• Dollar

    La colonisation financière 

    Une nouvelle ère de colonisation a commencé avec l'éreintement de l'Europe. Aux colonies de peuplement s'ajoute la co­lonisation financière par le dollar, à nouveau sur le devant de la scène à l'approche de la décision européenne en faveur de l'Euro, et après les dernières fluctuations des monnaies asiatiques très liées à cette monnaie. Depuis 1945 la colonisation à la romaine avait repris une grande importance, avec des Américains installant des bases à statut spécial au sein des autres pays ; mais avec la vassalité financière « la colonisation reprend des formes oubliées, celle des fiefs vénitiens ou des mahonnes génoises, celle peut-être des Phéniciens et des Carthaginois » (1).

    Le fondement du pillage financier : créer la crédulité

    De 1945 à l985 s'est déroulé une guerre de 40 ans, guerre froide, gagnée par ceux qui ont été capables d'en financer les coûts (2). Le système de Bretton-Woods jusqu'en 1971 en fut la première étape. La seconde, qui se termina en l980, fonctionna avec la planche à billet ; la titrisation, l'emprunt, se développèrent à la troisième étape. La crise des paiements internationaux de 1973 à l990 se ramène donc à un processus respiratoire tout à fait spécifique aux financiers : le gonflement des croyances (des creances), suivi d'un dégonflement. De 1973 à 1982, les soviets de la finance ont fait naître de nouvelles créances : exporter vers les PVD (Pays en Voie de Développement) en leur accordant prêts et crédits. De 1980 à 1985, la politique monétaire américaine fit naître de nouvelles créances, le déficit budgétaire, dont la contrepartie était les exporta­tions vers les USA. Chaque fois, les stratégies gagnantes sont : détenir et faire naître de nouvelles créances puis racheter les occasions décotées lorsque la valeur de ces créances s'effondre.

    Depuis l990, la nouvelle stratégie des colonisateurs financiers est de transformer les opinions en réalité grâce aux nou­veaux instruments financiers créés sur les marchés à terme. Ces nouveaux instruments ont 2 effets :

    • Ils font advenir les phénomènes redoutés. Les ventes et achats pour se couvrir contre les fluctuations, les engendrent…
    • Ils accroissent le rôle des spéculateurs. Ceux-ci se présentent comme crédibles, et trouvent en face d'eux des crédules.


    La méthode n'est rien de plus qu'une extension des procédés de fabrication de l'histoire sainte au travers des miracles : le prédicateur se rend crédible pour faire des dupes. En affectant une valeur de vérité à ses inventions, il les transforme en réalités. À l'heure présente, le colonisateur financier observe que des regroupements régionaux sont à l'œuvre, qu'il lui faut empêcher ou “investir”. Les différentes variantes sont : délocalisation, fusion-acquisition, partenariats, transferts de technologie, cessions de brevets, licences. Dans le cas de l'Asie, le mécanisme de création de créances et la tentative de les racheter après dévaluation forcée est enclenché. Un exemple paradigmatique de la méthode du colonisateur est tiré d'un cas brésilien : une créance de 10 millions de $ est vendue 2,5 millions. Une entreprise l'achète et propose au Brésil de l'abandonner en échange de cruzeiros. L'entreprise peut ainsi acheter des entreprises brésiliennes…

    Dans le cas de l'Europe, comment se présente la situation face au colonisateur ?

    L'Europe et les États-Unis, un conflit potentiel

    Les faux-monnayeurs américains, en soumettant le monde au dollar, installent partout la dépendance matérielle et suppri­ment la liberté de penser. Et celui qui travaille simplement pour exécuter les ordres de maîtres étrangers ou de leurs sei­gneurs “raquedenare” locaux perd sa joie de travailler, ses forces créatrices, son élan, ses plus hautes aptitudes. Les dol­lars mis en circulation dans le monde ne deviendront de la fausse monnaie que lorsqu'un fournisseur soupçonneux la décla­rera fausse et ne reconnaitra pas qu'elle est un pouvoir d'achat. C'est en dénonçant la création ex nihilo de dollars que cette devise deviendra de la fausse monnaie. Car c'est le degré d'acceptabilité ou de refus d'une monnaie qui permet de la quali­fier de vraie ou de fausse. Mais il existe une solidarité entre faux-monnayeurs et receleurs : on ne dénonce pas la monnaie que l'on détient soi-même sous peine de se ruiner. Que va-t-il se passer avec l'Euro ?

    Les USA, de fait, sont passés aux antipodes des intérêts de l'Europe et, sans le déclarer, sans fanfares, agissent pour em­pêcher son union. Les USA refusent l'équilibre des forces. Tous les équilibres ont été rompus à leur profit. Ils exercent une hégémonie sur l'économie (finance, commerce, services, ressources) et sur la stratégie mondiale. « La monnaie unique, loin d'être une innocente innovation, constituera, dès sa création, un casus belli justifiant pour les USA, la plus grave des crises » (3). La quête de l'or et le pillage de la planète s'accompagnent d'un continuel besoin de justifier ces atrocités par des arguments tirés de la morale biblique. Pour les Al Capone américains, il est impératif d'associer le pillage du monde à une mission acceptable moralement. Déjà, en 1870, les USA avaient imposé aux Mexicains un régime de paiement financier qui réduisit l'économie de ce pays au statut de colonie… Par le biais de la Seconde Guerre mondiale, les soviets financiers américains ont conquis l'espace économique allemand et ont éliminé en prime la France et la Grande-Bretagne. Ils ont conquis le marché japonais et son espace économique. La fin de la guerre froide a cédé les zones d'influence soviétique. La guerre du Golfe, en 1990-91, leur a permis de prélever une dime supplémentaire sur l'Europe et, par l'usage infernal des superstitions de l'ancien testament, de faire financer à celle-ci leur mainmise sur le Moyen-Orient. En 1997, les USA sont les seuls maîtres de l'économie mondiale. Or le monde, vu de Washington, est un vaste marché où les frontières nationales sont considérées comme une “inconvenance”. Les congrégations de trafiquants pieux cherchent le monopole et la rente en liant le monde, pays par pays, aux USA, par un enchevêtrement d'accords et l'usage de leur mon­naie.

    Les USA ne s'attaquent pas de front à l'Europe, mais cherchent à l'étouffer.

    • Au plan militaire : l'OTAN vassalise l'Allemagne et la France. Récemment, l'Irak puis la Bosnie ont été 2 occasions de mettre les Européens sous commandement US.
    • Au plan commercial : les USA ne veulent pas céder l'accès à leur marché, alors que tous les pays doivent laisser ou­verts les leurs. Et la bataille est permanente sur les marchés internationaux. Une fois, les industries étrangères sont ex­clues du marché public US ; une fois, il y a des sanctions fiscales sur les importations. Etc.
    • Dans la technologie de pointe, le multimédia, le monopole US a été acquis par une astucieuse utilisation des tech­niques d'inscription des brevets. Le brevet US est accepté partout dans le monde. Le brevet étranger doit être évalué aux USA.


    Il est impossible de discuter avec les USA. Leurs exigences, leurs intérêts et leurs croyances deviennent des impératifs religieux, au nom de l'humanité et autres billevesées, qui doivent devenir la politique de tout un chacun. La monnaie unique est donc nécessaire et urgente car les mesures internes à l'Europe sont vaines : les eurosceptiques proposent de se rapprocher des USA et de dupliquer leur modèle. Ils sont tombés dans le piège du leadership US. Hier, certains politi­ciens prenaient leurs ordres à Moscou. Aujourd'hui, ils obéissent à Washington… La monnaie unique ne sera pas seulement la monnaie de l'Union Européenne, mais aussi une deuxième monnaie internationale. Des producteurs de matières pre­mières pourront demander de signer des contrats en euros. Alors, l'investissement étranger aux USA en dollar, qui est de 500 à 800 milliards par an, cessera en grande partie. De plus, la vente internationale de dollars provoquera un excédent de liquidités.

    La réaction des USA peut être de détruire l'Euro par une manœuvre politique interne à l'Europe ; par ex. en déclen­chant une nouvelle guerre civile ou en faisant appel à la Russie dont la dette pourrait être épongée, si elle œuvrait contre l'Europe et en faveur des USA.

    Le colonisateur financier brise les économies et détache l'homme de ses frères. Partout, désunion, solitude. Les soviets financiers américains sont des mangeurs d'âmes, froids comme la goule des cimetières. Longtemps en Europe, la plupart des banquiers se sont efforcés de maintenir la vie financière sur des voies conformes à l'esprit social et à l'honnêteté. Mais la guerre de 1914-1918, avec son lot de profiteurs, ses dettes, et les ententes entre soviets du prolétariat et soviets du capital a détruit cette civilisation sans la remplacer. Les Européens vont-ils continuer à se comporter comme une délégation d'Athènes vaincue face aux satrapes perses ? Vont-ils se secouer au bord de l'abîme ? 

    ► Frédéric Valentin, 1997.

    ◊ Notes :

    • (1) René SÉDILLOT, Histoire des colonisations, Fayard, 1958, p.638.
    • (2) Alain SIMON, Géopolitique et stratégies d'entreprise : Créances et Croyances, Interfaces, 1993.
    • (3) Émile COURY, L'Europe et les États-Unis, un conflit potentiel, éd. de l'Aube, 1996, p.10.
     


    Benjamin

     

    Vers la fin de l’hégémonie du dollar ?

    Début octobre 2009, est paru sur les pages internet du journal libéral de gauche britannique The Independant un article de Robert Fisk, leur correspondant au Proche Orient. Cet article a suscité de vives discussions. Selon les propos de Fisk, les États arabes du Golfe songeraient à remplacer d’ici les neuf prochaines années le dollar américain par un panier de devises et/ou de valeurs incluant le dollar, le yen japonais, le renminbi (ou yuan) chinois, l’euro et l’or. À ce panier s’ajouterait également la monnaie unique, actuellement en projet, du Conseil de Coopération du Golfe (CCASG) qui comprend l’Arabie Saoudite, Abu Dhabi, le Koweït et le Qatar. Pour concrétiser ce projet, ces États pétroliers arabes auraient déjà pris langue avec la France, la Chine, le Japon et la Russie. Les représentants de ces États se sont empressés de démentir les affirmations de Fisk en arguant qu’elles proviendraient apparemment de “sources intéressées et peu sûres”.

    Mais la vitesse stupéfiante à laquelle l’article de Fisk s’est diffusé dans le monde entier démontre que la renommée du dollar a considérablement chuté au cours de ces dernières années et que l’incertitude quant à l’avenir du système monétaire international ne cesse de croître. 

    On considère donc comme parfaitement imaginable que la facturation du prix du pétrole en dollars connaîtra bientôt sa fin et qu’ainsi le dollar cesserait d’être la monnaie-guide dans le monde. Ce pronostic a pour lui quelques arguments percutants : la crise financière a considérablement fragilisé les assises économiques des États-Unis ; la confiance s’est évanouie ces dernières années dans les perspectives de croissance de l’économie américaine et dans la capacité qu’a la banque d’émission américaine de rétablir la stabilité des prix.

    Les pays pétroliers cherchent-ils à se débarrasser de leurs réserves de dollars ?

    Or c’était justement cette confiance des acteurs économiques internationaux (comme les banques centrales, les producteurs de pétrole brut ou les banques d’investissement) qui fondait la suprématie monétaires des États-Unis depuis que Nixon, en 1971, avait abandonné la convertibilité du dollar en or. De plus, cette confiance résidait également dans le rôle de grands consommateurs que l’on attribuait aux Américains (et c’est là sans doute qu’il aller chercher les origines de l’actuelle crise du dollar) : les marchés américains, en effet, constituaient, jusqu’il y a peu, 25% de la demande internationale. Et ce sont justement ces marchés-là qui sont frappés aujourd’hui d’un fort recul de la demande. 

    La portée de ce recul saute aux yeux, si l’on examine comment fonctionnait le “modèle économique” du commerce entre les États-Unis et les États asiatiques en forte croissance, principalement la Chine : les États-Unis achetaient une bonne part des marchandises produites en Asie et les États asiatiques, en échange, investissaient leurs bénéfices d’exportateurs dans des emprunts d’État américains (ce qui équivaut à des billets de créance). C’est de cette manière que la colossale consommation américaine a été rendue possible (à laquelle même les plus pauvres avaient accès grâce à leurs cartes de crédit), car, par la demande d’obligations américaines, les taux d’intérêts pouvaient être maintenus très bas aux États-Unis.

    Maintenant, le scénario se modifie : la faiblesse persistante du dollar menace de mettre un terme à “ce donner et à ce prendre”, surtout à cause de la perte de valeur des réserves de devises en dollars, que la plupart des banques centrales ont accumulées dans le monde entier. Rien que la Chine possède 24% des Treasury Securities américaines et le Japon, 21%. L’Allemagne, pour sa part, n’en possède que 1,8%. En revanche, elle possède beaucoup plus de “chiffons de  papier” émis par des banques privées américaines.

    On pourrait croire  que les banques centrales ont grand intérêt à ce que le dollar restent à moitié stable. On peut toutefois réfuter cet argument en démontrant que les vicissitudes actuelles du dollar incitent à se débarrasser des réserves que l’on possède de cette devise, avant qu’elle ne chute encore, ce que la conjoncture américaine actuelle permet d’envisager.

    Le danger de voir les banques centrales se débarrasser de leurs réserves de dollars est réel : le  processus pourrait d’ailleurs commencer dans les pays producteurs de pétrole (qui possèdent 6% des Treasury Securities américaines). C’est ce que constatent par ailleurs Jörn Grisse et Christian Kellermann dans une analyse qu’ils ont publiée auprès de la Fondation Friedrich Ebert en Allemagne. L’intérêt des pays producteurs de pétrole à un dollar stable est nettement moindre que dans les pays asiatiques. Ils peuvent aussi compenser la diminution de la demande américaine en allant au devant de la demande croissante d’hydrocarbures que l’on observe  ailleurs dans le monde.

    Tous ces facteurs pourraient contribuer à précipiter la fin de l’hégémonie du dollar, ainsi que des “pétro-dollars”, comme on les appelle. Contrairement à ce que pense Fisk, on ne passera sans doute pas à l’artifice d’un “panier de devises” mais à  une autre devise, en l’occurrence, très probablement, l’euro.

    Dans ce cas, les États-Unis perdraient leur droit de seigneuriage (le droit de battre monnaie) et les revenus qui en résultent comme les produits nets engrangés par la banque d’émission qui crée les liquidités et d’autres formes d’argent propres aux banques centrales, que celles-ci  peuvent produire vu la demande élevée de dollars. Par ailleurs, les Etats-Unis ont profité jusqu’ici des importations de capitaux en provenance des États exportateurs de pétrole. Vu le manque d’investissements potentiels dans ces pays mêmes, les bénéfices des États pétroliers étaient réinvestis pour une bonne part aux États-Unis.

    Toutefois, faut-il le préciser, cette fin éventuelle de l’ère des pétro-dollars ne constituerait qu’une ultima ratio pour des États comme, par ex., l’Arabie Saoudite qui est contrainte d’en appeler à la protection militaire des États-Unis. C’est là un véritable contrat d’assurance dont on ne se débarrassera que si le dollar subit une véritable et rapide dégringolade. La crainte de voir survenir une telle dégringolade est bien présente : elle s’exprime notamment par un repli vers  l’or, dont le court par once de métal fin, vient de battre un nouveau record (calculé en dollars).

    La classe moyenne américaine ne sera plus jamais le moteur de la sur-consommation mondiale

    En arrivera-t-on à cette extrémité du point de vue américain ou non ? Cela dépendra essentiellement de la politique budgétaire du Président Obama et de la politique en matière d’intérêts de la Federal Reserve (la banque d’émission américaine). Ce qui apparaît toutefois indubitable, c’est qu’il n’y aura pas de retour possible, pour les États-Unis, à la situation dont ils jouissaient avant la crise financière. La classe moyenne américaine est extrêmement endettée, est menacée du chômage ou du moins d’un déclin social assuré : elle ne sera plus le moteur de la sur-consommation mondiale. Ensuite, les fonds de pension américains, nourris de gains privés obtenus par spéculation boursière, ont été entraînés dans les abîmes par la crise financière, alors qu’ils auraient permis aux retraités américains de bénéficier d’une fin de vie dorée ; encore un pan de la consommation potentielle qui disparaît.

    Le déclin de la classe moyenne américaine et l’effondrement des fonds de pension éliminent un incitant important chez les fournisseurs des États-Unis que sont la Chine et le Japon : pourquoi garderaient-ils le dollar comme devise de réserve ? Ensuite, tous les bons du trésor américain auront un jour une fin, arriveront à échéance. S’ils ne trouvent pas suffisamment d’acquéreurs pour de nouveaux billets de créance américains (car l’offre de produits industriels américains est à présent assez limitée), la Federal Reserve pourra certes racheter ces Treasury Bonds et augmenter ainsi la bulle des dollars, mais cela aura des répercussions insoupçonnées en matière d’inflation ou autre. Il faudra donc beaucoup de doigté et d’imagination au Prix Nobel de la Paix Barack Obama s’il entend conserver, pour les États-Unis, les avantages que leur a offerts jusqu’ici la suprématie du dollar.

    ► Michael Wiesberg, Junge Freiheit n°43/2009.

    (tr. fr. : RS)


    Benjamin

     

     

    La Chine se découple du dollar 

    Une semaine avant le sommet du G20 au Canada, la Banque Centrale Chinoise (BCC) a annoncé qu’elle assouplirait voire relâcherait les liens qui unissent le Renminbi (le Yuan) au dollar américain. La Banque centrale chinoise exclut toutefois une réévaluation hâtée ou unique. Le cours des changes serait ainsi “maintenu à un niveau raisonnable et équilibré, ce qui lui apportera une stabilité fondamentale”, a dit le porte-paroles de la BCC. Les fluctuations dans le cours des changes ne pourront s’effectuer que dans un “corridor” de 0,5% par jour. Le 21 juin, le cours du change était de 6,80 renminbi pour 1 dollar américain, ce qui est un record. La semaine précédente, le cours du change était de 6,82 renminbi. Jusqu’en 2005, la Chine avait maintenu le cours de manière constante à 8,28 renminbi pour 1$, en achetant des masses de billets verts. Ensuite, dans les années qui suivirent, la BCC avait autorisé une réévaluation continuelle de la monnaie chinoise. En 2008, elle avait gelé le change à cause de la crise financière mondiale à environ 6,83 renminbi.

    (source : Junge Freiheit n°26/2010).



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