• keroua10.jpgKerouac, l'écrivain de la “Beat generation”

    Kerouac redonna son envol à la poésie américaine lestée en ces années 50 d'une attitude esthétisante ou d'expérimentations intempestives qui l'avaient peu à peu coupée du public. En reliant indissociablement sens des grands espaces et celui de la liberté,  trait saillant et typique de la culture américaine, il renouait avec la geste du poète Walt Whitman (soucieux des valeurs pionnères et épiques de son pays à l'époque où celui-ci s'urbanise rapidement fin XIXe siècle). Que retenir de son œuvre ? Des beatniks, on fait souvent des précurseurs des mouvements contre-culturels des années 60 (désobéissance civile, comme dirait Thoreau, au moment de la guerre du Vietnam, libération des mœurs, etc)  : ils n'auraient pas seulement produit un mouvement littéraire, mais aussi amené une prise de conscience de l'aliénation de l'homme dans le monde moderne. On a pu soutenir, à l’inverse, qu’ils en constituait le moment le plus original en raison de la cristallisation, dans quelques lieux new-yorkais, d’une vie culturelle intense et, parallèlement, d’un essaimage dans des voyages. Joyce Johnson, qui fut la compagne de l’écrivain Jack Kerouac, formule ce type de jugement dans un roman, paru en 1983, qui fait le portrait des personnages principaux de la "beat generation" et recompose quelques atmosphères. Cet ouvrage, intitulé Personnages secondaires, pour bien marquer le rôle qui fut le sien et celui d’autres femmes de la Beat generation, apparaît vivant et fiable parce que sans nostalgie ni rancœur.

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    Le 5 septembre 1957, le New York Times publie une recension qui deviendra légendaire : elle concerne le roman de Jack Kerouac On the Road. Ce livre y est défini comme un “événement historique” et “une œuvre d'art authentique”, qui mérite la “plus grande attention” et revêt la “plus haute signification”, à une époque où justement nos attentions sont éparpillées, nos sensibilités estompées par les superlatifs de la mode, multipliés à l'infini par l'esprit et la puissance des médias. Le livre de Kerouac deviendra célèbre au titre de “testament de la Beat generation”, tout comme La Fiesta de Hemingway avait été le testament de la Lost generation.

    Kerouac est mort en 1969, le 22 mars. Un ouvrage paru en 1983 aux États-Unis, traduit en plusieurs langues européennes, celui de la femme-écrivain américaine Joyce Johnson, nous offre des textes de première main, du vécu en direct. Car Joyce Johnson (qui s'appelait Glassmann à l'époque) a été l'amie et l'amante de Kerouac pendant deux ans.

    Ce livre est d'autant plus intéressant qu'il traite d'un conflit de génération dans l'Amérique des années 50. Ceci dit, en son temps, la Beat generation était un groupe de jeunes écrivains et d'intellectuels américains dont l'intérêt et la pertinence ont été très vite reconnus et acceptés : ce groupe témoignait d'une fraîcheur et d'une authenticité indéniables, mais, hélas, s'est figé et historicisé fort promptement. Outre Kerouac, ce mouvement littéraire comptait dans ses rangs des noms comme Allen Ginsberg, William Burroughs, Neal Cassidy, Gary Snyder autour desquels se formaient des cénacles ou des bandes de copains, d'admirateurs et de compagnons occasionnels. Sur le plan artistique, ces écrivains ont lancé quelques nouvelles formes lyriques et narratives, comme l'oral poetry. Ils ont ouvert la littérature américaine à de nouveaux thèmes jusqu'alors marginalisés, du moins en apparence. Sous leur impulsion, de nouveaux vocables apparaissent dans le langage quotidien des Américains : les "kicks" désignent les moments d'enthousiasme spontané ; “diggins” veut dire : comprendre spontanément l'autre. La Beat generation était l'avant-garde de la “génération silencieuse”, soit celle d'après la Seconde Guerre mondiale ; elle aurait sans doute préféré être la Lost generation mais on la considérait comme passive et conformiste (Morisson aussi ivre de poésie et de pureté refusa de s'enfermer dans un personnage). Exceptionnellement, cette génération produisait des individualités fortes ou des rebelles. Une question affable de T.S. Eliot convenait tragiquement à cette génération : “Oserais-je manger la pêche ?”. “Nous étions conscients, et nous en souffrions, que nous n'osions pas, dans la plupart des cas”.

    Joyce Johnson, née en 1936, a décrit en détail sa propre biographie : elle est issue d'une famille de la classe moyenne new-yorkaise. Elle en a eu assez de la pruderie, de la bigoterie, de la bonne conscience sans compromis de cette famille qui était la sienne. Touchant et maladroit, son père, sur son lit de mort, prononce ces quelques mots : “Nous aurions dû aller à Paris”. Elle se souvient de l'effet électrisant qu'eut sur elle un article de journal en 1952, où il était question des beatniks, d'excitation, de sensation, d'impatience et d'extase. En 1955, elle quitte la maison familiale, sans avoir d'emploi convenable, sans argent : elle travaille dans des maisons d'édition, elle écrit un roman. Elle fait la connaissance d'Allen Ginsberg, puis, finalement, de Jack Kerouac. Elle devient la petite amie du vagabond, qui n'était pas encore célèbre.

    Six ans après avoir été écrit [en 1951], le manuscrit On the Road [Sur la route] est enfin publié. Kerouac l'avait écrit en deux semaines dans une ivresse de créativité. Ce roman relate l'existence des tramps, qui vagabondent de la côte Est à la côte Ouest : derrière un voile de fiction, on devine immédiatement le modèle beatnik. Kerouac renoue là avec une tradition américaine, qu'avait incarnée Jack London avant lui. Mais la Beat generation n'est pas une simple copie de l'univers de Jack London. Quand Kerouac commence ses pérégrinations en 1947, il lance sans détours un affront au nouveau way of life, tout de luxe et d'abondance. Après les années de famine et de misère, après la grande dépression des années 30, les Américains pouvaient enfin jouir de l'existence ; Kerouac, lui, voyait déjà que cette abondance menait inexorablement au nivellement.

    Le refus des normes, la fusion de la vie et de l'art, étaient davantage qu'un jeu esthétique : Kerouac et ses homologues jouaient ce jeu en courant un sérieux risque. Joyce Johnson, quand elle quitte la maison, n'a pas la moindre certitude et, un jour, elle se retrouvera tout en bas de l'échelle, dans le monde de la pauvreté. Des concierges méfiants la considèrent comme une “pute”. Gravir les escaliers de l'immeuble, c'est l'horreur pour elle. Pour l'opinion publique et pour les autorités, les beatniks sont le ferment de la criminalité et de la subversion ; ce rejet était le prix à payer pour l'indépendance, extérieure et intérieure. Une indépendance qu'ils avaient voulue.

    Mais c'était une danse sur le fil du couteau. À une de leur amie, dont les ambitions artistiques avaient échoué, la "liberté" avait bien montré sa face de Méduse : elle s'est alors jetée par la fenêtre, en laissant ce poème : “pas d'amour / pas de pitié / pas d'intelligence / pas de beauté / pas d'humilité / vingt-sept ans, ça suffit”.

    Ce suicide était la conséquence extrême d'un mode d'existence qui se voulait inconditionné. Mode d'existence qui était la prémisse majeure de la vie artistique et bohème que voulaient les beatniks. Aux yeux de leurs contemporains et des générations suivantes, ce mode de vie fonde l'identité beatnik qui, aujourd'hui encore, irrite ou fascine. Certes, dans leur univers en marge, il y avait tout un rituel de groupe, beaucoup de superficialité. On cherchait à se rendre important en jouant les cradots. Chez les beatniks, seul le noyau dur et authentique compte, à encore une valeur pour notre réflexion contemporaine. D'après Joyce Johnson, Kerouac était chaotique, lunatique, il était un buveur bien sûr, mais il n'était ni calculateur ni manipulateur et les lamentations appelant la pitié lui étaient étrangères. Il voulait la gloire, pour faciliter son rapport au monde, ce qui s'est avéré problématique et erroné, dès que la gloire est arrivée.

    Dans les années 50, les talkshows commencent à se répandre aux États-Unis, avec un succès éclatant : dès lors, les médias, friands d'originalité ou de scandales, ne tardent pas à s'emparer du phénomène beatnik, surtout après les articles du New York Times. Et Kerouac, à son tour, a été sollicité par les médias. Il a franchi une frontière dangereuse. Quand il s'est efforcé de faire comprendre et de rendre crédible les ressorts de sa créativité à l'opinion publique liée aux médias, Kerouac a avoué qu'en vérité il cherchait Dieu. En disant cela, il a jeté son talent esthétique et visionnaire en pâture à la masse. Être beatnik n'était plus qu'une mode sans risque, que l'on pouvait s'acheter sous la forme de lunettes ou de pulls ! C'est donc ainsi qu'il fallait chercher Dieu, se sont dit tous les médiocres ! Et en chacun de nous sommeille un homme ou une femme qui cherche Dieu. Surtout médiocrement.

    C'est donc au nom de sa propre rébellion, au nom des espoirs qui avaient germés en elle dans les années 50, que Joyce Johnson critique aujourd'hui toutes les rébellions qui ont suivi la sienne :

    « Les années 60 n'ont jamais correspondu à ce que j'attendais. Elles m'ont déçue, malgré le feu d'artifice qu'elles étaient. Bon nombre de “grands moments” des années 60 n'ont jamais été autre chose que des insuffisances. J'ai vu comment les hippies ont pris la succession des beatniks, comment les sociologues ont succédé aux poètes… C'est sans enthousiasme que j'ai observé l'émergence des lifestyles. L'intensité que nous avions connue s'est affadie, elle n'a plus été qu'une “simple chose disponible”, qu'on pouvait se fabriquer : on était obligé de pratiquer une “liberté” pour laquelle il n'avait pas fallu se battre. L'extase n'était plus qu'un produit chimique, l'oubli, on pouvait se le faire prescrire sur ordonnance. La révolution était dans l'air, mais elle n'est jamais venue et, si elle était venue, il n'y aurait plus eu de place pour un Kerouac ».

    Effectivement, les soixante-huitards professionnels d'aujourd'hui, que peuvent-ils faire d'un Kerouac ? Et un Kerouac, qu'aurait-il penser d'eux ?

    ► Thorsten Hinz, Nouvelles de Synergies Européennes n°32, 1998.

    (texte paru dans Junge Freiheit n°41/1997)

    • Référence : Joyce Johnson, Warten auf Kerouac : Ein Leben in der Beat Generation, Kunstmann, München, 1997, 279 p. Tr. fr. : Personnages secondaires, Paris, Union générale d’éditions, 1996.

     

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    Pièces-jointes :

     

    KerouacJack Kerouac, le beatnik anticommuniste

    Avec la parution de Pic — roman spontané et réaliste sur le milieu noir américain des années 40 — aux éditions de la Table Ronde, c'est maintenant la quasi-totalité de l’œuvre de Jack Kerouac (1922-1969) qui est disponible en français. Étonnante figure que Kerouac : prosateur talentueux, porte-parole des beatniks… et réactionnaire fieffé.

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    Jack Kerouac, c'est l'inventeur de la beat generation. La publication en 1957 de son roman Sur la route allait impressionner durablement toute une frange de la jeunesse américaine et européenne. Son mot l'ordre : « Lâchez tout, partez sur les routes ». Avec lui, la “virée frénétique”, le “stop” prenaient une dimension littéraire.

    Les écrivains de la beat generation sont issus de la bohème de San Francisco. Outre Kerouac, les plus intéressants ont pour noms : Allen Ginsberg, William Burroughs, Gregori Corso et Lawrence Ferlinghetti. Ensemble, au cours des années 1950-1960, ils ont marquer profondément la vie intellectuelle américaine. Leurs références ? Les auteurs du « décrochage » ; ceux pour qui la poésie est une manière de vivre : Whitman, mais aussi Baudelaire et Rimbaud. Et puis les stylistes. Joyce, et bien sûr Céline. Ginsberg fut si frappé par l'auteur du Voyage au bout de la nuit, qu'il obtint, grâce à Michel Mohrt, de le rencontrer dans sa villa de Meudon ; et Kerouac, dans un Cahier de l'Herne consacré au docteur Destouches ne cacha pas combien il avait été influencé par celui-ci.

    Partisans d'une “expression spontanée” nourrie de toutes les expériences, les “beats” rejoignent la démarche de certains surréalistes comme Michaux ou Antonin Artaud. En effet, le mysticisme oriental, le rêve, la drogue, sont des thèmes qu'ils affectionnent et auxquels il convient d'ajouter celui, typiquement américain, du vagabondage.

    Les écrivains “beats” ne sont pas des politiques. Pourtant, certains d'entre eux sont sans conteste habités par une sensibilité de gauche ou plus exactement gauchiste. C'est le cas pour Ginsberg, Corso et Ferlinghetti — auteur de Tyrannus Nix, recueil de poèmes violemment hostiles au président Nixon. Pour ne se réclamer d'aucun système ni d'aucune idéologie précise, ces “anarcho-communistes” n'en ont pas moins pris parti avec tapage contre leur pays au moment de la guerre du Vietnam. Kerouac, lui, s'est toujours senti spontanément réactionnaire. Fort gênée, la critique française s'est, dans un bel ensemble, abstenue d'évoquer ce fait. Une bonne raison pour découvrir cette face cachée du “roi des beats”.

    Le “petit agneau Jésus”

    Jack Kerouac est né à Lowell, dans le Massachusetts, en 1922, d'une famille catholique d'origine canadienne française. L'éducation chrétienne qu'il reçut laissa en lui des traces profondes. Dans Visions de Gérard (1963), son roman le plus religieux, Kerouac, le chef de file des “beats”, les entretient de la Vierge Marie. Du reste, il en voulut sans cesse à l'écrivain Norman Mailer d'avoir déblatéré sur la mort de Dieu. Sa passion pour le bouddhisme zen ne lui fit jamais renier sa foi catholique. C'est ainsi qu'il explique au poète Philip Whalen les consolations et la paix qu'il trouvait à prier sainte Thérèse et « le petit agneau Jésus ». Plus d'une fois, dans son balluchon d'errant, il lui arrivait d'emporter une Bible ou une image de Notre-Dame de Guadalupe pour laquelle il avait la plus grande dévotion.

    Toute une jeunesse enthousiasmée par la lecture de Sur la route était loin de s'imaginer que son auteur faisait du stop au bord des autostrades un rosaire autour du cou et une médaille de saint Christophe, cousue amoureusement par sa mère, au revers de son sac à dos. Car aussi surprenant que cela puisse paraître, Kerouac, entre deux virées folles, revenait vivre chez sa maman (“Mémère”). Au sortir d'incessantes nuits d'alcool, l'espoir lui revenait d'enfin mener une vie apaisée, entouré d'une femme et d'enfants ; il pensait avec nostalgie à ses idéaux d’adolescent : décrocher une bourse pour l'Université et devenir champion sportif afin d'atteindre à la fameuse formule mens sana in corpore sano.

    Avec la religion, il est un autre point sur lequel Kerouac ne transige pas, le patriotisme : « Je suis pro-américain (…). Ce pays a donné à ma famille l'occasion de s'en sortir, plus ou moins, et je ne vois aucune raison de vilipender ledit pays ».

    Partisan de McCarthy

    D’où des prises de position qui stupéfieront — et consterneront — ses amis. En pleine Guerre froide, il se déclare partisan convaincu de l'action répressive du sénateur McCarthy visant à mettre hors d'état de nuire les personnalités politiques et intellectuelles ayant des sympathies communistes. En 1956, lors des élections présidentielles — même s'il ne vote pas — il se prononce pour le général Eisenhower et contre le candidat progressiste Adlai Stevenson. L'ultra-conservatrice John Birch Society ? Il est pour ! S'abonne-t-il à une revue ? Il choisit la National Review de William Buckley, considéré par la gauche comme un “politicien fasciste” (en réalité un membre de l'aile droite du Parti républicain).

    Couvert d'insultes par la gauche radicale, son anticommunisme ne fit que croître. Dans son dernier livre Vanité de Duluoz (1968), il tient à écrire que « le mensonge est devenu prédominant dans le monde grâce, entre autres, à la propagande de la dialectique marxiste et aux techniques de l'Internationale communiste ». Les dires répétés de Kerouac contre « le lavage de cerveau communiste » finiront par l'éloigner de ses camarades Ginsberg et Ferlinghetti. Favoriser ou tolérer le communisme, qu'il définissait comme une forme séditieuse de la contestation, c'était pour lui faire preuve d'un libéralisme suicidaire. L'alcool ne l'amenait pas à de plus tendres sentiments. Peter Orlowsky — poète de son état et “ami” de Ginsberg — témoigne : « Il me rabâchait sa haine des communistes, m'assurant qu'il était prêt à monter dans un arbre avec un fusil et à descendre les communistes, s'il le fallait ».

    Kerouac n'a rien d'un doctrinaire ! Son état d'esprit dans le domaine politique correspond à celui de la “majorité silencieuse”. Plus d'une fois, il regrettait que ses voisins le prennent pour un hurluberlu, alors qu'il ne désirait être… qu'un bon patriote ! Même sur des problèmes comme celui de la drogue, ses vues ne laissent pas de surprendre : ainsi il était convaincu que le LSD avait été introduit par les Soviétiques aux États-Unis dans le but de s'en prendre au fondement moral du pays.

    Kerouac était viscéralement attaché à la bannière étoilée : en visite chez des amis, il s'aperçut que le divan était recouvert d'un drapeau américain ; aussitôt, il l'enleva, le plia soigneusement et le reposa avant de s'asseoir. Les campagnes pro-vietcongs des Joan Baez, Jane Fonda et autres Bob Dylan le mettaient hors de lui ; il affirmait alors être demeuré un “marine” prêt à partir incontinent pour le Vietnam.

    KerouacLes ancêtres français

    [Ci-contre : Dans Satori à Paris (1966), Kerouac découvre le cognac et le glorieux combat des Chouans]

    Patriote américain, Kerouac était également très fier de ses lointains ancêtres français. C'est vers 1750 que le baron Alexandre Lebris de Kerouac quitta sa Bretagne pour le Canada où une terre lui avait été attribuée. Son livre Satori à Paris (1966) nous narre les tribulations de Jack parti découvrir, deux cent dix ans plus tard, les traces de son ancienne famille dont la devise était : « Aime, Souffre, Travaille ». Par-delà un voyage funambulesque, il découvre, un peu naïvement mais non sans émotion, ce pays où « les Bretons étaient contre les révolutionnaires, qui étaient des athées, qui tranchaient les têtes au nom de la fraternité, tandis que les Bretons avaient des raisons paternelles de rester fidèles à leur ancien mode de vie » ; cette remontée dans le temps l’amène à affirmer : « Je ne suis pas bouddhiste, je suis un catholique en pèlerinage sur cette terre ancestrale qui s'est battue pour le catholicisme, à dix contre un, et qui a pourtant fini par gagner, car certes, à l'aube, je vais entendre sonner le tocsin, les cloches vont sonner pour les morts ». De ces liens charnels, Kerouac en déduisit constamment que la France était sa véritable patrie.

    L'importance de se rattacher à un passé, à un environnement n'a pas échappé à Kerouac qui écrit dans Vanité de Duluoz : « Partout dans le monde les intellectuels des villes vivent coupés de la terre et de ceux qui la cultivent, et ne sont en fin de compte que des insensés dépourvus de racines ». Il va jusqu'à s'en prendre à « toute cette ordure superficielle des existentialistes, des hipsters et des bourgeois décadents ».

    Kerouac a perpétuellement essayé de se démarquer de l’étouffante étiquette de philosophe des bas-fonds. Après avoir lu Sur la route, les gens voulaient à tout prix que le mot “beat” ne signifiât qu'un « débordement de frénésie hystérique sans objet ». Kerouac, au cours de divers entretiens, ne cesse de proclamer que « la beat generation ce n'était pas les voyous, ni la canaille, les durs, les je-m'en-foutistes, ni les déracinés ». Pour lui, the “beat” désignait bien une route, mais la route de celui qui recherche la béatitude [du latin beatus : saint], à l'instar de saint François d'Assise.

    Avant de s'éteindre « éreinté et accablé d'ennui » à l'âge de 47 ans, Kerouac, homme de tous les paradoxes, avait également tenu à préciser : « Je suis artiste et conteur, un écrivain dans la grande tradition narratrice française, et non le porte-parole d'un million de voyous ».

    ► Philippe Vilgier, Le Choc du mois n°5, 1988.

     

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    Beat Generation

    Introduction

    Le 24 octobre 1969, on enterrait au cimetière catholique de Lowell, morne petite ville industrielle du Massachusetts, le corps de jack Kerouac, mort d’une hémorragie abdominale à l’âge de 47 ans. Depuis quelque temps, il n’était plus que l’ombre de lui-même, revenu, auprès de sa “Mémère”, à un vieux fonds de populisme pieux, ressassant ses rancœurs, sourd à la musique de Woodstock où, cet été-là (août 1969), une nouvelle génération américaine avait tenu son festival, le “premier congrès eucharistique de la religion du rock” (Bruce Cook). Il aurait pu cependant y reconnaître, comme le fit Allen Ginsberg, la moisson de ce que lui et ses amis avaient semé, mais il avait passé la main ; un chapitre était définitivement clos et loin l’époque où, avec sa belle et sombre gueule de bûcheron, de débardeur, sa chemise à carreaux, ses bourlingues d’une côte à l’autre, “Kerouac le vagabond”, lampant sa gnôle à même le goulot et scandant ses blues à l’escale de la grand-route, avait été la star numéro un du mouvement beat qu’une Amérique un peu effarouchée avait vu soudain exploser en 1955-1957. Sa chronique picaresque et sentimentale Sur la route (On the Road, 1957), récit des folles embardées à travers le continent américain des “enfants de la nuit bop”, est néanmoins restée, avec Howl, la rhapsodie hallucinée de Ginsberg (1955), le document classique de la génération beat, ce grand happening littéraire des années 50, l’électrochoc qui tira de sa torpeur l’Amérique d’Eisenhower, la secousse qui, partie d’un clan de copains emportés par le tourbillon d’un narcissisme extatique, finit de proche en proche par transformer le paysage culturel, voire politique de l’Amérique et laissa, sinon de grandes œuvres, du moins un profond sillage.

    Préhistoire

    Le noyau originel de ce qui allait devenir, l’orchestration publicitaire aidant, la beat generation, naquit de la rencontre à New York, en 1943-1944, d’un trio improbable : Kerouac, Ginsberg et Burroughs. William Burroughs (1914-1997) avait déjà trente ans ; après des études d’anthropologie à Harvard, il vivait de petits métiers et jouait au chat et à la souris avec la brigade des stupéfiants. Burroughs restera toujours proche de ses amis beat, mais on peut penser que, sans la beat generation, il aurait tout de même écrit, avec un glacial humour d’arnaqueur pince-sans-rire, à mi-chemin entre W. C. Fields et Jonathan Swift, les textes où (depuis Junkie, 1953, et The Naked Lunch, 1959) il débusque les pièges, linguistiques et autres, par où le système social nous traque. Jack Kerouac (1922-1969), d’une famille franco-canadienne, avait joué au football américain, navigué dans la marine marchande ; il rêvait d’être un nouveau Jack London, un second Thomas Wolfe. Quant à Allen Ginsberg (1926-1997, né à Paterson, New Jersey), où son père, poète lui-même, était instituteur, il n’était encore qu’un tout jeune étudiant à l’université Columbia où ses frasques faisaient scandale.

    Le trio fréquente le monde des paumés et des drogués de Times Square, se frotte à la petite pègre des “rues sans joie”, découvre aussi l’envers nocturne de la grande ville, le jazz de Harlem comme “l’aube blafarde des clochards à la dérive”. John Clellon Holmes (1930-1988) a évoqué le climat de ces années dans Go (1952), le premier roman beat. Depuis le XIXe siècle, le mot beat désignait le vagabond du rail voyageant clandestinement à bord des wagons de marchandises, dormant la nuit dans les “jungles” en contrebas des remblais. Passé dans le lexique des jazzmen noirs (Man, I’m beat) auxquels les beats l’empruntèrent comme le reste de leur argot (hip, dig, jive), il en vint à signifier une démarche, une manière de traverser la vie : être beat, c’était être en bout de course, à bout de souffle, exténué, “foutu” — l’impression “d’être réduit au tréfonds de la conscience, d’être acculé au mur de soi-même” (Holmes) et de survivre, furtivement, dans les marges clandestines du monde urbain. Cette sensibilité de marginal, déjà esquissée par les films noirs où jouait Bogart, voire dès 1931 par Peter Lorre et sa manière, souvent imitée, de frôler les murs dans M le Maudit de Fritz Lang, Kerouac y vit le style propre à toute une génération ; il inventa le label : il y avait eu la “génération perdue”, celle-ci était la génération “foutue” qui, parvenue au bout de la route, continuait“furtivement” à marcher. Norman Mailer (1926-2007), compagnon de route des beats, devait en 1957 faire une brillante analyse de ce “style” dans son essai The White Negro.

    L’appel du continent

    L’automne de 1946 débarque à New York, en provenance du Colorado, le légendaire Neal Cassady, le gosse de la route né en 1926 à Salt Lake City de parents migrants d’Oklahoma. Il sort de prison, est affamé d’expériences “sur le vif” et “sans entraves”. L’énergie “sauvage” de ce voyou survolté, de cet “ange en salopette”, fascine Kerouac et Ginsberg : “C’était l’Ouest, le vent de l’Ouest, une ode venue des Plaines”, soufflant dans leur vie jusqu’ici confinée. Cassady fonce, se défonce, et, à sa suite, Kerouac et Ginsberg commencent leurs équipées sauvages à travers le continent : les “cloches” de New York deviennent les “clochedingues” qui se font la belle, cap à l’ouest, et sillonnent le pays. Cassady continuera d’ailleurs jusqu’à la fin cette course effrénée : on le retrouvera au volant du bus bariolé des Merry Pranksters de Ken Kesey (1935-2001) lors de leur voyage transcontinental de l’été 1963 ; en février 1968, il est trouvé inconscient près d’une voie ferrée au Mexique et il meurt d’une surdose de drogue. À Ginsberg, il aura enseigné, tabous levés, la découverte de son propre corps ; à Kerouac, le sens du paysage américain comme un grand livre ouvert. Il y a dans Sur la route du “lyrisme mignard” (Ginsberg), mais aussi un certain charme élégiaque, une mélancolie, comme un mal du siècle né du vertige des grands espaces. “Quel est ce sentiment qui vous étreint quand vous quittez des gens en bagnole et que vous les voyez se rapetisser dans la plaine jusqu’à finalement disparaître ? C’est le monde trop vaste qui nous écrase et c’est l’adieu. Pourtant, nous allons tête baissée au-devant d’une nouvelle et folle aventure sous le ciel.” La beat generation participe ici d’un mouvement général de retrouvailles avec, ou de repli sur, l’Amérique qui tranche sur l’époque des expatriés et est caractéristique des années 1948-1952.

    Neal Cassady, ce cow-boy de la frontière, remplaçant, dans un espace recroquevillé, la lente transhumance par la nervosité des raids à fond de train, fut pour Kerouac un lien romanesque avec l’Amérique des migrants d’autrefois. La beat generation renoua ainsi avec la tradition du hobo de Josiah Flynt, de Jack London (The Road, 1907) ou de Vachel Lindsay, et se joua un remake de la migration des pauvres Blancs des Raisins de la colère, sans le mordant politique. Chaque beat donna sa propre variation du vagabond. Le monde de Kerouac est celui d’un lecteur de Spengler attendant, dans le crépuscule de l’Occident, le salut d’un renouveau de la religiosité chez les oubliés de la terre, les “fellahs”, ce qui n’est pas sans harmoniques avec le climat politique des années McCarthy. Puis l’influence de Gary Snyder viendra infléchir le vagabond vers le “clodo du dharma”, le moine bouddhiste itinérant, le vagabond sous son ombrelle trouée : beat renverra alors à la béatitude, à la disponibilité qui ouvre à une nouvelle perception du monde.

    Une prosodie bop

    “Je veux qu’on me considère comme un poète de jazz qui joue des blues à une jam-session le dimanche après-midi. Je prends 242 chorus, mes idées varient, glissent parfois d’un chorus à l’autre, débordent l’un sur l’autre” (Kerouac, Mexico Blues, 1959). Pour Ginsberg, Kerouac a essayé de “jazzer” la langue américaine. Il avait un côté clochard de la Bowery improvisant sous le portail d’un immeuble. Dans les années 40, il avait entendu, au Milton Playhouse de Harlem, Monk, Parker et Gillespie. Plus tard, il enregistra des haïkaï, accompagné par Zoot Sims et Al Cohn : “La semelle de mes godasses est trempée, j’ai marché sous la pluie”. Dans une Amérique de l’après-guerre, où l’influence du New Criticism avait sclérosé l’inspiration poétique et l’avait cantonnée dans une sorte de préciosité frileuse, le grand apport beat fut de refaire de la poésie un art vocal. Il s’agissait désormais moins de lécher d’elliptiques distiques ironiques que de retrouver le beat, le tempo profond d’un solo de saxo montant crescendo jusqu’à la béatitude de son dénouement, sans se soucier des entraves de la grammaire ni des formes. D’où l’expérimentation de toute une série de techniques d’écriture spontanée, impromptue, sans révisions ni ratures, et le sens du texte rapide et qui s’efface qui restera la marque de tous ceux qui de près ou de loin (par ex. Richard Brautigan, 1935-1984) ont subi l’influence beat.

    Cette prosodie bop aura surtout fait renouer l’écriture poétique avec le corps, et le souffle, comme le démontra magistralement Allen Ginsberg le soir d’octobre 1955 à San Francisco où il déclama son “hurlement” (Howl), rythmant de son corps les versets de sa longue litanie suraiguë tandis que le public scandait comme dans une jam-session les laisses rythmées par le retour lancinant de la note profonde d’un Who (qui) où le poète reprenait respiration pour relancer le chant comme une ritournelle de saxo “qui fit trembler les villes jusqu’à leur dernière radio”. L’influence d’Artaud et de Rimbaud, le souvenir des illuminations de William Blake, la drogue, tout contribua au “long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens” qui, libérant la parole prophétique de ce nabi fou d’Amérique, lui faisait retrouver, ce dont il était parfaitement conscient, les sources vives de la tradition américaine, le souffle de Whitman, de Lindsay, de Sandburg. Cet aspect de la révolution beat, qui trouvait des échos dans l’Action Painting des années 1947-1950 ou la théorie du “vers projectif” de Charles Olson (1950), fut important entre tous, contribuant aussi à sortir de l’ombre des poètes comme William Carlos Williams ou Louis Zukofsky, dont on n’avait pas jusqu’alors perçu l’importance.

    La mouvance beat

    La soirée d’octobre 1955 à San Francisco où Ginsberg lut Howl, la publication en octobre 1956 de ce texte par City Lights et le procès pour obscénité qui s’ensuivit firent éclater le mouvement beat dans le grand public américain. En septembre 1957, On the Road, écrit entre 1949 et 1952, trouva enfin un éditeur. En novembre 1959, la “rébellion” beat eut les honneurs de Life, le magazine illustré des familles. Un journaliste forgea le terme beatnik qui servit rapidement à désigner, comme on l’aurait appelée “zazoue” ou “existentialiste”, la bohème des quartiers de Venice West, à Los Angeles, de Greenwich Village, à New York, ou de North Beach, à San Francisco. Du jour au lendemain, l’Amérique fut pleine de beatniks, c’est-à-dire, dans l’image que s’en faisait la grande presse, d’adolescents déguisés en clochards crasseux, cheveux longs et nu-pieds, trouvant des extases mystiques au fond de piaules grouillantes de cancrelats. Ce phénomène social des “rebelles sans cause” n’était pas toujours sans rapport avec le mouvement beat (par ex., dans son culte de héros à la vie brève et violente comme Dylan Thomas, Charlie Parker, James Dean), mais il en travestissait gravement l’impulsion profonde, de sorte que tous les écrivains qui se sont trouvés un jour ou l’autre placés dans l’orbite de la beat generation se sont acharnés à se démarquer de ce label finalement “insultant” (Ginsberg) : chacun a en effet sa personnalité propre et son propre cheminement que le terme beat brouille plus qu’il ne l’éclaire. Citons-les cependant, en vrac pour ainsi dire ; ils ont en commun de s’être connus, d’apparaître bras dessus, bras dessous sur les innombrables photographies que la beat generation n’a cessé de prendre d’elle-même ; mais tous pourraient dire, comme Gregory Corso,“la beat generation, ça n’existe pas”.

    Lawrence Ferlinghetti, dont la librairie City Lights fut à San Francisco le quartier général beat, est né à Y onkers, New York ; après un doctorat à la Sorbonne (1951), il a inauguré sa série des Pocket Poets en 1955 ; il a traduit en anglais Paroles de Prévert et publié en 1960 un roman, Her, proche du Nadja de Breton ou du Nightwood de Djuna Barnes. Philip Whalen (1923-2002) est né à Portland, dans l’Oregon : guetteur d’incendie, poète zen. Bob Kaufman (1925-1986) est né à La Nouvelle-Orléans : à 13 ans, il est mousse dans la marine marchande et fait, en quinze ans, neuf fois le tour du monde. Philip Lamantia (1927-2005) est né à San Francisco, il découvre le surréalisme en peinture ; Breton dira de lui qu’il est le seul surréaliste américain. Gregory Corso : né en 1930 à New York, une enfance ballottée de famille adoptive en famille adoptive, puis la prison, puis la rencontre avec Ginsberg. Gary Snyder est né à San Francisco, il participa en 1955 à l’historique soirée avant de partir pour le Japon. Michael McClure était le plus jeune poète de cette soirée : à son intérêt pour la “composition par champ” et la calligraphie s’ajouta plus tard l’obsession du face-à-face entre Billy le Kid (“le Jacob Boehme de l’assassinat”) et Jean Harlow,“le yin et le yang” (The Beard, 1965). Dès qu’on s’éloigne du “noyau originel” (et new-yorkais), la mouvance beat se fait vaste et plus floue.

    Un autre regard

    Orchestré par le maestro Ginsberg, l’explosion beat fut un grand coup de cymbales : on découvrit San Francisco. Le retentissement, toutefois, n’aurait pas été si grand ni si durable s’il n’y avait pas déjà eu sur la côte ouest toute une activité culturelle que peuvent résumer rapidement les deux noms de Kenneth Rexroth et de Robert Duncan. Kenneth Rexroth (1903-1982) était arrivé en 1927 du Middle West à San Francisco : dans cette ville, dit-il, la seule qui, colonisée par des marins et des aventuriers, n’ait pas subi l’emprise des puritains de Nouvelle-Angleterre ni des féodaux du Sud, se perpétuait la vieille tradition anarcho-syndicaliste des Wobblies (I.W.W.) du début du siècle. Alors que l’Est, sous l’influence conjuguée des marxistes de Partisan Review et des agrariens de Kenyon Review, se fermait, toujours selon Rexroth, dans un repli provincial, San Francisco, ville ouverte, avait gardé le contact avec le mouvement moderniste de l’entre-deux-guerres (Pound, Eliot, Williams, Moore). Robert Duncan (1919-1988) illustre par son trajet cette même continuité pour avoir travaillé avec Charles Olson et Robert Creeley au Black Mountain College, ce “Bauhaus de Caroline du Nord” (S. Fauchereau), dont l’influence à long terme fut immense sur la culture américaine. C’est par ce qu’elle capta de cette double tradition, radicale et moderniste, que la beat generation eut le plus d’impact. Nul n’illustre mieux ce retour aux sources oubliées que Ginsberg. Échappant à la beat generation, il a transformé son sens dadaïste du happening en une stratégie politique. Chantant des mantras devant les baïonnettes, opposant à la paranoïa du Pentagone le satori de la “nouvelle conscience”, il est devenu une institution américaine, un prophète fils de Whitman à qui il finit même par ressembler. Mais le gourou de la jeunesse internationale, que les étudiants de Prague sacrèrent en 1965 “roi de Mai”, ouvre ici un nouveau chapitre, tout comme le fait Gary Snyder. Si Allen Ginsberg fut le Walt Whitman de la beat generation, Gary Snyder fut son Thoreau. Élevé dans la forêt au nord de Seattle, il recueille l’héritage wobbly que Bob Dylan ira chercher auprès de Woody Guthrie. La double expérience des réserves indiennes d’Amérique et des monastères zen du Japon l’amène à percevoir, sous les États-Unis, la conquête puritaine et industrielle, le continent perdu des Indiens, “l’Amérique, île Tortue”. Earth House Hold, publié en 1969, décrit cette nouvelle perception des rapports de l’homme et du continent. C’est encore la beat generation, et déjà autre chose où se retrouve le legs de l’ancêtre William Carlos Williams, médecin à Paterson où Ginsberg était allé le voir, et auteur de ce traité beat avant la lettre, In the American Grain (1933), où il esquissait cette autre version de l’Amérique que la beat generation aura beaucoup fait pour mettre au jour.

    ► Pierre-Yves Pétillon, Dictionnaire des littératures de langue anglaise, Universalis, 2019.

      


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