• Valois

    Les néo-socialistes au-delà de la gauche et de la droite

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    La fusion des messages idéologiques de Georges Sorel (ci-dessus) de Henri De Man donnera une conception jeune et dynamique du socialisme. En France, ce socialisme rénové, débarrassé des tares du XIXe, sera le fait des "néos" ; malheureusement, les "archéos" auront le dessus et conduiront la République à la défaite de 1940, au marécage de la IVe et aux pantalonnades mittérandistes.

     

    1) Les néo-socialistes : "ni droite, ni gauche", "néos" et perspectives socialistes

    crosse10.gifSi la guerre de 14/18 sonne le glas du vieux monde, des vieilles choses, des idées reçues et de la morale bourgeoise, force est de constater les mutations qu'elle entraîne dans les divers courants politiques. Mutations qui s'opèrent parallèlement à l'avènement du monde moderne. Il en est ainsi du "mouvement socialiste", nous devrions plutôt dire des  socialismes qui vont éclore et parfois s'affronter. Certes le public retiendra longtemps l'impact du dernier avatar du marxisme, à savoir le bolchévisme et l'élan que suscita la Révolution d'Octobre 1917. En France, les conséquences en sont l'apparition du PCF et la scission dans le mouvement syndical de la CGT, consécutive à la déchirante révision idéologique née du congrès “historique” de Tours. Mais finalement la conception bolchévique n'est que la “radicalisation” du courant marxiste, accompagnée d'un rejet du jeu parlementaire et légaliste.

    Or que sait-on des courants néos opposés aux vieilles barbes de la SFIO ? Que sait-on des idées de ces militants que le conflit mondial — et donc l'avènement brutal de la "modernité" — a rendu visionnaires, alors que d'autres, atteints de cécité politique, veulent absolument faire croire au public à la réalité éternelle de l'affrontement droite/gauche, hypothétiques blocs hermétiques qui symboliseraient deux conceptions du monde. L'une serait celle d'une gauche porteuse d'espérance et de générosité (mythes qui recouvrent en partie les sentiments de la classe ouvrière européenne dans ces années de capitalisme en plein essor), et l'autre celle d'une droite "fascisante et réactionnaire, ennemie de la démocratie (ce qui est vrai) et bras armé du capital, celui des deux cents familles! Ce qui est aussi partiellement vrai.

    OL6624272M-M.jpgMais, en réalité, qui sont donc les hommes qui refusent ce schéma trop simpliste ? Leurs noms sont Alfred-Georges Gressent dit Georges Valois, Marcel Déat, Henri De Man ou encore Marquet, Lefranc, Albertini, etc. L'absurde chaos de la "Grande Guerre", où ils se sont battus courageusement, parfois comme officiers, parfois comme simples soldats (le cas d'un Drieu la Rochelle), "les joies (sic) des tranchées" et le brassage des classes jeunes (ouvrières, paysannes, bourgeoises) dans les champs sanglants de l'Est et du Nord de la France, les ont enfin décillés. Avec l'absurdité et l'horreur, ils ont aussi connu le sens du sacrifice  — car le mot "devoir" est bien trop faible pour évoquer leur cas — le sens également de la solidarité, de la camaraderie, rendant ineptes ou dépassés les vieux termes de droite ou de gauche, sanctionnant de manière désormais si désuète les clivages de classe. Et s'ils désapprouvent  "la guerre civile européenne", selon le mot fameux de Valery, ils ont gardé au fond de leur cœur cette mystique de l'"Union sacrée" (mais pas au sens où l'entendaient les minables politiciens bourgeois de la future chambre bleue horizon). "Ni droite, ni gauche" crie le socialiste Albertini, auquel fait écho le "droitiste" Bucard. D'où une volonté de sortir du moule trop bien huilé des partis et des "systèmes", et d'essayer autre chose…

    Georges Valois

    valois.jpgG. Valois  est chronologiquement le premier dans cette série de pionniers. S'il reprend du service à l'Action Française, c'est bien dans l'espoir de voir se perpétuer et s'approfondir le rapprochement des Camelots du Roy avec les cercles proudhoniens et soréliens d'avant-guerre, bref de réconcilier la monarchie des humbles, celle de la justice des peuples, avec l'anarcho-syndicalisme révolutionnaire (cf l'œuvre de Sorel, en particulier ses Réflexions sur la violence et ses Matériaux d'une théorie du prolétariat). Mais l'AF, où il occupe dans le journal la place de l'économiste, est un mouvement qui, soit dit en passant, ne "croit" pas à l'économie… (“l'économie politique” est refusée au nom du célèbre postulat maurrassien du "politique d'abord"). Le “vieux maître” de Martigues est maintenant enfermé dans son système d'idées préconçues et confond par trop la "défense" (intellectuelle et morale) de la “monarchie nationale” avec les impératifs tactiques de l'Action française, au point de courtiser la vieille droite “cléricale” et sclérosée, étouffant l'idée royaliste sous un ordre moral “macmahonien”, irrespirable pour un bon nombre de jeunes intellectuels (Bernanos en est le plus célèbre, avec Maulnier, Drieu…). Très rapidement, c'est la rupture et la création, par certains anciens militants, du "faisceau" (préfiguration du fascisme français) et vite rebaptisé “fesso” pour la circonstance par le talentueux polémiste L.Daudet, fils du célèbre écrivain Alphonse Daudet, tant les haines et les agressions des fidèles de Maurras et de la tendance réactionnaire du mouvement monarchiste seront virulentes.

    Mais G. Valois, s'il se réfère au départ à la pensée mussolinienne (celle de la première période), s'écartera assez vite du “modèle” italien (la critique d'un "modèle" de régime ne date pas de l'euro-communisme…), modèle auquel il reproche son aspect plus “nationaliste” (puis impérialiste) que "socialiste". Le “fascisme” valoisien est précisément l'union de “l'idée nationale” — réalité née de la guerre et des hécatombes meurtrières —  et du courant socialiste français, socialisme non matérialiste, mais d'une inspiration spiritualiste et volontariste, qui doit autant à Charles Péguy qu'à l'idéologie sorélienne. Le socialisme valoisien, qui ne rejette pas les notions "économiques" de profit et de propriété, s'appuie sur une vision organiciste et non-mécaniciste (à rebours du libéralisme) de la société contemporaine. Il ajoute en outre une véritable "mystique" du travail teintée de christianisme (cf la place qu'il accorde à l'idée de rédemption) dans un culte englobant des valeurs communautaires et "viriles" (le sport comme "pratique politique"). [cf. L'économie nouvelle, 1919 et Intelligence et production, 1920]

    Mais la lutte que mènent désormais les partisans de l'Action Française, avec l'appui sans faille des groupes financiers catholiques qui soutiennent parallèlement les ligues d'extrême-droite et les partis droitistes, ne laissera aucun répit ni à Valois, bassement calomnié et injurié par la presse royaliste, selon une technique éprouvée qui fera “florès” lors de l'affaire Salengro, ni à ses troupes isolées. Les “chemises bleues” disparaîtront vite à la fin des années 20, et Valois ira rejoindre les rangs de la SFIO, en attendant de mourir pendant le second conflit mondial dans le camp de Bergen-Belsen, condamné à la déportation par les autorités allemandes pour fait de résistance. Là aussi, dans ce “grand dégoût collecteur”, la voix de Valois rejoindra celle d'un Bernanos, celui des "grands cimetières sous la lune"…

    Henri De Man

    27653410.gifL'autre personnalité marquante du néo-socialisme est celle du Belge Henri De Man, connu internationalement pour ses critiques originales des théories marxistes, idéologie qu'il connait à fond pour y avoir adhéré dans ses premières années de militantisme. La fin de la Première Guerre mondiale est, pour De Man, la période des remises en question et des grandes découvertes. En s'initiant aux théories psychanalytiques de Freud et aux travaux du professeur Adler sur la volonté et le "complexe d'infériorité", il fait pour la première fois le lien entre les sciences humaines, donnant une signification de type psychologique, et bientôt éthique, à l'idéologie socialiste. Il s'agit d'une tentative remarquable de dépassement du marxisme et du libéralisme, qui est à l'opposé des élucubrations d'un W. Reich ou d'un H. Marcuse !

    Mais dans sa volonté de dépasser le marxisme, De Man en viendra inéluctablement à un dépassement de la “gauche” et s'intéressera aux théories néo-corporatistes et à l'organisation du "Front du Travail" national-socialiste. Cela dit, De Man préconise le recours au pouvoir d'État dans le but d'une meilleure régularisation de la vie économique et sociale, des rapports au sein de la société moderne industrielle, et cela grâce à un outil nouveau : le PLAN.

    Le “planisme” connaîtra longtemps les faveurs des milieux syndicalistes belges et néerlandais et une audience plus militée en France. Il est alors intéressant de noter que De Man prévoit dans ce but l'apparition d'une nouvelle “caste” de techniciens, ayant pour tâche essentielle d'orienter cette planification. Vision prémonitoire d'une société “technocratique” dans laquelle les “néos” ne perçoivent pas les futurs blocages que l'expérience des quarante dernières années nous a enseignés. On peut également signaler l'importance, à la même époque, des idées appliquées par un certain J.M. Keynes qui verra, dans les années 30, le triomphe de ses théories économiques. Enfin, le planisme de De Man prévoit une application de type corporatiste.

    En France, à la même époque, des hommes comme Marcel Déat, H. Marquet, M. Albertini, ou encore Lefranc, se situeront résolument dans cette mouvance. Leur insistance à refuser la "traditionnelle" dichotomie entre prolétariat et bourgeoisie (N'y a-t-il pas là une préfiguration de la critique plus récente contre la “société salariale” que Marx, Proudhon et d'autres encore, avaient déjà ébauché…) les place sans aucun doute dans ce courant des néos dont nous parlons ici. Cette division est pour eux d'autant plus dépassée que le prolétariat ne joue plus que partiellement le rôle de “moteur révolutionnaire”. L'évolution de la société a enfanté de nouvelles forces, en particulier les "classes moyennes" dont la plupart sont issus. Leur confiance se reportant alors sur ces dernières qui sont les victimes de la société capitaliste cosmopolite. Le "système" rejette les classes moyennes par un mouvement puissant de nivellement des conditions et de rationalisation parcellaire du travail. Taylor est alors le nouveau messie du productivisme industrialiste… Le progrès est un révélateur de ces nouvelles forces, qui participent dorénavant de gré ou de force au mouvement révolutionnaire.

    Désormais, au sein de la vieille SFIO, déjà ébranlée par la rupture fracassante des militants favorables au mouvement bolchévique, on assiste à une lutte d'influences entre “néos” et guesdistes ; parmi ces derniers apparaissent certaines figures de proue : ainsi celle de Léon Blum. Là aussi, comme dans le cas du Faisceau de Georges Valois, les “néos” sont combattus avec violence et hargne par une “vieille garde” socialiste, qui réussit à étouffer le nouveau courant en expulsant ses partisans hors des structures décisionnaires du parti. L'avènement du front populaire sonnera le glas de leur espoir : réunir autour de leur drapeau les forces vives et jeunes du socialisme français. Certains d'entre eux, et non des moindres, se tourneront alors vers les "modèles" étrangers totalitaires : fascisme et national-socialisme allemand. De leur dépit naîtront des formations "fascisantes" ou nationales, et, pour beaucoup, la collaboration active avec la puissance occupante pendant les années 40 (Remarquons au passage que de nombreux militants "néos" rejoindront la résistance, représentant au sein de cette dernière un fort courant de réflexion politique qui jouera son jeu dans les grandes réformes de la libération).

    En effet, si la grande tourmente de 1945 sera la fin de beaucoup d'espoirs dans les deux camps, celui de la collaboration et celui de la résistance intérieure, le rôle intellectuel des néos n'est pas pour autant définitivement terminé. Sinon, comment expliquer l'idéologie moderniste de la planification "à la française", à la fois “souple et incitative”, où collaborent les divers représentants de ce qu'il est convenu d'appeler les "partenaires sociaux" ? (cf. le rôle essentiel accordé par les rédacteurs de la constitution de 1958 à un organe comme le "Conseil économique et social", même si la pratique est en décalage évident avec le discours). On peut aussi expliquer pour une bonne part les idées nouvelles des milieux néo-gaullistes. Celles des idéologies de la “participation” ou celle des partisans de la “nouvelle société”. La recherche d'une troisième voie (distributisme, etc.) est l'objectif souvent non-avoué de ces milieux. Une voie originale tout aussi éloignée des groupes de la "gauche alimentaire" que de la "droite affairiste", et appuyée davantage sur un appel au “cœur” des hommes plutôt qu'à leur “ventre”.

     

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    Le “Plan” de Henri De Man suscitera les quolibets des immobilistes libéraux belges. Ce “Plan”, moderne, synthèse des idées les plus innovantes de son temps, est jugé vieillerie en 1935 (affiche ci-dessus), parce que les socialistes “archéos”, issus des familles les plus corrompues de la bourgeoisie libérale et imbriqués dans les structures les plus inefficaces du régime, ont renoncé à ses potentialités révolutionnaires en participant à un gouvernement de coalition. En 1936, pour refaire le plein de leurs voix, pour éviter que leurs ouailles ne passent aux communistes ou aux mouvements fascisants, les sociaux-démocrates sont obligés de tabler sur la séduction électorale du “Plan”. Les libéraux en profitent pour déclarer qu'il s'agit là d'exhumer des vieilleries.

     

    2) L'après-guerre : néo-socialisme et planification "à la française"

    La grande crise des années 30 marque dans l'histoire économique mondiale la fin du sacro-saint crédo libéral du libre-échangisme, du “laisser faire, laisser passer”, caractérisant ainsi le passage de l'État-gendarme à l'État-providence, en termes économistes. Et ceci, grâce en partie aux “bonnes vieilles recettes” du docteur Keynes…

    L'État, nouveau Mammon des temps modernes, est investi d'une tâche délicate : faire pleuvoir une manne providentielle sous les auspices de la déesse Égalité… L'empirisme du “New Deal” rooseveltien fera école. En France, une partie du courant socialiste entrevoit le rôle étatique au travers d'administrations spécialisées et de fonctionnaires zélés (cf. les théories du Groupe X), en fait simple réactualisation d'un saint-simonisme latent chez ces pères spirituels de la moderne “technocratie”.

    On trouve l'amorce de cette évolution dans les cénacles intellectuels qui gravitent autour du “conseil national de la résistance”. L'idée se fait jour d'une possible gestion technique et étatique de l'économie dans le cadre d'un plan général de reconstruction du pays en partie ruiné par le conflit. L'idée ne se réfère pas à un modèle quelconque (comme, par ex., l'URSS dans les milieux du PCF), c'est-à-dire d'un dirigisme autoritaire pesant sur une société collectiviste, mais plutôt à un instrument permettant à l'État une "régulation" de l'économie  — dans un système demeuré globalement attaché aux principes de l'économie libérale — grâce notamment à une planification “incitative”, souple, concertée et enfin empirique. De quoi s'agit-il ?

    Pour les générations de la guerre, le traumatisme de la violence  — et des régimes dictatoriaux qui l'ont symbolisée après la défaite des fascismes — est souvent lié à la grande dépression des années 30. L'objectif est donc de permettre au pouvoir politique, en l’occurrence l'État comme instance dirigeante, de régulariser les flux et les rapports économiques, donc de contrôler pour une part ses évolutions, afin de favoriser un équilibre nécessaire à une plus forte croissance, mais aussi une plus juste croissance (hausse des revenus les plus défavorisés). Un indice est la création, dès la libération, des premières grandes institutions de Sécurité Sociale. La Constitution française de 1946 intègre officiellement ce souci du “social”, où domine de plus en plus l'idée de redistribution égalitaire des revenus. Dans le même temps, les responsables du pays sont confrontés à la tâche écrasante de reconstruire la nation, de moderniser l'outil industriel frappé certes par la guerre, mais aussi par l'obsolescence.

    Facteurs démographiques, commissariat au plan, ENA

    Cette tâche apparaît difficile si on tient compte que la population française vieillit. Heureusement, ce dernier point sera éliminé dans les années 50, grâce à une vitalité du peuple français assez inattendue (phénomène connu sous le nom de "baby boom"). Cette renaissance démographique aura deux effets directs positifs d'un point de vue économique : augmentation de la demande globale, qui favorise l'écoulement de la production, et croissance de la population active que les entreprises pourront embaucher grâce à la croissance du marché potentiel et réel. Sur cette même scène, s'impose le “géant américain”, en tant que vainqueur du conflit (non seulement militaire mais aussi politique et surtout économique) qui se décrète seul rempart face à l'Union Soviétique. Un oubli tout de même dans cette analyse des esprits simples : le monde dit “libre” était déjà né, non pas de l'agression totalitaire des "rouges", mais de l'accord signé à Yalta par les deux (futurs) grands. Les dirigeants français doivent justifier l'aumône "généreusement" octroyée par les accords Blum-Byrnes, et surtout le plan Marshall.

    C'est donc dans un climat politique gagné pour l'essentiel aux idéaux socialistes (pour le moins dans ses composantes “tripartite”, exception faite de quelques conservateurs trop compromis dans les actes du régime de Vichy et qui vont se rassembler autour de A.Pinay), que l'idée de la planification aboutira. Il faut souligner le rôle majeur d'un Jean Monnet, créateur du “commissariat au plan”, structure nouvelle composée de techniciens de l'économie, et qui fourniront aux pouvoirs publics le maximum des données indicielles nécessaires aux choix essentiels. On peut en outre noter à la même époque la création par Debré de l’École Nationale d'Administration (ENA), pépinière des futurs “technocrates” et point de départ d'une carrière qui ne passera plus exclusivement par les cursus des élections locales. La carrière de l'énarchie est celle des grands corps de l'État.

    On assiste par ailleurs à la nationalisation des secteurs vitaux de l'économie française (chemins de fer, charbonnage, etc.), qui doivent être le soutien principal d'une politique économique nationale (à l'exception de Renault, nationalisée en régie d'État à cause de l'attitude “incivique” de son fondateur pendant l'occupation). Ce mouvement inspirera toutes les lois de nationalisation en France jusqu'en 81.

    Planification certes, mais fondée sur la souplesse et l'incitation, qui exprime la volonté des pouvoirs publics de rendre plus cohérent le développement économique du pays. Cette volonté est claire : assurer les grands équilibres financiers et physiques, rechercher l'optimum économique qui ne soit pas simplement un assemblage de diverses prévisions dans les secteurs publics et privés. De plus, l'aspect humain n'est pas négligé, loin de là. Plus tard, passé le cap de la reconstruction proprement dite, les secondes étapes seront celles de l'aménagement du territoire et de la régionalisation (à la fin des années 60). Seront ensuite abordés les thèmes essentiels du chômage et de l'inflation. Priorité étant donnée aux thèmes les plus brûlants. Les administrations s'appuieront sur les services de l'INSEE, utilisant un nouvel "outil" privilégié : la comptabilité nationale réactualisée en 1976, puis les moyens plus récents que sont l'informatique et les techniques économétriques (plan FIFI - physio-financier -, 6° Plan).

    Planification concertée et empirique enfin, où les divers partenaires sociaux jouent un rôle non-négligeable au travers d'institutions spéciales telles le "Conseil économique et social". Le plan se veut une “étude de marché” — sous l'impulsion d'un homme comme P. Massé — à l'échelle nationale, imposant un axe de développement conjoncturel, éventuellement corrigé par des "indicateurs d'alerte", ou des clignotants (ex. : les hausses de prix) dans un but de compétitivité internationale.

    Les risques du néo-saint-simonisme

    Conclusion. On constate indubitablement une étatisation progressive de l'économie. Mais "étatisation" ne signifie pas obligatoirement, dans l'esprit des réformateurs et dans les faits, "nationalisation" de la production. La bureaucratisation est plutôt le phénomène majeur de cette étatisation. Relire à ce sujet l'ouvrage de Michel Crozier : La société bloquée. Cette “étatisation” se traduit en effet par la lutte de nouveaux groupes de pression : coteries politico-administratives, financières, patronales, syndicales enfin. Chacun de ces groupes étant axés sur la défense d'intérêts "corporatistes" plus que sur le souci d'intérêt national. Le jeu particulier de firmes “nationales” préférant traiter avec des multinationales, relève de cette philosophie de la rentabilité qui rejette le principe précédent.

    La contestation de Mai 68 a pu jouer le rôle de révélateur de cette réalité. La société française, troublée par une urbanisation anarchique, une pollution croissante, a pris alors conscience de la perte d'une “qualité de vie”. Enfin, au plan international, l'interdépendance croissante des économies, la dématérialisation progressive des relations financières victimes du dollar, ont pu montrer la relativité des objectifs poursuivis par les planificateurs français. Aidée en France par un courant saint-simonien de plus en plus puissant, cette évolution a précipité la dilution politique du pays ; la collaboration entre les nouveaux gestionnaires et les puissances financières a aggravé incontestablement cette situation. N'y aurait-il pas alors une “divine surprise” des années 80 : celle du rapprochement entre les derniers néo-socialistes et les nationalistes conséquents (éloignés du pseudo-nationalisme mis en exergue récemment par les média) sous le signe du "Politique d'abord"…

    ► Pierre-Jean Bernard, Orientations n°9, 1997.

     

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    pièces-jointes :

     

    ◘ Sur Georges Valois

    fonds_10.jpgNous enchaînons sur l'étude du fascisme, ou plutôt de la tentative d’un fascisme en France. Bon nombre d’historiens, tels Pierre Milza et Serge Berstein, ont longtemps averti leurs lecteurs de ne pas comparer à tort la droite et même l’extrême droite française avec les modèles fascistes en Allemagne et en Italie.

    Bien entendu, il existait des partis fascistes en France dans les années couvertes par notre période. Mais ceux-ci n'entretenaient pas nécessairement de bons rapports avec les ligues ou autres mouvements de droite, d’extrême droite, voire même avec leurs "confrères" germano-italiens. Le fascisme français s’est donc toujours préoccupé de prendre ses distances avec ses homologues allemand et italien, ainsi que d’affirmer son caractère distinct. Ces quelques précisions de départ nous aideront à mieux éclairer la violence pratiquée par les mouvements se réclamant du fascisme.

    1212.gifC’est Georges Valois, un ancien combattant, qui en 1925 fonda le Faisceau, premier parti fasciste de France [cf. « La politique de la victoire » – discours de Valois prononcé à la réunion de constitution du Faisceau des Combattants et des Producteurs, tenue à la salle Wagram le 11 novembre 1925, in : G. Valois, La politique de la victoire, Nouvelle librairie nationale, 1925]. Crée au-dessus des partis, dans le contexte de la tourmente de 1925 (le Cartel était au pouvoir, la valeur du franc ne cessait de chuter, le traité de Versailles était de moins en moins respecté, etc.), le "Faisceau des combattants et des producteurs" voulait que la France devienne un État véritablement national. Valois avait "mathématisé" sa définition du fascisme sous la célèbre formule : nationalisme + socialisme = fascisme. Ouvert à un syndicalisme ouvrier, Valois disait qu’il n’avait rien à voir avec Mussolini car son fascisme était à gauche, dans la défense des des petits et à droite pour son désir de voir un l'installation d'un gouvernement autoritaire. De plus, le type de fascisme que l’on trouvait en France alors n’utilisait pas à pleine efficacité les techniques de propagande effrénée, de violence verbale massive à l’égard des adversaires ou de militarisation des adhérents. Bien sûr, le Faisceau et le Francisme (de Marcel Bucard) ont tenté d’embrigader des escouades à l’image des SA et des SS d’Allemagne, mais sans grands succès. Pour la majorité des Français, la guerre n’était pas une nouvelle expression de vitalité, ni une revanche de la passion sur le rationalisme politique.

    franci10.gifInspirateur des autres mouvements fascistes tels Solidarité française, le Francisme [insigne ci-contre] ou le Parti populaire français, le Faisceau n’avait pas de prétention à la violence. Ses actions étaient davantage liées à une dénonciation pacifique du gouvernement. Souvent associé au militarisme, le fascisme français soutenu par Valois regrettait que la France, depuis 1918 au moins, ne fût plus en phase de conquête coloniale. La violence n’a jamais été exploitée à fond dans le nationalisme du fascisme français, notamment parce que celui-ci était surtout un "état d’esprit", bien plus qu’une volonté de passer à l’action. C’est un nationalisme qui n’a pas su s’imposer, étant donné que la droite française demeurait forte dans la légalité républicaine. Les organisations fascistes étaient en ce sens vulnérables aux coups portés par les circonstances extérieures (retour de la droite au pouvoir en 1926, rétablissement temporaire du franc, etc.). Par ailleurs, ironie du sort, l’Action Française de Maurras ne se gênait pas pour bousculer le Faisceau pour son manque de convictions dans la défense de ses idées.

    À l’instar du fascisme “traditionnel”, Valois était un anticapitaliste et réfutait la propriété privée. Autrement dit, il défendait un programme politique de tendance socialisante, mais flou et difficilement crédible à une époque où le “Français moyen” cherchait la stabilité, tant politique qu’économique. Notre analyse nous amène à penser que l’expulsion de Valois de son propre mouvement en 1928 ne marqua pas la fin d’une quête d’identité d’un fascisme français qui voudrait se servir de la violence afin d’exposer de nouvelles thèses sur le nationalisme. 

    ► Carl Pépin, Du Cartel au Front populaire : la droite française et la violence à travers son nationalisme (1924-1936).

     

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    Moins touchée dans un premier temps que celle des autres pays industrialisés, l’économie française subit à son tour en 1932 la crise née du krach d’octobre 1929. Les gouvernements qui se succèdent, souvent renversés au bout de quelques mois, ne disposent pas des moyens nécessaires à une relance de l’économie et persistent à mener une politique de déflation particulièrement préjudiciable aux salariés. L’instabilité parlementaire et l’impuissance de l’exécutif qui s’ensuit, révèlent l’inadaptation des institutions devant les nouveaux défis auxquels est confrontée la France. À ces difficultés intérieures s’ajoute une crise internationale : l’arrivée d’Hitler au pouvoir en Allemagne et la radicalisation du fascisme italien servent de contre-modèle face à une démocratie parlementaire discréditée aux yeux de beaucoup. C’est dans ce contexte que la France des années 30 a vu la naissance de ligues et de petits partis qu’on englobe souvent soit dans la catégorie “fasciste” soit dans “l’extrême droite”. En fait ces organisations, d’inégale importance, sont de nature variée. [Photo : Défilé de membres de Solidarité française aux obsèques de Lucien Gariel, février 1934]

     

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    ◘ Georges Valois et le libéralisme 

    La grandeur est l’ensemble des actes par lesquels un homme, une nation se dépassant eux-mêmes, dominent leurs faiblesses humaines, leur goût naturel du moindre effort, c’est l’ensemble des actes par lesquels un homme, une nation, au lieu de s’abandonner à la jouissance dès l’effort accompli, conçoivent une action nouvelle qui laissera, par la pensée, par la charité, par l’art, par l’industrie, une œuvre dont l’avenir aura le bénéfice. La grandeur, c’est pour le combattant, la victoire de l’honneur sur la fatigue et la peur ; pour le gentilhomme, le service de l’État sans autres compensation que la gloire et l’ honneur de servir ; pour l’écrivain, le sacrifice de l’applaudissement public à la vérité ; pour le bourgeois, le renoncement au gain devant une obligation morale ; pour l’ouvrier, l’amour du travail dépassant le souci du salaire. Pour chacun, c’est la tache à accomplir qui vaut plus que la jouissance égoïste que l’on peut en retirer ; c’est l’homme qui se donne à l’œuvre qu’il exécute. Pour tous, c’est la joyeuse acceptation de la disciplines nationales. Pour la France, c’est une mission européenne, qui extériorise la vie nationale, qui lui interdit de se régler sur elle-même, de se dévorer chaque jour sans laisser d’autres traces que les détritus des plaisirs. En toutes choses, c’est la substitution de la pensée, des mœurs, des actes, des efforts à un objet qui dépasse l’individu, la famille et l’instant ou l’on vit. Mais il faut créer les condition de la grandeur. Le XIXe siècle, le siècle du libéralisme, le siècle du mercantilisme ne nous a légué que les conditions de la petitesse.

     

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    • Mobilisé en 1914 comme deuxième classe, il devient officier et il est à Verdun jusqu'en 1916. En 1915, il théorise, dans un ouvrage intitulé Le Cheval de Troie, l'invention du char d'assaut qui va être mis au point par le général Estienne.

    *

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    Plus que quiconque Valois aura des titres à juger l’organisation de l’armée et à tenter de rechercher comment préserver les intérêt des combattants au retour à la paix. Simple soldat en avril 1914, chef de corps franc d’octobre 1914 à février 1916, fait sous-lieutenant en mai 1916, il ne devait pas en effet appartenir à la cohorte de ceux qui firent la guerre dans les salons, les colonnes des journaux “matinaux”, ou encore les discours et les banquets patriotiques. Blessé en octobre 1916 et opéré maladroitement à Épinal […] il ne dut de survivre qu’à l’intervention de Léon Daudet auprès d’un chirurgien.

    Partis pour une guerre dont les économistes officiels avaient affirmé qu’elle ne pourrait durer plus de quelques mois, dès 1915 les combattants se retrouvent enterrées pour un guerre de position qui s’avère interminable.

    Cette stabilisation amènera Valois à rechercher un moyen de percer le front, d’annuler le retranchement, de rendre à la guerre son mouvement devenu impossible en raison de la supériorité de l’artillerie sur l’infanterie, condamnés à se terrer dans les tranchées ; dans ses notes de campagnes, il proposera « un moyen de progression dont la roue devait être exclue » ; ainsi, bien avant sa première apparition sur le front en 1916, c’est au tank qu’il songe, « … engin mobile protégé, porteur d’hommes, armé de mitrailleuses, des engins de combats individuels, porteur de gaz, de liquide, et qui sera pourvu extérieurement de cisailles, de crampons, etc. qui couperont, qui briseront les abris légers, qui aveugleront les créneaux des mitrailleuses, qui briseront les engins des tranchées » (G. Valois, Le cheval de Troie, Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1918, p. 310).

    Décrit de cette manière, le tank de Valois est au char moderne ce que sont les fusées de Jules Verne aux engins spatiaux ; il n’en demeure pas moins qu’avant l’État-major, il a pris conscience de l’importance de la guerre de mouvement et de l’efficacité d’une force mécanique extrêmement mobile. Quelques années plus tard, un colonel, qui en avait peu être eu connaissance, devait reprendre et développer ces idées sans pour autant convaincre les autorités militaires…

    ► Yves Guchet, Georges Valois. L'Action Française. Le Faisceau. La république Syndicale, p. 103-104, éd. Erasme. Collection Essais d'Histoire Politique, Nanterre, 1990, 328 p.

    • cf. aussi : Philippe Olivera, « Un « technicien » de l’action et de la propagande au service de la paix : Georges Valois, 1928-1939 » in Matériaux pour l’histoire de notre temps n°30, vol. 30, 1993, pp 27-31.

     

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    Le faisceau est créé sur le modèle mussolinien, mais il est “non anti-socialiste, ni anticommuniste, ni antisémite”. Il a pour but de créer au-dessus des partis et des classes un véritable “État national et populaire”.

    *

    valla-10.jpgC’est vraiment un très grand drame que celui de l’opposition violente où ont été le nationalisme et le socialisme. Peut-être le plus grand des temps modernes. C’est lui qui a mis en question l’existence même de la civilisation. […].

    Et sachez-le bien, ce n’est pas seulement à cause de l’internationale marxiste, sachez bien que ce n’est pas seulement à cause du caractère international du salaire – sachez bien que c’est parce que l’anarchie économique et sociale du monde moderne a jeté l’ouvrier, mille et mille fois, en dehors de sa patrie ? Et ceci au sein même de sa patrie ! Cette anarchie a transformé un nombre énorme d’ouvriers en nomades, sur la terre même à laquelle ils sont profondément attachés. On peut dire que, s’il y a eu un développement de l’internationalisme dans certaines parties des classes ouvrières, c’est par une exaspération du patriotisme blessé.

    Pour l’ouvrier, pour la famille ouvrière, la patrie ce n’est pas une abstraction, ce n’est pas une idée, ce n’est pas un sentiment : c’est une société vivante qui nous donne ses bienfaits chaque jour, parce que l’ouvrier est plongé au cœur même de la vie nationale, et qu’il ne peut s’en évader sans perdre son sang. L’ouvrier n’emporte pas sa patrie dans son portefeuille. Sa patrie ne se déplace pas avec lui. Par tous les actes de son existence, il lui est attaché. Un bourgeois, et beaucoup de bourgeois pourront, à la rigueur, changer de ciel, et résoudre avec un carnet de chèques tous les problèmes posés par ce changement. L’ouvrier non. La famille ouvrière, pas du tout.

    Car la patrie, pour la famille ouvrière, c’est l’ensemble des familles auxquelles on est apparenté et qui habitent dans la même rue, ou dans la rue voisine. C’est l’ensemble des familles qui vous connaissent depuis votre enfance, et à qui votre père ou votre oncle ont rendu quelques services. Et cet ensemble de familles, c’est la grande société d’assurances mutuelles de la famille ouvrière […]. C’est tout ce qui fait qu’un homme, sa compagne et ses petits se sentent soutenus, encadrés, aimés, et n’ont pas a terreur de tomber, de voire la misère éteindre le foyer au premier accident de l’existence.

    Cela, c’est pour l’ouvrier, la patrie vivante. Il ne peut s’en évader sans péril. Vous autres, bourgeois, vous avez des femmes de chambre, des bonnes d’enfants, des nourrices, des institutrices. On ne vous le reproche pas. Mais sans institutrices, sans nourrices, sans bonnes d’enfants, sans femmes de chambres, comment peut-elle organiser sa vie, la mère de famille ouvrière, si elle n’a pas près d’elle sa mère, ses oncles et tantes, ou les amis de ceux-ci ?

    C’est cette association de familles ouvrières, que rien, rien ne peut remplacer, ni les bonnes sœurs, ni les bonnes œuvres, ni la solidarité démocratique, ni les assurances du gouvernement ; c’est cette association de famille ouvrières, cette véritable patrie ouvrière vivante expression de la grande patrie, que l’anarchie économique du XIXe siècle, a complètement détruite dans certaines parties de la nation.

    Lorsque certains développements d’industries affolées ont bouleversé les centres ouvriers, lorsque l’ouvrier a été obligé de prévoir que, travaillant aujourd’hui à Puteaux, il devrait aller demain à Montrouge, ou après demain au Havre ou ailleurs – la patrie a cessé d’être une réalité vivante pour tous les ouvriers réduits à la condition d’individus isolés, chacun flanqué d’une compagne ayant la terreur de l’enfant – et tous deux nomades.

    C’est de ce temps que date la grande angoisse ouvrière. Dans ce monde si savant de la grande industrie, l’ouvrier se sentait déjà écrasé par la puissance des forces économiques. Séparé des siens, de ses parents, de ses amis, il s’est senti un être sacrifié. Il a perdu le contact avec la nation. C’est n’est pas lui qui est devenu un sans patrie. Il a été arraché à sa patrie. Mais comme il foule le sol même de se patrie, il traite sa patrie de marâtre ; il l’accuse de l’avoir privé, lui, de la justice sociale.

    C’est pour une nouvelle organisation de la production, arraché à l’anarchie économique, que l’on résoudra le problème social posé à la famille ouvrière. Mais il faut bien savoir que l’on ne découvrira rien dans cette direction si, dans la construction nouvelle, on n’est point guidé par la recherche de la justice sociale. […]. C’est pourquoi les catholiques, et avec eux tous ceux qui ont un vif sens social, seront parmi les meilleurs artisans de la reconstitution de la patrie ouvrière.

    C’est un des grands objet du fascisme que de rendre sa patrie à l’ouvrier français nomadisé par une économie inhumaine […].

    ► Georges Valois.

    ◘ Nota bene : Colloque international "Georges Valois : Profils et perceptions" à Metz (MSH Lorraine) les 18 et 19 février 2010 [programme].

     

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    Le destin politique de Georges Valois (1878-1945) se mêle à la première moitié du XXe siècle. Après avoir côtoyé les milieux anarchistes, Georges Valois trouve à partir de 1906 son assise politique à l'Action Française… Mais la guerre de 1914-1918 devait ébranler bien des certitudes…

    *

    LES DISSIDENTS DE L'ACTION FRANÇAISE : GEORGES VALOIS


    De Sorel à Maurras

    serant10.jpgPresque oublié aujourd'hui, Georges Valois fut l'un des écrivains  politiques importants du début du siècle. Ayant dû abandonner ses études à l'âge de quinze ans, à cause de ses origines populaires, il avait été rapidement attiré par les milieux de gauche. Il commença par fréquenter différents groupes de tendance libertaire : L'Art social, de Charles-Louis Philippe, Les Temps nouveaux, de Jean Grave, L'Humanité nouvelle, de Charles Albert et Hamon. Parmi les collaborateurs de la revue qu'animait L'Humanité nouvelle figurait notamment Georges Sorel, qui devait exercer sur Valois une in­fluence décisive. « Lorsque Sorel entrait (au comité de rédaction de la revue), écrit Valois dans D'un siècle à l'autre, il y avait un frémis­sement de l'intelligence chez les assistants et l'on se taisait. Nous l'écoutions. Ce n'étaient pas ses cinquante ans qui nous tenaient en respect, c'était sa parole. Sorel, forte tête de vigneron au front clair, l'œil plein de bonté malicieuse, pouvait parler pendant des heures sans que l'on songeât a l'interrompre ».

    De quoi parlait ainsi Sorel ? Sans doute de ce qui lui tenait le plus à cœur : de la lutte, révolutionnaire, de l'avenir des syndicats, menacés non seulement par la ploutocratie capitaliste au pouvoir, mais aussi par le conformisme marxiste de la social-démocratie. Sans renier l'essentiel de la doctrine marxiste, Sorel reprochait notamment â l'auteur du Capital sa vision trop schématique de la lutte de classes, et sa méconnaissance des classes moyennes. Et il craignait par-dessus tout l'influence des intellectuels et des politiciens dans le mouvement ouvrier. Le mouvement ouvrier devait préserver son autonomie, et c'est à ce prix seulement qu'il pourrait donner naissance à l'aristo­cratie d'une société nouvelle. Son mépris de la médiocrité bourgeoise, à laquelle il opposait la vigueur populaire, triomphant dans le syndi­calisme révolutionnaire, avait conduit Sorel à l'antidémocratisme. La démocratie n'était pour lui que le triomphe des démagogues, dont la justification la plus abusive était le mythe du Progrès. C'est ainsi qu'un penseur primitivement situé à l'extrême-gauche se rapprochait sans l'avoir expressément cherché, des théoriciens réactionnaires, condamnant eux aussi, au nom de leurs principes, la démocratie capitaliste.

    Influencé par Sorel, et aussi par la pensée de Proudhon et de Nietzsche, Georges Valois écrivit son premier livre : L'Homme qui vient, philosophie de l'autorité. C'était l'œuvre d'un militant syndi­caliste révolté par la corruption démocratique, aspirant à un régime fort. Ce régime, Georges Valois pensait que ce devait être la monar­chie : il la concevait « comme un pouvoir réalisant ce que la démo­cratie n'avait pu faire contre la ploutocratie ». Ayant présenté son manuscrit à Paul Bourget, celui-ci le communiqua à Charles Maurras. Telle fut l'origine des relations entre l'ancien socialiste libertaire et le directeur de L'Action française.

    Relatant après sa rupture avec Maurras son premier contact avec celui-ci, Valois écrivait : « C'est sur le problème économique et social que nous nous heurtâmes immédiatement. Dans la suite, Maurras s'abstint de renouveler cette dispute. Sa décision avait été prise ; il avait compris qu'il était préférable de m'associer à son œuvre et de m'utiliser en s'efforçant de m'empêcher de produire toute la partie de mon œuvre qu'il n'acceptait pas » (1). On comprend sans peine que ce que Valois gardait d'esprit socialiste et révolutionnaire n'ait pas convenu à Maurras. Il ne faut pas oublier cependant qu'à cette époque, Maurras s'exprimait en termes fort sévères contre le capita­lisme, auquel il opposait l'esprit corporatif de l'ancien régime. Tout en défendant les principes d'ordre et d'autorité, il n'hésitait pas à défendre les syndicats contre le faux ordre et l'autorité abusive des dirigeants républicains. C'est ainsi que Maurras fut le seul grand journaliste de droite à flétrir la sanglante répression organisée par Clemenceau, président du Conseil, contre les grévistes de Draveil, dans les derniers jours de juillet 1908 :

    « Cuirassiers, dragons et gendarmes », écrivait Maurras dans L'Action française, se sont battus comme nos braves troupes savent se battre. À quoi bon ? Pourquoi ? Et pour qui ?

    « Nous le savons. C'est pour que le vieillard à peine moins sinistre que Thiers, à peine moins révolutionnaire, puisse venir crier à la tribune. qu'il est l'ordre, qu'il est la propriété, qu'il est le salut. Nous ne dirons pas à ce vieillard sanglant qu'il se trompe. Nous lui dirons qu'il ment. Car il a voulu ce carnage. Cette tuerie n'est pas le résultat de la méprise ou de l'erreur. On ne peut l'imputer à une faute de calcul. Il l'a visée… Ce fidèle ministre d'Édouard VII ne mérite pas d'être flétri en langue française. L'épithète qui lui revient, je la lui dirai en anglais, où elle prendra quelque force : Bloody ! »

    Les jours suivants, Maurras écrivait encore :

    « La journée de Draveil a été ce que l'on a voulu qu'elle fût. M. Clemenceau n'a pratiqué ni le système du laisser-faire ni le sys­tème des justes mesures préventives, parce que dans les deux cas, surtout dans le second, il y avait d'énormes chances d'éviter cette effusion de sang qu'il lui fallait pour motiver les arrestations de vendredi et pour aboutir à l'occupation administrative et à la pénétration officielle de la Confédération générale du travail » (2).

    Il est normal que le Maurras de cette époque ait pu attirer Georges Valois. Il attira aussi, pendant quelque temps, Georges Sorel lui-même : « Je ne pense pas, écrivait ce dernier à Pierre Lasserre en juin 1909, que personne (sauf probablement Jaurès) confonde l'ar­dente jeunesse qui s'enrôle dans l'Action française avec les débiles abonnés du Gaulois ». Il voyait dans le mouvement de Charles Maurras la seule force nationaliste sérieuse. « Je ne suis pas prophète, disait-il à Jean Variot. Je ne sais pas si Maurras ramènera le roi en France. Et ce n'est pas ce qui m'intéresse en lui. Ce qui m'intéresse, c'est qu'il se dresse devant la bourgeoisie falote et réactionnaire, en lui faisant honte d'avoir été vaincue et en essayant de lui donner une doctrine ». En 1910, Sorel écrivait à Maurras pour le remercier de lui avoir envoyé son Enquête sur la monarchie. « Je suis, disait-il notam­ment, depuis longtemps frappé de la folie des auteurs contemporains qui demandent à la démocratie de faire un travail que peuvent seules aborder les royautés pleines du sentiment de leur mission » (3).

    Cependant, Sorel gardait ses distances vis-à-vis de l'Action fran­çaise. Georges Valois avait au contraire adhéré au mouvement peu de temps après sa première rencontre avec Maurras. On trouve l'expres­sion de ses idées à l'époque dans La révolution sociale ou le roi et dans L'Enquête sur la monarchie et la classe ouvrière. Le titre du premier de ces essais suffit à montrer la rupture de Valois avec les formations de gauche. La thèse de Valois est que la Révolution de 1789 n'a pas été le triomphe de la bourgeoisie contre le peuple, comme on le dit souvent, mais le triomphe de « déclassés de toutes les classes » aussi bien contre la bourgeoisie que contre le peuple et l'aristocratie. Sans doute les républicains surent-ils se concilier une partie de la bourgeoisie, plus spécialement celle « qui, au temps de Louis-Philippe et sous l'Empire, voit sa puissance économique s'accroître avec une rapidité extrême, c'est-à-dire la bourgeoisie industrielle, urbaine, qui fait à ce moment un effort de production énorme et se croit volontiers dominatrice » (4). Mais en fait cette bourgeoisie a été dupée par les politiciens qui gouvernaient en son nom. Après avoir séparé cette bourgeoisie urbaine des agriculteurs. les politiciens républicains ont excité le peuple contre elle. Et la bourgeoisie qui domine vraiment l'État n'est pas cette bourgeoisie dupée, c'est celle de ce que Maurras appelle « les quatre États confé­dérés » : les Juifs, les Métèques, les Protestants et les Maçons.

    La trahison socialiste

    Ce phénomène politique, remarque Valois, échappe au prolé­tariat, qui n'est pas représenté par les siens au Parlement. Il y a en France un parti socialiste, mais Valois pense, comme Georges Sorel et Édouard Berth, que ce parti ne vaut pas mieux que les autres partis républicains, qu'il est d'ailleurs le complice des partis dits bourgeois. Et il cite à ce sujet l'opinion de Sorel dans ses Réflexions sur la violence :

    « Une agitation, savamment canalisée, est extrêmement utile aux socialistes parlementaires, qui se vantent, auprès du gouvernement et de la riche bourgeoisie, de savoir modérer la révolution ; ils peuvent ainsi faire réussir les affaires financières auxquelles ils s'intéressent, faire obtenir de menues faveurs à beaucoup d'électeurs influents, et faire voter des lois sociales pour se donner de l'importance dans l'opinion des nigauds qui s'imaginent que ces socialistes sont de grands réformateurs du droit. Il faut, pour que cela réussisse, qu'il y ait toujours un peu de mouvement et qu'on puisse faire peur aux bourgeois » (5).

    Bref, les dirigeants socialistes dupent la classe ouvrière, exacte­ment comme ceux des partis républicains libéraux dupent la classe bourgeoise ; ce ne sont pas de véritables anti-capitalistes, mais les serviteurs d'un capitalisme étranger, auquel ils sacrifient le mouve­ment syndical. « C'est pourquoi, écrit Valois, les républicains nour­rissent une hostilité irréductible à l'égard du mouvement syndicaliste, et c'est ce qui doit montrer à nos camarades qui sont profondément pénétrés de la nécessité de l'action syndicale que l'État républicain et l'organisation syndicale ouvrière sont deux faits qui s'excluent l'un l'autre » (6). Certains militants syndicalistes en sont d'ailleurs con­vaincus, et ils préfèrent l'action directe à une action s'exerçant par l'intermédiaire des pouvoirs publics. Valois se déclare d'accord avec eux, mais il entend leur faire admettre que leur esprit de classe n'est nullement incompatible, bien au contraire, avec l'adhésion à la mo­narchie.

    Ce n'est pas, précise Valois, la violence révolutionnaire qui peut effrayer les militants monarchistes, qui comptent dans leurs rangs plus de non-possédants que de possédants. Les monarchistes rejettent la révolution sociale parce qu'elle représente l'extension à la vie économique de l'erreur politique démocratique, parce qu'elle intro­duirait la démagogie au cœur de la production. Il y aurait sans doute une réaction contre les conséquences de cette démagogie, mais les travailleurs en seraient les premières victimes : « Il se constituerait rapidement, dans chaque groupe de producteurs, une petite aristocra­tie qui régnerait sur la masse par la terreur et la corruption, embri­gaderait une sous-aristocratie par de menues faveurs, et imposerait ainsi à la majorité la même loi de travail qu'imposent aujourd'hui les capitalistes, et en profiterait  » (7).

    De plus, la révolution entraînerait la disparition de l'or, lequel constitue une garantie irremplaçable. Pour en retrouver, les révolutionnaires devraient faire appel aux capitalistes soi-disant favorables à leur cause, c'est-à-dire aux capita­listes juifs. « C'est vers eux, écrit Valois, que l'on se tournera pour résoudre le problème de la circulation des produits interrompue par l'absence d'or, et si l'on ne songe pas à eux tout d'abord, leurs agents, juifs et non juifs, seront chargés de diriger les pensées vers eux. On leur demandera de l'or, et ils le prêteront ; ils le prêteront en apparence sans exiger de garanties, mais en s'assurant en fait des garanties solides ». Les travailleurs ne se libéreraient d'une exploi­tation nationale que pour tomber sous le joug d'une exploitation internationale, plus dangereuse parce que plus puissante. « Il est probable qu'un terrible mouvement antisémite se développerait et se manifesterait par le plus beau massacre de Juifs de l'histoire ; mais les Juifs feraient alors appel aux armes étrangères pour leur défense, et se maintiendraient avec le concours de l'étranger, avec qui ils dépouil­leraient la nation toute entière » (8). N'oublions pas que ces lignes furent écrites peu après l'affaire Dreyfus, en un temps où l'anti­sémitisme le plus frénétique fleurissait dans de vastes secteurs de l'opinion française.

    L'appel au roi, solution sociale

    Pour éviter ce remplacement de l'exploitation présente par une exploitation plus dure encore, Valois ne voit qu'une solution : l'appel au roi. Le roi ne saurait être le défenseur d'une seule classe sociale ; il est l'arbitre indépendant et souverain dont toutes les classes ont besoin pour défendre leur intérêt commun. Il ne peut souhaiter que la prospérité générale de la nation, et donc la prospérité de la classe ouvrière. « Il sait que des bourgeois, ou des politiciens qui n'ont aucune profession avouable, ne peuvent en aucune manière repré­senter le peuple des travailleurs ; pour connaître les besoins de la classe ouvrière, il appelle donc dans ses conseils les vrais représentants de cette classe, c'est-à-dire les délégués des syndicats, des corpo­rations, des métiers. Le roi doit donc non seulement favoriser, mais provoquer le développement intégral de l'organisation ouvrière, en faisant appel à ce qui lui donne son caractère rigoureusement ouvrier : l'esprit de classe. En effet, pour que les républiques ou­vrières envoient auprès du roi leurs vrais représentants, il faut qu'elles soient impénétrables à tout élément étranger à la classe ouvrière ; il faut donc que les travailleurs aient une vive conscience de classe qui les amène à repousser instinctivement les politiciens, les intellectuels et les bourgeois fainéants qui voudraient pénétrer parmi eux pour les exploiter » (9).

    L'esprit de classe ainsi envisagé ne conduit donc pas à la lutte de classe au sens marxiste du terme, il n'est pas question d'établir la dictature du prolétariat ; la bourgeoisie a un rôle nécessaire à jouer dans la société nationale, et il importe qu'elle joue ce rôle en développant au maximum l'effort industriel. Les ouvriers ont besoin de patrons, et même, dit Valois, de patrons “durs”, car la classe ouvrière préfère infiniment des capitalistes ardents au travail, et sachant rémunérer les services rendus, que des patrons “philanthropiques”, dont l'attitude est pour elle offensante. Autrement dit, l'égoïsme vital du producteur est préférable à la bienveillance du paternaliste, à condition que cet égoïsme soit orienté dans le sens de l'intérêt national.

    Telles étaient les idées que Georges Valois tentait de répandre dans les milieux ouvriers. Certaines réponses au questionnaire qu'il avait adressé à des personnalités syndicalistes sur la Monarchie et la classe ouvrière le fortifièrent dans ses convictions. Ces personnalités étaient en effet d'accord avec lui pour penser que « le régime répu­blicain parlementaire est incompatible avec l'organisation syndicale, et que la République est essentiellement hostile aux classes ou­vrières » (10). La raison de cet état de choses résidait pour Valois dans le libéralisme hérité de 89, ennemi des associations ouvrières détruites par la loi Le Chapelier. Mais il prenait soin de montrer que le socialisme n'était pas un remède aux maux du libéralisme.

    « Les systèmes socialistes collectivistes, écrivait-il, développent les principes républicains, transportent le principe de l'égalité politique dans l'éco­nomie, et, construits en vue d'assurer à tous les hommes des droits égaux et des jouissances égales, ils refusent aux citoyens, comme le fait l'État républicain, le droit de « se séparer de la chose publique par un esprit de corporation ». En face de la collectivité propriétaire de tous les biens, en face de l'État patron, les travailleurs sont privés du droit de coalition. Ils devront subir les conditions de travail qui seront établies par la collectivité, pratiquement par l'État, c'est-à-dire par une assemblée de députés, et ils ne pourront les modifier que par l'intermédiaire de leurs députés… » (11).

    Refusant l'étatisme socialiste, Valois condamnait également l'anarchie, celle-ci refusant les disciplines syndicales aussi bien que toutes les autres, et étant « en rébellion aussi bien contre les néces­sités de la production que contre les lois des gouvernements ».

    Les syndicats doivent avant tout se défendre contre la péné­tration d'éléments qui tentent de les politiser. Valois s'inquiète à ce propos de l'évolution de la Confédération générale du travail, victime des conséquences d'une centralisation abusive :

    « Mille syndicats, cin­quante fédérations, réunis par leurs chefs dans un seul organisme, loin de leurs milieux naturels, installés dans des bureaux communs, où pénètre qui veut, sont sans défense contre la bande de journa­listes, d'intellectuels et de politiciens sans mandat qui envahissent les bureaux, qui rendent des services personnels aux fonctionnaires syndicaux, recherchent leur amitié et leur demandent, non l'abandon de leurs principes mais une collaboration secrète. Le péril pour le syndicalisme est là » (12).

    Pour rendre à la vie syndicale son vrai caractère, il faut revenir à la vie corporative : non pas ressusciter les anciennes corporations, mais fonder de nouvelles associations professionnelles répondant aux né­cessités modernes. Toutefois, Valois est formel sur ce point : aucune nouvelle vie corporative ne sera possible tant que la démocratie parlementaire ne sera pas remplacée par la monarchie.

    Valois à l'Action française

    Les idées politiques et sociales de Georges Valois s'accordaient donc exactement avec celles de Maurras et de L'Action française. Cependant Maurras ne fit pas immédiatement appel à lui pour traiter des questions économiques et sociales dans sou journal : il préférait dans ce domaine la collaboration de disciples de La Tour du Pin, plus modérés ou plus effacés que Valois. Ce dernier chercha à s'exprimer dans des publications autonomes. La création d'une revue réunissant des syndicalistes et des nationalistes, La Cité française, fut décidée. Georges Sorel, qui avait promis sa collaboration, rédigea lui-même la déclaration de principe.

    « La démocratie confond les classes, y lisait-on, afin de permettre à quelques bandes de politiciens, associés à des financiers ou dominés par eux, l'exploitation des producteurs. Il faut donc organiser la cité en dehors des idées démocratiques, et il faut organiser les classes en dehors de la démocratie, malgré la démocratie et contre elle. Il faut réveiller la conscience que les classes doivent posséder d'elles-mêmes et qui est actuellement étouffée par les idées démocratiques. Il faut réveiller les vertus propres à chaque classe, et sans lesquelles aucune ne peut accomplir sa mission histo­rique » (13).

    Mais la Cité française ne fut qu'un projet. Selon Pierre Andreu, historien de Georges Sorel, c'est l'Action française, « voulant s'assurer à la faveur d'une querelle Valois-Variot une sorte de mainmise occulte sur l'avenir de la revue », qui empêcha celle-ci de voir le jour. Les jeunes “soréliens” de l'Action française ne se découragèrent pas, et en mars 1911, Valois créait avec Henri Lagrange le Cercle Proudhon. Les plus audacieux, et les plus ouverts des jeunes intellec­tuels de l'Action française furent attirés par ce groupe, dont Maurras approuvait les intentions. Mais Georges Sorel se montrait maintenant sceptique sur la possibilité de défendre la pensée syndicaliste en subissant trop étroitement l'influence maurrassienne. L'éclatement de la guerre de 14 mit un terme à cette tentative de réunion des éléments monarchistes et syndicalistes.

    Cette tentative portait cependant quelques fruits. Georges Valois prit la parole dans les congrès de l'Action française de 1911, 1912 et 1913, afin d'expliquer aux militants “bourgeois” du mouvement les raisons pour lesquelles ils devaient souhaiter l'alliance des syndica­listes, victimes du régime démocratique. Ses interventions obtinrent un grand succès, ce qui n'est pas surprenant, car le tempérament “révolutionnaire” des militants d'Action française leur permettait de comprendre le point de vue de Valois, même lorsqu'il faisait appel à des notions ou à des principes assez éloignés, du moins en apparence, de leurs propres convictions traditionalistes.

    ValoisD'autre part, Valois fut bientôt appelé à diriger une maison d'édition, la Nouvelle librairie nationale, destinée à grouper les au­teurs membres ou amis de l'Action française. Maurras, Daudet, Bain­ville, Bourget et aussi Maritain et Guénon, furent parmi les auteurs de cette maison, qui devait subsister jusqu'en 1927. Mobilisé en 1914, Valois put reprendre son activité en 1917. Outre la direction de la Nouvelle librairie nationale, il décida de donner une nouvelle impul­sion à son action sociale. Il eut l'idée de créer des sociétés corpora­tives, et d'organiser des semaines — notamment du Livre et de la Monnaie — pour mieux faire comprendre la portée concrète de ses idées. « Tout cela, écrira-t-il plus tard, était pour moi la construction de nouvelles institutions. Les gens de l'Action française n'y compre­naient absolument rien. Je cherchais le type nouveau des assemblées du monde moderne. Pendant que les gens de l'Action française continuaient de faire des raisonnements, je travaillais à la construc­tion de ces institutions ».

    En parlant de la sorte des “gens d'Action française”, Georges Valois vise évidemment les dirigeants et les intellectuels du mouve­ment, et non ses militants, auprès desquels il jouissait d'une impor­tante audience. Il se heurtait en effet à une certaine méfiance de la part des comités directeurs de l'Action française, qui n'avaient sans doute jamais pris très au sérieux les intentions du Cercle Proudhon. Pour éclaircir la situation, Valois eut un entretien avec Maurras et Lucien Moreau. Il déclara à Maurras que, selon lui, il fallait mainte­nant préparer la prise du pouvoir, et ne plus se contenter de l'action intellectuelle. Il lui demanda s'il avait un plan de réalisation de ses idées.

    « Maurras, écrit-il, fut extrêmement embarrassé par mes ques­tions. Il nous fit un discours d'une demi-heure pour me démontrer que, nécessairement, il avait toujours pensé à faire ce qu'il disait. Je lui demandais des ordres, il n'en donna aucun. Alors je lui indiquai un plan et lui déclarai qu'il était absolument impossible de faire adhérer les Français à la monarchie ; que la seule chose possible était de sortir du gâchis parlementaire par une formule pratique, de faire une assemblée nationale et d'y poser les questions fonda­mentales » (14).

    Il y avait donc eu, chez Valois, une évolution assez sensible par rapport à ses positions d'avant 1914. À ce moment-là, il ne s'em­ployait pas seulement à faire comprendre aux monarchistes traditio­nalistes la légitimité du syndicalisme, mais aussi à faire comprendre aux syndicalistes la nécessité de la monarchie. En 1922, l'idée de rallier les élites du monde du travail à la solution monarchiste lui semblait donc assez vaine. D'autre part, il ne s'intéressait plus seule­ment aux forces ouvrières, mais, semble-t-il, à l'ensemble des forces économiques du pays. Le doctrinaire élargissait son horizon, peut-être parce que les nécessités de l'action l'obligeaient à le faire.

    Son idée principale était de lancer à travers toute la France une « convocation des États généraux », créant ainsi la représentation réelle des forces nationales, par opposition à la représentation arti­ficielle du parlementarisme. Maurras pouvait difficilement être contre un principe aussi conforme à sa doctrine, et notamment à sa fameuse distinction entre le pays réel et le pays légal. Il donna donc son accord pour ce projet. Celui-ci n'eut qu'un commencement de réali­sation, l'assassinat par une militante anarchiste du meilleur ami de Valois à l'Action française, Marius Plateau, ayant interrompu le travail en cours. Les autres dirigeants de l'Action française étaient plus ou moins hostiles au projet de Valois, auquel ils préféraient la préparation de leur participation aux élections de 1924. Mais à ces élections, les candidats de l'Action française furent largement battus.

    C'est alors que Georges Valois songea à mener son combat en marge de l'Action française, sans rompre cependant avec celle-ci. Il prépara notamment « une action en direction des Communistes, pour extraire des milieux communistes des éléments qui n'étaient attachés à Moscou que par déception de n'avoir pas trouvé jusque-là un mouvement satisfaisant pour les intérêts ouvriers ». Naturellement, l'action comportait une large participation ouvrière à tout le mouve­ment, par incorporation de militants ouvriers au premier rang du mouvement (15). Pour appuyer cette action, Valois décidait de créer un hebdomadaire, Le Nouveau Siècle.

    Dans le premier numéro du journal, paru le 25 février 1925, on peut lire une déclaration que 28 personnalités — parmi les­quelles Jacques Arthuys, Serge André, René Benjamin, André Rous­seaux, Henri Ghéon, Georges Suarez, Jérôme et Jean Tharaud, Henri Massis — ont signée aux côtés de Valois. Le Nouveau Siècle, y lit-on notamment, est fondé pour « exprimer l'esprit, les sentiments, la volonté » du siècle nouveau né le 2 août 1914. Il luttera pour les conditions de la victoire, que l'on a volée aux combattants : « Un chef national, la fraternité française, une nation organisée dans ses fa­milles, ses métiers et ses provinces, la foi religieuse maîtresse d'elle-même et de ses œuvres ; la justice de tous et au-dessus de tous ».

    « Nous travaillerons, disent encore les signataires, à former ou à reformer les légions de la victoire, légions de combattants, de chefs de familles, de producteurs, de citoyens ». On peut penser qu'il s'agit de faire la liaison entre différents mouvements nationaux tels que l'Action française, les Jeunesses patriotes et quelques autres. Mais le 11 novembre de cette même années 1925, Georges Valois annonce la fondation d'un nouveau mouvement, le Faisceau, qui sera divisé en quatre sections : Faisceau des combattants, Faisceau des producteurs, Faisceau civique et Faisceau des jeunes.

    La ressemblance avec le fascisme italien est évidente. Valois a d'ailleurs salué l'expérience italienne avant de fonder son parti. Le mouvement fasciste, dit-il, est « le mouvement par lequel l'Europe contemporaine tend à la création de l'État moderne ». Ce n'est pas une simple opération de rétablissement de l'ordre : c'est la recherche d'un État nouveau qui permettra de faire concourir toutes les forces économiques au bien commun. Mais Valois souligne le caractère original du mouvement : « Le fascisme italien a sauvé l'Italie en employant des méthodes conformes au génie italien, le fascisme français emploiera des méthodes conformes au génie français ».

    Maurras se fâche

    Maurras n'avait pas fait d'objections à ce que Valois entreprit un effort parallèle à celui de l'Action française. Valois fut bientôt désagréablement surpris de voir que Maurras cherchait à faire subven­tionner L'Action française par le principal commanditaire de son propre hebdomadaire, qu'il avait lui-même encouragé à aider l'Action française à un moment donné. D'autres difficultés surgirent. Maurras reprocha à Valois l'orientation qu'il donnait à sa maison d'édition. Mais Valois eut surtout le sentiment que les campagnes de son hebdomadaire « concernant les finances, la monnaie et la bour­geoisie », déplaisaient souverainement, sinon à L'Action française elle-même, du moins à certaines personnalités politiques ou financières avec lesquelles L'Action française ne voulait pas se mettre en mauvais termes. Un incident vint transformer ces difficultés en pure et simple rupture. Tout en animant son hebdomadaire, Valois continuait à donner des articles à L'Action française. Maurras lui écrivit à propos de l'un d'eux, regrettant de ne pas avoir pu supprimer cet article faute de temps, et se livrant à une vive critique de fond :

    « Il suffit de répondre “non” à telle ou telle de vos questions pour laisser en l'air toute votre thèse. Il n'est pas vrai que “la” bourgeoisie soit l'auteur responsable du parlementarisme. Le régime est au contraire né au confluent de l'aristocratie et d'une faible fraction de la bourgeoisie (…) Les éléments protestants, juifs, maçons, métèques y ont joué un très grand rôle. L'immense, la déjà immense bourgeoisie française n'y était pour rien. Pour rien.

    Maigre rectification historique ? Je veux bien. Mais voici la politique, et cela est grave. Depuis vingt-six ans, nous nous échinons à circonscrire et à limiter l'ennemi ; à dire : non, la révolution, non, le parlementarisme, non, la république, ne sont pas nés de l'effort essentiel et central du peuple français, ni de la plus grande partie de ce peuple, de sa bourgeoisie. Malgré tous mes avis, toutes mes observations et mes adjurations, vous vous obstinez au contraire, à la manœuvre inverse, qui est d'élargir, d'étendre, d'épanouir, de multi­plier l'ennemi ; c'est, maintenant, le bourgeois, c'est-à-dire les neuf dixièmes de la France. Eh bien, non et non, vous vous trompez, non seulement sur la théorie, mais sur la méthode et la pratique. Vous obtenez des résultats ? Je le veux bien. On vous dirait en Provence que vous aurez une sardine en échange d'un thon. Je manquerais à tous mes devoirs si je ne vous le disais pas en toute clarté. Personne ne m'a parlé, je n'ai vu personne depuis que j'ai lu cet article et ai dû le laisser passer, et si je voyais quelqu'un, je le défendrais en l'expli­quant, comme il m'est arrivé si souvent ! Mais, en conscience, j'ai le devoir de vous dire que vous vous trompez et que cette politique déraille. Je ne puis l'admettre à l'AF ».

    Pour Georges Valois, l'explication de l'attitude de Maurras était claire : « Maurras et ses commanditaires avaient toléré ma politique ouvrière, tant qu'ils avaient pu la mener sur le plan de la littérature, mais du jour où je déclarais que nous passions à l'action pratique, on voulait m'arrêter net » (16).

    Entre les deux hommes, une explication décisive eut lieu. Maurras reprocha notamment à Valois de détourner de l'argent de L'Action française vers son propre hebdomadaire. Valois contesta bien entendu cette affirmation, et démissionna de l'Action française et des organisations annexes de celle-ci auxquelles il appartenait.

    La rupture était-elle fatale ? Y avait-il réellement incompa­tibilité totale entre la pensée de Maurras et celle de Valois ? Il est intéressant d'examiner à ce propos les “bonnes feuilles” d'un livre de Valois, parues dans l'Almanach de l'Action française de 1925 — c'est-à-dire un peu plus d'un an avant sa rupture avec celle-ci — ­livre intitulé : La révolution nationale. (Notons en passant que c'est probablement à Valois que le gouvernement du maréchal Pétain emprunta le slogan du nouveau régime de 1940).

    Valois affirme d'abord que l'État français a créé une situation révolutionnaire, parce qu'il s'est révélé « totalement incapable d'ima­giner et d'appliquer les solutions à tous les problèmes nés de la guerre ». Et selon Valois, cette révolution a commencé le 12 août 1914 avec ce que Maurras a appelé la monarchie de la guerre : c'est le moment où l'esprit héroïque s'est substitué à l'esprit mercantile et juridique. Mais après l'armistice, l'esprit bourgeois a repris le dessus, et cet esprit a perdu la victoire. Les patriotes le comprennent, ils se rendent compte qu'ils doivent détruire l'État libéral et ses institutions politiques, économiques et sociales, et le remplacer par un État national.

    À l'échec du Bloc national — faussement national, selon Valois —, succède l'échec du Bloc des gauches. Ces deux échecs n'en font qu'un : c'est l'échec de la bourgeoisie, qu'elle soit conservatrice, libérale ou radicale. « La bourgeoisie s'est révélée impuissante, en France comme dans toute l'Europe, au gouvernement des États et des peuples ». Valois n'entend pas nier les vertus bourgeoises, qui sont grandes lorsqu'elles sont à leur place, c'est-à-dire dans la vie municipale et corporative, économique et sociale, mais il estime qu'elles ne sont pas à leur place à la tête de l'État. C'est qu'originairement, le bourgeois est l'homme qui a restauré la vie économique, dans des villes protégées par les combattants, qui tenaient les châteaux-forts et chassaient les brigands. Pour l'esprit bourgeois, de ce fait, « le droit, c'est un contrat, tandis que le droit, pour le combattant, naît dans le choc des épées. La loi bourgeoise a été celle de l'argent, tandis que la loi du combattant était celle de l'héroïsme ».

    La paix ayant été restaurée, l'esprit bourgeois a voulu commander dans l'État. Or l'esprit bourgeois ne peut réellement gouverner : et le pouvoir est usurpé par les politiciens et la ploutocratie. L'illu­sion bourgeoise consiste à croire que la paix dépend de la solidarité économique, alors qu'elle dépend d'abord de la protection de l'épée. L'exemple de Rome le prouve : la paix romaine a disparu quand l'esprit mercantile l'a emporté sur l'esprit héroïque.

    À la tête de l'État national dont rêve Valois, il y aura évidem­ment le roi, dont l'alliance avec le peuple sera le fruit de la révolution nationale. Et Valois veut espérer que certains Français, « qui pa­raissent loin de la patrie aujourd'hui », se rallieront à cette révolution, et notamment certains communistes : « Parmi les communistes, il y a beaucoup d'hommes qui ne sont communistes que parce qu'ils n'avaient pas trouvé de solution au problème bourgeois ». Le com­munisme leur dit qu'il faut supprimer la bourgeoisie, mais cette solution est absurde : la seule solution réaliste consiste à remettre les bourgeois à leur place, et au service de l'intérêt national. « Quand cette solution apparaît, le communiste est en état de changer ses conclusions, s'il n'a pas l'intelligence totalement fermée. Alors, il s'aperçoit qu'il n'est pas autre chose qu'un fasciste qui s'ignore ».

    À l'époque où Valois écrit ces lignes, Mussolini est au pouvoir depuis deux ans. Valois n'ignore pas que son maître Georges Sorel est l'un des doctrinaires contemporains qui ont le plus fortement in­fluencé le chef du nouvel Flat italien. Et il estime que le fascisme n'est pas un phénomène spécifiquement italien, qu'il y a dans le fascisme des vérités qui valent pour d'autres pays que l'Italie :

    « Il y a une chose remarquable : le fascisme et le communisme viennent d'un même mouvement. C'est une même réaction contre la démocratie et la ploutocratie. Mais le communisme moscovite veut la révolution internationale parce qu'il veut ouvrir les portes de l'Europe à ses guerriers, qui sont le noyau des invasions toujours prêtes à partir pour les rivages de la Méditerranée. Le fasciste latin veut la révolution nationale, parce qu'il est obligé de vivre sur le pays et par conséquent d'organiser le travail sous le commandement de sa loi nationale ».

    L'œuvre de la révolution nationale ne se limitera pas à la restauration de l'État ; celle-ci étant accomplie, la France prendra l'initiative d'une nouvelle politique européenne :

    « Alors, sous son inspiration (la France), les peuples formeront le faisceau romain, le faisceau de la chrétienté, qui refoulera la Barbarie en Asie ; il y aura de nouveau une grande fraternité européenne, une grande paix romaine et franque, et l'Europe pourra entrer dans le grand siècle européen qu'ont annoncé les combattants, et dont les premières paroles ont été celles que Maurras a prononcées au début de ce siècle, lorsque par l'Enquête sur lu monarchie, il rendit à l'esprit ses disciplines classiques ».

    Dans ce même Almanach de l'Action française, on peut lire également un reportage d'Eugène Marsan sur l'Italie de Mussolini. L'un des principaux dirigeants fascistes, Sergio Panunzio, ayant déclaré que le nouvel État italien devait être fondé sur les syndicats, Eugène Marsan commente :

    « Une monarchie syndicale, pourquoi non ? Le danger à éviter serait un malheureux amalgame du politicien et du corporatif, qui corromprait vite ce dernier et rendrait vaine toute la rénovation. Puissent y songer tous les pays que l'on aime. Un siècle de palabre démocratique nous a tous mis dans un chaos dont il faudra bien sortir ».

    Ce commentaire correspond exactement aux idées de Valois, telles que nous les avons examinées ci-dessus. Il faut noter également qu'il vient en conclusion d'un article extrêmement élogieux pour Mussolini et son régime. Or l'Almanach d'Action française était un organe officiel de celle-ci, les articles qui y paraissaient étaient évidemment approuvés par Maurras. Ce dernier avait-il changé d'avis sur l'Italie fasciste un an plus tard. en 1926 ? Rien ne permet de l'affirmer, au contraire : douze ans après, en 1937, Maurras lui-même publiait dans Mes idées politiques, un vibrant éloge du régime musso­linien.

    Remarquons encore que l'on peut lire dans ce même Almanach d'AF de 1925 un article d'Henri Massis figurant entre celui de Valois et celui de Marsan, sur « L'offensive germano-asiatique contre la culture occidentale », et dénonçant la conjonction du ger­manisme et de l'orientalisme contre la culture gréco-latine. On sait que Maurras voyait précisément dans le fascisme une renaissance latine, et qu'il comptait beaucoup sur le rôle qu'une Italie forte pourrait jouer dans une éventuelle union latine pour résister à la fois à l'influence germanique et à l'influence anglo-saxonne en Europe. La position de Georges Valois concernant le fascisme s'accordait donc avec ses propres vues.

    C'est plutôt, semble-t-il, les positions de Valois en politique intérieure française qui provoquèrent son inquiétude. La lettre que nous avons citée prouve que “l'anti-bourgeoisisme” de Valois, admis par Maurras en 1925. lui parut inquiétant l'année suivante. Toutefois ce dissentiment d'ordre doctrinal aurait peut-être pu s'arranger, sans les malentendus qui s'accumulaient entre les dirigeants de l'Action française et Georges Valois. À tort ou à raison, certains membres des comités directeurs de l'Action française — et notamment Maurice Pujo — persuadèrent Maurras que Valois, loin de servir l'Action française, ne songeait qu'à s'en servir au profit de son action person­nelle. Dans un tel climat, la rupture était inévitable.

    L'heure du faisceau

    Après avoir démissionné de l'Action française, Valois décida de fonder un nouveau mouvement politique : ce fut la création du Faisceau, mouvement fasciste français. La parenté du mouvement avec le fascisme italien se manifestait non seulement par sa doctrine. mais aussi par le style des militants, qui portaient des chemises bleues. Si Valois n'entraîna guère de militants d'Action française, il obtint en revanche l'adhésion d'un certain nombre de syndicalistes, heureux de sa rupture avec Maurras. À la fin de l'année 1925, le Faisceau bénéficiait de concours assez importants pour que Valois pût décider de transformer le Nouveau Siècle hebdomadaire en quo­tidien.

    Mais, pour ses anciens compagnons de l'Action française, Georges Valois devenait ainsi un gêneur et même un traître, dont il fallait au plus vite ruiner l'influence. En décembre 1925, les camelots du roi réussirent à interrompre une réunion du Faisceau. Un peu plus tard, les militants de Valois se vengèrent en organisant une “expédition” dans les locaux de l'Action française. Le quotidien de Maurras déclencha une très violente campagne contre Valois, qu'il accusait d'être en rapport avec la police, d'avoir volé les listes d'adresses de l'Action française au profit de son mouvement, d'avoir indûment conservé la Nouvelle librairie nationale, d'émarger aux fonds secrets, et enfin d'être à la solde d'un gouvernement étranger, le gouvernement italien.

    Après une année de polémiques, Valois intenta un procès à l'Action française. Ce fut l'un des plus importants procès de presse de cette époque : le compte-rendu des débats, réuni en volume, remplit plus de six cents pages. On entendit successivement les témoins de l'Action française et ceux de Valois. Rien n'est plus pénible que les querelles entre dissidents et fidèles d'un même mouvement, quel qu'il soit. De part et d'autre, les années de fraternité, de luttes communes pour un même idéal, sont oubliées : les dissentiments du présent suffisent à effacer les anciennes amitiés. Il en fut naturellement ainsi au procès Valois-Action française.

    Nous n'évoquerons pas ici les discussions des débats, concernant mille et un détails de la vie du journal et du mouvement de Maurras. Nous dirons seulement que le compte-rendu du procès prouve que la querelle relevait davantage de l'affrontement des caractères que des divergences intellectuelles.

    Les dirigeants de l'Action française insistèrent avant tout sur le “reniement” de Georges Valois, qui traitait Charles Maurras de “mi­sérable” après l'avoir porté aux nues. L'un des avocats de l'Action française, Marie de Roux, donna lecture d'un hommage de Valois destiné à un ouvrage collectif, dans lequel le futur chef du Faisceau écrivait notamment :

    « Maurras possède le don total du commandement. Ce n'est pas seulement ce don qui fait plier les volontés sous un ordre et les entraîne malgré ce mouvement secret de l'âme qui se rebelle toujours un peu au moment où le corps subit l'ordre d'une autre volonté. Le commandement de Maurras entraîne l'adhésion entière de l'âme ; il persuade et conquiert. L'homme qui s'y conforme n'a pas le senti­ment d'être contraint, ni de subir une volonté qui le dépasse ; il se sent libre ; il adhère ; le mouvement où il est appelé est celui auquel le porte une décision de sa propre volonté. Il y a deux puissances de commandement : l'une qui courbe les volontés, l'autre qui les élève, les associe et les entraîne. C'est celle-ci que possède Maurras. Vous savez que c'est la plus rare, la plus grande et la plus heureuse » (17).

    Celui qui avait écrit ces lignes avait-il vraiment commis les vilenies que lui reprochait l'Action française ? À distance, l'attitude de Valois ne semble pas justifier ce qu'en disaient ses anciens compa­gnons. Il avait tenté d'agir selon la ligne qui lui semblait la plus efficace ; Maurras ne l'avait pas approuvé, il avait repris sa liberté. Avait-il vraiment utilisé, pour sa nouvelle entreprise, les listes de l'Action française ? C'est assez plausible mais n'était-ce pas jusqu'à un certain point son droit, s'il estimait que Maurras ne tenait pas ses promesses et qu'il fallait le faire comprendre à ses militants ? L'af­faire de la Nouvelle librairie nationale était complexe : Valois y tenait ses fonctions de l'Action française, mais il avait beaucoup fait pour la développer, et il était excusable de considérer que cette entreprise d'édition était plus ou moins devenue sienne.

    Quant aux accusations les plus graves — l'émargement aux fonds secrets, l'appartenance à la police et les subventions du gouvernement italien — l'Action fran­çaise faisait état d'indices et de soupçons, plutôt que de preuves. On constatait que l'action de Valois devenu dissident de l'Action fran­çaise divisait les forces nationalistes, on en concluait qu'elle devait avoir l'appui de la police politique ; celle-ci se réjouissait certaine­ment de cet état de choses, mais cela ne suffisait pas à prouver qu'elle l'eût suscité. De même, les fonds relativement importants dont disposait Georges Valois pouvaient provenir aussi bien de capi­talistes, désirant dans certains cas garder l'anonymat, que des fonds secrets. Les subventions du gouvernement italien étaient une autre hypothèse : Valois avait été reçu par Mussolini, il connaissait cer­taines personnalités du fascisme italien ; cela permettait des suppo­sitions, et rien de plus.

    Sans doute était-il gênant, pour Georges Valois, d'entendre rap­peler l'éloge qu'il avait fait de l'homme qu'il traitait désormais de “misérable”. Mais on assistait, dans l'autre camp, à un phénomène analogue. Si Valois n'était plus pour Maurras, depuis la fondation du Faisceau, que « la bourrique Gressent, dit Valois » ou « Valois de la rue des Saussaies », il avait été tout autre chose peu de temps auparavant. Le 12 octobre 1925, Maurras, annonçant à ses lecteurs la fondation du Nouveau Siècle, s'exprimait en ces termes :

    « Je n'ai pas la prétention d'analyser la grande œuvre de spécula­tion et d'étude que Valois accomplit dans les vingt ans de sa colla­boration à l'Action française. Les résultats en sont vivants, brillants, et ainsi assez éloquents ! de la librairie restaurée et développée à ces livres comme Le Cheval de Troie, confirmant et commentant des actes de guerre ; des admirables entreprises de paix telles que les Semaines et les États généraux à ces pénétrantes et décisives analyses de la situation financière qui ont abouti à la Ligue du franc-or, et aux ridicules poursuites de M. Caillaux. Georges Valois, menant de front la pensée et l'action avec la même ardeur dévorante et le même bonheur, a rendu à la cause nationale et royale de tels services qu'il devient presque oiseux de les rappeler ».

    La déviation mussolinienne

    Valois sortit vainqueur de sa lutte judiciaire contre l'Action française. Les membres du comité directeur du mouvement qu'il avait poursuivis furent condamnés à de fortes amendes. Mais cette victoire judiciaire ne fut pas suivie d'une victoire politique.

    À sa fondation, le Faisceau avait recruté un nombre important d'adhérents, et le journal Le Nouveau Siècle avait obtenu des collabo­rations assez brillantes. Mais ni le nouveau parti, ni le nouveau journal ne purent s'imposer de façon durable. En 1927, le Faisceau déclinait rapidement ; le Nouveau Siècle quotidien redevenait hebdo­madaire, et disparut l'année suivante. Cet échec avait plusieurs causes. La violente campagne de l'Action française contre Valois impressionnait vivement les sympathisants de celle-ci et l'ensemble des “nationaux”. Le style para-militaire, l'uniforme que Valois im­posait à ses militants paraissaient ridicules à beaucoup de gens.

    D'autre part, l'opinion publique se méfiait d'un mouvement s'ins­pirant trop directement d'un régime politique étranger. Les bailleurs de fonds du mouvement et du journal s'en rendirent compte, et coupèrent les vivres à Valois. Celui-ci fut bientôt mis en accusation par certaines personnalités du mouvement : né d'une dissidence, le Faisceau eut lui-même ses dissidents, entraînés par l'un des fonda­teurs du mouvement, Philippe Lamour, Valois restait avec quelques milliers de partisans ; ceux-ci se séparèrent finalement de lui, pour former un Parti fasciste révolutionnaire, dont l'existence ne fut pas moins éphémère que celle du Faisceau.

    Valois s'était efforcé de rompre avec les schémas idéologiques de l'Action française, aussitôt après l'avoir quittée. Férocement anti­sémite au début de son action, il estimait en 1926 que la rénovation économique et sociale qu'il appelait de ses vœux ne pouvait aboutir sans la participation des Juifs :

    « Supposez que les Juifs entrent dans ce prodigieux mouvement de rénovation de l'économie moderne, et vous vous rendrez compte qu'ils y joueront un rôle de premier ordre, et qu'ils hâteront l'avène­ment du monde nouveau. À cause de leur appétit révolutionnaire. À cause également de vertus qui sont les leurs, et qui s'exercent avec le plus grand fruit dans une nation sachant les utiliser. En premier lieu, la vertu de justice. Il est connu dans le monde entier que les Juifs ont un sentiment de la justice extraordinairement fort. C'est ce sentiment de la justice qui les portait vers le socialisme. Faites que ce sentiment s'exerce vers le fascisme, qui, parallèlement au catholicisme, aura une action sociale intense, et vous donnerez un élément extraordinaire à la vie juive » (18).

    Cet appel à la compréhension des “fascistes” envers les Juifs ne pouvait évidemment que déconcerter les anciens militants d'Action française que Valois avait groupés dans le Faisceau. D'autant plus qu'à cette ouverture envers Israël, Valois ajoutait quelques mois plus tard un renoncement à l'idéal monarchique au profit de la Répu­blique :

    « Nous avons tous au Faisceau le grand sentiment de 1789, la grande idée de la Révolution française et que résume le mot de la carrière ouverte aux talents. C'est-à-dire aux possibilités d'accession de tous aux charges publiques. Nous sommes ennemis de tout pou­voir qui fermerait ses propres avenues à certaines catégories de citoyens. Là-dessus nous avons tous la fibre républicaine » (19).

    Regrettant de plus en plus d'avoir fait trop de concessions au capitalisme et à la bourgeoisie, Valois se montrait décidé à rompre avec la droite :

    « Nous ne sommes ni à droite ni à gauche. Nous ne sommes pas pour l'autorité contre la liberté. Nous sommes pour une autorité souveraine forte et pour une liberté non moins forte. Pour un État fortement constitué et pour une représentation nouvelle régionale, syndicale, corporative. Ni à gauche ni à droite. Et voulez-vous me laisser vous dire que nous ne voyons à droite aucun groupe, aucun homme capable de faire le salut du pays. Et que nous en voyons parmi les radicaux, les radicaux-socialistes et même chez les socialistes, mais que ceux-ci sont désaxés par des idées absurdes » (20).

    Puis, non content d'avoir répudié le monde de droite, Georges Valois renoncera également à n'être « ni à droite, ni à gauche ». Il constatera en effet que ce dépassement des vieilles options classiques de la vie politique française et européenne est au-dessus de ses forces. Il avait espéré que le fascisme était précisément la solution pour un tel dépassement. Ce qu'il apprend de l'évolution italienne le déçoit profondément. Mussolini, estime-t-il, s'oriente maintenant « dans le sens réactionnaire ». Il voudrait que le fascisme français « puisse l'emporter sur un fascisme italien dévié, et que l'Europe tienne ce fascisme français pour le type du fascisme ». Mais il ne tardera pas à s'apercevoir qu'aucun avenir politique n'est possible pour ses amis et lui s'ils gardent les vocables de fascisme et de Faisceau, définitivement associés par les partis de gauche à la pire réaction.

    L'échec de la République syndicale

    Ce n'est donc pas pour le maintien d'une politique « ni à droite, ni à gauche » mais bien pour un retour à la gauche que Georges Valois va se décider. En mars 1928, à l'heure où Le Nouveau Siècle disparaît, Valois publie un Manifeste pour la République syndicale. Tout en affirmant que « le fascisme a accompli en France sa mission historique, qui était de disloquer les vieilles formations, de provo­quer, au-delà des vieux partis, le rassemblement des équipes de l'avenir », l'ancien leader du Faisceau opte maintenant pour un État gouverné par les syndicats. En quoi il ne fait que revenir aux aspirations de sa jeunesse, d'avant la rencontre de Maurras.

    La publication du Manifeste est rapidement suivi de la fondation par Valois et son fidèle ami Jacques Arthuys du Parti républicain syndicaliste. Parmi les personnalités qui donnent leur adhésion à cette nouvelle formation figure notamment René Capitant, futur ministre du général de Gaulle. Mais, de l'aveu même de Valois, ce parti ne sera en fait qu'un groupe d'études, sans influence compa­rable à celle du Faisceau.

    Dès lors, Valois s'exprimera surtout à travers plusieurs revues, tout en continuant à publier des essais sur la conjoncture politique de son temps. Les revues qu'il suscitera s'appelleront Les Cahiers bleus, puis Les Chantiers coopératifs, et enfin Le Nouvel Âge. Parmi leurs collaborateurs, on doit citer notamment Pietro Nenni, le grand leader socialiste italien, Pierre Mendès-France, Bertrand de Jouvenel et Jean Luchaire : quatre noms qui suffisent à situer l'importance de l'action intellectuelle de Georges Valois dans les années de l'entre-­deux-guerres.

    Dans son étude sur Valois, M. Yves Guchet (21) remarque le caractère quasi-prophétique de certaines intuitions de ce dernier. C'est ainsi que dans Un nouvel âge de l'Humanité, Valois amorce une analyse de l'évolution du capitalisme que l'on trouvera plus tard chez des économistes américains tels que Berle et Means, et aussi Gal­braith, dans Le nouvel état industriel. Mais le drame de Georges Valois est d'arriver trop tôt, dans un monde où certaines vérités ne seront finalement comprises ou reconnues qu'après de terribles orages.

    Vers 1935, Valois tente de se faire réintégrer dans les formations de gauche. Il n'y parvient pas. Si l'Action française ne lui pardonne pas d'avoir renié la monarchie et d'être retourné au socialisme, les partis de gauche, eux, refusent d'oublier son passé. C'est en vain qu'il écrit à Marceau Pivert pour solliciter son admission au Parti socia­liste : d'abord acceptée, sa demande sera finalement rejetée par les hautes instances de ce parti.

    En fait, l'ancien fondateur du Faisceau est désormais condamné à l'hétérodoxie par rapport aux formations politiques classiques. Son anti-étatisme, notamment, le rend suspect aux animateurs du Front populaire. Valois pense comme eux que le communisme est intel­lectuellement et politiquement supérieur au fascisme, mais il estime que, tout comme les dirigeants italiens, les dirigeants soviétiques ont trahi leur idéal initial en construisant une société socialiste privée de liberté.

    Brouillé avec la majorité de ses anciens amis — ceux de gauche comme ceux de droite — Valois épuise son énergie dans de nombreux procès contre les uns et les autres, tandis que son audience devient de plus en plus confidentielle. Qui plus est, sa pensée devient parfois contradictoire : ancien apologiste des vertus viriles suscitées par la guerre, il se proclame soudain pacifiste devant l'absurdité d'un éven­tuel conflit mondial, tout en reprochant à Léon Blum de ne pas soutenir militairement l'Espagne républicaine…

    Georges Valois appartenait à cette catégorie d'esprits qui ne parviennent pas à trouver le système politique de leurs vœux, et dont le destin est d'être déçus par ce qui les a passionné. Mais c'était aussi, de toute évidence, un homme qui ne se résignait pas à la division de l'esprit public par les notions de droite et de gauche. Ce qui l'avait séduit avant tout, dans l'idée monarchique, c'était la possibilité de mettre un terme à cette division, d'unir les meilleurs éléments de tous les partis, de toutes les classes sociales, dans un idéal positif, à la fois national et social. Ayant constaté que l'idée monarchique se heurtait à trop d'incompréhension ou de méfiance dans certains milieux, et notamment dans le milieu ouvrier, il pensa que l'idée fasciste, étant une idée neuve et moderne, permettrait plus aisément l'union des meilleurs. Sans doute se remit-il mal de cette double déception.

    Cette volonté d'unir les meilleures forces nationales existait aussi chez Charles Maurras, mais de manière plus théorique, plus abstraite. Convaincu d'avoir raison, d'avoir trouvé la doctrine la plus conforme à l'intérêt national, il se Préoccupait au fond assez peu de l'hostilité qu'il suscitait dans de très vastes secteurs de l'opinion française. Valois, au contraire, ne pouvait supporter la pensée que les meilleurs éléments populaires fussent hostiles à son propre combat politique. S'il en était ainsi, pensait-il, c'est qu'il y avait dans la doctrine elle-même quelque chose qui devait être modifié. Telle est l'explication psychologique de ses positions successives. En un mot, Valois voulait agir sur les masses, ce qui apparaissait à Maurras comme une tendance démagogique.

    Au moment où il fonda son mouvement, Valois était persuadé que l'Action française n'en avait plus pour bien longtemps. Ce fut le contraire : l'Action française, forte de sa doctrine et de son organisa­tion, survécut largement au Faisceau. On peut conclure de cette erreur d'appréciation que les qualités proprement politiques de Valois étaient médiocres, et que l'Action française n'eut pas à regret­ter beaucoup son départ.

    Et cependant, Valois voyait juste lorsqu'il se préoccupait d'accorder les idées politiques de Maurras avec les grands courants sociaux du début du siècle, et de compléter l'action politique par l'action sociale. Sans doute était-il très difficile de réunir, au sein d'un même mouvement, des éléments de l'aristocratie et de la bour­geoisie traditionaliste et des éléments du syndicalisme ouvrier et paysan : mais c'était bien dans cette direction qu'il fallait tenter d'agir. Maurras éprouvait peu d'intérêt pour les questions écono­miques et sociales : sa formule : « L'économique dépend du poli­tique », lui servait d'alibi pour les ignorer. Mais un mouvement politique du vingtième siècle ne pouvait pas impunément négliger les grandes luttes sociales ; s'il les négligeait, il limitait son influence à certains milieux, consommant ainsi cette division de 1a nation qu'il réprouvait en principe.

    Maurras, qui avait montré de la compréhension, de la sympathie même, pour l'action des syndicats vers 1914, semble s'y être beau­coup moins intéressé par la suite. Dans le monde ouvrier français et européen, l'influence de Marx l'avait emporté sur celle de Proudhon et de Sorel ; et la politisation du mouvement syndical se poursuivait clans le sens que l'on sait. Pour Maurras, le devoir était de combattre cette mauvaise politique à laquelle adhérait plus ou moins ardem­ment la classe ouvrière ; la défaite des partis de gauche permettrait la libération du syndicalisme français. Le monde ouvrier ne pouvait entendre un tel langage : il assimilait le combat contre les partis de gauche à un combat contre la classe ouvrière en elle-même.

    Telle était l'équivoque dont Valois, après Sorel, avait senti le danger, et qu'il avait voulu à tout prix éviter. Les succès de ses conférences, les recherches du Cercle Proudhon, prouvaient que quelque chose dans ce sens était possible. En admettant que Maurras ait eu de bonnes raisons de prendre ses distances vis-à-vis de Valois, il commit pro­bablement une erreur en réduisant la place des questions écono­miques et sociales dans son journal et dans la vie de son mouvement : le drame de l'Action française, comme des autres ligues nationalistes, fut de ne pas avoir de doctrine sociale précise à opposer aux cam­pagnes du Front populaire.

    Au lendemain de la Libération, on apprit que Georges Valois, arrêté par les Allemands pour son action dans un mouvement de résistance, était mort au camp de Bergen-Belsen. Son ami Jacques Arthuys, co-fondateur du Faisceau, ayant également choisi la Résis­tance, était lui aussi mort en déportation. Bientôt, l'un des premiers militants du Faisceau, fondateur en 1932 d'un second mouvement fasciste français, Le Francisme, Marcel Bucard, tombait, lui, sous les balles de l'épuration après avoir été condamné pour collaboration. Le fascisme français dans son ensemble était assimilé à “l'intelligence avec l'ennemi”, et le mouvement de Georges Valois était oublié : Arthuys et lui-même furent de ces morts de la Résistance dont les partis politiques victorieux préféraient ne pas parler, puisqu'ils n'avaient pas été des leurs.

    Paul Sérant, Les dissidents de l'Action française, Copernic, 1978, chapitre I, pp. 13-36.

    1. G. Valois, Basile ou la calomnie de la politique, Librairie Valois, 1927, introduction, p. X.
    2. C. Maurras, L'Action française, 1er et 4 août 1908.
    3. Cf. P. Andreu, Notre Maître, M. Sorel, Grasset, 1953, p. 325.
    4. G. Valois, Histoire et philosophie sociale — La révolution sociale ou le roi, Nouvelle librairie nationale, 1924, p. 288.
    5. Op. cit., p. 292.
    6. Ibid., p. 295.
    7. Ibid., p. 302.
    8. Ibid., pp. 307-308.
    9. Ibid., p. 313.
    10. Ibid., p. 356.
    11. Ibid., p. 360.
    12. Ibid., pp. 365-366.
    13. Cf. P. Andreu, Notre Maître, M. Sorel, pp. 327-328.
    14. G. Valois, Basile ou la calomnie de la politique, introduction, p. XVII-XVIII.
    15. Op. cit., p. XX.
    16. Ibid., p. XXX.
    17. Charles Maurras par ses contemporains, Nouvelle librairie nationale, 1919, pp. 43-44.
    18. Le Nouveau Siècle, 25 février 1926.
    19. Ibid., 21 juin 1926.
    20. Ibid., 28 novembre 1926.
    21. Y. Guchet, Georges Valois — L'Action française, le Faisceau, la République syndicale, éd. Albatros, 1975, pp. 206-207.

     


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