• Vouloir 134-136

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    VOULOIR n° 134-136

    Automne 1996

     

    ◘ SOMMAIRE :

    • Itinéraire (R. Steuckers) [ci-dessous]
    • Y-a-t-il eu une “Révolution Conservatrice” ? (K. Weissmann)
    • Du Yin et du Yang de la “Révolution Conservatrice” en Allemagne (Dr. P. Bahn)
    • Eugen Diederichs : grand éditeur, romantique et universaliste (M. Morgenstern)
    • L'impact de Nietzsche dans les milieux politiques de gauche et de droite (RS)
    • Thomas Mann et Alfred Baeumler (RS)
    • August Winnig : chef ouvrier et théoricien de l'élite (H. Scheide)
    • Le nationalisme anti-système du mouvement paysan (RS)
    • Le visionnaire Alfred Schuler (1865-1923), inspirateur du Cercle St. George (RS)
    • Hans Blüher : les héros masculins, porteurs d'État (MM)
    • Thomas Mann : un apolitique contre l'esprit occidental (P. Rosenow)
    • Max Hildebert Boehm (1891-1968) et la notion de “Volk” (RS)
    • Conservateurs-révolutionnaires et résistants anti-hitlériens (RS)
    • Edgar Julius Jung (1894-1934) et les “hommes de moindre valeur” (RS)
    • Notes sur une lignée d'écrivains : De Stendhal à Dostoïevski et Ernst von Salomon (J. Benoît)
    • Otto Dix : un regard sur le siècle (G. Hiemet)
    • Le Lexikon des Konservativismus de C. von Schrenck-Notzig (G. Reisegger)
    • La Résistance révisée (P. Canavan)

     

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    ◘ Itinéraire

    wander10.gif« Révolution conservatrice » ? Ne sommes-nous pas là en présence d'une contradiction en­tre les termes ? Non. Car opérer une révolution, c'est, étymologiquement, revenir à un état antérieur, jugé plus positif, et c'est le cas du rêve de gauche, celui du “communisme pri­mitif” comme celui de certains rêves de droite, où la nation était plus authentique et plus communautaire à l'aube de son histoire. Pour nous, revolvere conservandum, faire la révolu­tion en voulant conserver, c'est une volonté de retrouver un droit historiquement ancré, que ce droit soit romain ou germanique, celtique ou slave.

    Nos sociétés trop économici­sées, trop technocratiques, ne veulent plus rien savoir des règles et des normes qui modè­rent le cinétisme outrancier de ceux qui veulent accroître sans mesure leur pouvoir écono­mique ou estiment qu'il est licite d'intervenir technocratiquement dans tout et de soumet­tre les continuités, les obstacles dus à la finitude humaine, aux règles de la “faisabilité”. Ce cinétisme conduit à négliger toutes les dimensions sociales qui fonctionnent plus lente­ment que la croissance des taux d'intérêt ou des processus physico-chimiques provoqués en accéléré et artificiellement dans les laboratoires. La démonie de l'intérêt cumulatif, mi­se en exergue par Ezra Pound et l'historien Le Goff, conduit à la longue à négliger com­plètement les secteurs non marchands dans les sociétés occidentales. Cette négligence conduit au déclin et à la catastrophe. Voilà pourquoi, opportet revolvisse conservandum.

    Les continuités lentes doivent pouvoir suivre leurs rythmes, dira-t-on à droite, et les secteurs non marchands doivent recevoir pleinement leur part, dira-t-on dans la gauche non dog­matique qui ne se vautre pas dans les compromis dont la sociale-démocratie européenne a la triste spécialité. Mais, dans notre chef, il ne s'agit pas d'apporter des munitions idéolo­giques à des droites ou des gauches qui entendraient perpétuer pour les siècles des siècles des formes mortes. Pour nous, préserver des continuités, construire l'avenir avec des ma­tériaux solides provenant d'un passé dynamique, c'est retrouver, réactiver continuelle­ment des potentialités vivantes. C'est revenir à des modes de gestion adaptés aux contex­tes, c'est remettre sur le métier de vieilles règles démocratiques de base, comme les in­nombrables variantes du droit subsidiaire en Europe, les parlements locaux, les institu­tions comme l'ammanat des anciens Pays-Bas ou de la Suisse actuelle, les ressorts propres des multiples corps sociaux actifs, l'idéal du référendum d'initiative populaire, les repré­sentations complexes qui permettent au peuple réel d'être représenté et de donner son a­vis, sans passer par les caprices de “professionnels” sans profession concrète qui ne repré­sentent finalement que leurs douteuses lubies.

    Aujourd'hui, en Allemagne, la question de la “révolution conservatrice” a été remise sur le tapis : car que veut-on restaurer, que veut­-on ramener à l'avant-plan ? L'autoritarisme wilhelminien ? La rudesse du nationalisme sol­datique qui ne voit de communauté que dans les régiments de volontaires politisés ? Ou l'idéal d'une démocratie au-delà des partis, présente dans les Körperschaften étudiées par Max Hildebert Boehm, dans l'idéal communautaire des Genossenschaften qu'a illustré Tönnies, dans l'universalité des structures communautaires démontrée par Othmar Spann, dans les ligues de jeunesse héritières du Wandervogel anti-autoritaire, renaissance des or­ganisations de jeunesse des villes médiévales (cf. Jacques Heers) ? Notre réponse est claire : c'est au retour de ces formes diverses que nous aspirons quand nous évoquons la notion de “révolution conservatrice”. L'idéal du corps franc soldatique n'est valable que pour le temps de l'effervescence qui permet de passer d'un monde terne et hyper-cinétique à un monde multicolore, fort diversifié, où cinétisme et lenteurs cohabitent harmonieusement sans s'entraver ni s'oblitérer.

    Dans le débat allemand actuel, Henning Eichberg, qui aime la provocation et ne s'en prive jamais, s'est fait l'avocat d'une vision an anti-occidentale, anti­cinétique, anti-globaliste, qui rejette et le militarisme et l'étatisme des droites ou du pan­zercommunisme. Son option “post-nationale-révolutionnaire” le conduit à admirer les pulsions organiques des Amérindiens ou de la philosophie mystique et sinueuse des Sou­fis. De telles références ne se retrouvent que fort rarement dans les corpus doctrinaux que Mohler avait rangé sous le label “révolution conservatrice”. Comment résoudre la querel­le entre ce révolutionnisme soft et ce révolutionnisme soldatique et étatiste ? Tout simple­ment en revenant aux idéaux d'un éditeur qui a fondé sa maison d'édition il y a cent ans.

    Cet éditeur, c'est Eugen Diederichs. Huit axes thématiques ont animé sa carrière d'éditeur :

    • 1) donner priorité à la vie et au dynamisme (l'apport de Bergson, qu'il a fait connaître en Allemagne) ;
    • 2) la nécessité de promouvoir une nouvelle mystique religieuse, en dehors des institutions rigides et en recourant aux religiosités non chrétiennes de Chine et d'Inde ;
    • 3) valoriser un art organique, en suivant les préceptes énoncés par Julius Langbehn, les pré-raphaélites anglais, dont l'urbaniste Ruskin ;
    • 4) réinjecter du romantisme dans la litté­rature ;
    • 5) revaloriser les liens légués par le sang et le passé ;
    • 6) forger une pensée écologi­que avant la lettre ;
    • 7) forger un socialisme dynamique, anti-bourgeois, éthique, inspiré de la Fabian Society anglaise, de Jean Jaurès et de Henri De Man ;
    • 8) susciter sans relâche la créativité chez les adolescents (d'où l'importance du mouvement Wandervogel) (cf. Mi­chel Froissard, « La Révolution conservatrice et ses éditeurs », in Vouloir n°13/1985).


    Cet octuple programme a été étayé par la publication d'une quantité impressionnante de li­vres qui méritent d'être relus et par le lancement de collections consacrées aux spiri­tualités et aux traditions. SYNERGIES EUROPÉENNES, l'association à laquelle VOULOIR a adhéré, suit l'exemple de Diederichs. Ni Eichberg ni Mohler ne s'en plaindront, car on ne peut reprocher à Diederichs une rigidité réactionnaire ni renier son apport majeur à la Révolution conservatrice. (RS)

     

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