes se maintiennent et des ligues plus vigoureuses voient le jour.

    Servir par le travail

    jungdo[Manifestation de membres du “Jungdo” (Jungdeutscher Orden), groupement de tendance national-révolutionnaire qui fut interdit en juin 1933]

    Parmi ces ligues, l'une des plus remarquables fut celle des Artamanen qui, par le biais du travail agricole, voulaient jeter les bases d'une nouvelle communauté. L'émergence du mouvement des Artamanen trouve son origine, au début des années 20, quand, dans les cercles nationalistes de plus en plus de voix réclament l'introduction d'une service général du travail obligatoire. Ce fut notamment le cas du Jungdeutscher Orde d'Arthur Mahraun qui était, à l'époque, l'une des organisations nationalistes les plus importantes en Allemagne. Cet “Ordre” plaidait en faveur d'un service du travail obligatoire. En même temps, on constatait que dans certains cantons de l'Est de l'Allemagne, une minorité germanique se trouvait désormais en face d'une majorité étrangère, essentiellement polonaise. Ce déséquilibre ethnique était dû principalement au fait que les gros propriétaires terriens allemands faisaient systématiquement appel à des travailleurs agricoles saisonniers d'origine polonaise.

    Ce problème existait depuis un certain temps déjà lorsqu'à la fin de l'année 1923, et au début de 1924, quelques appels sont lancés dans diverses publications. On demande aux jeunes de fonder des communautés de volontaires du travail pour reprendre les tâches habituellement dévolues aux ouvriers agricoles polonais. La constitution de ces communautés de travail était considérée comme un service volontaire au bénéfice du peuple allemand tout entier, comme un exemple par l'action et comme une possibilité d'échapper à l'urbanisation fatidique et de freiner la colonisation polonaise des terres de l'Est. C'est à la suite de ces appels que le mouvement des Artamanen se constitue. Artam signifie “gardien du pays”. Au début, le mouvement rassemblait vaille que vaille des individus issus de diverses ligues (surtout des garçons venus du Wandervogel, mais aussi des Catholiques du mouvement Quickborn, ensuite des anciens du Jungdeutscher Orde, des SA et des militants des Wehrverbände, c'est-à-dire des associations de défense des provinces de l'Est). Par la suite, il évolua pour devenir une organisation bien structurée, active dans les provinces de l'Est du Reich (surtout en Prusse orientale et centrale).

    Une nouvelle caste paysanne bien structurée

    En avril 1924, les 80 premiers Artamanen, répartis en 11 groupes différents, commencent à travailler. Au cours de cette première phase, il s'agissait surtout de refouler les travailleurs saisonniers polonais et d'accentuer la densité démographique germanique dans les zones frontalières, mais, finalement, les intentions des Artamanen allaient plus loin. Ils voulaient jeter les bases d'une nouvelle communauté populaire qui devait prendre forme d'abord dans les régions de l'Est. En revalorisant le travail agricole, la jeunesse retrouverait ainsi sa véritable destination et renouerait avec la vraie essence du peuple. En transplantant une partie de la jeunesse citadine dans les campagnes, on voulait créer une nouvelle caste paysanne, soutenue par une organisation populaire bien structurée.

    Cette volonté faisait du mouvement des Artamanen une organisation vraiment différente des autres ligues de jeunesse. Contrairement aux premières ligues, qui ne formaient que des communautés temporaires pour les fins de semaine, les Artamanen constituaient une communauté permanente s'étendant à toute l'année. Pendant la période de mars à décembre les Artamanen vivaient en petits groupes de 4 à 20 personnes regroupées sur la même exploitation agricole. Elles travaillaient ensemble et passaient ensemble leur temps libre dans des “troupes de jeu” (Spielscharen), présentes dès le début de l'aventure des Artamanen, afin d'organiser des randonnées pendant les heures chômées ou les mois d'hiver. Souvent, ils organisaient des soirées communautaires ou des discussions pour les jeunes des villages où ils séjournaient. De cette façon, les Artamanen voulaient contribuer à la revitalisation de la culture des campagnes. L'Artam-Bund — c'est ainsi que le mouvement s'appelera à partir de 1926 — noue les contacts nécessaires avec les propriétaires de grandes entreprises agricoles et avec les autorités. Il veille à ce que les contrats soient respectés et à ce que des logements décents soient disponibles, pour autant que ce n'ait pas été le cas.

    Conflits internes

    Dans le courant 1929, 2.300 Artamanen étaient actifs dans 270 grandes fermes. L'Artam-Bund était alors au sommet de son développement. Hélas, cette année-là plusieurs conflits déchirent le mouvement… Depuis 2 ans environ, on essayait, au sein du mouvement des Artamanen, de se doter d'une installation permanente dans les régions de l'Est. Pour y parvenir, le mouvement aurait dû acheter plusieurs fermes qui auraient ensuite été exploitées en communauté. Tout le monde n'était pas d'accord au sein du mouvement pour concrétiser ce projet. Un certain nombre de responsables régionaux plaidaient plutôt pour la généralisation d'un service du travail rural. Par ailleurs, les Artamanen devenus nationaux-socialistes tentaient par tous les moyens de dissoudre le mouvement dans la NSDAP. Parmi les principaux partisans de cette absorption, il y avait Heinrich Himmler, qui fut, pendant un bref moment de sa vie, un Artaman. Ces dissensus conduisirent à une rupture. L'Artam-Bund congédia plus de la moitié de ses cadres et se consacra essentiellement au travail agricole. Par ailleurs, une nouvelle ligue voit le jour, l'Artamanen-Bündische Gemeinde für Landarbeit und Siedlung qui se consacra plus spécialement aux colonisations permanentes. Outre ces deux pôles, citons le Bund der Artamanen/National-sozialistischer Freiwillige Arbeitsdienst auf dem Lande, basé dans le Mecklembourg. Ce groupe, moins nombreux que les deux autres, devait devenir le noyau dur du futur Service Rural de la Hitlerjugend.

    Exploitations communautaires

    En 1930, la Bündische Gemeinde achète sa première propriété en Prusse orientale. Dans la foulée, elle en achète d'autres. Entre 1930 et 1935, ils reprennent 158 exploitations agricoles. Parmi celles-ci, 46 étaient des installations communautaires. Les autres, après quelques années d'exploitation communautaire, ont été cédées à des Artamanen qui avaient décidé de demeurer sur place et de continuer la ferme par leurs propres moyens. On remarquera surtout que la ligue a toujours refusé de vendre des exploitations. Selon la Bündische Gemeinde, une politique de vente aurait pour conséquence immédiate que les installations iraient toujours aux seuls Artamanen qui pouvaient se le permettre financièrement. Cela aurait été en contradiction totale avec les buts du mouvement. La Bündische Gemeinde voulait donner à chaque Artaman la possibilité de commencer une exploitation agricole ou de prendre en charge la formation des nouveaux venus dans l'un des centres du mouvement. Les plus grandes exploitations communautaires de l'Artamanen-Bündische Gemeinde étaient celle de Koritten (1931) avec 150 ha et celle de Kopellow (1933) avec 582 ha.

    Au cours de l'année 1934, l'Artam-Bund a dû faire face à des problèmes financiers croissants et a fini par devoir se faire absorber par le Service Rural de la Hitlerjugend. La Bündische Gemeinde, qui avait su préserver une relative autonomie, doit affronter de plus en plus de difficultés pour obtenir des terres. C'est la conséquence de la méfiance et du scepticisme des autorités nationales-socialistes et des multiples “organisations de colons”. Une année plus tard, le dernier groupe des Artamanen doit s'aligner sur les desiderata du parti. Il comptait encore environ 700 membres.

    ► Jan Creve, Nouvelles de Synergies Européennes n°19, 1996.

    (article paru dans Dietsland-Europa n°11/1988)

    Source : Peter SCHMITZ, Die Artamanen : Landarbeit und Siedlung bündischer Jugend in Deutschland. 1924-1935, Dietrich Pfaehler Verlag, Bad Neustadt, 1985, 168 p., nombreuses illustrations.

     

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    La Jeunesse Bündisch

    BundUne définition très simple de ce qu’est la Jeunesse Bündisch pourrait tout simplement être la "nouvelle forme que prennent les mouvements de jeunesse après la Première Guerre mondiale" (depuis le début des années 20 jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Hitler où ces mouvements seront soit absorbés soit interdits). C’est une nouvelle forme dans le sens où si les Bünde sont des mouvements de jeunesse, ils vont bien au-delà de la simple association culturelle ou sportive. Et si ces dernières représentent la grande majorité à cette période, la Jeunesse Bündisch, ne comptabilisant qu’à peu près 50.000 "membres" (répartis en différents mouvements tels les Adler und Falken, la Deutsche Falkenschaft, la Schilljugend, la Freischar Schill, les Geusen, les Artamanen ou encore la Deutsche Freischar) aura inversement une influence non négligeable sur son époque, car ses idées se diffuseront bien au-delà du cercle étudiant, animant même certaines corporations.

    Si l’on s’en tient à la signification même du mot Bund, qui pourrait être traduit en français par le terme "ligue", on pourrait comparer cette jeunesse aux mouvements présents à cette époque dans d’autres pays européens. Mais le terme même der Bund (le lien) et le verbe binden (relier, lier) implique déjà une différence fondamentale entre le Bund et le groupe de jeunes plus "classique" d’inspiration scoutiste, en ce sens qu’il insiste sur le côté organique et sur la notion de communauté. Par ailleurs, la Jeunesse Bündisch est une expérience proprement allemande, et que l’on ne pouvait pas retrouver ailleurs en Europe, de par le fait qu’elle s’inspire et se nourrit de quatre idées et mouvements typiquement allemands : le concept de Prussianité, le mouvement Völkisch, les tentatives d’élaborer une religion nationale et la Révolution conservatrice.

    Des gens comme Spengler, Moeller van den Bruck, Hielscher ou encore Günther furent les principaux artisans du concept de prussianité. Concept qui se réfère, pour simplifier à l’extrême, à un "âge d’or" de l’Allemagne où les rapports entre les différentes classes sociales étaient "pacifiés" et à une Prusse représentant les notions d’unification et d’Empire. Allant plus loin ces auteurs ont théorisé une figure du prussien qui peut se définir ainsi : sens des responsabilités et du devoir envers l’État, sobriété et absence de pathos, discipline. On retrouve dans ces caractéristiques l’image de l’armée et de l’administration, deux institutions on ne peut plus prussiennes, mais ayant vocation à être "incarné" par chaque allemand. Et si la notion de droit est totalement absente, la liberté est, elle, une "valeur fondamentale" car si le prussien s’intègre dans une société, dans une communauté où il accomplit ses devoirs il n’en possède pas moins une liberté de jugement et un réel esprit critique. Et c’est vers cet "homme idéal" que va tendre la Jeunesse Bündisch, animée par le sens du service et du devoir tout en se voulant à la fois des hommes libres.

    Une autre influence majeure de cette jeunesse est le mouvement Völkisch qui s’articulait autour de la défense de la pensée et de l’héritage allemands et de l’opposition à tout ce qui est undeutsch (non-allemand), c'est-à-dire les facteurs susceptibles de nuire à l’Allemagne et à sa spécificité. Les "ennemis" prioritaires des Völkische étant les Lumières et la civilisation française et le catholicisme romain, tous deux jugés comme universalistes et donc néfaste pour l’esprit allemand. Et si dans les années 20 l’attachement à sa terre et à son pays natal était largement répandu en Allemagne, la Jeunesse Bündisch, de par ses activités et son mode de vie, aura pour mérite de les mettre en pratique et de vivre l’idéal Völkisch de manière concrète. Et les Bünde iront plus loin en opposant la culture du peuple allemand, celui qui vit sur la terre allemande, qui en vit et qui la cultive et celle de l’élite vivant dans les villes, considérée comme d’essence latine. Dans les milieux bündische, les villes industrielles étaient considérées comme détruisant cette unité du peuple allemand qu’entretenait le contact de la terre natale et produisant des générations d’hommes individualistes et sans réelles identités. À l’inverse, la communauté villageoise est présentée comme ne connaissant pas de comportements individualistes et le village est donc vu comme "l’antithèse" des grandes villes qui rompent le lien communautaire. De plus cette "vie au village" permet de transmettre et de faire perdurer le mode de vie, les coutumes, les traditions des ancêtres mais aussi, grâce à une "proportion humaine" dans les rapports, de tisser et renforcer les liens familiaux et communautaires. Pour résumer grossièrement, la campagne représente pour la Jeunesse Bündisch l’essence même de l’Allemagne tandis que la ville est l’endroit qui permet à l’étranger de s’infiltrer et de saper cette essence.

    La question religieuse est celle qui donna le plus de soucis et occasionnera le plus de débats dans cette jeunesse empreinte de protestantisme (après tout on est en Allemagne) mais refusant, comme on l’a vu plus haut, le côté universel de la religion. Alors même si l’aspect confessionnel n’est pas primordial chez les jeunes bündische, ils seront bien entendu attentif aux travaux de certains penseurs qui vers la fin du XIXe s’employèrent à "germaniser le christianisme" et notamment Paul de Lagarde, professeur de théologie et Arthur Dinter, romancier. Lagarde, jugeant la religion en pleine décadence, considérait qu’une "religion authentique" se devait d’être profondément liée à la nation. Ainsi si l’artiste ou l’intellectuel, selon Lagarde, ne sont réellement créatifs que s’ils restent en contact avec le peuple, une religion non nationale ne peut que disparaître un jour ou l’autre et Lagarde chercha donc, à travers ses études et son travail, à parvenir à une religion "pure", c'est-à-dire débarrassée du judaïsme de l’Ancien Testament, du Jésuitisme, dénoncé comme universaliste, et de la réforme luthérienne. Dinter estimait au contraire que Luther, ayant introduit la Réforme, avait ainsi détruit l’autorité du Pape en déplaçant « la décision religieuse au sein de notre propre conscience », faisant du chrétien un homme libre. Et face à l’universalisme chrétien Dinter présente la Réforme comme une révolte nationaliste, voire Völkisch. Si Lagarde n’alla pas aussi loin il mit en avant le fait que la nouvelle religion allemande aurait pour fonction de rapprocher l’individu et sa communauté car selon lui seule la religion et la tradition déterminaient une nation, et non la race, la langue, la culture ou même une volonté commune. Toujours selon Lagarde si la religion relie l’homme à Dieu, l’homme reste membre d’un peuple, d’une communauté et la liberté et l’égalité avec ses semblables n’a de valeur que devant Dieu. Insistant sur l’individualité que chacun se doit de développer Lagarde rappelle que cette liberté n’est pas celle de faire ce que l’on veut mais plutôt de devenir ce que l’on doit être. Une idée très souvent reprise par la Jeunesse Bündisch qui cherchaient à concilier la liberté individuelle et le devoir envers la communauté.

    S’inscrivant en plein dans la Révolution conservatrice les jeunes bündische en reprendront le rejet du libéralisme moderniste et individualiste et de la pensée réactionnaire qui se fige dans l’admiration du passé. Les conservateurs étant vu comme ceux qui ne veulent garder que l’essentiel et ne craignant pas les changements voire les révolutions, si cela peut permettre de sauvegarder l’essence même d’une nation. On retrouve cette notion chez Jünger lorsqu’il dit que la tradition est : « la forme de la nécessité commune aux générations ; son noyau vivant » et que ce n’est pas « quelque chose de déjà advenu, mais quelque chose qui se développe continûment dans les temps décisifs… la fusion du passé et de l’avenir dans le foyer incandescent du présent ». La Jeunesse Bündisch aura d’ailleurs à cœur, au travers de ses activités, de faire revivre cette tradition mais de manière vivante et moderne et non sclérosée.

    Après avoir survolé les principales influences de la Jeunesse Bündisch reste à voir comment elle se concevait et s’organisait dans la pratique. Le Bünd va au-delà de la simple réunion d’adhérents ayant acquitté leur cotisation et suivant un règlement puisque dès son apparition et ne serait-ce que par la signification même du terme (voir au début de l’article) il eut vocation à être une véritable "communauté organique" avec ses règles propres. Ainsi selon ses membres « le Bund naît par une commune expérience, une commune nécessité et dirigée vers un même but de ceux qui sont une volonté liée ». Il s’agit donc d’une jeunesse n’aspirant qu’à vivre en collectivité, une collectivité où l’individu doit se transformer comme le fait remarquer Schöps : « le contenu de la nouvelle liberté ne réside plus dans la dissolution de tous les liens traditionnels, ni dans le rejet de toute autorité, mais dans le lien volontaire, sans hésitation… »

    Ce phénomène d’intégration on le retrouve en fait dans deux expériences allemandes majeures : l’expérience du front (nous sommes en effet au lendemain de la Première Guerre mondiale) et celle des Wandervögel, mouvements de jeunesse où l’on retrouvait la plupart des futurs chefs bündische. Ces mouvements se définissaient principalement par un rejet de l’esprit bourgeois, des grandes villes et un désir de retour à la nature par le biais de veillées, de raids et de camps. Mais si cette expérience permettait aux membres des Wandevögel de se forger une personnalité sans être réellement dépendant du groupe, les Bündische, eux, insistent justement sur l’aspect "groupe" de cette expérience.

    À travers la guerre et l’expérience du front, c’est l’image même du soldat qui va fasciner et inspirer la Jeunesse Bündisch. Le soldat, la vie militaire, la guerre impliquant intégration et subordination mais aussi la "soumission de tous vers un but unique". Et c’est cet ensemble, basé sur l’intégration à une communauté face aux comportements individualistes, qui va différencier cette jeunesse des autres mouvements. Lutze écrit d’ailleurs à cette époque : » tandis que la jeunesse libre allemande donnait à l’individualité plus de place, la Jeunesse Bündisch devient plus fortement collective. Toujours plus contraignant et exigeant apparaît le tout par rapport au particulier. Il exige toujours davantage son intégration et sa subordination ».

    Et l’on arrive ici à un paradoxe fondamental de cette jeunesse qui base l’existence de sa communauté sur la libre acceptation de la discipline et de l’autorité tout en mettant en avant le rôle de l’individu. C’est pourquoi les Bündische insistent sur la différence entre les individus, sur les bons et les mauvais individus et Spengler l’énonce parfaitement lorsqu’il déclare que: « Prussienne est la soumission par la volonté libre. Celui qui n’a pas de moi à sacrifier de devrait pas parler de la loyauté. Il ne fait que courir derrière celui à qui il a remis la responsabilité ». Ainsi que Hoffman : « la relation communauté et individu n’est pas pensée telle que la personnalité doive être dissous et qu’elle soit seulement à entendre à partir de la communauté. Au contraire l’individu même s’il est le produit et reste dépendant de la communauté, a en tant que personnalité à s’épanouir ». Le chef du Bund, qui d’ailleurs ne tire sa fonction que du libre consentement de chacun devenant ainsi le "premier parmi les égaux", est donc invité à rechercher et à encourager les personnalités plutôt que la soumission bête et aveugle à l’autorité et c’est cette différence qui doit apporter toute sa force à la communauté.

    Ce qui marque encore plus nettement le fossé qui sépare la Jeunesse Bündisch du reste de la jeunesse est le fait que l’objectif final du Bund était de former l’élite qui dirigera un jour l’Allemagne et les termes d’élite et d’aristocratie reviennent d’ailleurs régulièrement dans les publications bündische qui opposent leur mode vie a celui de la bourgeoisie et des masses habitant les grandes villes. Pour Paetel : » le Bund tendait à l’éducation d’une minorité spirituelle militante qui, choisie selon des mesures aristocratiques, est persuadée qu’un jour le moment viendra où les lois de sa vie, peut-être sous une forme différente, devront être universellement valables pour leur environnement ». Les origines sociologiques des membres sont d’ailleurs assez significatifs puisque l’on rencontre dans ces mouvements une écrasante majorité d’étudiants issus de la bourgeoisie d’Allemagne du Nord et de l’Est, poursuivant dans le Bund l’idée d’être une minorité appelée un jour à exercer le pouvoir.

    Concernant l’entrée dans un Bund, si elle était un choix librement consenti, l’acceptation du candidat était soumis à une période plus ou moins longue durant laquelle il devait apporter la preuve qu’il acceptait et supportait les "règles de vie" bündisch. Le candidat devait en outre posséder à la fois des capacités intellectuelles et physiques car l’accent était surtout mis sur les notions de courage, de force et d’endurance comme le rappelle cette "devise" : » la Jungenschaft méprise le confort et le conformisme bourgeois repu… la Jungenschaft a une joie au froid, à la dureté, au vent et à la pluie, à l’inconfort, à la faim et à l’effort ». Ces épreuves difficiles, vécues en groupe, permettaient de renforcer les liens affectifs et organiques contre l’individualisme rationaliste mais aussi d’être l’apprentissage d’un engagement futur envers la nation.

    Outre cette volonté d’éduquer et de sélectionner la Jeunesse Bündisch avait aussi vocation à retrouver et à intégrer le peuple allemand. L’un des moyens mis en œuvre fut de retrouver et de remettre au goût du jour les racines populaires allemandes par le biais des chansons et danses, du théâtre profane… L’autre activité majeure des Bünde était la randonnée et le raid, qui en plus d’endurcir moralement et physiquement, « consiste plutôt dans la connaissance du pays et des gens à travers une prise de contact personnelle avec toutes les couches du peuple, à reconnaître l’essence de cette nation » (Freischar Schill). Et de là découlait également un intérêt particulier pour la nature et sa préservation car selon les Bündische, le peuple et son environnement ne peut être dissocié.

    Le dernier aspect de cette volonté de retrouver la spécificité allemande est ce que l’on a nommé le "combat pour les frontières" que la Jeunesse Bündisch menait par le biais de grandes marches effectuées en dehors des frontières tracées par le traité de Versailles et sur des territoires où résidaient des populations germaniques. Ce combat prit aussi un aspect plus économique au travers du travail volontaire ; concrètement il s’agissait de camps d’été pour les jeunes allemands, situés dans des propriétés paysannes de l’est du pays. Les objectifs étaient multiples : endurcir les jeunes allemands, éviter le recours aux travailleurs immigrés et entretenir l’idée pangermaniste d’expansion vers l’Est.

    Pour conclure, je veux juste préciser que j’ai écrit cet article en m’inspirant largement de l’excellent ouvrage d’Alain Thiémé, La Jeunesse Bündisch en Allemagne. Dans ce livre vous trouverez en plus d’un travail beaucoup plus détaillé et beaucoup plus riche sur la Jeunesse Bündisch, de nombreuses indications sur les mouvements NR et NB ainsi que sur le journal Die Kommenden, qui fut en quelque sorte l’organe de presse "officiel" de la Jeunesse Bündisch.

    ► Siméon Deplancke, 2006. [référence manquante]

     

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    Rückkehr

    Die Artamanenbewegung als Beispiel alternativer Lebensgestaltung

     

    WandervogelWer träumt nicht davon, wieder Herr auf eigener Scholle zu sein und anstelle eines „jobs“ in der Dienstleistungsgesellschaft seiner Berufung nach einem ehrlichen Handwerk nachzugehen ? Auch das Bewußtsein, sich nicht nur gesund ernähren, sondern selbst ernähren zu wollen, aus eigener Ernte, steigt. Wenn auch noch unmerklich, so schwindet doch die Identifikation lebensbewußter Menschen mit dem entwertenden Begriff Verbraucher. Alle sind heute nur noch Verbraucher, Verbraucher zunehmend nebulös produzierter Erzeugnisse. Lebensmittel sind zum anonymen Verbrauchsgut anonymer Verbraucher verkommen, denn es ist schwer geworden zu beurteilen, was wir essen und woher es kommt. Die Unkontrollierbarkeit des globalen Warenverschleppungssystems wird immer Lebensmittelskandale provozieren, insofern sie überhaupt öffentlich werden. Für diejenigen, die dies als befremdend und als eine nicht unumstößliche Gegebenheit empfinden, ist der eigene Garten je nach Größe längst zu einer partiellen Alternative geworden. Wer dort nicht stehen bleiben will, lebt in Hofgemeinschaften in der Landwirtschaft. Dafür müssen diese Stätten aber ein Hort der Arbeit und nicht nur der gemeinsamen Freizeitgestaltung sein. Auf der Grundlage der gestaltgebenden und schöpferischen Kraft einer gemeinsamen Weltanschauung wären Gemeinschaften möglich, die es auch und gerade im Heute zu einer alternativen Lebensführung und Lebensform schaffen können, deren Leistungen über die eigene Versorgung mit Lebensmitteln hinausgehen. Es geht um den Gedanken der Siedlung.

    Siedeln, das ist weniger Romantik als vielmehr harte Arbeit und Existenzkampf. Doch es ist Arbeit für die Gemeinschaft, die dieser und der eigenen Seele Freiheit verleihen. Vor allem aber ist es die Tat um einer Sache selbst wegen, der es heute — neben dem Geschwätz stets besser Wissender, neben dem wehleidigen Beklagen — der Armut an Luxusgütern mangelt. Mag sein, daß erst echte Armut wieder den Blick für die Selbstlosigkeit und die unmittelbare Notwendigkeit zu dieser freizumachen vermag. In den Notzeiten der Weimarer Republik finden wir das Beispiel der deutschen Jugendbewegung und hier genauer der Artamanenbewegung. Denn wenn es um Jugend, Landwirtschaft und Siedlung geht, können wir diese einmalige geschichtliche Erscheinung einer aus Idealismus arbeitenden Tatgemeinschaft nicht außer Acht lassen.

    Die Abkehr vom Bürgertum 

    Die deutsche Jugendbewegung als geistig-kulturelle Erneuerungsbestrebung entwickelte sich maßgeblich im ersten Drittel des zwanzigsten Jahrhunderts und empfand sich als geistige Avantgarde der Gesellschaft. Ihre Mitstreiter sahen sich als einen Teil einer Bewegung und fanden in ihr eine tiefere und weitergehende Bindung als wir sie in heutigen Jugendorganisationen — oder besser gesagt Zusammenrottungen — antreffen. Naturerleben in ausgedehnten Fahrten abseits städtischen Lärms und moderner Zivilisation, Brauchtumspflege und starke Belebung von Volkstanz, -lied und Laienspiel standen in der Erlebniswelt der Jugendbewegten im Vordergrund, die sich gesellschaftskritisch als Jugendgemeinschaft konträr der Massengesellschaft der Erwachsenenwelt verstanden. Die in einer Vielzahl entstandenen Bünde gaben ihnen neue Bindungen, eine neue soziale Heimat außerhalb der Familie. Der Jugendbund war der selbstgeschaffene Ort der Gemeinschaft und Verbundenheit und unterschied sich strukturell völlig von den Gebundenheiten der bürgerlichen Gesellschaft. Um ihrer Haltung gerecht zu werden und zu bezeugen, daß ihre Vorstellungen auch Gestaltungskraft besaßen, genügte sich die Jugendbewegung nicht mit einer Protesthaltung und mahnenden Zeigefingern. Aus dem Strom der sich vom Bürgertum Abgewandten sollten Schaffende werden. Die Durchführung von Bildungs- und Arbeitslagern, die Gründung eigener Landheime und schließlich eigener Siedlungen charakterisierte das nach innen gerichtete soziale Anliegen der Bünde. Erste Siedlungsunternehmungen, die aus der Ideenwelt der Jugendbewegung heraus geboren waren, sind schon mit der Jahrhundertwende zum zwanzigsten Jahrhundert mit der „Vegetarischen Obstbaukolonie Eden“ in Oranienburg oder der Siedlung Klingenberg zu benennen. 

    Die Republik der Nachkriegszeit des ersten Weltkrieges verstrickte sich in außen- und innenpolitische Verwirrungen, die Bürgerkrieg, brennende Grenzen, anhaltende Inflation und Hunger hervorbrachte. Das Rettende in der alle Lebensbereiche umflutenden Gefahr aber wuchs im Gedanken der Siedlung, dessen Umsetzung in die Tat eine große Anziehungskraft in der Jugendbewegung zu entfalten vermochte. Ein mannigfaches Bild von Einrichtungen, Stätten, Siedlungen, Höfen und Klausen schaffte sich Raum aus diesem Gedanken, dem es zum Bestehen in der wirtschaftlichen Krisenzeit der Weimarer Republik jedoch noch an der gestalt- und richtungsweisenden Form einer Siedlungsbewegung mangelte. Die Isolierung von der Gesellschaft und vor allem die Isolierung untereinander führten bald schon zum Scheitern des Großteils der vorwiegend allein romantisch-idealisierten Unternehmungen.

    Die Artamanenbewegung

    Der im Dezember 1915 entstandene Greifenbund und spätere Jungdeutsche Bund hatte sich bereits die Sammlung Siedlungswilliger aus der Jugendbewegung auf die Fahne geschrieben. Dünn besiedelte Gebiete in Ostdeutschland zu beleben und in diesem Zuge die polnischen Erntehelfer zu verdrängen, sollten die Aufgaben des Bundes sein, der jedoch nach nur kurzem Bestand zerfiel, nachdem dessen Führer Ottger Gräf 1918 gefallen war. Die Zielsetzungen aber überdauerten und fanden sich 1923/24 in zwei Aufrufen zur Bildung von Artamanenschaften wieder, für die sich vor allem Bruno Tanzmann, Wilhelm Kotzde und Dr. Willibald Hentschel verantwortlich zeichneten und die heute als das Gründungsmoment der Artamanenbewegung gelten.

    Bruno Tanzmann und die völkische Bewegung in Dresden

    Ein besonderes Augenmerk soll an dieser Stelle Bruno Tanzmann gelten, ohne dabei seine geschichtliche Rolle überbetonen oder den Rang der anderen Gründungsväter der Artamanen schmälern zu wollen. Interessant sind nicht nur seine vielseitigen Verbindungen, sondern vor allem wird anschaulich, welche Impulse für die völkische Bewegung dereinst von Dresden ausgingen. 

    Nicht nur die theoretische Konzeption und Publikation allein, auch die konkrete Umsetzung der Artamanen-Idee kam dem in der Gartenstadt Hellerau eifrig schaffenden Bruno Tanzmann zu. Der im November 1878 bei Zittau geborene Tanzmann ist gelernter Landwirt. 1910 zieht es ihn in die ein Jahr zuvor von Lebensreformern gegründete Gartenstadtsiedlung Hellerau von wo aus er zunächst einen völkischen Lesering und die Wanderschriften-Zentrale gründet, die völkischen Jugendbewegten zugedacht war. Seine vorwiegend publizistische Arbeit führt ihn bald mit Ernst Emanuel Krauss alias Georg Stammler zusammen. Der Buchhändler und Schriftsteller siedelte ebenfalls in Hellerau. Wesentlich beeinflußt wurde Tanzmann von dem völkischen Literaturhistoriker Adolf Bartels aus Weimar.

    Zu Tanzmanns Bekanntenkreis zählten ferner der Mühlhäuser Verleger Erich Röth, Kurt Gerlach, Heinrich Pudor als auch der Dresdner Expressionist und Autor des allseits bekannten Romans Widukind Heinar Schilling. 1917 erscheint Tanzmanns Denkschrift zur Begründung einer deutschen Volkshochschule. Durch diese bedeutende Proklamation der völkischen Bildungsbewegung, die in seiner Wanderschriften-Zentrale erschien, gilt er bis heute als Vorkämpfer der Volkshochschul- und vor allem Bauern-Volkshochschulbewegung, aus welcher letztlich sechs Bauernhochschulen in Deutschland hervorgingen, die für völkische Jugendbewegte politisch und kulturell eine essentielle Prägung zu entwickeln vermochten. Schließlich erscheinen auch die Aufrufe zur Bildung von Artamanenschaften in der von ihm verlegten Zeitschrift Deutsche Bauernhochschule – Zeitschrift für das geistige Bauerntum und die Volkshochschulbewegung.

    Im November 1923 veröffentlichte Willibald Hentschel den Aufruf „Was soll nun aus uns werden ?“ Und so, wie ihn Hentschel formulierte, stand der Satz fragend vor den Gesichtern der Jugendbünde. So, als hätte diese Frage noch nicht den Raum im Bewußtsein der Agrarromantiker und ausgesprochenen Feinde des von Menschenhand geschaffenen Stadtmolochs eingenommen, den sie zur Überwindung der vorherrschenden Kritikhaltung gegenüber Wirtschaft und Gesellschaft hin zur eigenen Tat benötigte. Hentschels Antwort war der Aufruf an die „ehrliebende Jugend“. Er erteilte dem politischen Hader und den Barrikadenkämpfen seiner Zeit eine klare Absage und forderte die Jugend statt dessen zur Bildung von freiwilligen Werkgemeinschaften, zum Aufbau von Artamanengruppen auf : „Es kommt heute wahrlich nicht mehr auf kleines politisches Gezänk an und auf Soldatenspielerei — mögen es die anderen unter sich und gegen uns fortsetzen ! — und mögen sie sehen, wie weit sie damit kommen — wir haben anderes zu tun. Es geht jetzt auch nicht mehr um Reparationskosten und ähnliche Bagatellen. (…) Es geht um Sein oder Nichtsein, nicht um Sanktionen, sondern um die endliche Heiligung des Lebens. Abermals soll ein Heer aufgestellt werden, aber nicht gegen Frankreich oder England, sondern gegen die Hölle die uns bedroht : Raff- und Genußgier, Mammonismus und geheimes Behagen.“ Auf den riesigen Gütern des Ostens wurden in zunehmendem Ausmaß polnische Schnitterkolonnen beschäftigt, die in der Folge mehr und mehr in der Lage waren, ganze Siedlungen für Deutschland strittig und zum Gegenstand polnischer Expansionsgelüste zu machen. Auf den Gütern der preußischen Ostprovinzen, den „Einfallstoren der Fremden“, wie Hentschel sie nannte, sollten alle laufenden landwirtschaftlichen und technischen Arbeiten, die auch noch so schlecht bezahlt wurden, fortan von Artamanen übernommen werden.

    Selbiger Gedanken beseelt, warb Tanzmann zusammen mit Wilhelm Kotzde, dem Bundesführer der Adler und Falken, in einem erneuten Aufruf, gerichtet an „die gesamte völkische Jugendbewegung“, für die Artamanen-Idee. Der bereits offene Türen aufstoßende Appell hieß den sich aus den Jugend- und Wehrbünden meldenden Artamanen, eine Bewegung zu schaffen. Eine Bewegung, die aus gereiften Thesen- und Theoriepapieren unter dem drängenden Zwang der Notwendigkeiten nun mit praktischen Lösungen in die rauhe Wirklichkeit der Weimarer Verhältnisse trat. In Dresden, einem dazumal bedeutsamen Zentrum völkischer Avantgardisten und einer Heimstätte des sittlich-kulturellen Aufschwungs des Bauerntums, gingen, von Bruno Tanzmanns Verlag in Hellerau aus organisiert, die ersten Artamanenschaften zur Tat über. Nicht wenige von ihnen kamen aus den ehemaligen Grenzschutzformationen und Freikorps, die sich aus den Wirren des deutschen Nachkriegs erhoben hatten und im März 1920 unter dem Druck der Reichsregierung offiziell aufgelöst und bis 1923 endgültig entwaffnet werden mußten. Es kamen Tatmenschen, Freiwillige. Über 30.000 Artamanen soll es im Laufe des Bestehens der Bewegung gegeben haben. Die Lebensform der Artamanenbewegung wurde im Wesentlichen von den Angehörigen der Jugendbewegung bestimmt, die den Befehl ihres Gewissens vor jegliches militärische Kommando stellten. Die Verschiedenheit und Vielzahl der Bünde, aus denen sich die Artamanen zusammensetzten, schuf mit der Artamanenbewegung einen überbündischen Bund. Die Artamanen, die Hüter der Scholle, setzten sich zum Ziel : die Zurückdrängung der polnischen Wanderarbeiter und das Ausfüllen der leeren Räume der Grenzprovinzen, die Einleitung der notwendigen Umschaltung der Menschenmassen der Stadt aufs Land, Hebung der Nahrungsmittelproduktion und schließlich die Einleitung einer Siedlungsbewegung, die Schaffung eines Grenzlandbauerntums mit Hilfe besitzlosen süd- und westdeutschen Bauerntums. 

    Die Artamanenschaften und ihr Aufbauwerk im Osten

    Vielgestaltig war auch die Herkunft der Artamanen, denn unter ihnen waren Jungbauern, Arbeiter, Angestellte und Studenten bis hin zu Adelssöhnen zu finden. Ein zu damaliger Zeit neues Lebensgefühl der Überwindung von Klassenschranken entstand. Fast die Hälfte hatte einen kaufmännischen Beruf erlernt und nur jeder Fünfte war gelernter Landwirt oder Ingenieur. Die „Ferienartamanen“, also Studenten und Oberschüler, arbeiteten dem Namen nach ausschließlich während ihrer Ferienzeit und waren die einzigen Artamanen ohne eine abgeschlossene Berufsausbildung. In einer Ausgabe der Leipziger Neuesten Nachrichten vom Juli 1926 heißt es : „Unter den Artamanen finden sich Menschen im Alter von 18 bis 26 Jahren aus allen Volksschichten und Berufen. Vorwiegend sind heute — der wirtschaftlichen Lage entsprechend — Studenten, Junglehrer und Handwerker und nicht zuletzt Bauernsöhne vertreten.“ Die meisten Artamanen stammten aus der Stadt. In den einzelnen Gruppen bestand darum ein ziemlich hoher Bedarf an Artamanen mit landwirtschaftlichen Vorkenntnissen. Sie kamen aus nahezu dem gesamten deutschen Sprachraum, arbeiteten ihrer Ausrichtung nach aber verstärkt in den preußischen Provinzen, deren Güter zuvor von vielen polnischen Saisonarbeitern bewirtschaftet wurden.

    „Junge, gut veranlagte Menschen fallen der Irreführung und Verhetzung gewisser Kreise zum Opfer. In den Jahren, die zur Berufsausbildung dienen müssen, arbeiten sie im Sommerhalbjahr bei den Großgrundbesitzern und fallen im Winterhalbjahr der Verelendung anheim“, — verlästerten 1926 die Sozialdemokraten, nicht ohne Neid, jedoch mit unhaltbaren Vorwürfen, den Idealismus der Jugend, den sie offenbar nicht im Stande waren zu begreifen. Aus der Not, der von der SPD wesentlich mitzuverantwortenden Jugendarbeitslosigkeit in der Weimarer Republik, machten die Artamanen eine Tugend, nämlich nicht zuletzt die, ihren Landsleuten zu verdeutlichen, daß es unwürdig und bedenklich ist, eine notwendige, aber schwere und geringgeachtete Arbeit lieber „Gastarbeitern“ zu überlassen. 

    Ebenso wichtig waren den Artamanen das Gemeinschaftsleben und ihr kultureller Auftrag. Nach Tanzmann bildet „jede Schar eine geschlossene Gemeinschaft und stellt sich in den Dienst des ganzen Volkes. Dadurch hat die Schar die Freiheit, ihr eigenes geistiges Leben zu führen. In ihrer Freizeit kann sie der Verstädterung des Landlebens durch Volkslied, Volkstanz, Laienspiel, Leseabende, Kleidung und gute Sitte entgegenarbeiten und sich selbst ein stolzes Erobererglück verschaffen.“ Die Volksgutpflege, die die kulturelle Eigenständigkeit des ländlichen Raumes zu stärken und zu erhalten suchte, ging mit dem Gemeinschaftsleben der Artamanen einher, denn das bäuerliche Kulturgut wirkt stärker gemeinschafts- und bewußtseinsbildend als beispielsweise die Tanz- und Musikkultur von heute.

    Von Seiten des Staates erhielten die Artamanen keine Unterstützung oder Zuwendungen. Finanzielle Hilfe, insbesondere für die landwirtschaftlichen Schulungen des Bundes, brachte die 1926 gegründete Gesellschaft der Freunde der Artamanenbewegung e. V. mittels Spendengeldern. Die Schulungen fanden vorrangig im Winterhalbjahr statt, wo die Artamanen Landwirtschaftsschulen besuchten und auf Universitätsgütern eine Spezialausbildung in Ackerbau und Pflanzenzucht, Tierzucht und Landarbeitslehre absolvierten. Zwischen 1924 und 1929 entstanden insgesamt über 700 Artamanenschaften mit mehr als 6.000 Artamanen, die in der Landarbeit auf einem Gebiet verteilt schafften, das weitaus größer war als die Republik, die heute auf deutschem Boden existiert. Ihre Haupteinsatzgebiete lagen in Ostpreußen, Brandenburg, Provinz und Freistaat Sachsen und in Mecklenburg. 1928 trennte sich der zwei Jahre zuvor eingetragene Verein Bund Artam von seinen Gründungsvätern Tanzmann und Kotzde wegen Meinungsverschiedenheiten und der als zu stark empfundenen versuchten Einflußnahme auf die Geschicke des Bundes. 

    Spaltung und Auflösung

    Der Entvölkerung der östlichen Landstriche konnte mit zeitlich begrenzter Landarbeit allein freilich kein Einhalt geboten werden. Als mit der Gründung des Bund Artam der Siedlungsgedanke deutlicher in den Vordergrund treten sollte, bildeten sich in dieser Frage auch zwei Meinungen heraus, die den Bund letztendlich zur Spaltung führten. Die Bundesführung hielt es für geboten, den Bund weiter auszubauen und einen Arbeitsdienst als breite Organisation zu schaffen. Zahlreiche Artamführer aus den Einsatzgebieten sahen mit der Vermassung und Breitenöffnung des Bundes aber eine Verflachung der Artam-Idee kommen. Es sollten hingegen Gemeinschaftssiedlungen geschaffen werden, nach dem Konzept, daß überschuldete Güter zu recht günstigen Preisen vom Bund aufgekauft und nach dem gemeinsamen Aufbau an Siedlungswillige übergeben werden konnten. Als Folge der Weltwirtschaftskrise 1929 und dem damit einhergehenden Fall der Preise für landwirtschaftliche Produkte, mußte der Bund Artam 1931 den Konkurs anmelden. Es gründeten sich neu Die Artamanen – Bündische Gemeinden für Landarbeit und Siedlung und als selbständiger Bund in Mecklenburg der Bund der Artamanen. 1934 wurde nach über einjähriger Verhandlungszeit mit der HJ letzterer in den Landdienst der HJ eingegliedert. Die Bündischen Gemeinden für Landarbeit und Siedlung verdoppelten bis zum Frühjahr 1931 die Mitgliederzahl des vormaligen Bund Artam. Ende 1933 erfolgte die Rückbenennung in Bund Artam. Die Artamanen schufen sich mit dem Kauf eines alten Lehngutes das Bundesgut Koritten mit 150 ha, welches nach fünf Jahren vollends ausgebaut und mit stetig steigenden Erträgen bewirtschaftet werden konnte. Mehre hundert Artamanen wurden auf diesem Gut zu Landwirten und Siedlern ausgebildet. Bis 1935 entstanden annähernd 50 Gemeinschaftssiedlungen und über 100 Einzelbauernstellen. Weitere 50 Artamanen heirateten sich in bestehende Höfe oder Güter ein. Schließlich beugte sich auch der Bund Artam der politischen Vereinheitlichung und löste sich 1935 auf Anraten des Reichsnährstandes auf. Die Artamanen gingen teilweise im Landdienst als Gebietsreferenten oder Landdienstführer, im Reichsarbeitsdienst oder in anderen Berufen auf.

    Und heute ?

    Die einstigen Haupteinsatzgebiete in den preußischen Provinzen sind unter Fremdherrschaft gestellt, die Deutschen überwiegend vertrieben. Auf dem Gebiet der ehemaligen DDR wird noch heute die intensive Großraumlandwirtschaft betrieben, wobei nun auch im Westen die Tendenz zu Großbetrieben steigt. Landwirtschaft hat mit Bauerntum immer weniger gemein. Weltmarktpreise, Gewinnmaximierung, Ertragssteigerung, kurzum das reine Profitdenken wandelt Pflanzen und Tiere zu starrem Gold und Bauernhöfe zu Fabriken. Landtechnik-, Düngemittel- und Saatgutindustrie bejubeln in schillernden Umsatzstatistiken ihre Innovationen und heften sich gern das Verdienst des Wachstums der landwirtschaftlichen Betriebe mit intensiver Großraumlandwirtschaft an die Brust. Von Fortschritt ist die Rede, von Produktivität und Rentabilität, von weltweiter Konkurrenz und vor allem von den Milliarden Mäulern, die in den kommenden Jahrzehnten von den Industrienationen gestopft werden sollen. Der Markt der Biokraftstoffe greift mit finanzstarken Händen nach Anbauflächen für die nachwachsenden Rohstoffe. Bald schon wird es an Flächen für den Anbau von Nahrungsmitteln mangeln. Von der Resignation und der bitteren Aufgabe von Familienbetrieben, ja vom stetigen Sterben der Kleinbauern wird lediglich im Zusammenhang des anhaltenden Strukturwandels als notwendigem Umstand gesprochen. Jährlich gehen in Deutschland über 10.000 landwirtschaftliche Betriebe mit einer Nutzfläche von unter tausend Hektar an dem Prozeß des Wachsens oder Weichens zugrunde. Immer weniger Betriebe bewirtschaften immer größere Flächen. 

    Mehr als dreiviertel der landwirtschaftlichen Nutzfläche in Deutschland werden von Haupterwerbsbetrieben bewirtschaftet. Dennoch wird gut die Hälfte aller landwirtschaftlichen Betriebe im Nebenerwerb geführt, wo also die Haupteinkommensquelle außerhalb der Landwirtschaft liegt. In strukturschwachen und für die intensive Großraumlandwirtschaft ungünstigen Gebieten und Mittelgebirgslagen tragen diese Betriebe im Wesentlichen zur Pflege und Erhaltung der Kulturlandschaft bei. Sie halten die Landbewirtschaftung aufrecht und sichern die natürlichen Lebensgrundlagen.

    Nebenerwerbsbetriebe erhalten wie Haupt­erwerbsbetriebe ebenfalls finanzielle Zuschüsse und Prämien, die hier aber nur genannt werden sollen. Maßgeblich sind die Betriebsprämien aus EU-Direktzahlungen. Hinzu kommen Beihilfen für verschiedene Pflanzen sowie eine vom Bundeshaushalt finanzierte Agrardieselvergütung. In strukturschwachen Regionen gibt es eine sogenannte Ausgleichszulage. Umweltgerechte Produktionsweisen werden durch länderspezifische Programme besonders gefördert. Bei den Erträgen der landwirtschaftlichen Betriebe stellen diese Zahlungen einen bedeutenden Anteil dar. Wer sich also für den Schritt zu einer bäuerlichen Siedlung entschließt, sollte dies im Rahmen eines Nebenerwerbs verwirklichen, der von vornherein kein finanzielles Desaster bedeutet, wie gemeinhin vielleicht angenommen wird.

    Die notwendigen Fertigkeiten können in landwirtschaftlichen Lehranstalten, Fach- und Bildungszentren, in Form von Praktika auf Betrieben oder gar durch eine Ausbildung oder ein Studium erworben werden. Das Vorbild der Artamanen zeigt unter anderem aber auch, daß es möglich ist, sich diesbezüglich auf eigene Beine zu stellen und einen Austausch mit bestehenden Siedlungen zu ermöglichen. 

    Viele Bauernhöfe in Mitteldeutschland stehen längst zum Verkauf. Nicht wenige Kleinbetriebe finden innerhalb der Familie keinen Nachfolger. Abwanderung und Geburtenschwund haben dem Land zwischen Erzgebirge und Ostsee bereits das Schicksal der Entvölkerung aufgedrückt. Doch halten wir uns vor Augen, daß die scheinbare Perspektivlosigkeit und Resignation keine Gegebenheiten höherer Gewalten sind. Allein, wir brauchen ein Bewußtsein, andere Verhältnisse aus eigener Kraft schaffen zu können. Sehen wir es einmal von der anderen Seite : die Abwanderung hat Raum geschaffen! Mit einem ersten Schritt, den viele schon getan haben, gilt es zu beginnen. Doch dieser erste Schritt liegt nicht in der großen Politik, in Straßensprüchen und öffentlichen Wehklagen, in Bittstellungen nach besseren Zeiten! Er liegt in unumstößlich kleinen Gemeinschaften der bäuerlichen Siedlung in Mitteldeutschland.

    Freilich bedeutet das nicht, sich von politischen Fragen loszusagen und in einem Einsiedlerdasein zu verkriechen. Es sind nicht die Schlechtesten, die sich gegen die befremdende Zivilisation wehren und trotzig und voller Zuversicht an ihrem Traum werken, wieder eigener Herr auf eigener Scholle zu sein. Vergeblich wird es nur sein, wenn es weiterhin an einer Bewegung mangelt, die das Ganze stärkt und formt.

    ► Stephan Jurisch, Hier & Jetzt, juil. 2010.

    ♦♦♦♦♦

    ♦ Bibliographie :

    • La jeunesse bündisch en Allemagne, Alain Thiémé, Le Crève-Tabou, 2003 (rééd. ACE, 2005)

    • Recherches germaniques, hors série n°6, 2009 : Mouvements de jeunesse, jeunes en mouvement

    Les avatars du juvénilisme allemand, 1896-1945, Pierre Krebs, Presses de la Sorbonne nouvelle, 2015 [recension]

    • « La jeunesse ligueuse (Bündische Jugend) : utopie et alternative politique dans l’Allemagne de Weimar », Nicolas Le Moigne, in : Les relèves en Europe d’un après-guerre à l’autre : racines, réseaux, projets et postérités, Peter Lang, 2005.

     

     


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