• Locchi

    Giorgio-Locchi-1977Hommage à

    Giorgio Locchi (1923-1992)

    [ci-contre : en 1977]

    Giorgio Locchi est mort de la seule façon qu'il aurait jugée acceptable : de manière imprévue, presque sans avertir personne, alors qu'il voulait écrire un essai sur Martin Heidegger. Sans doute, a-t-il eu une lueur de conscience, entre le moment où la mort s'est annoncée et celui où elle l'a frappé, quelques minutes plus tard, et il a très certainement remercié les dieux de lui offrir une sortie de scène aussi soudaine, car l'idée de rester longtemps malade ou diminué le faisait immensément souffrir. À la fin du mois de juin 92, lors de son dernier séjour à Rome, il m'a parlé du mal qui l'avait frappé deux années plus tôt et qu'il avait vaincu. Il me disait que la perspective de devenir un tronc inerte le faisait frémir parce qu'avec le temps qui passe, on s'accroche plus étroitement, plus profondément, plus égoïstement à la vie. Paroles de Locchi qui ne m'ont pas surpris. Aujourd'hui, j'y repense, comme si elles avaient été un présage.

    Pour quelqu'un qui comme moi était de ses amis, ce n'est pas facile de rendre hommage à G. Locchi, de récapituler tout ce qu'il nous a légué. Je pourrais tenter de tracer un profil du journaliste, correspondant à Paris du Tempo pendant plus de 30 ans. Et de raconter une infinité d'anecdotes sur ses rapports avec Renato Angiolillo. Ou encore de souligner l'importance de tous les services qu'il a rendu à l'information en Italie : sur les événements d'Algérie, sur la naissance de l'existentialisme, sur le mai 68 parisien. Ses vues étaient portées par un anti-conformisme extraordinairement courageux et intelligent. Je voudrais aussi souligner le rôle capital qu'a joué G. Locchi dans l'évolution de la droite française, insister sur le bout de chemin qu'il a fait avec Alain de Benoist, sur la passion qu'il éprouvait à former des jeunes intellectuels, sur ses activités au sein du GRECE et sur ses contributions à la revue Nouvelle École.

    Je voudrais aussi pouvoir rassembler ici tous les éléments de la vaste mosaïque qu'était sa personnalité, rendre compte de son amour pour la musique et le cinéma, de sa maîtrise des choses physiques et scientifiques. Et je pourrais aussi raconter l'histoire de notre amitié et relater celle de son refuge parisien qui m'a été si cher, ainsi qu'à une poignée d'autres Italiens, où nous nous retrouvions pour évoquer le passé ou pour manifester notre hostilité au système ambiant. Mieux : nous y venions pour écouter Locchi qui nous évoquait Nietzsche ou Wagner, Heidegger ou la Révolution conservatrice, ses expériences en Allemagne ou les moments cruciaux de la Seconde Guerre mondiale qu'il a vécue comme acteur du “front intérieur”. Il nous parlait aussi de la “droite impossible” et d'une Europe tout aussi impossible. Et il nous faisait part de ses projets, commentait les revues auxquelles il collaborait, évoquait les articles qu'il voulait écrire et les livres qu'il voulait publier. Nous voyions peu de choses de Paris quand nous allions chez “Meister Locchi” et Saint-Cloud, où il vivait pratiquement en reclus, fut, pendant de nombreuses années, le point de rencontre de beaucoup d'entre nous.

    Le journaliste, l'ami, l'organisateur de manifestations culturelles, l'agitateur d'idées vivent et vivront toujours dans le cœur de ceux qui ont connu G. Locchi et ont été ses amis. Ses livres, ses idées, ses essais dispersés dans Nouvelle École, La Destra, L'Uomo Libero et Elementi, Tempo et ses articles du Secolo d'Italia resteront les témoignages écrits d'un engagement intellectuel et politique au sens le plus noble du terme, mais qu'il a ressenti comme le fardeau d'une défaite européenne pendant plus de 40 ans. Nous avons d'abord vu Giorgio sceptique et méfiant, puis la confiance ne lui est revenue qu'au moment où on a parlé de la réunification allemande. Ce n'est pas pour rien qu'il a voulu être à Berlin quand l'Allemagne s'est remembrée : c'était pour lui, me disait-il, un rêve qui se réalisait, un événement qui se déroulait sous ses yeux et qu'il n'avait pas imaginé voir se réaliser, même s'il n'avait jamais cessé de croire au-delà des limites qu'impose le pessimisme, attitude justifiée s'il en est.

    Les idées de Locchi étaient les idées d'une Europe qui n'existe plus : mais cette inexistence n'était pas pour lui une raison pour ne pas en défendre ou en illustrer les principes. Mais quand on lui en faisait le reproche, il rétorquait : ses idées étaient les idées de l'Europe éternelle que cette Europe conjoncturelle de notre après-guerre ne voulait pas, momentanément, reconnaître.

    Son attitude à l'égard du fascisme, par ex., était loin d'être simplement revendicative voire revencharde. G. Locchi voulait, dans le bouillonnement culturel de la parenthèse fasciste, recueillir tous les éléments qui n'étaient pas caducs. Il nous a fait part de ses réflexions à ce sujet dans son opuscule intitulé L'essenza del fascismo (Il Tridente, 1981). Il s'y réfère à la vision du monde qui fut l'inspiratrice du fascisme historique mais qui n'a nullement disparu avec la défaite de ce dernier. Cet ouvrage constitue aujourd'hui encore un prodigieux “discours de vérité”, au sens grec, qui cherche à soustraire le fascisme de toutes ces explications fragmentaires qui ont cours actuellement et à toutes les formes de démonologie générant préjugés sur préjugés. Locchi, en fait, a développé une réflexion historique propre selon un schéma philosophique cohérent, appuyé sur une option interdisciplinaire, elle-même prélude à une théorie synthétique de l'essence du fascisme.

    Dans son enquête, Locchi soutenait qu'il n'était pas possible de comprendre le fascisme si l'on ne se rendait pas compte qu'il était la première manifestation politique d'un phénomène spirituel et culturel plus vaste, dont l'origine remonte à la seconde moitié du XIXe siècle et qu'il appelait le « surhumanisme ». Les pôles de ce phénomène, qui ressemble à un énorme champ magnétique, sont Richard Wagner et Frédéric Nietzsche qui, par leurs œuvres, ont “agité” le “principe nouveau” et l'ont diffusé et dilué dans la culture européenne entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle.

    Ce principe est le “sentiment de l'homme” comme volonté de puissance et système de valeur. Dans ce sens, le principe surhumaniste, avec lequel le fascisme est en rapport “génétique/spirituel”, s'articule comme le rejet absolu du “principe égalitaire” qui lui est opposé et qui informe le monde d'aujourd'hui, toile de fond de nos circonstances.

    Locchi avançait la thèse suivante :

    « Si les mouvements fascistes ont désigné l'ennemi spirituel avant de désigner l'ennemi politique, s'ils ont dénoncé les idéologies démocratiques — libéralisme, parlementarisme, socialisme, communisme, anarcho-communisme —  c'est bien parce que dans la prospective historique instituée par le principe surhumaniste, ces idéologies s'articulent comme autant de manifestations du principe égalitaire antithétique, apparues successivement dans l'histoire mais toujours présentes ; toutes tendent, en définitive, vers le même but mais avec un degré de conscience différent ; toutes ensemble, elles sont la cause de la décadence spirituelle et matérielle de l'Europe, de “l'avilissement progressif” de l'homme européen, de la désagrégation des sociétés occidentales ».

    Reliant ces considérations à la prospective historique dans laquelle opère le fascisme, à l'unisson avec les autres fascismes européens, Locchi pose une thèse du plus haut intérêt qui contribue au “dés-occultement” du fascisme, en mettant en lumière son essence même.

    Ces thématiques, Locchi les a développées dans son ouvrage Wagner, Nietzsche e il mito sovrumanista (Akropolis, 1982 ; il s'agit partiellement d'une remise en forme de ses articles de musicologie parus en français dans Nouvelle École n°30 et 31/32). Dans sa brillante préface, Paolo Isotta précise, avec minutie, quelles sont les tendances égalitaires et quelles sont les tendances surhumanistes qui entrent en jeu et les posent comme deux conceptions du monde antithétiques et irréconciliables. C'est un livre très dense, particulièrement difficile, parfois rébarbatif dans certains de ses chapitres ; il n'empêche que lorsqu'Isotta et moi-même l'avons présenté devant un auditoire comble d'étudiants napolitains, en décembre 1982, il semblait véritablement captiver ces jeunes qui sont restés pendant deux heures rivés sur leurs sièges puis ont harcelé Locchi de questions pertinentes, qui n'avaient vraiment rien de banal. L'auteur n'en a pas paru surpris.

    americano12.pngOutre ce livre, j'ai de Locchi un autre grand souvenir : celui de son ouvrage polémique Il male americano (Lede, 1979), auquel Alain de Benoist a apporté quelques petites notes complémentaires (en français, ce texte est paru dans Nouvelle École n°27-28, sous le pseudonyme de Hans-Jürgen Nigra, également repris pour l'édition allemande). Ce texte est capital à mon sens car il démonte la mécanique du colonialisme culturel américain et nous permet de jeter un autre regard sur l'Amérique. Locchi, en revanche, n'aimait pas trop ce texte, estimant qu'il relevait davantage du combat que de la formation, qu'il était plus polémique que philosophique.

    Dans les tiroirs du bureau de G. Locchi, se trouvent de nombreux projets, des ébauches de textes, le schéma d'un livre sur Heidegger et d'un autre sur la conception du temps chez les Indo-Européens. Ils resteront certainement tels que Giorgio les a laissés parce qu'avant toutes choses, il était un perfectionniste et ne voulait rien publier sans être pleinement convaincu que cela en valait la peine.

    Il reste encore, parmi les innombrables lettres qui constituent sa correspondance, un splendide roman qui a pour héros un Italien qui combat en Allemagne une guerre désespérée pour défendre l'Europe. Je ne saurai jamais si c'est par pudeur ou par orgueil que G. Locchi a toujours refusé de le présenter à un éditeur.

    ► Gennaro Malgieri, Vouloir n°97/100, février 1993. 

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    ♦ Liste des principaux articles de Giorgio Locchi dans Nouvelle École :


    ♦ Autres écrits :

     

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    Merci, Giorgio Locchi…

    locchi10.jpg[ci-contre : G. Locchi, au XIIIe colloque du GRECE à Paris en déc. 1978]

    Août 1973. Sous le soleil torride d'une rue d'Athè­nes. C'était un voyage scolaire, organisé par l'agen­ce Fratelzon. Nos guides sont notre professeur de latin, l'Abbé Simon Hauwaert, et notre professeur de philosophie, le Frère Lucien Verbruggen. L'Abbé Hauwaert était un fanatique de l'antiquité. Sa vi­sion du monde et son anthropologie héroïque, il la puisait dans l'Illiade et l'Odyssée, dans la littéra­ture latine. Élève d'Albert Carnoy, l'indo-européanisant de l'Université de Louvain entre 1920 et 1940, il insistait pour que nous lisions les Nibelun­gen et les Mabinogion, les Vedas et l'Avesta. Impo­sant à ses élèves le Vocabulaire raisonné latin-­français de Cotton, il nous communiquait le goût des étymologies et de la comparaison linguistique. Il nous parlait d'un patrimoine commun aux peu­ples indo-européens. C'est avec ces notions, encore vagues dans nos têtes, que nous déambulions dans les salles des musées d'Athènes, sur l'Acropole, dans les ruines d'Égine ou du Cap Sounion. Dans une rue d'Athènes donc, un ami, aujourd'hui méde­cin, me signala avoir aperçu une publicité pour une revue intellectuelle française, Nouvelle École, qui venait de publier un article sur cette question des Indo-Européens, en l'occurrence il s'agissait d'un travail de Giorgio Locchi intitulé « Le mythe cosmogonique des Indo-Européens ».

    Dès notre retour à Bruxelles, nous avons remué ciel et terre pour en trouver un exemplaire. C'est l'ami médecin qui a eu la chance d'acquérir l'uni­que numéro 19 de Nouvelle École encore disponi­ble à Bruxelles. J'ai dû me contenter d'une photo­copie de cet article de G. Locchi qui a décidé de mon destin. Sans la quête de cet article, jamais je n'aurais connu Nouvelle École, a fortiori je n'y aurais jamais collaboré et je n'aurais jamais eu l'i­dée de lancer plus tard Orientations et Vouloir. Je dois donc indirectement mon destin à G. Loc­chi. Nous nous sommes abonnés à la revue, nous en avons commandé des exemplaires en librairie, notamment celui sur Montherlant (n°20) et celui sur la biologie (n°18), qui a servi de base à un au­tre ami, aujourd'hui gynécologue, pour un “travail de maturité” en biologie. Si mes souvenirs sont bons, le numéro sur Montherlant a servi à un tiers, dont j'ai perdu la trace. En 1976, en 1977 et en 1978, je n'ai fait qu'entrevoir G. Locchi, lors de colloques du GRECE, mais je me suis contenté de le saluer, n'osant pas déranger le philosophe ou­tre mesure. C'est à cette époque aussi, qu'invité par Marc. Eemans, j'ai commenté à la tribune du Centro Studi Evoliani de Bruxelles son maître­-article de Nouvelle École (n°20), intitulé « Le règne, l'empire et l'impérium ». Dans la salle, enthou­siaste, un octogénaire brillant, qui avait gardé tou­te sa fougue oratoire, tout son à-propos philosophi­que : Pierre Hubermont, un grand Wallon de ce siècle.

    En arrivant à Paris en mais 1981 pour prendre mes fonctions de secrétaire de rédaction de Nou­velle École, j'ai demandé immédiatement où était G. Locchi. On m’a répondu vaguement, « qu'il s'était retiré, qu'il n'avait plus envie de travailler, qu'il préférait désormais la télévision, qu'il était un peu paresseux ! ». J'ai appris très vite que ce dis­cours masquait une querelle dont j'ignorais les te­nants et les aboutissants et était bien sûr menson­ger, était l'expression d'une épouvantable mauvai­se foi. Quelle déception, pour moi qui imaginait pouvoir bénéficier de l'insigne honneur de travail­ler avec G. Locchi ! Celui-ci venait en effet de rompre avec l'équipe de Nouvelle École, mais tra­vaillait ferme avec ses amis italiens, publicistes et éditeurs. Il n'était donc pas “hors course”. Au bout de 9 mois, j'ai quitté Paris sans avoir vu G. Locchi.

    Je ne l'ai revu que 7 ans plus tard, lors d'un pe­tit colloque, où nous étions 3 orateurs : G. Locchi, notre aîné, le philosophe chevronné, Pierre Krebs, l'éditeur d'Elemente à Kassel en Hesse, au­jourd'hui docteur en lettres de la Sorbonne grâce à une thèse admirable sur Paul Valéry, et moi-même. Le soir, au restaurant Le Dauphin, avec Jean Ma­bire, Tahir de la Nive, André Casanova et bien d'autres, Pierre Krebs et moi, nous nous sommes retrouvés en face de Giorgio et d'Elfriede Locchi. Giorgio, que je rencontrais véritablement pour la première fois, me donnait l'impression d'une im­mense sérénité, d'une grande douceur, mais qui ca­chait une détermination inébranlable dans ses convictions, solidement étayées par un corpus phi­losophique classique de très haut niveau.

    G. Locchi avait le don de narrer des anecdo­tes, mais dès qu'il avait fini de les raconter, il les hissait aussitôt, avec une élégance surprenante, à un niveau philosophique, leur donnait une dimen­sion cosmique. Détail surprenant, nous avons par­lé, une fois n'est pas coutume, surtout à l'étranger où l'on se désintéresse totalement de ce genre de choses, du roi des Belges, Baudouin ler. G. Locchi l'avait rencontré à la fin des années 50, quand le roi était encore célibataire. Giorgio était l'envoyé du Tempo ; il faisait une enquête sur les monarchies d'Europe. Et deux ans plus tard, il “croquait” pour son quotidien romain le mariage d'Albert de Saxe-Cobourg et de Paola. Giorgio Locchi m'a dit qu'une sympathie immédiate s'est é­tablie entre lui et le roi. Qu'il a conversé longue­ment avec le souverain et croyait avoir décelé chez lui une grande tristesse, celle de ne pouvoir s'adon­ner à ses passions sportives (aviation, parachutis­me) ou à ses désirs de voyages ou d'exploration, hé­rités de son père, Léopold III.

    Après cette soirée, je n'ai plus revu G. Locchi. 1988 a été riche en événements divers. En 1990, la maladie a surpris Giorgio ; il l'a vaincue mais est sorti affaibli de l'épreuve. Le 25 octobre 1992, les Nornes ont cessé de lui tisser un destin. G. Locchi est mort d'un arrêt cardiaque en travail­lant, en combattant.

    Pour le déclic que vous avez provoqué en août 1973 sous le soleil d'Athènes, pour vos articles de Nou­velle École, Giorgio Locchi, merci !

    ► Robert Steuckers, Vouloir n°97/100, 1993. 

     

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    À Giorgio Locchi

    Il savait les sanskrits aryens de l'âme de nos peuples,
    il savait les liens qui unissent Prométhée à Siegfried,
    il connaissait les leitmotive de la mélodie continue des temps de l'histoire européenne,
    il comprenait les entrelacs mystérieux des êtres chantants de la musique et de la métaphysique,
    il connaissait les homophonies secrètes de l'esprit qu'on écrit avec du sang pur.

    Il savait que l'Ultima Thulé que nous cherchons émerge au fond de nos certitudes
    chaque fois que nous devenons un peu plus nous-mêmes
    et que le Graal n'est pas plus loin que l'âme éternelle de la race
    qui parle à notre volonté la langue de nos dieux dans chacun de nos actes.

    Il savait les Weltanschauungen supérieures
    et il possédait, parmi les plus hautes philosophies,
    celle des hommes les plus rares,
    celle des hommes authentiques :
    la philosophie qui chante le réveil le plus long à notre mémoire poursuivie.

    Dans l'anneau du destin
    son esprit en fer de lance avait gravé les runes
    qu'il avait, lui, déjà retrouvées
    dans l'honneur des légions de Rome
    et dans la fidélité à l'astre solaire
    de l'Ordre européen du XXe siècle.

    Il était l'un des rares à savoir
    que la croix hyperboréenne renaît toujours de quelque soleil,
    transformant déjà dans l'aurore
    ce qu'on croyait entrevoir à un crépuscule.

    Il savait que la roue qu'on supposait fracassée,
    à la périphérie de l'être, de l'histoire et du monde,
    a déjà rejailli dans le milieu ubique de l'être régénéré,
    de l'histoire recommencée et du monde recréé.

    Sa vie ne fait que renaître
    dans la métamorphose wagnérienne de son esprit
    qui nous chante, à nous qui restons,
    au ragnarök de cette basse époque,
    le grand midi nietszchéen et heideggerien du XXIe siècle
    que son travail et ses idées ont déjà préparé.

    Honneur à son esprit et fidélité à sa mémoire.

    Kassel, 29 octobre 1992.

    ► Pierre Krebs, Vouloir n°109/113, 1993.

     

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    Textes supplémentaires :

     

    c-rome10.jpgLe Règne, l'Empire, l'imperium

    On ne réfléchit jamais assez au fait qu'il y a deux façons de “ressentir”, de penser inconsciemment l'idée de nation, deux façons qui découlent directement de la dichotomie caractérisant l'histoire de l'Europe occidentale. Si l'on s'accorde (quitte à mieux préciser le concept par la suite) à considérer la nation comme une communauté fondée sur (et par) la langue, la civilisation et la “destinée”, on s'aperçoit immédiatement, par ex., que dans le cas de la France la nation est née de l'entreprise laborieuse d'un État (“les quarante rois…”), tandis que dans le cas de l'Allemagne ou de l'Italie, l'État a été l'aboutissement, la “traduction” en termes politiques, d'une conscience nationale qui s'était enfin éveillée. Ce qu'on pourrait appeler une “nation-cause” s'oppose ainsi à une “nation-effet”.

    Dans cet hexagone dont les Romains, par leur administration, avaient les premiers tracé les contours approximatifs, des populations fort diverses (par la race, la langue, les mœurs, la civilisation) s'étaient superposées ou se côtoyaient après la décomposition de l'Empire. À la même époque, rappelons-le, le concept de gentes se révélait insuffisant à cerner les nouvelles réalités ethno-politiques, et cédait la place peu à peu à celui de nationes.

    Chacun sait que l'une de ces “nations” de l'hexagone, la nation franque, devait par la suite réduire les autres et les assimiler, en leur imposant, parfois par la force, sa langue, sa conception du droit et sa civilisation. Ce processus d'assimilation ne s'est pas accompli sans “bavures”, et celles-ci sont encore parfaitement perceptibles dans la réalité politique “française” d'aujourd'hui. Il est évident néanmoins, que cela plaise ou non, que les anciennes “nations” non-franques, même lorsqu'il en subsiste des émanations folkloriques bien vivantes, sont actuellement privées de toute vis politica, même potentielle. Cela est tellement vrai que les groupes autonomistes ne peuvent imaginer l'autonomie de leurs ethnies dans une perspective où les États existants seraient conservés (c'est-à-dire dans l'ordre politique international actuel), et qu'ils sont obligés d'en projeter l'idée dans une perspective future, européenne (“européiste”) selon les uns, universelle (universaliste) selon les autres. Sans en avoir parfois une conscience bien nette, ils reconnaissent ainsi qu'ils ne pourraient être véritablement différenciés, c'est-à-dire séparés par rapport à la France, que dans un monde où il n'y aurait plus de France, ni d'ailleurs d'Angleterre, d'Italie, d'Allemagne, de Belgique ou de Pays-Bas (sentiment que l'on est en droit de considérer comme une preuve de bonne santé de l'instinct et de réalisme politique d'au moins une partie de ces groupes).

    des Italiens et des Allemands

    Si l'on examine maintenant le cas de l'Allemagne ou de l'Italie, on s'aperçoit que le panorama historique qui se présente à nos yeux est rigoureusement différent, qu'il se caractérise par des données antithétiques du panorama français (ou anglais, ou encore espagnol, avec des variations assez importantes cependant).

    Les rois francs avaient en quelque sorte “renversé” l'héritage politique romain. S'étant séparés de l'Empire dés 843 (signature du Traité de Verdun), ils avaient également rejeté l'idée impériale, pour se vouer à une entreprise visant à la réduction au modèle franc des réalités ethno-politiques de l'hexagone. Ce fut ce qu'on peut appeler le regnum : le pouvoir politique n'organisait plus des nations (prises en tant que telles dans l'Empire), mais des classes, certes plus ou moins issues des “nations”, mais qui allaient très rapidement l'oublier. Au delà des Vosges, au contraire, chez les Teutschen, ainsi qu'en Italie, l'idée d'imperium restait présente, ne cessait de hanter les esprits, et dominait toutes les entreprises politiques. Cette idée, il faut le dire, n'avait alors qu'un caractère parfaitement irréaliste. Le Saint-Empire romain germanique (Heiliges Römisches Reich Deutscher Nation) n'eut guère plus que l'apparence de lui-même, quoique l'idée impériale fût encore assez puissante pour imposer une “structure” identique à la destinée des peuples qui s'en réclamaient. Des nations, dérivées des anciennes nationes, se formèrent en son sein. Mais elles ne purent jamais acquérir une véritable conscience politique, car l'idée impériale héritée de Rome s'y opposait (1). De même, Dante, pour qui l'homme italien s'affirme en tant que fait de langue et de civilisation, appelle de tous ses vœux le veltro (le dux), c'est-à-dire le saint-Empereur romain, qui est un allemand. Gibelin, politiquement opposé aux Guelfes (2), Dante, qui est florentin, voit dans ses voisins pisans le vituperio delle genti (l'opprobre des gens) ! Pour lui, l'Italie n'est que « le beau pays où sonne le si ». À cette époque, il n'y a donc pas une Allemagne, une Italie, mais des Italiens et des Allemands.

    Pour qu'une conscience nationale politique italienne ou allemande naquît, il était nécessaire que “l'apparence” impériale elle-même s'évanouisse. C'est ce qui se produisit, d'une façon lente et imperceptible, sous les coups d'une Histoire toujours brutale pour qui s'obstine dans un rêve. La guerre de Trente ans, les dominations étrangères qui firent de l'Italie un champ de bataille humilié et sanglant, marquent les points culminants de ce processus. Mais cela était encore insuffisant. Il fallait aussi que disparût et s'écroulât tout ce qui, dans les faits, était lié par opposition à l'Empire : en premier lieu l'Église catholique, qui en était l'antithèse intime, et d'autre part le Règne, qui en était l'antithèse externe. Ce qui se produisit sous l'influence de la Révolution de 1789, qui fut l'aboutissement d'une évolution historique particulière à la France ; puis du Romantisme, qui réagit au contraire (en Allemagne du moins) contre la diffusion des idées révolutionnaires.

    les “quarante rois”

    Né d'une absolue négation de l'idée d'Empire, le royaume de France avait affirmé, implicitement comme dans les faits, la suprématie d'une natio sur les autres. Une aristocratie féodale d'origine germanique y jouait, au début, un rôle assez analogue à celui de la gens romaine dans la naissance de la civitas. Mais cette aristocratie, n'exprimant pas le pouvoir souverain, perdit peu à peu ses contours ethniques et sa conscience historique. Cela se passa d'une façon assez complexe. L'aristocratie franque s'était trouvée dans l'obligation d'assimiler les aristocraties des autres nationes incorporées dans l'hexagone. Or, ces aristocraties perpétuaient des tendances centrifuges opposées à l'entreprise royale de centralisation. De ce fait, les rois durent combattre la classe aristocratique, ou du moins s'opposer à certaines de ses prétentions, alors même que cette classe avait été, à l'origine, l'une des assises du pouvoir royal. Chacun sait ce qu'il en résulta. Louis XIV, ayant définitivement privé l'aristocratie de ses pouvoirs, l'ayant vidée de sa signification politique, et l'ayant transformée en classe parasitaire grâce aux séductions de cette prison dorée que fut la Cour de Versailles, la Révolution devenait inévitable. Cette Révolution fut essentiellement anti-aristocratique, avant d'être anti-monarchique, au point qu'il n'est pas exagéré de dire que les “grands ancêtres” de 1789 ne firent, en fin de compte, que pousser jusqu'à son terme un processus que les “quarante rois” avaient déjà développé durant des siècles (3).              

    Cet amalgame qu'était la nation française étant entré dans les faits, la Révolution française prit acte de ce que la classe privilégiée avait perdu, avec ses responsabilités, sa justification. On aboutit ainsi au concept de nation-État, qui allait peu à peu, au fil des guerres révolutionnaires, s'imposer à la conscience des peuples européens. Formée enfin, ou plus exactement créée par l'État (par un État), la “nation” française pouvait désormais revendiquer la propriété de cet État. Ce fut la République française.

    Face à cette nation française (et d'autant plus qu'elle était devenue conquérante, sous Napoléon), les peuples d'Europe, s'étant reconnus en tant que nations, voulurent aussi, tout naturellement, exprimer leur propre État. En Allemagne et en Italie, ce mouvement politique d'“indépendance” et d'“unification nationale” se confondit, sur le plan des idées, avec le Romantisme. Seulement, comme l'héritage historique était tout à fait différent de celui de la France, les romantiques italiens et allemands conçurent la nation, et le droit de cette nation à s'exprimer en tant qu'État, sous une forme radicalement opposée à la conception française. Il y eut certes un courant romantique (allemand et italien) qui accepta les idées françaises telles qu'elles étaient (c'est-à-dire en tant qu'elles portaient à un degré de conscience supérieur la volonté égalitaire chrétienne). Ce n'est évidemment pas de ce courant que nous traitons ici, mais bien du Romantisme plus authentiquement italien ou allemand, d'où jaillit jusqu'à la première moitié de ce siècle, la “destinée parallèle” des peuples de ces deux pays.

    la “nation” des romantiques

    La nation conçue par la Révolution française est une nation démocratique, foncièrement égalitaire et “anticlassiste”, même si son égalitarisme et son “anticlassisme” n'apparaissent que sous la forme d'un relief négatif, figurant dans la Loi (4). Au contraire, la nation des “romantiques” (nous prenons le terme dans le sens restreint spécifié plus haut) n'est par elle-même ni égalitaire ni démocratique. Du point de vue de la logique “révolutionnaire”, une nation (toute nation) est égale en droit à une autre (à toutes les autres). Mais elle ne l'est pas dans la conception romantique italienne ou allemande, le langage s'efforçant lui-même d'exprimer la différence (là où les Français parleraient de la nation, les Allemands parleront plutôt de Volk, certains auteurs italiens de popolo). C'est ainsi que Vincenzo Gioberti proclame hautement il primato degli Italiani (la primauté des Italiens), tandis que Johann Gottlieb Fichte vante l'unicité du peuple allemand, seul Volk dans un monde où ne demeurent plus que des masses (5).

    Tout cela s'explique assez facilement. Dans l'hexagone, le passage de la notion d'Empire à celle de royaume comportait déjà, dans les faits, une sorte de rétrécissement de l'horizon géographique. Le résultat obligatoire d'un tel repli sur soi était la “France seule”. Et ce repli impliquait aussi, à plus ou moins long terme, que fût reconnue l'égalité avec les autres nations, avec l'Autre tout court. Au contraire, la fidélité à la notion d'Empire devait nécessairement déboucher sur la vision d'un véritable “cosmos politique”, embrassant tous les peuples dans une organisation hiérarchique.

    Au moment où la conscience nationale des peuples fait une entrée sanglante dans l'histoire de l'Europe, Ludwig van Beethoven fait éclater l'esprit de son temps en composant cette merveilleuse IXe Symphonie, qui est l'hymne à la joie de toute une humanité dont l'histoire est devenue planétaire. Ce même Beethoven déchire la dédicace de son Héroïque lorsque Bonaparte s'efface devant Napoléon, mais, d'un autre côté, il est absolument incapable d'imaginer le chant de retrouvailles des peuples assemblés dans le nouveau cosmos, sans un coryphée pour le susciter, le conduire et l'organiser. Nous retrouvons ici, inextricablement mêlées, les “deux âmes ennemies” de la poitrine romantique…

    les Indo-Européens

    Revenons à l'idée romaine d'imperium, et à la traduction politique qui en a été donnée. Les premières sociétés indo-européennes, telles que nous pouvons les connaître par le biais des études comparatives, font apparaître un contraste assez étrange entre la sévère discipline existant au sein de la cellule socio-politique de base, qui est la “grande-famille” ou le clan, et, d'autre part, la tendance assez prononcée à une certaine anarchie pour tout ce qui touche aux rapports entre les cellules. En fait, ce contraste, qui est étroitement lié à la dynamique de l'histoire indo-européenne, ne nous apparaît tel que dans une perspective moderne. La réalité socio-politique de l'époque reculée (les débuts du néolithique) à laquelle les Indo-Européens prennent place dans l'Histoire, n'est pas autre chose en effet que celle d'un groupe restreint : le clan. Et les rapports entre les clans sont à peu près de la même nature que les rapports qui s'établiront, à d'autres époques, entre les cités ou entre les États. D'où l'impression assez illusoire d'“anarchie” que l'on peut avoir lorsque l'on considère l'unité ethnique des Indo-Européens, et que l'on cherche à savoir à quoi ressemblait leur société. Or, il n'existait pas une société indo-européenne. Les Indo-Européens ne concevaient sur le plan socio-politique aucune grande unité, pour l'excellente raison qu'ils n'avaient pas (et ne pouvaient pas avoir) conscience de ce qui, à nos yeux, faisait leur unité.

    Cette conscience, les Indo-Européens ne purent y parvenir que progressivement, lorsque, à une époque beaucoup plus tardive, ils commencèrent à sortir de leur isolement et se trouvèrent confrontés à d'autres ethnies, à d'autres civilisations. Cela ne se fit d'ailleurs pas aisément, et presque jamais complètement. Les grandes coalitions “super-tribales” qui se formèrent à l'occasion des expéditions migratoires et des premières implantations dans des pays nouveaux, au milieu de peuples différents, furent généralement de courte durée, et tendirent à se dissoudre. L'institution du pouvoir royal, qui, à l'origine, assurait uniquement l'organisation et la discipline de la horde au cours de son déplacement (le roi étant “celui qui montre la route à suivre”), n'eut au début qu'un caractère électif et provisoire. Lorsqu'elle tendit, de par sa nature propre, à se consolider et à devenir héréditaire, elle rencontra toujours la résistance des chefs de clans, une fois la conquête achevée. C'est pour cette raison que la prime Histoire des groupes indo-européens ayant émigré sous d'autres cieux se confond souvent avec la lente dégradation d'une autorité monarchique et la “ré-atomisation” du groupe. Ce fut le cas, notamment, chez les Grecs et chez les Celtes.

    Ailleurs, l'institutionnalisation de la royauté s'opéra, mais ce fut aux dépens de toute une tradition indo-européenne (tradition culturelle, mais aussi génétique). Il en fut ainsi chez les Nesos, qui perdirent leur nom pour devenir les Hittites, et chez certaines peuplades germaniques qui vinrent s'échouer sur les rives de la Méditerranée.

    en lettres capitales

    D'une façon générale, les peuples indo-européens ont parfaitement ressenti la nécessité de préserver leur originalité, tout en acceptant les conséquences de l'élargissement de l'horizon culturel et géopolitique que leur imposait le triomphe progressif de la “révolution néolithique”. Mais (si l'on s'en tient au monde antique), seuls les Romains ont réussi à opérer la synthèse entre la pérennité, la fidélité à soi-même et à ses origines, et l'acceptation pleine et entière de leur “intrication cosmique”. Cette synthèse porte un nom, gravé dans l'Histoire en lettres capitales : l'imperium.

    Disons le tout de suite : la notion d'imperium ne doit pas être confondue avec celle d'Empire, fût-il romain. Il ne fait aucun doute, en effet, que l'imperium a trouvé sa vérité et sa plus parfaite réalisation dans l'effort de construction de la Rome républicaine, plus que dans l'entreprise de maintien de l'Empire post-julien. En fait, l'imperium reflète une volonté d'ordre cosmique, et c'est cet ordre qui organise hiérarchiquement les gentes. En théorie comme en pratique, l'imperium se situe donc aux antipodes de tout “universalisme”. Il n'entend point réduire les humanités à une seule et même humanité, mais cherche au contraire à préserver les diversités dans un monde nécessairement voué à l'unification. Les Romains ne voulaient que préserver leur propre cité, leur propre jus (puisque, par tempérament, ils concevaient tout par le biais du rite et du droit). Mais chez eux, cette volonté d'authenticité impliquait logiquement la reconnaissance de l'Autre. C'est en cela que consiste leur grandeur politique, ce dont, par parenthèse, ils furent toujours parfaitement conscients. Et l'on pourrait presque affirmer que l'entreprise conquérante de Rome ne fut que la “retombée” d'une autre entreprise, purement défensive celle-là. Il ne faut pas oublier qu'après tout, le nom d'urbs vient d'une racine indo-européenne qui signifiait à l'origine “refuge protégé par les eaux”.

    l'Histoire comme destin

    Dans un monde où, du fait de la “révolution néolithique”, les peuples sortaient de leur isolement et entraient dans un ensemble complexe de relations toujours plus étroites, l'imperium romain correspondait donc à l'élargissement progressif de l'enceinte protectrice de l'urbs. Il constituait le rempart derrière lequel le civis romanus était sûr de pouvoir vivre à son rythme et selon son droit, dans la mesure, précisément, où les autres, par un système de concession logique, jouissaient de la même garantie.

    Refus organisé et agissant de tout universalisme, de toute réduction ad unum, l'imperium est cependant politique, c'est-à-dire réaliste, et non pas utopique. Il est hiérarchisé. Chacun y conserve son jus, son droit : tout peuple est libre d'administrer sa cité selon sa justice traditionnelle. Mais dans les rapports qui se lient entre individus de différentes cités, ou entre les cités elles-mêmes, le jus romain prévaut toujours sur le jus latin, qui prévaut sur tout autre. Et là où ni le jus romain ni le jus latin ne sont en cause, on applique le jus gentium, abstraction bien romaine correspondant à ce qui serait commun aux jura de tous les peuples. Au sein de l'imperium, Rome jouit donc d'une primauté absolue, laquelle s'explique tout naturellement, et en parfaite justice, par le fait que c'est elle qui a conçu et créé, qui organise et assure cet ordre au sein duquel chacun reçoit le dû qui lui est mesuré par une Histoire qui est fatum.

    Dans leur rêve d'artiste, les Grecs avaient tenté, eux aussi, de réaliser la synthèse entre la fidélité à ce qu'ils étaient et les exigences fatales de leur engagement dans un monde “élargi”… mais élargi seulement aux limites de l'hellénité. Ils s'étaient donc efforcés de “domestiquer” la guerre, en ritualisant l'agressivité naturelle au moyen d'une agonè (compétition) embrassant toutes les manifestations civiles à l'intérieur de la polis. Avec les Olympiades, ils avaient également voulu assurer, périodiquement tout au moins, un ordre pan-hellénique. Et la paix instaurée par cet ordre jaillissait, très significativement, de la mise en scène triomphale de l'agonè.

    Ce rêve hellénique, Rome l'a vécu et l'a fait vivre au monde entier. Les Romains ne “domestiquent” pas la guerre. Bien au contraire, ils l'institutionnalisent, en sachant que la guerre n'est que l'un des deux spectacles perpétuellement offerts au regard du dieu bifrons. Car la paix (la pax romana) est institutionnalisée, elle aussi. Elle n'est plus la contrepartie d'un jeu permettant de “domestiquer” la guerre, mais la contrepartie, à l'intérieur de l'imperium de l'ordre issu de la guerre, et aussi de l'acceptation du principe de guerre perpétuelle entre les peuples de l'imperium et ceux qui n'en font pas encore partie. Et puisque l'imperium représente l'ordre consacré par le fatum, bien des peuples finissent par faire appel aux Romains et quémandent leur admission dans l'Empire (quitte à chercher à s'en retirer, une fois leurs affaires arrangées : tels les Gaulois, qui en appellent à Rome contre les Germains, puis se rebellent, sans succès d'ailleurs, contre cet ordre auquel ils ont eux-mêmes eu recours).

    Regere imperio populos, Romane, memento / Parcere victis et debellare superbos : telle est la définition que ce poète gaulois que fut Virgile propose de la mission que les Romains s'étaient donnée. Définition si juste que, lorsque Rome aura disparu, les peuples d'Europe ressentiront encore la nostalgie de l'ordre romain, et tenteront vainement, par tous les moyens, de l'établir. Rome deviendra alors synonyme d'“ordre politique”, et l'on donnera le nom de César, l'imperator par excellence, aux titulaires du pouvoir souverain chargés d'assurer l'ordre.

    le dernier des Romains

    On objectera peut-être que l'imperium aboutit en fait à cet universalisme, à ce chaos ethnique qu'il entendait récuser, et, d'autre part, qu'il ne put se maintenir que durant quelques siècles, avant de se dégrader et de disparaître. Orbis fecisti quod prius urbis erat, chantait un autre poète gaulois qui s'était donné le nom de Rutilius Namatianus, et qui vivait sous Honorius. Le poète avait raison, mais on pourrait ajouter que Rome ne l'avait point voulu. Tout dans l'Histoire a sa mesure. Rien n'y est éternel, ni absolu. Il s'agit toujours de plier l'Histoire à une volonté, de chercher à lui donner une forme. Dans la journée d'Histoire qu'ils ont vécue, les Romains se sont affirmés envers et contre tous, en réalisant le seul projet d'imperium existant. Ils l'ont fait aussi longtemps qu'ils ont été là. Car l'imperium ne se dégrade véritablement que lorsqu'il n'y a plus de Romains, lorsque “Rome n'est plus dans Rome”. On ne s'aperçut peut-être pas tout de suite que les derniers descendants des gentes étaient morts sur les champs de bataille. Ou peut-être s'en aperçut-on. Mais on le cacha soigneusement. On fit semblant de croire que ceux qui, désormais, se donnaient le nom de Romains, l'étaient effectivement. Le dernier des Romains, lui, savait probablement ce qu'il en était. Il n'ignorait pas la pieuse fiction du lendemain, et sut en rire à sa façon, cruelle, souverainement méprisante et pourtant compatissante. Peut-être, lorsqu'il éleva son cheval à la dignité de sénateur ou de consul, voulait-il faire savoir subtilement que dés lors qu'il n'y avait plus de Romains authentiques, tout le monde pouvait être romain…

    ordre impérial

    Avec la révolution industrielle, l'humanité est entrée aujourd'hui dans une période de planétarisation. Nul peuple ne peut se soustraire à cette perspective planétaire, ou rêver d'un impossible isolement. Un ordre planétaire est obligatoire. Il est fatal, à plus ou moins brève échéance. La grande politique de demain ne pourra être conçue et poursuivie qu'en ayant ce qu'Ernst Jünger appelle le Weltstaat, l'État mondial, comme ressort et comme but. Les symptômes se manifestent déjà : Société des Nations, puis Nations Unies, sur le plan de l'utopie ; empire soviétique, empire américain, dans les faits. Mais tout porte à croire que les États-Unis, pas plus que la Soviétie, ne sont capables d'être la Rome de demain. Ces “blocs”, qui cherchent à organiser au mieux les moyens de puissance mis à leur disposition par la révolution technique, rappellent plutôt l'Égypte des pharaons et les théocraties successives du Croissant fertile… Il n'en reste pas moins que la planétarisation qui se fait exige un ordre cosmique. Cet ordre sera-t-il “impérial”, ou bien au contraire “républicain” (au sens français du terme), c'est-à-dire égalitariste ? Nul ne peut le dire, car l'avenir historique est libre. On peut seulement s'engager dans un sens ou dans l'autre. La solution égalitaire, aboutissant à la “République” universelle, implique la réduction ad unum de l'humanité, l'avènement d'un “type universel” et l'uniformisation. La solution “impériale”, répétons-le, est hiérarchique. Si la liberté, dans la dialectique égalitaire, n'est qu'un absolu qui s'oppose à un autre absolu (la négation de la liberté), dans la dialectique “impériale”, elle n'est qu'un relatif, directement lié à la notion de responsabilité sociale. Dans l'imperium, l'absolu est le droit du meilleur selon la vertu de l'humanité de son temps. Mais l'imperium est aussi le seul moyen de préserver les différences dans (et au travers d') une perspective planétaire, par un unicuique suum reconnaissant implicitement le fait fondamental de l'inégalité des valeurs.

    D'un strict point de vue psychologique, l'aversion que manifestent certains autonomistes (ou certains ethnistes) pour l'idée “républicaine” égalitaire, est parfaitement justifiée. Mais ceux-ci se tromperaient lourdement en s'imaginant que la substitution d'un ordre “universaliste” à l'ordre existant suffirait à régler leurs problèmes. Car la “République” conçue par les hommes de 1789 n'est pas autre chose que la préfiguration, au niveau national, d'un État mondial égalitaire, plus réducteur et niveleur encore que les Jacobins ne le furent jamais.

    ► Giorgio Locchi, Nouvelle École n°20, 1972. [version italienne]

    ◘ Notes :

    • (1) Après la chute de Rome, l'idée d'Empire se trouva prise dans une nouvelle dialectique. À l'Empire temporel s'opposait (mais en lui étant indissolublement liée) l'idée d'Empire spirituel. L'Empire temporel était saint et chrétien ; l'Empire spirituel était romain et catholique. Nous ne traiterons pas ici de cette dialectique ni de son évolution, qui sont étrangères à notre propos.

    • (2) À l'intérieur de l'Empire, les Gibelins étaient partisans de l'Empereur et de la primauté du temporel. Les Guelfes, au contraire, soutenaient le Pape et affirmaient la primauté du spirituel. « Selon la théologie gibeline, l'Empire était, autant que l'Église, une institution de caractère et d'origine surnaturels, sacrée en sa nature, tout comme le fut, dés le Moyen-Âge, la dignité quasi-sacerdotale du Roi, établie selon un rite qui ne différait que par certains détails du sacre des évêques. C'est pourquoi les Empereurs gibelins, qui incarnaient une idée supranationale universelle, ayant selon une expression caractéristique du temps, le caractère de lex animata in terris, de loi vivante sur terre, s'opposaient aux prétentions hégémonistes du clergé, car, une fois régulièrement investis dans leurs fonctions, ils entendaient n'avoir que Dieu au-dessus d'eux. Leur opposition n'était pas d'ordre seulement politique, ainsi que l'enseigne l'historiographie myope qui sert de base à l'enseignement scolaire ; elle exprimait l'antagonisme de deux dignitates qui se réclamaient l'une et l'autre du plan spirituel » (Julius Evola : Les Hommes au milieu des ruines, Sept couleurs, 1972, pp. 140-41). Par la suite, la querelle des Guelfes et des Gibelins s'est compliquée à un point extrême. Dante, par ex., était moins gibelin stricto sensu que membre d'un groupe guelfe favorable à l'Empereur (note N.E.).

    • (3) Les révolutionnaires de 1789 ne s'en prirent à Louis XVI que lorsqu'il s'avéra que celui-ci se refusait à “jouer le jeu”, et que, n'ayant rien compris à la politique de son aïeul, il se solidarisait avec l'aristocratie versaillaise, au lieu de continuer à miser sur la bourgeoisie. D'où la considération désabusée d'un Bonaparte qui, voyant passer le souverain déchu, s'exclama : Coglione !

    • (4) Dans les faits cependant, la destinée de la classe, purement économique désormais, est déjà séparée de celle de la famille et du sang. L'individu est monadisé.

    • (5) « Il est temps — va jusqu'à écrire Fichte — que sorte de l'obscurité et se découvre enfin au grand jour ce qui constitue proprement ce que nous appelons le caractère allemand. Voici le principe de la discrimination : ou bien vous croyez à un principe originel chez l'homme, à une liberté, à un perfectionnement ou à une progression illimitée de notre espèce, ou bien vous ne croyez à rien de tout cela, vous avez même le sentiment ou l'intuition du contraire. Tous ceux qui portent en eux une vie créatrice ou novatrice, ou, à supposer que pareil don leur ait été refusé, du moins répudient ce qui n'est que vanité et attendent l'instant où le torrent de la vie originelle les saisira à leur tour…, tous ceux-là font partie de l'humanité primitive, et, considérés comme peuple, constituent le Peuple primitif, le Peuple tout court, je veux dire le Peuple allemand. Tous ceux par contre qui se résignent à ne représenter qu'un produit dérivé et de seconde main, qui se font cette idée d'eux-mêmes, ceux-là sont devenus tels effectivement et il sera fait selon leur foi. Ils ne sont plus qu'une annexe de la vie. Pour eux ne jaillissent plus les sources originelles qui ont coulé avant eux et qui coulent autour d'eux. Considérés comme peuple, ils sont exclus du peuple primitif, ils sont étrangers, des hommes du dehors. La nation qui portait jusqu'à ce jour le nom d'allemande (ce qui signifie le Peuple tout court) n'a cessé de témoigner d'une activité créatrice et novatrice dans les domaines les plus divers. L'heure est enfin venue où une philosophie pénétrée de part en part par la réflexion lui présentera le miroir où elle se reconnaîtra par une connaissance lucide, et du même coup prendra nettement conscience de la mission dont elle ne portait jusqu'alors qu'un pressentiment confus, mais dont la Nature l'a investie ». Et plus loin : « Tous ceux qui croient à la réalité spirituelle, tous ceux qui croient à un éternel progrès dans la spiritualité par le moyen de la liberté, quels que soient par ailleurs leur pays d'origine et la langue qu'ils parlent, ils sont de notre race, ils font partie de notre peuple ou s'y rattacheront tôt ou tard » (Reden an die deutsche Nation, cité par Jacques Droz, éd. Le Romantisme politique en Allemagne, Armand Colin, 1963. pp. 123-24 ; d'après la trad. de Jean-Édouard Spenlé, La Pensée allemande, 1942, pp. 88-89) (note N.E.).

     

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    Réflexions archéo-futuristes inspirées par la pensée de Giorgio Locchi

    « Ils reviendront ces dieux que tu pleures toujours,
    Le temps va ramener l’ordre des anciens jours. »
    Gérard de Nerval

    16734110.jpgJ’ai eu deux inspirateurs principaux : Nietzsche et Giorgio Locchi. Le premier, je ne l’ai jamais rencontré, le second, si. Il est certain que je n’aurais pas pu, dans mes divers ouvrages, de 1980 à 1986, puis surtout depuis 1998, développer certaines vues et expliciter une certaine conception du monde, sans l’étincelle que m’a communiquée G. Locchi, à travers nos très nombreuses conversations et la lecture de ses textes concis et explosifs, dans lesquels, comme chez tout grand maître, chaque mot pèse lourd et demande un temps d’arrêt.

    La plupart des intellectuels (à l’apogée de la “nouvelle droite” franco-italienne aujourd’hui pratiquement disparue) qui fréquentaient Giorgio n’ont pas vraiment compris son discours. Ou plutôt, je pense qu’ils ne voulaient pas le comprendre. Ils ne voulaient pas franchir le Rubicon, pénétrer dans ce dangereux territoire de la dissidence absolue. Il n’y a pas que la légendaire paresse intellectuelle parisienne ou les subtils stratagèmes de l‘intelligentsia italienne qui expliquent ce fait, mais une véritable peur d’apparaître comme un délinquant intellectuel.

    Car la position posthume de Locchi est étrange. J’ai entendu nombre de ses “disciples” lui décerner de prestigieux lauriers, mais se dérobant toujours quand il s’agissait d’aborder le fond de sa pensée, trop brûlante sans doute. Un philosophe ? Un journaliste ? Un publiciste ? Un penseur ? Pas assez de tout cela. G. Locchi est un éveilleur et un dynamiteur. Je pèse mes mots : sans G. Locchi et son œuvre, qui se mesure à son intensité et non point à sa quantité, et qui reposa aussi sur un patient travail de formation orale, la véritable chaîne de défense de l’identité européenne serait probablement rompue.

    Ce bref texte de G. Locchi, d’une exceptionnelle densité conceptuelle, d’une richesse philosophique que peuvent lui envier bien des candidats au statut de “penseur”, présente l’avantage de dévoiler un des centres nerveux de ses analyses. Il parle du “fascisme” non pas comme d’une simple nébuleuse politique, mais comme d’une conception-du-monde totalisante ; non pas comme d’un phénomène circonscrit dans le passé, mais comme d’une sorte de feu allumé dans l’histoire européenne et certainement pas près de s’éteindre. Pour lui, l’essence du fascisme, son moteur intérieur, c’est le renversement historique de l’Égalitarisme au profit de ce qu’il nomme le Surhumanisme.

    Il commence par remarquer que le fascisme, militairement vaincu, a toujours été jugé d’un point de vue moral et politiquement peccamineux par ses vainqueurs, mais pratiquement jamais sous un angle historique, philosophique et spirituel, (« vision du monde et référence spirituelle » ainsi que « système de valeurs ») ce qui est pourtant le plus important, sachant que « le “phénomène fasciste” est surtout présent en tant que fantasme de ses adversaires ». Pour Locchi, on peut dire que le fascisme se dépasse lui-même et signifie bien davantage pour le destin européen que les péripéties de mouvements politiques divers. Cette signification du “phénomène fasciste” est un tel tonnerre philosophique pour l’éthique occidentale en décomposition d’aujourd’hui qu’il est totalement occulté.

    Pour Locchi, comme pour Adriano Romualdi, l’origine du phénomène fasciste se trouve dans Nietzsche (« la “matrice” du phénomène fasciste [est] dans le discours de Nietzsche »). À l’image de ce dernier qui associe mémoire ancestrale pré-chrétienne et avenir audacieux et révolutionnaire, le fascisme, partie constitutive de la Révolution conservatrice, est à la fois « repli sur les origines et projet d’avenir ». Cette analyse de Locchi m’a frappé, car il m’a semblé que le fascisme était très exactement archéofuturiste, du nom de ce néologisme que j’ai forgé pour intituler un de mes derniers livres. Le fascisme est archéofuturiste parce qu’il veut s’appuyer sur l’archè, le commencement fondateur pré-chrétien des peuples indo-européens, afin de construire une vision du monde et un projet d’avenir post-chrétiens pour notre civilisation.

    Pour Locchi, le fascisme est la première expression incarnée du Surhumanisme, dont l’origine remonte principalement à Nietzsche et à Wagner, opposition absolue à l’Égalitarisme des temps modernes, produit déspiritualisé du christianisme et cause principale de la décadence de l’œcoumène européen. Le mouvement fasciste n’a évidemment rien de matérialiste ou de politicien : il vise à instaurer une nouvelle spiritualité (donc communautaire et populaire), une nouvelle forme-de-vie a-chrétienne dans l’avenir, conforme à l’esprit archaïque des anciens cultes grecs, romains ou germaniques ; en opposition radicale, absolue, irréconciliable avec le grand cycle égalitaire commencé avec le christianisme, début de la sémitisation de l’Europe.

    On ne peut qu’être frappé par la pertinence de ces vues puisque c’est bel et bien le caritarisme humanitaire et égalitaire chrétien, qu’il soit laïcisé dans la social-démocratie européenne ou encore un peu religieux dans les Églises chrétiennes modernes, qui est le principal ferment de la dégénérescence de l’identité et de la volonté des Européens. Locchi démontre que le fascisme est, à l’échelle historique, le seul mouvement révolutionnaire et qu’Horkheimer, un des fondateurs du marxisme dissident de l’École de Francfort, avait bien raison d’affirmer que « la révolution ne peut être que fasciste ». Locchi inclut le national-socialisme et d’autres mouvements de l’époque dans l’orbe fasciste et ne limite pas celle-là à la doctrine impériale “néo-romaine” de Mussolini ; de même, il estime que, plus ou moins consciemment, depuis Nietzsche et Wagner, avec plus ou moins de pureté et de compromission, les principes généraux du fascisme ont essaimé dans toute l’Europe dans la première moitié du XXe siècle, sous des formes politiques mais aussi métapolitiques et culturelles.

    Locchi entend donc l’appellation de “phénomène fasciste”, non pas, étroitement, comme un mouvement politique italien repris dans d’autres pays d’Europe et vaincu par la Seconde guerre mondiale, mais comme un mouvement global de portée historiale, comme le retour transfiguré, métamorphique, d’une conception-du-monde qui s’exprime dans tous les domaines humains, culturels, esthétiques, philosophiques, spirituels, et évidemment sociaux, économiques géopolitiques et politiques. Cette conception-du-monde, à la fois radicalement nouvelle et ancestrale, est en même temps une rupture absolue avec l’Égalitarisme — jugé ferment de décomposition à la manière d’un virus — et une volonté de projeter, de construire dans le présent si possible, mais surtout dans l’avenir un autre monde ; ce dernier, à l’inverse des utopies égalitaires (communistes, libérales, chrétiennes, etc) qui se veulent “rationnelles” mais dont les mondes projetés ne sont que des chimères impraticables qui se terminent en putréfaction et en catastrophes, n’est nullement le fruit d’un hubris [démesure] “irrationnelle” mais, par le biais du mythe mobilisateur, la réappropriation par les Européens sous des formes nouvelles de leur âme oubliée — et non point perdue. Locchi est le découvreur de ce mythe surhumaniste, rappel aux vrais Européens de leur identité profonde. Cet ultra-monde auquel vise le fascisme est donc à la fois un fantastique défi historique, mais aussi une visée réalisable, à l’inverse des vaticinations anti-vitales (et de ce fait condamnées d’avance par le Tribunal de l’Histoire) de toutes les variations de l’idéologie égalitaire.

    Le fascisme est donc une reconstruction métamorphique d’une conception-du-monde et d’une forme de civilisation dont les Européens ont été dépossédés par le virus égalitaire, siècle après siècle, depuis la christianisation de Rome. Sa portée est donc immense et dépasse (bien qu’il l’inclue) le champ des “programmes” politiques. L’objet du fascisme est en effet bel et bien un changement de civilisation et pas seulement de régime. Il envisage le politique comme une véritable forme d’esthétique historique, la fonction souveraine ayant en charge de modeler sur le long terme et pour l’avenir un destin pour le peuple et un projet pour sa civilisation. Le fascisme — avec les idéologies qu’il contient — est la seule vision du monde qui s’oppose diamétralement, et sur tous les points, dans les analyses comme dans les visées et les idéaux, à toutes les autres idéologies, qu’elles soient chrétiennes, libérales, sociales-démocrates, marxistes, etc.

    Locchi démontre que ces idéologies ne divergent entre elles que superficiellement mais s’accordent sur l’essentiel, l’Égalitarisme, avec ses conséquences connues : cosmopolitisme, universalisme, individualisme, économisme, pan-mixisme, etc. Elles forment un véritable “parti unique”, articulé en pseudopodes, innervé par la même “pensée unique” ; et le clivage politique, idéologique et philosophique en Europe depuis les années 30 ne sépare nullement la “droite” de la “gauche” (la droite n’étant qu’une gauche modérée et la gauche qu’une droite dissimulée) mais oppose explicitement ou implicitement l’ensemble des familles politiques du Système hégémonique et les courants fascistes avoués ou inavoués. Les conflits entre les droites et les gauches ne sont qu’électoralistes tandis que le conflit entre ces dernières et le fascisme est global et porte sur l’ensemble des valeurs et des visées de civilisation. Seul contre tous, tel est le destin du fascisme. Situation normale puisqu’il est le seul porteur d’un contre-projet radical.

    Même s’il ne l’avoue pas toujours, le Système en est parfaitement conscient, puisque depuis les années 30 jusqu’aujourd’hui on voit fort souvent, à chaque crise politique, se constituer des “fronts antifascistes”, nommés en France “Fronts républicains” (1). Et c’est bien — entre autres causes — ce qui permet au fascisme de perdurer ; puisqu’il bénéficie de cette situation unique de monopole de l’opposition, qui, en dépit de la diabolisation dont font l’objet les mouvements soupçonnés d’appartenir à cette caverne maudite et peccamineuse, lui confère malgré tout un prestige et une puissance d’attraction secrète (et de recours, surtout en période troublée), qui n’auraient pas existé si le Système se fût abstenu de jeter des anathèmes quasi-religieux sur tout ce qui est supposé être infecté par le Mal fasciste.

    Cette diabolisation du fascisme trouve sa cause première dans les atrocités auxquelles se serait livrée l’Allemagne nationale-socialiste avant sa défaite militaire. Mais l’argument tient mal puisque bien d’autres idéologies et systèmes politiques (les régimes communistes, les États-Unis, Israël, l’islamisme, etc.) ont perpétré et commettent des “crimes contre l’humanité” ou des “crimes de guerre” bien avérés, cette fois-ci, et jamais reconnus comme tels, jamais sources de diabolisation. L’anathème contre le fascisme date en réalité des années 30, avant les prétendues “atrocités” allemandes, et fut initié par la Guépéou soviétique, immédiatement relayée par les régimes “démocratiques” occidentaux. Troisièmement, le régime mussolinien n’a été reconnu par les vainqueurs coupable d’aucune exaction satanique, et pourtant il n’échappe pas à l’excommunication.

    D’où vient donc cette démonisation du fascisme ? En réalité — et c’est là la cause seconde — elle provient de son idéologie même, en ce qu’elle réfute radicalement les axiomes de l’Égalitarisme et surtout élabore un projet de civilisation considéré comme diabolique et pervers par la cléricature du Système. Il est tout-à-fait normal que l’Égalitarisme s’émeuve et fasse donner son artillerie lourde contre une entreprise politique et civilisationnelle qui ne vise rien moins qu’à mettre fin à son règne plus que millénaire. La conception-du-monde véhiculée par le fascisme est ressentie par les élites du Système non seulement comme un défi majeur, comme une démoniaque tentation à laquelle pourraient succomber les peuples européens (intrinsèquement pécheurs), mais — sincèrement — comme une malédiction, l’incarnation du Mal, barbarie ressurgie du fonds des âges. Les courants fascistes ne sont pas, pour les partis égalitaires, des adversaires strictement politiques qui joueraient le sympathique sport de “l’alternance”, mais — à juste titre — une entreprise séculaire décidée à les éliminer définitivement du champ historique ; et une entreprise qui est déclarée hors-civilisation, c’est-à-dire hors de la civilisation occidentale qui se pense comme la seule digne de ce nom (2).

    L’explication est simple : comme l’a décelé Locchi, l’ensemble des courants égalitaires — même athées — exprime les valeurs et les utopies du christianisme, tandis que, dans la lignée de Nietzsche, l’ensemble des courants du fascisme — même s’ils absorbent des Églises chrétiennes — entend implicitement en revenir à une sensibilité spirituelle et philosophique européenne pré-chrétienne, réactualisée et durcie. Or rien n’est plus fort, plus cristallisateur de haines que les oppositions de nature religieuse ou para-religieuse. La démonisation des courants fascistes par le Système s’apparente assez exactement à la démonisation des cultes païens pendant le Bas-Empire et le Moyen Âge. L’objet du fascisme est plus ou moins consciemment ressenti comme une tentative de rétablir une éthique pré-chrétienne pour un monde post-chrétien à construire ; ce qui constitue une abomination, tant les valeurs de l’égalitarisme chrétien ont été intégrées, digérées, absorbées par l’establishment des pays européens et toute la bourgeoisie “occidentale”.

    L’Égalitarisme a parfaitement perçu dans le phénomène fasciste l’ennemi absolu ; il a bien compris que l’ambition du fascisme était de même ampleur que la sienne : devenir la nouvelle conception-du-monde hégémonique en Europe ( en divorçant de manière révolutionnaire les notions d’“Europe” et d’“Occident”) Locchi ne le cache pas et comprend parfaitement cette guerre totale menée au fascisme, en évitant intelligemment de s’en plaindre.

    Quelles sont les principales valeurs partagées par tous les mouvements de la “sphère fasciste” depuis les années 30, et qui font entrer en transes les gardiens du Temple et les gourous de la pudibonderie égalitaire ? On retiendra : la reconnaissance de l’inégalité de valeur entre les hommes, le différentialisme hiérarchisant entre les peuples, la recherche de l’homogénéité ethnique des nations et le refus des métissages (3), l’autarcie économique, l’éthique de l’honneur, l’esthétique codée comme fondement de l’art, l’éducation disciplinaire, le principe de sélection aux mérites et aux talents étendu à toute la société, l’interdiction du capitalisme spéculatif et mondialisé, l’éradication des déviances et des pathologies sociales ou sexuelles (non pas au nom d’une métaphysique mais de principes d’hygiène biologique et éthologique) (4), et enfin, plus ou moins consciemment formulée, le recours à la Volonté de Puissance, principe vitaliste de dépassement inégalitaire de la condition humaine, totalement incompatible avec l’humanisme chrétien fondé sur la monade métaphysique de l’Homme ou l’universalisme moral de Kant. Mentionnons aussi la relativisation du Bien et du Mal et le dynamitage de cette dualité, opérés par Nietzsche, dans la lignée des systèmes moraux de l’Antiquité européenne.

    Fascisme : pensée de la totalité, explique Locchi. Car la totalité de la vie du citoyen, dans ses aspects privés, biologiques et lignagiers, festifs et communautaires, professionnels, etc. sont rassemblés en une seule force, au sein de l’énergie commune de son Peuple, entité non plus quantitative et présentiste mais assimilée à un être historique. Locchi relève qu’aujoud’hui la sphère fasciste, même si elle ne peut dire son nom, est condamnée au silence médiatique, aux persécutions, à l’exclusion. La “barbarie” fasciste n’est pas autre chose que son audace à commettre un crime de lèse-majesté contre les racines de l’humanisme égalitaire, contre sa sotériologie et son eschatologie, péché capital que jamais le communisme (la vraie barbarie, cette fois-ci) n’avait osé commettre.

    Sur le fascisme, en poursuivant la pensée de Locchi, le Règne égalitaire de l’Occident porte le même regard que les chrétiens triomphants du IVe siècle portaient sur la résistance païenne de Julien l’Apostat, que l’Église portait sur les idolâtres amérindiens ou que les Imams portent toujours sur le polythéisme vivant de l’Inde : le Mal absolu, le négationnisme obstiné de la Vérité et du Sens sacré et linéaire-ascendant de l’Histoire, l’hérésie de rejeter la doctrine du Salut — directement chrétienne ou “christianomorphe” et laïcisée.

    L’antifascisme relève donc très exactement de l’anathème, ce qui exclut toute discussion rationnelle et — par effet anti-dialectique — mine de l’intérieur ce discours antifasciste en conférant en creux au fascisme la légitimité de la contestation, de l’anti-dogmatisme, c’est-à-dire les vertus de la rationalité grecque (nullement incompatibles avec la mythe), toujours tentantes pour l’âme européenne. Le doute porté par le Surhumanisme sur l’Égalitarisme, par la sphère fasciste sur le Système, est ressenti comme un ébranlement, un coup de poignard, une véritable profanation. Car l’Égalitarisme, lui, n’avait jamais douté de son triomphe. L’antifascisme n’est donc nullement une réaction politique rationnelle, mais une réaction religieuse et métaphysique.

    À ce point, deux autres réflexions surgissent. Il s’agit d’abord d’expliquer les causes pour lesquelles le fascisme, issu comme l’a vu Locchi de l’initiation wagnérienne et nietzschéenne, a, dès le départ, été combattu avec une violence désespérée et acharnée par l’Occident égalitaire (dont l’asymptote fut la coalition occidentalo-communiste de la Seconde Guerre mondiale). C’est parce que, pour la première fois dans son histoire, depuis la chute de l’authentique Rome impériale, l’Égalitarisme a vu ressurgir, d’un coup, sans prévenir, comme une horrible surprise, l’Ennemi absolu qu’il croyait mort et enterré. « Le Grand Pan est de retour », écrivait significativement Montherlant dans Le solstice de Juin, au lendemain de la défaite française de juin 1940, dans laquelle il voyait la victoire de la « roue solaire » sur « le Galiléen » ; c’est-à-dire, bien au delà d’un péripétie militaire (car après tout, ce n’était pas la première fois que la France était battue militairement par un voisin), la défaite d’un « principe » (terme locchien) contre un autre que l’on croyait disparu.

    Ensuite, demandons-nous pourquoi cette “sphère fasciste” est beaucoup plus combattue, censurée, pénalement poursuivie depuis les années 90 que dans l’immédiat après-guerre où le souvenir de la lutte titanesque et mythifiée contre les fascismes incarnés était encore brûlant.

    Première explication : depuis la chute du communisme historique, les deux branches clonées de l’Égalitarisme n’en forment plus qu’une seule, celle du cosmopolitisme capitaliste. Cette dernière ne considère pas l’Islam comme “nouvel ennemi principal”, puisqu’il est lui aussi égalitaire, universaliste et sémitomorphe (5). Reste donc le fascisme, qui redevient le péril principal, bien qu’aucun mouvement ne s’en réclame et bien que les partis soupçonnés de s’en inspirer n’aient pas de prise sur les gouvernements européens.

    Ce qui se passe aujourd’hui conforte toutes les prévisions de Locchi. À partir du moment où le Système n’a plus son frère ennemi intérieur communiste, dans les années 90, le fascisme est de nouveau désigné comme le danger absolu. Bien qu’il soit virtuel , il est soupçonné de pouvoir redevenir réel à tout moment, de pouvoir de nouveau mordre sur l’esprit public populaire des Européens de souche, toujours tenus sous surveillance, toujours inculpés de tentation d’hérésie, hantés par le retour à la “barbarie” fasciste. Certains accusent là l’idéologie dominante de “fantasmes”, mais ils se trompent. L’idéologie dominante est perspicace et elle a parfaitement raison de craindre le scénario d’un retour de flammes du fascisme, comme nous le verrons plus loin. C’est pourquoi l’arsenal juridique sans cesse renforcé, l’assommoir de la propagande médiatique incessante, le martellement d’imprécations culpabilisatrices dirigées contre toute trace de fascisme dans l’Union européenne constituent un imposant appareil de prévention du retour de ce dernier sous une forme nouvelle. Il ne faut pas prendre les maîtres du Système pour des imbéciles.

    Et cela nous indique la seconde raison de la reconstitution du “front antifasciste” par les droigauches européennes : car de fait, l’idéologie hégémonique a parfaitement décelé dans la naissance et les percées électorales de divers partis et mouvements identitaires en Europe un inquiétant signal d’alarme. Marginal, circonscrit, contrôlé dans un microscopique bouillon de culture au fond d’un bocal soigneusement caoutchouté jusque dans les années 80, le virus fasciste, au yeux du Système, a réussi à s’évader de sa prison stérile et prophylactique pour réinfecter des partis et mouvements qui ont pignon sur rue et un début d’accès aux médias (TV notamment) ; et ce, bien que lesdits partis ou mouvements identitaires se gardent de toute référence explicite aux doctrines politiques italiennes et allemandes d’avant-guerre, et prennent la précaution dans leurs programmes (jugée parfaitement hypocrite par les maîtres du Système) d’intégrer des éléments de la vulgate égalitaire.

    Le Système, par cet alourdissement des dispositions et propagandes antifascistes, vise également à s’assurer ce que j’appelle une légitimation négative. Un gouvernement se légitime “positivement” lorsqu’il convainc l’électorat de ses mérites, réalisations concrètes, améliorations des conditions de vie, etc. L’entreprise est difficile aujourd’hui pour les gouvernements européens qui peuvent de moins en moins cacher que tous les voyants sont au rouge : situation économique qui s’aggrave, insécurité croissante, colonisation migratoire massive, effondrement des repères culturels autochtones, désastres écologiques divers, soumission humiliante au suzerain américain, etc.

    Les gouvernements tentent alors frénétiquement (spécialement en France) de se légitimer “négativement” : c’est nous ou le déluge, c’est notre bonne vieille “démocratie” — certes imparfaite — ou l’Hydre fasciste, la Bête immonde, la pornographie politique et morale, le saccage du Temple des Droits de l’Homme, bref, la Tyrannie aggravée par le péché mortel de l’abomination raciste. De son point de vue, le Système n’a aucun autre moyen que cette légitimation négative (binôme propagande moralisante et culpabilisante / répression judiciaire et exclusion socio-économique des Pécheurs) pour maintenir son pouvoir.

    Par “Système”, il ne faut pas entendre seulement les gouvernements et appareils d’État, mais aussi les médias, les Églises, les associations subventionnées, les syndicats, l’Université, le pouvoir judiciaire, les instances culturelles, l’industrie du spectacle, les firmes capitalistes, les pouvoirs financiers etc., tous ligués contre un péril qu’ils estiment à juste titre global : celui d’une vision du monde et d’un mouvement historique qui menace l’ensemble de leurs positions sociales, de leurs idéaux, mais aussi de leurs intérêts. Une hypothèse eût été que l’Égalitarisme appliquât au fascisme cette célèbre maxime romaine, de minimis non curat praetor, “le préteur n’a cure des peccadilles”. Mais il ne le pouvait pas, car le fascisme n’est pas une “chose minime”. G. Locchi expose dans son texte qu’il ne vise à rien moins, dans la perspective de “l’énigme” nietzschéenne, qu’« à régénérer l’histoire elle-même en provoquant le Zeitumbruch, la “cassure [ou fracture] du temps historique” ».

    Dans son combat antifasciste, le Système se heurte à une délicate contradiction : fondé sur la “démocratie”, il doit mettre plus ou moins entre parenthèses ses grands principes démocratiques pour barrer la route à un éventuel néo-fascisme. Car ce n’est pas la bourgeoisie qui est soupçonnée de constituer l’assise du fascisme, mais bel et bien les peuples autochtones européens des classes moyennes et inférieures, rebaptisées “populace”. Ce qui constitue une rupture avec, par ex., les analyses des antifascistes de gauche des années 30. D’où une double stratégie : d’une part, abolir concrètement la démocratie (au profit de la technocratie) au niveau de l’Union européenne, qui contrôle déjà 40% des réglementations de tous ordres ; d’autre part, “changer de peuple”, selon la formule de Berthold Brecht : c’est-à-dire submerger les classes moyennes et inférieures européennes autochtones sous un flot de migrants, nouvel électorat qui n’aura plus les tentations peccamineuses d’un “retour aux origines et à l’identité”. Un peuple de mulâtres sans mémoire ni projection d’avenir : voilà l’habile contre-feu allumé par l’Égalitarisme, voila le contre-poison qu’il a logiquement trouvé.
    Cette stratégie, reconnaissons-le, est assez bien vue. Le seul problème est qu’elle peut prendre du temps et qu’il s’agit d’une course de vitesse. Oui, une course de vitesse entre l’arrivée à un point de rupture et de basculement où les masses européennes, encore largement majoritaires chez elles, pourront verser dans un post-fascisme de reconquête intérieure, et le moment où une certaine proportion du “peuple” ne sera plus d’origine européenne, donc absoute de toute tentation et privée de toute possibilité de porter sur le trône un avatar du fascisme.

    Mais, se demandera-t-on : pourquoi parler au présent du fascisme et jamais au passé, comme s’il était toujours vivant ? Mais parce qu’il est toujours vivant, et plus que jamais. Locchi l’énonce dans le texte que vous allez lire avec cette notion énigmatique, mais au fond tonitruante de clarté, de catacombes, sur laquelle je vais revenir. Car il est tout de même extraordinaire qu’un mouvement, écrasé par la guerre, interdit, qui a formellement disparu, continue de faire tant parler de lui et si peur au Système. S’agirait-il d’une sorte de mort-vivant, de fantôme ou d’ectoplasme prêt à se rematérialiser ? De Phénix renaissant de ses cendres ? Le spectre du fascisme hante les gardiens du Temple. Et ils n’ont pas nécessairement tort… D’ailleurs, ses pires ennemis n’ont pas si mal compris que cela sa nature : ils ont bien vu que sa menace existait toujours, que le défunt n’était qu’un ensommeillé en catalepsie, que la chaleur des braises était toujours intacte ; dans la langue de bois inquiète des prêtres du Système, à la fois haineuse et angoissée, on répète depuis plus de 50 ans ce leitmotiv, d’évidente inspiration biblique : « il est toujours fécond, le ventre de la Bête Immonde ». Cet anathème — qui assimile le fascisme à l’Antéchrist de l’Apocalypse, même chez les penseurs communistes athées — trahit tout de même une certaine lucidité historique.

    Car les conditions qui ont présidé à sa naissance au début du XXe siècle, loin de s’atténuer, se sont exacerbées. La progression du virus égalitaire a été telle dans les dernières décennies que la situation des peuples européens se rapproche de ce que les mathématiciens adeptes de la “théorie des catastrophes” (René Thom) appellent le “point de basculement”. La grande angoisse du Système est qu’il se produise, dans les prochaines années, un cocktail explosif beaucoup plus corsé que dans les années 30 qui, par retour du courrier, donnera lieu en Europe à la réémergence d’un second fascisme, nécessairement plus pondéreux que le premier… Cette angoisse, totalement absente jusque dans les années 80, hante aujourd’hui tous les débats idéologiques en Europe de l’ouest.

    L’optimisme tragique de Locchi, qui me fut confirmé en lisant ce bref essai, rejoint parfaitement les positions que j’ai récemment défendues. Pour lui, le fascisme était prématuré et n’était pas mûr parce que la décomposition du système occidental-égalitaire et son niveau de décadence (dans les années 30) n’était rien par rapport à ce que nous connaissons aujourd’hui et allons vivre. Il se demande si « les régimes fascistes de la première moitié du XXe siècle [ne sont pas] apparus trop tôt, prématurément » et ne doivent pas leur surgissement à « des circonstances fortuites qui, en apparence et seulement en elle, anticipaient le futur prévu par Nietzsche ». Ce dernier, explique Locchi, estimait que son “mouvement” (Bewegung) de subversion (Umwertung) des valeurs égalitaires « ne pouvait s’affirmer que sur les ruines du système social et culturel existant », ce qui n’était pas du tout encore le cas dans les années 30, car « nous savons que le système égalitaire était en réalité encore fort et que, du point de vue nietzschéen, il était loin d’avoir épuisé ses ressources spirituelles et matérielles ».

    Aujourd’hui, avec l’accélération du processus viral de dégénérescence, nous percevons que le point de rupture du système égalitaire n’est peut-être plus très loin, ce que j’ai plusieurs fois qualifié de “convergence des catastrophes”. À ce moment là seulement, un vrai fascisme serait mûr et pourrait se déployer dans l’Histoire européenne. Il serait une réponse à la mesure de la tragédie que nous allons peut-être vivre (et que l’Europe n’a encore jamais affrontée), l’ultime et la seule alternative à la pure et simple disparition de notre civilisation. Bien entendu, un nouvel âge du fascisme ne prendra sans doute pas cette dernière dénomination. Et son visage sera très différent des mouvements des années 20 et 30. Mais l’inspiration et la vision du monde demeureront évidemment les mêmes.

    Il se peut que le scénario se déroule comme je l’ai expliqué dans plusieurs de mes ouvrages récents. En ce cas, le fascisme historique ou premier fascisme n’aura été qu’une répétition générale, un premier acte, et nullement un crépuscule des dieux. Locchi : « la position extrême se fait “nihilisme positif” et veut reconstruire sur les ruines de l’Europe un “ordre nouveau” en donnant la vie au “troisième homme” ». Ce troisième homme serait, selon un mouvement de rebondissement dialectique, l’apparition métamorphique et surhumaine (du moins dans ses élites) de l’homme des paganismes gréco-hélléno-germaniques, en dépassement et en négation de l’homme décadent — et abattu par ses propres virus égalitaires, développés lentement dans la longue macération du christianisme.

    Autre point, très intempestif mais fort actuel : Locchi, dans cet essai, estime que « depuis 1945, le “fasciste” qui veut conduire une action politique est obligé de la mener sous un faux drapeau et doit renier publiquement les aspects fondamentaux du “discours fasciste”, en sacrifiant verbalement aux principes de l’idéologie démocratique ». C’était vrai jusqu’à une date récente. Ce le sera de moins en moins, compte tenu de l’aggravation des circonstances. On pourra, plus qu’auparavant, critiquer ouvertement les principes du Système — en pleine faillite —, à condition qu’on ait l’intelligence de ne pas faire de références explicites (ou pire, folklo-iconograhiques) aux mouvements fascistes historiques. Les temps s’approchent où l’on pourra tenir un discours inégalitaire, surhumaniste, révolutionnaire, débarassé de tout attribut visible des fascismes historiques. La censure du Système est beaucoup moins habile et perspicace que l’on croit, parce qu’elle s’attache aux formes plus qu’au fond, qui n’est plus maîtrisé.

    Autre réflexion qui va dans le même sens : Locchi a magistralement décelé la cause profonde de l’antifascisme, qui n’a rien de politique, mais tout de philosophique : « [ce] qui commande au camp égalitaire la répression absolue du “fascisme”, [c’est que] le “fasciste” ne veut pas cette fin de l’histoire proposée par l’égalitarisme et il agit pour la rendre impossible ». En effet, Locchi fut le premier à mettre en lumière ce qui semble banal aujourd’hui à beaucoup d’intellectuels “identitaires”, mais ne l’était pas du tout auparavant, à savoir que la grande famille égalitaire (judéo-chrétienne, libérale, marxiste, gauchiste et, évidemment musulmane) est cimentée par sa conception escatologique et sotériologique de l’Histoire, cette dernière étant une ligne segmentaire se dirigeant vers un point final (jugement dernier), terrestre ou metempsychique, où le Bien triomphera.

    Tout à l’inverse, la vision surhumaniste de l’Histoire, exprimée par Nietzsche et ressentie par les fascismes, est aléatoire. Locchi est le seul qui l’ait formulée comme « sphérique » ( et non point “cyclique”), en ayant, le seul, compris la notion nietzschéenne d’« éternel retour du même » — et non pas de “l'identique”. Or, le Système, avec la chute du communisme, voyait enfin approcher cette fin de l’histoire. Et c’est l’inverse qui se produit, en ce début de XXIe siècle. L’argument de diabolisation de la vision du monde fasciste, accusée d’ historicisme, d’anti-progressisme, de refus du Salut, se trouve singulièrement troublé par les événements observables, qui infirment tous l’angélisme eschatologique du Système et le projet égalitaire : l’histoire planétaire (re)devient un chaudron des sorcières et non plus un long fleuve tranquille qui coule vers la mer, Mare Tranquillitatis… La sagesse démocratique, kantienne, d’une société apaisée, multiethnique, etc., n’est pas au rendez-vous. La rationalité égalitaire se dévoile comme utopie irréaliste et “l'irrationalité” fasciste comme conforme au réel.

    Parce que ce nouveau siècle s’avère déjà en totale opposition avec tous les projets de l’Égalitarisme ; il sera un siècle de fer, de feu, de sang, de lutte des peuples et des civilisations entre elles, du resurgissement des mémoires assoupies en forces formidables (regardez l’Islam…), bref il corroborera la conception-du-monde et l’intuition du fascisme au sens large, disons du nietzschéenne, et rendra stupides les rêveries des Pères de l’Église et obsolètes celles de Kant et de ses successeurs des XIXe et XXe siècles (6).

    Le XXIe siècle verra, à mon sens, s’effondrer de l’intérieur la branche occidentale de l’Égalitarisme, comme a implosé son rejeton communiste. Un étroit passage sera donc laissé au Surhumanisme européen, où à autre chose qui ne sera plus du tout européen, et menace déjà… Comme dit le proverbe : ça passe ou ça casse. En optimiste tragique, G. Locchi remarque que les héritiers du fascisme vivent encore aujourd’hui « dans les catacombes », mais il laisse entendre qu’on sort aussi des catacombes, comme le fit en son temps le premier christianisme… Chacun son tour.

    Je vous demande de conserver précieusement ce texte de G. Locchi, de le lire, le relire, de le faire lire et de le ruminer. Cette préface comme l’introduction et les notes de mon très cher ami Stefano Vaj, ne sont que des écrins, des cadres où s’insère le tableau central. Car la parole de G. Locchi s’écoute ou se lit lentement. On s’en imprègne, on y décèle toujours quelque chose d’imprévu, d’inquiétant, de vrai. G. Locchi ne parle jamais du passé en tant que tel, comme objet mort, mais il a toujours ce clin d’œil vers l’avenir, On découvre chez lui de nouvelles lumières, comme lorsque que l’on regarde attentivement une toile de maître, des lueurs d’aube, des raisons d’espérer. Et de combattre.

    ► Guillaume Faye, 2002, préface de : L'essenza del fascismo, G. Locchi (Arktos, Roma, 1980), repris sous le titre « Espressione politica e repressione del principio sovrumanista », in : L'Uomo libero n°53, mars 2002.

    • Notes :

    (1) Le discours de ces “Fronts républicains” est de désigner comme “fascistes” des forces qui dénient farouchement avoir la moindre accointance avec les fascismes historiques, ce qui est sociologiquement et philosophiquement faux, mais évidemment impossible à avouer. C’est là le “drôle de jeu” de cache-cache et de simulacres qui se joue depuis 1945 et qui aboutit à ce que le vocable “fasciste” ne survit que parce que ses plus farouches adversaires l’entretiennent comme un indispensable “chapeau sémantique” afin de ne pas perdre de vue l’ennemi mortel. Rappelons que le mot “fascisme”, néologisme italien, renvoie aux “faisceaux des licteurs”, gardes-du-corps des magistrats romains (faisceaux de tiges de bois liées par des bandelettes et maintenant un fer de hache au sommet). Ce symbole était aussi présent dans les armoiries républicaines françaises après la Révolution, par référence à la république romaine. Par ce néologisme de “fascisme”, les révolutionnaires italiens voulaient signifier que la nation ne formait plus qu’un seul corps, qu’un seul esprit organiquement liés, rassemblés comme un faisceau d’armes, en une volonté et un destin totalisants.

    (2) Même dans les traités de science politique qui se veulent descriptifs et objectifs, le phénomène fasciste est jugé de manière affective, émotionnelle, religieuse. En guise d’anthologie du genre, voici ce qu’on lit sous la plume de Philippe Nemo (Histoire des idées politiques, PUF), mêlant vérité et lucidité historique à des délires métaphysiques (soulignés) : les fascismes représentent des « pratiques anthropologiques radicalement anti-chrétiennes et anti-civiques, qui sont un rejet total non seulement des valeurs et institutions démocratiques et libérales, mais de la civilisation occidentale elle-même (…). Ces monstruosités n’étaient viables que quelques décennies, puisque, quand on entend recréer le type même de lien social qui caractérisait les sociétés tribales ou archaïques, on ne peut que régresser vers le niveau de performance de ces dernières. On se place en mauvaise posture pour rester dans la course au progrès scientifique, technologique et économique, etc. ». Cette vision libérale, juste sur le caractère anti-chrétien et anti-occidental du fascisme, sombre dans l’idiotie et l’absence de sens critique : car c’est précisément dans les domaines techniques et économiques que les fascismes furent plus performants et futuristes que les démocraties occidentales !

    (3) La “nouvelle droite” parisienne a brouillé les cartes du discours “inégalitaire” qu’elle prétendait incarner, par l’invention du concept superficiel d’“ethnopluralisme” et par une interprétation erronée de la notion d’“Empire” (imperium), pas-de-clercs dont Giorgio se gaussait avec un mépris discret. “L'ethnopluralisme” était de plus en plus entendu (et l’est toujours) par ces intellectuels comme l’utopique cohabitation “communautariste” d’ethnies venues du monde entier en Europe. Ce qui aboutit inévitablement à ce que H.S. Chamberlain appelait le chaos ethnique, projet dissolvant situé en plein cœur de la thématique de l’ Égalitarisme. La seule définition acceptable de “l’ethnopluralisme” eût été celle du “chacun chez soi”, et encore, cette vision fait l’impasse sur l’idée de hiérarchie qualitative entre les peuples qui, qu’on le veuille ou non, est omniprésente dans la conception-du-monde dite “fasciste”. De même, l’idée d’“Empire” défendue par les intellectuels précités (semblable à celle de l’imperium romanum christianisé) renvoie à un amalgame de peuplades hétérogènes sans liens ethniques, à l’exact opposé de l’idée impériale européenne que défendait G. Locchi et, qu’à sa suite, je poursuis : un rassemblement de peuples apparentés par les liens du sang, de l’histoire et de la culture, unis par une auctoritas supérieure en un destin commun. Les fascismes, dans leur idée d’homogénéité ethnique ne faisaient qu’appliquer le concept rationnel de philia d’Aristote : parenté ethno-culturelle comme fondement de la Cité. Toutes ces confusions faites par les intellectuels de la mouvance franco-italienne “ND” étaient jugées par G. Locchi, dans les conversations que nous eûmes, – et avant même que cette dérive ne s’aggrave comme aujourd’hui – comme le pathétique effort de gens affectivement et romantiquement tentés et marqués par certains aspects du “fascisme”, pour récupérer les concepts centraux de l’Égalitarisme, pourtant incompatibles ; et ce, dans un but – d’ailleurs manqué – de bienséance politique et sociale. Cette dérive, prévue par G. Locchi, donne aujourd’hui toute sa mesure puisque les intellectuels italiens et français précités se sont constitués objectivement en opposition interne et factice au Système, alignés sur les positions “antimondialistes” simulées de la gauche, muets sur la colonisation migratoire et l’emprise de l’Islam (ou parfois même sournoisement favorables), bref récupérés tout en étant toujours exclus.

    (4) Le “racisme”, au sens actuel de doctrine accordant une grande importance à l’anthropologie biologique dans la formation des civilisations et de recherche politique d’une homogénéité ethno-biologique optimale, dont on nous fait croire qu’il était pratiquement l’unique axe doctrinal des fascismes, était en fait depuis le milieu du XIXe siècle très répandu dans beaucoup de courants de toutes tendances. Disraëli, Marx, Engels, Renan étaient parfaitement racistes au sens actuel. On trouve chez Hegel (in Leçons sur la philosophie de l’histoire) des développements sur l’inégalité des races et l’impasse historique des mixages, et chez Voltaire (Dictionnaire philosophique) l’idée constante d’une hiérarchie qualitative des races, qui lui paraissait parfaitement naturelle. D’ailleurs, sans parler de Gobineau ou de Lapouge, c’est en France (et non pas dans l’Allemagne d’après Fichte) que les théories racistes ont pris naissance, comme corpus structuré. Le mot “race”, au sens contemporain, a été créé par François Bernier en 1684 et le “racisme”, comme contestation de l’unité de l’espèce humaine, date des zoologues Linné, Maupertuis et Buffon. Bref, tout cela pour dire que le “fascisme”, notamment dans sa version allemande, n’à, à aucun moment, inventé doctrinalement le racisme – même chez des auteurs comme Rosenberg et Darré. Bernard-Henry Lévy dans L’Idéologie française l’avait très bien vu et les agités du chauvinisme “républicain” (“La France des Droits de l’Homme au dessus de tout soupçon”) avaient eu tort de le contester. Les concepts fondamentaux dudit racisme ont été élaborés (et not. au début du XXe siècle, par les Dr Jules Souris et René Martial, de l’Université de Montpellier) par des savants ou théoriciens français, qui étaient en parfaite contradiction avec la prétentieuse posture cosmopolite et universaliste de la “Grande Nation”, mais qui, il est vrai, étaient tous des anti-cléricaux athées donc, quelque part, des non-chrétiens…C’est là toute l’ambiguité de “l’idéologie française”. D’autre part qui sait ou qui dit que l’interdiction des mariages mixtes n’a été abolie dans 42 États qu’en 1967 par la Cour suprême américaine ? Etc. Bref, le discours et la pratique raciales ne constituent pas l’originalité monopolistique du phénomène fasciste mais une simple composante.

    (5) Certains estiment que l’Islam est un “fascisme vert”, parce qu’il serait inégalitaire. D’où l’attirance exercée par cette religion idéologique sur plusieurs courants égarés des mouvements identitaires, et ce, depuis longtemps (Siegried Hunke, Claudio Mutti, René Guénon, etc.). L’Islam, de fait, subordonne la femme à l’homme, soumis le non-converti (dhimmi) au musulman, l’esclave au maître. Mais cet inégalitarisme est parfaitement trivial, esclavagiste, mécaniciste. Il faut être inconséquent pour y voir un quelconque rapport avec le Surhumanisme européen. L’Islam appartient tout entier au grand courant égalitaire : il vise le Califat universel, l’homogénéité de l’humanité dans une seule “foi”, il prône rigoureusement la même conception du finalisme historique que le christianisme, le judaïsme, le marxisme, le libéralisme, fondée sur la gnôse du Salut. Il professe aussi la croyance en un Bien et un Mal absolus.

    (6) On touche là un grand paradoxe : les courants de pensée égalitaires et démocratistes occidentaux et communistes, se réclamant de la rationalité et de la sagesse (vaste imposture et récupération de la philosophie grecque), ont toujours sombré dans l’erreur historique, l’échec utopique, la prédiction jamais réalisée, la furie de la déraison, le dogme et la méconnaissance des faits, des observations anthropologiques et historiques. Tandis que les “fascismes”, accusés d’irrationalité barbare (chamanisme ?) et régressive, ont développé des principes parfaitement observables et conformes à l’expérience : la récurrence des conflits, l’antagonisme ethno-culturel des peuples, l’inégalité des formes de vie, l’homogénéité ethnique comme fondement de la permanence des formes politiques, etc. Je peux me tromper, évidemment, mais il se pourrait que l’intuition de G. Locchi fût que les « principes » fascistes, en tant que photographies réalistes et sereines de la réalité du monde, n’eussent rien à craindre du Tribunal de l’Histoire et qu’ils triompheront obligatoirement contre l’Égalitarisme. Mais – car il y a un “mais” – vaincre l’Égalitarisme ne suffit pas puisqu’il risque de s’effondrer de lui-même, ce qui a déjà commencé d’ailleurs. Ce n’est pas pour cela que le Surhumanisme, l’intuition nietzschéenne, vaincra dans l’histoire des Européens. Voici le fond de ma pensée : le “phénomène fasciste” aura bientôt le champ libre pour s’imposer, puisque son ennemi héréditaire s’épuise, rongé de l’intérieur par son manque de carburant. Son ennemi ne sera plus que sa propre absence de Volonté de Puissance face aux forces génésiques et conquérantes d’autres peuples. Je crois qu’il faut en revenir à une certaine simplicité de principes, par delà le bien et le mal. Il m’est assez difficile d’en dire plus.

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    « Le surhumanisme, notion nietzschéenne, mais dont la création conceptuelle revient à Giorgio Locchi, est un humanisme de crise et de dépassement. Il est une transgression positive et tragique de l'humanisme lorsque survient l'urgence. En cas de danger, l'homme authentiquement européen doit se surpasser et transgresser certains principes. La mise en danger, la “recherche du risque”, lorsque le peuple est en péril, supposent des solutions impensables mais indispensables. Et ce, non point pour le bon plaisir d'un dictateur, non point pour l'obéissance à tel ou tel dogme, telle ou telle superstition fanatique, mais pour le service et la survie du peuple, c'est-à-dire cette conjonction de la défense de la lignée à venir et de l'héritage des ancêtres. Xénophon écrivait, il y a 2.400 ans dans l'Anabase : “un jour vient où l'aigle de Zeus, impitoyable et serein, referme ses serres”. Telle est la définition du surhumanisme. Dans ces moments tragiques, l'homme s'octroie alors des pouvoirs divins, il se met à l'écoute de ce qui l'inspire et le dépasse ; il est, selon l'enseignement pythagoricien, “l'oreille des dieux” » (Pourquoi nous combattons, G. Faye, Æncre, 2001).


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