• New AgeLe “Nouvel Âge” : résurgence traditionnelle ou parodie ?

    Le “Nouvel Âge”, plus souvent appelé “New Age”, est un phénomène relativement récent qui a connu un très grand développement dans les années 70 et 80 d'abord aux États-Unis, puis en Europe. Son influence grandissante se fait sentir dans tous les domaines de l'activité humaine : les entreprises, I'agriculture, la médecine, le commerce, les sciences, le cinéma, la musique, la littérature, etc. Ne serais-ce qu'aux États-Unis plus de dix mille associations le professent.

    Certains ouvrages qui s'en inspirent se vendent à plusieurs millions d'exemplaires dans le même pays, jusqu'à plusieurs dizaines de milliers en France. De nombreuses revues diffusent ses idées. Son ampleur et sa continuelle progression en font incontestablement un mouvement qui, demain, peut subvertir l'ensemble de la société. Aussi il convient de s'interroger sur ce phénomène, sa nature, son utilité ou sa nocivité, bref il importe de se positionner par rapport à lui. Bien sûr nous l'étudions dans ce qu'il a de plus sérieux et non à travers les charlatans et les profiteurs qui exploitent le filon ou toutes les personnes crédules qui en sont les victimes. Le “Nouvel Âge” est bien plus profond que cette pitoyable écume folklorique.

    1 — Une religiosité adaptée à notre temps

    Le “Nouvel Âge” apparaît de prime abord comme un bric-à-brac de différentes traditions ainsi que de voies et de techniques anciennes diverses. Cela n'est pas nouveau. Des groupes spiritualistes du XlXe et XXe siècle comme le théosophisme ou les Rose-Croix pratiquent aussi le syncrétisme. La grande originalité du “Nouvel Âge” est sa fluidité. Il n'a pas de dogmes, de table de la loi, d'organisation générale, de hiérarchie, de chefs de file, de centre géographique. Ce n'est ni une religion, ni une secte. C'est une nébuleuse qui peut prendre toutes les formes nécessaires pour que son message, et mieux sa vision, se concrétise auprès de publics fort divers. Il a les qualités de l'eau : il épouse les formes qu'il rencontre sur son chemin, s'adapte à tous les terrains, s'insinue quasiment partout.

    Cette démarche est remarquablement adapté aux exigences de notre temps. En effet, actuellement les modes se succèdent, les formes se transforment ou périssent vite, en somme le durable est toujours plus rare. On parle à ce propos d'accélération du temps. L'instabilité est la règle. Le fixe se liquéfie très rapidement. La vie des sociétés s'organise autour des flux. Prenons l'exemple de la richesse matérielle. Au Moyen-Âge pour être riche il fallait posséder des terres. À partir du XVllle siècle, I'essentiel de la richesse se trouve dans le commerce et l'industrie. Aujourd'hui, elle se situe dans les grandes places boursières. Nous sommes passés d'une richesse visible, étendue, matérielle à une richesse qui occupe un espace toujours plus limité, qui est même parfois immatérielle (2). Au passage notons que cette richesse, outre sa fluidité, est également très volatile. C'est également valable pour les particuliers.

     Au Moyen-Âge et aux Temps Modernes on utilisait des pièces, puis on s'est servi de papier-monnaie. Aujourd'hui, sauf pour les petites dépenses, on emploie des chèques, en somme de simples bouts de papier imprimé, et de plus en plus souvent une carte à mémoire. Le support est toujours plus petit. La richesse n'a presque plus de réalité palpable, matérielle. Cette évolution est extrêmement révélatrice et va de pair avec l'évolution générale (3). Un mouvement qui emploie les caractéristiques du temps et qui répond aux attentes de beaucoup ne peut que réussir. Cela explique en grande partie, à notre avis, le succès du “Nouvel Âge”.

    2 — Des sources très diverses

    De façon générale le “Nouvel Âge” se présente comme un ensemble aux contours flous qui regroupe, ou récupère, des traditions venant d'horizons différents. Il y a un héritage antique : hermétisme, gnosticisme, néo-platonisme. Il intègre aussi les mouvements et enseignements ésotériques occidentaux, notamment le théosophisme et le spiritisme. L'autre grande source s'alimente aux spiritualités orientales : soufisme, yoga,  tantrisme, taoïsme (4), bouddhisme.

    Le “Nouvel Âge” est né à la suite du mouvement hippie au début des années 60 aux États-Unis. Il s'est plus particulièrement développé dans les années 70 et 80. Sa progression se poursuit toujours. En 1980, la journaliste américaine Marilyn Ferguson a écrit un livre qui a obtenu un grand succès sur cette “conspiration”, ainsi qu'elle l'appelle. Il porte comme titre en français Les enfants du Verseau (5) et dresse un état des lieux. Il fait aussi figure de manifeste.

    3 — Une conception du monde en rupture avec la modernité

    Pour les adeptes du “Nouvel Âge” nous entrons dans une nouvelle ère astronomique : I'ère du Verseau. Ce changement doit entraîner de profondes transformations pour les sociétés humaines, à savoir plus de justice, une meilleure communication, un essor des spiritualités, I'abolition des frontières et l'émergence d'une conscience planétaire (6). Venons-en aux caractéristiques de la vision du monde du “Nouvel Âge”. Jean Vernette les a ainsi résumées (7) :

    • Primat de l'expérience personnelle et directe comme critère de validation d'un cheminement spirituel, ce qui va de pair avec l'acceptation tolérante de la pluralité des voies, dans cette idée universaliste que toutes les religions convergent vers une Unité transcendante ;
    • une vision holistique des choses fondée sur l'origine unique de l’Énergie animant l'ensemble des phénomènes humains et cosmiques et sur la loi des correspondances entre les différents ordres du réel ;
    • I'amour et la compassion comme fondement du regard sur les êtres, dans un état d'esprit positif et ouvert qui bannit la peur ;
    • la contestation des idoles de la modernité, de la dictature de la raison et de la technique, de l'establishment et du “système” en place, une attitude de contre-culture fondée sur le primat déjà signalé de la transformation intérieure pour transformer la société.


    Le texte cité en annexe complète parfaitement cette synthèse des principales idées du "Nouvel Âge".  Celui-ci se présente donc comme un mouvement de pensée qui aspire à fonder une nouvelle humanité.

    4 — Critique du “Nouvel Âge”

    Si un bon nombre des idées du “Nouvel Âge” nous paraissent justes et salubres, d'autres, par contre, sont pleinement contre-traditionnelles (8), nous ne pouvons donc, pour ces dernières, que les rejeter. Par conséquent un tri s'impose. Nous commencerons celui-ci en évoquant la nocivité de certains de ses principes. Le premier reproche que l'on peut faire au “Nouvel Âge” est de pratiquer un syncrétisme débridé et, de façon plus générale, de prôner tous les mélanges. Le syncrétisme vise à mélanger sans distinction des formes traditionnelles — symboles, pratiques religieuses, techniques, etc. — fort différentes. Cette démarche n'est en rien facteur d'unité, mais source de confusions et d'uniformité (9).

    Cette conception se retrouve dans un autre aspect capital du “Nouvel Âge”, son cosmopolitisme. On pourrait dans un premier temps adresser à celui-ci les observations faite au syncrétisme. Ils sont de même nature. C'est une tendance essentiellement moderne (10). Elle amène la destruction des différences, un nivellement et par là une chute qualitative des sociétés qui y sont confrontées. Ce phénomène, qui touche tous les aspects de l'activité humaine, est suffisamment visible pour qu'il ne soit pas utile de s'y attarder davantage ici. Le “Nouvel Âge” montre là  une contradiction due sans doute à l'imprégnation de slogans, de discours, voire d'idéologies bien d'aujourd'hui. Pourtant sa vision holistique et systémique lui permet de considérer une unité tout en distinguant ses différentes parties. En ne le faisant pas, elle confond mondialisme et cosmopolitisme avec universalisme. Le mondialisme tend à modeler l'ensemble des sociétés humaines en une seule. Il est donc extrêmement réducteur, mutilant et à terme funeste. L'universalisme reconnaît les différences tout en affirmant que l'on se rejoint par le haut, par l'esprit et uniquement par lui.

    On pourrait aussi relever ci et là, pour notre critique du “Nouvel Âge”, quelques formules, présentées sous forme de bons sentiments, propres à notre époque auxquelles beaucoup de tenants dudit mouvement sacrifient plus ou moins consciemment. Nous ne dirons que quelques mots sur l'une d'elle : I'optimisme. Cela ressemble à la méthode Coué et de ce point de vue nous ne saurions trop la recommander pour son efficacité. Cela étant dit l'optimisme obligatoire et béat qui est proposé confine à la niaiserie. Il n'est pas question d'être pessimiste ou le contraire, mais de voir les choses telles qu'elles sont et de les aborder, voire de les affronter, avec courage et détermination. Si nous sommes pessimistes pour le temps présent, nous savons aussi qu'après l'hiver vient nécessairement un printemps et cela ne peut que nous inciter à un optimisme pour le long terme.

    5 — Des éléments positifs

    Le “Nouvel Âge” présente aussi des aspects que nous estimons positifs. Il y a tout d'abord la vision holistique et systémique qui rappelle à bien des égards le raisonnement par analogie des sociétés traditionnelles. Il s'agit là d'une rupture importante avec la pensée analytique et rationaliste du monde moderne. La primauté de l'esprit nous paraît être un autre point également fondamental. Il en découle que pour le “Nouvel Âge” toute transformation extérieure est consécutive à un changement intérieur, une transformation en chacun de nous, et non l'inverse.

    Le non-dualisme est un autre aspect sympathique. Ainsi sont réconciliés, car complémentaires, des éléments différents : I'esprit et la matière, le masculin et le féminin, le sujet et l'objet, Dieu et le monde ou l'homme, etc.  Le respect de la nature, le volontarisme, I'impératif de la méditation et du recentrage sur soi-même, la nécessité de la réflexion pour que l'action ne soit pas vaine, l'ouverture à d'autres dimensions de l'univers sont quelques uns des autres points positifs.

    6 — Conclusion :

    Le Nouvel Âge est peut-être une opportunité pour en finir avec le monde moderne

    Finalement que penser du “Nouvel Âge” ? Pour certains catholiques conservateurs ce n'est ni plus ni moins que du paganisme (12) ! Peut-être ont-ils partiellement raison. Pour d'autres, il s'agit d'une pensée qui menace les fondements de la modernité. Ainsi, récemment, le philosophe Luc Ferry est parti en guerre contre “l'écologie profonde”, proche du “Nouvel Âge” par bien des aspects, dans un ouvrage intitulé Le Nouvel Ordre écologique (13) qui a connu un grand succès et a suscité de nombreux débats. Dans un entretien à L'Express (14) il a notamment déclaré : « La thèse selon laquelle l'homme n'est qu'un élément parmi d'autres est contraire à la philosophie qui a présidé à la Déclaration des droits de l'homme : c'est en s'arrachant à la nature que l'homme devient lui-même, c'est en se révoltant contre le déterminisme et la tradition qu'il construit une société de droit, c'est en s'évadant de son passé qu'il s'ouvre à la culture et qu'il accède à la connaissance… Depuis la Révolution française, toute notre culture démocratique, intellectuelle, économique, artistique, repose sur ce nécessaire déracinement (…) » (15).

    La question qui se pose à nous est toute autre. Il s'agit de savoir si le “Nouvel Âge” doit être combattu. En vue de quelles fins ? Ou bien si cela est une perte de temps ? Ou bien encore si le “Nouvel Âge”, malgré tout, ne présente pas des points intéressants qui sont autant de leviers capables de subvertir et de faire basculer dans les oubliettes de l'histoire le monde moderne ? Après tout, en ce monde rien n'est parfait mais tout est perfectible !

    Notre avis en ce qui concerne le “Nouvel Âge” est double en raison de l'ambivalence de sa nature. C'est une caricature de la pensée traditionnelle à cause des points négatifs que nous avons énoncés plus haut (16) . De ce point de vue il est bien placé pour organiser la grande parodie finale évoquée par Guénon (17) en constituant une spiritualité mondiale s'accordant avec l'idéologie des droits de l'homme. Le "Nouvel Âge" est certainement cela. Mais il n'est pas que cela.

    En effet, il prépare aussi au passage trans-cyclique et participe à la mise à mort du monde moderne. C'est même un puissant levier pour hâter sa fin. Il fournit les outils indispensables à un véritable renouveau. Ce sont notamment le recentrage sur soi-même, donc sur son intériorité, et l'ouverture de la conscience au cosmos (18). Ainsi tout en favorisant une dissolution générale, il conduit les hommes — sans doute même à son insu — à un éveil dont la première étape consiste d'abord à être un bon réceptacle. Effectivement, comment dialoguer avec l'univers et ses forces si l'on n'est pas capable de le comprendre et de recevoir ses messages ? C'est pourquoi le “Nouvel Âge”, par-delà la parodie qu'il véhicule, prépare aussi les hommes à une véritable révolution, c'est à dire, comme l'indique son sens étymologique, un retour à l'origine, à la lumière aurorale, à un monde où nous disent les textes anciens les divinités vivaient avec les hommes.

    Christophe Levalois, Vouloir n°114/118, 1994. 

    [Intervention à l'Université d'été de la FACE, juillet 1993]

    Notes :

    • 1. Parmi les plus sérieuses en France : Sources, Nouvelles Clés, 3ème millénaire.
    • 2. Lors des transactions boursières des sommes colossales sont échangées, apparaissent ou disparaissent. Elles n'ont pourtant quasiment aucune base physique. En effet, tout se passe par ordinateur.
    • 3. Dans Lignes d'horizon, Fayard, 1990, Jacques Attali annonce l'avènement d'un monde unifié de nomades. Il s'agit là d'une fluidité sociale et professionnelle. Il prévoit notamment pour les années à venir que (p.50) : « L'homme, comme l'objet, y sera nomade, sans adresse, ni famille stable, porteur sur lui, en lui, de tout ce qui fera sa valeur sociale (…) l'éphémère sera le rythme de la loi (…) ».
    • 4. Nous avons évoqué plus haut la fluidité du phénomène étudié. Un texte de Lao-tseu, le principal auteur taoïste, l'exprime parfaitement : « En ce monde, rien de plus souple et de plus faible que l'eau ; cependant aucun être, quelque fort et puissant qu'il soit, ne résiste à son action ; et aucun être ne peut se passer d'elle », Tao-tei-king, ch. 78, trad. L. Wieger dans Les pères du système taoïste, Belles Lettres, 1950.
    • 5. Calmann-Lévy, 1981. Le titre de l'édition américaine est The Aquarian Conspiracy (1ère éd. : L.A., 1980).
    • 6. Notons que l'on représente, en astrologie, le Verseau par un personnage de la mythologie grecque, Ganymède. Celui-ci tient une vase dont il déverse le contenu liquide. Il a donc un caractère fluidique très affirmé. 
    • 7. Dans Le New Age, PUF, coll. Que sais-je ?, n°2674, 1992.
    • 8. René Guénon a distingué anti-Tradition de contre-Tradition. La première expression désigne une opposition destructrice à l'esprit traditionnel, la seconde sa parodie.
    • 9. Nous avons traité ce problème dans notre ouvrage intitulé Les Temps de confusion, essai sur la fin du monde moderne, Trédaniel, 1991. René Guénon, dans Aperçus sur l'initiation (1946), a observé sur le syncrétisme : « Le “syncrétisme”, entendu dans son vrai sens, n'est rien de plus qu'une simple juxtaposition d'éléments de provenances diverses, rassemblés “du dehors”, pour ainsi dire, sans qu'aucun principe d'ordre plus profond vienne les unifier. Il est évident qu'un tel assemblage ne peut pas constituer réellement une doctrine, pas plus qu'un tas de pierres ne constitue un édifice. (…) Le syncrétisme, dans tous les cas, est toujours un procédé essentiellement profane, par son “extériorité” même ; et non seulement il n'est point une synthèse, mais, en un certain sens, il en est même tout le contraire. En effet, la synthèse, par définition part des principes, c'est-à-dire de ce qu'il y a de plus intérieur ; elle va, pourrait-on dire, du centre à la circonférence, tandis que le syncrétisme se tient à la circonférence même, dans la pure multiplicité, en quelque sorte “atomique”, et de détail indéfini d'éléments pris un à un, considérés en eux-mêmes et pour eux-mêmes, et séparés de leur principe, c'est-à-dire de leur véritable raison d'être ». Le syncrétisme n'est pas, non plus, un comparatisme. Dans celui-ci on cherche avec méthode et prudence des éclairages dans d'autres traditions afin d'approfondir le problème posé ou la tradition du chercheur.
    • 10. Cf. également Les Temps de confusion, essai sur la fin du monde moderne, op.cit.
    • 11. Qui est assimilé à la conscience universelle.
    • 12. C'est par ex. le cas de Pierre Debray qui expose son point de vue dans La conspiration du verseau, C.M.N., Paris, 1990. Une autre analyse catholique, bien plus mesurée et fruit d'une analyse plus profonde, est donnée par Samuel Rouvillois, dans Vers un Nouvel Âge ?, Fayard, coll. Le Sarment, 1993. Cet auteur, professeur de philosophie dans un institut catholique, reconnaît que « les questions posées et les problèmes soulevés sont pertinents et aigus » (p.179). Néanmoins, il conclue sévèrement en affirmant notamment que  « le niveau intellectuel des réponses proposées par le Nouvel Âge est celui du simplisme réductionniste et de l'idéologie » (p.180). Il ajoute qu'il faut « refuser de céder au bricolage scientifico-mystique d'une pensée qui n'a de prise sur nos mentalités qu'en profitant de la complète ignorance religieuse et de l'état de sous-culture que connaissent la plupart des jeunes générations. Accueilli par des intelligences presque exclusivement formées à l'école de l'informatique et des médias, le Nouvel Âge risque de nous engager dans une régression culturelle massive, sous couvert de réponses métaphysiques et spirituelles » (pp.180-181). 
    • 13. Grasset, 1992.
    • 14. 24 septembre 1992. Également interrogé dans L'Express, en date du 5 novembre 1992, Edgar Morin s'est montré plus nuancé. Il a tout d'abord émis des réserves à l'encontre de l'appel de Heidelberg lancé en juin 1992, au moment du sommet de Rio consacré à l'écologie, par des biologistes et signé par 52 Prix Nobel lequel s'élève contre les écologistes et les “idéologies irrationnelles” qui s'opposeraient au “progrès industriel et scientifique”. À la question : « On voit aussi pointer partout une certaine mythologie du global, une sorte de néo-scientisme religieux, comme celui des adeptes du new-age, où tout est dans tout » (p.121), il a répondu : « Il ne faut pas tout mélanger, mais malheureusement, ou heureusement, tout est lié (…). En science, comme dans la vie quotidienne, il nous faut lutter conte la pensée réductrice qui désintègre les réalités d'ensemble et les problèmes fondamentaux, contre la pensée compartimentée qui est incapable de relier par l'esprit ce qui est pourtant relie dans le monde où nous vivons. Je prône la pensée qui situe tout objet dans son contexte et son environnement. Je prône la pensée qui relie mais qui sait distinguer : ce que j'appelle la “pensée complexe” ».
    • 15. Alain Finkielkraut, dans un article intitulé « L'universel et le national » paru dans Le courrier de l'Unesco, XLII, 6, juin 1989, I'explique ainsi : « Prenant à contre-pied sa propre étymologie (nascor, en latin, veut dire naître), la nation révolutionnaire déracinait donc les individus et les définissait par leur humanité plutôt que par leur naissance. Il ne s'agissait pas de restituer une identité collective à des êtres sans coordonnées ni repères ; il s'agissait, au contraire, en les délivrant de toute appartenance définitive, d'affirmer radicalement leur autonomie. Libérés de leurs attaches et de leur ascendance, les individus l'étaient aussi de l'autorité transcendante qui jusqu'alors régnait sur eux. Ni dieu ni père, ils ne dépendaient pas plus du ciel que de l'hérédité » (p.30 et p.32).
    • 16 On peut y ajouter l'emploi de certaines pratiques comme le channeling, nouvelle forme de spiritisme. Sur ce sujet voir : L'erreur spirite, René Guénon, 1923. Sur les techniques utilisées par le “Nouvel Âge”, voir de Marie Borrel et de Ronald Mary : L'Âge d’Être et ses techniques, coll. L'Age d’Être, Presses Pocket, 1990.
    • 17 Notamment dans Le règne de la quantité et les signes des temps (1946).
    • 18 Cela ne peut qu'entraîner l'abandon de l'individualisme, autre point positif. René Guénon a distingué anti-Tradition de contre-Tradition. La première expression désigne une opposition destructrice à l'esprit traditionnel, la seconde sa parodie.

     

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    Documentation :

    Handbook of New Age, (dir.) Daren Kemp and James R. Lewis, Brill, 2007.

    New Age Religion and Western Culture : Esotericism in the Mirror of Secular Thought, Wouter J. Hanegraff, Brill, Leiden, 1996 : Le Nouvel Âge comme mouvement religieux repose sur les épaules du XIXe siècle dont il prolonge et répète les principaux thèmes. Ce travail ne démentit pas les conclusions de la plupart des chercheurs, sociologues comme historiens qui ont abordé la question. Quel XIXe siècle ? Celui des occultistes qui se sont nourris pendant un siècle de synthèses déjà approximatives comme le De occulta philosophia de Corneille Agrippa ou celui des prophètes qui fleurirent en nombre plus grand que dans tous les siècles précédents réunis ? Ce travail combine, à juste titre semble-t-il, les deux aspects et s'attaque de front au problème des lieux d'origine : la Californie a été la terre d'élection d'un New Age, sous le signe du Verseau, et si l'Amérique a connu une prodigieuse créativité religieuse au XIXe siècle, c'est de l'autre côté de l'Atlantique que l'ésotérisme s'est créé et exprimé le plus complètement. Ce plan d'eau est un miroir singulièrement déformant qu'il importe de passer et de repasser dans les deux sens, ce que fait W.H. avec sa propre route et un bagage documentaire important. Le champ et la méthodologie sont définis tout d'abord, centrés sur la monde anglo-saxon pour l'expression religieuse nouvelle et la Natur-philosophie allemande qui fonde l'ésotérisme, dans les critères qui ont été définis par Antoine Faivre. La recherche est menée en sympathie avec son objet, de façon à entrer pleinement dans le jeu des acteurs, loin du regard froid de l'entomologiste, tout en restant scientifiquement rigoureuse ; elle se présente donc à juste titre comme un pan de Western Culture. Cependant l'absence, difficilement explicable, des travaux de Massimo Introvigne, Il cappello del mago, 1990, portant sur des sujets voisins, illustre bien le “lieu d'où l'on parle”. Cela posé, le travail se développe avec cohérence sur un matériau documentaire considérable, analysant d'abord les éléments constitutifs du New Age : le channeling, version occultiste du spiritisme, y joue un rôle d'intermédiaire entre les “entités spirituelles” et l'homme ici-bas. Le chapitre suivant aborde la question des thérapies alternatives et de la “croissance personnelle” dans la même perspective pour déboucher sur celle d'une science propre au Nouvel Âge, marquée par un mélange de néopaganisme, de magie et de millénarisme chrétien. C'est l'ensemble de la vision du Christ, des anges, des multiples croyances réincarnationnistes sous une forme ou une autre qui est repassé, dans la perspective du XIXe siècle (Jésus essénien, etc.), témoins d'un individualisme et d'une “psychologisation” triomphants. La dernière partie confronte l'ensemble de l'enquête à “l'ésotérisme traditionnel”, tel qu'il a été défini ci-dessus. Cet ouvrage vient à point pour alimenter un débat intellectuel jusqu'ici bien terne. L'ignorance dans le monde nord-américain d'une grande partie des travaux consacrés à l'ésotérisme et publiés en d'autres langues que l'anglais, ainsi que la méconnaissance réciproque des enjeux vont de pair des deux côtés de l'Atlantique avec les inadéquations des critères de jugement. (Jean-Pierre Laurant, Politica Hermetica n°12, 1998)

     

    intertitre

    ♦ pièces-jointes ♦

     

    New AgeLe spiritualisme contemporain

    (…) Un autre aspect de la parodie a pour cadre les mani­festations de “seconde religiosité”. Cela couvre la plupart des sectes, associations plus ou moins “ésotériques” ou qui proposent des thérapies dérivées de pratiques traditionnelles. L'ensemble est vaste et les contours vagues. La première contrefaçon de ces groupes réside dans le syncrétisme. Il ne faut pas confondre cet aspect avec le comparatisme ou encore l'unité transcendante dont nous avons pu voir quelques exemples. Le syncrétisme est un mélange des formes. Il n'y a pas union par le haut, la seule possible, mais uniformisation avec des élé­ments divers. Le résultat est un bric-à-brac de différentes spiritualités qui va de pair avec un prosélytisme indiffé­rencié. Partant, il n'y a pas d'ordre.

    En outre, il y a sou­vent confusion entre la mystique, la quête intérieure, et la religion proprement dite qui participe aussi à l'ordre social. Ce problème s'est souvent posé au cours de notre ère, aussi bien dans le christianisme que dans l'islam. Le cas paroxyste, dans cette dernière tradition, de Al-Hallâj, qui finit par être exécuté est symptomatique du fossé qui sépare ceux qui sont tournés vers l'intérieur et ceux qui se suffisent de la pratique exotérique de la religion. Dans le christianisme, un exemple nous est fourni par maître Eckhart qui fut sévèrement blâmé et dont certaines af­firmations furent condamnées. Toutefois, les mystiques n'ont jamais rejetés la pratique exotérique, certains ont même insisté sur son importance. De plus, il est vrai que certains enseignements utiles à la recherche intérieure peuvent s'avérer dangereux pour ceux qui en font une lecture littérale. D'où l'exigence de la discrétion, outre qu'il s'agit généralement d'une qualité. De là également la nécessité pour un maître de transmettre seulement à des disciples qui sauront intégrer correctement en eux la connaissance et qui, ainsi, pourront la maîtriser. En ef­fet, elle peut se révéler très dévastatrice à la fois pour ceux qui ne sont pas aptes à la recevoir, mais plus encore parfois pour l'ensemble de la société.

    Aussi, Les Lois de Manou recommandent (livre Il, 112 à 116) : « Là où ne sont ni loi, ni but, ni bon vouloir à écouter. Cela, la Sa­gesse ne doit être semée, non plus qu'un bon grain dans un sol aride. Pour un transmetteur de Parole-sacrée, même en cas de misère affreuse, mieux vaut mourir avec sa sagesse que la semer dans un désert. Abordant un brahmane, la sagesse lui dit : “Je suis ton trésor, garde­ moi, ne me donne pas à l'envieux, afin que je garde toute ma force ; mais si tu trouver un élève-en-science-sacrée qui soit pur et discipliné, enseigne-moi à lui, à ce (prêtre), à ce vigilant gardien du trésor”. Mais celui qui, sans être autorisé, acquiert par l'étude la Parole sacrée, il est coupable de vol de la parole sacrée, et s'en va tout droit en enfer » [1]. C'est cette même question qu'aborde la parole évangélique suivante (Matthieu, VII, 6) : « Ne don­nez pas aux chiens ce qui est sacré, ne jetez pas vos perles devant les porcs ; ils pourraient bien les piétiner, puis se retourner contre vous pour vous déchirer ». L'Avesta (Nirangistan, I, 17) met également en garde : « (…) c'est donner une langue au loup que d'enseigner la Parole di­vine à l'infidèle (mot qui peut aussi être traduit par “étranger”) ».

    Il faut voir comme étant un signe des temps l'étalage actuel, ainsi que le prosélytisme qui s'y rattache, de tout ce qui se rapporte aux “doctrines secrètes” et à l'“ésotérisme”, ou encore le fait de vouloir diffuser et vulgariser ce qui n'était connu que d'un petit nombre. Aussi, il n'est pas étonnant que le Linguâ Purâna (ch. 40) annonce parmi les signes de la fin des temps que « les livres sacrés seront vendus aux coins des rues » [2]. La finalité assignée à ce phénomène est, outre d'augmenter la confusion, de jeter parmi les hommes certaines forces qu'ils ne pourront contrôler et qui, par conséquent, désagrégeront toujours davantage la société. De plus, l'extrême diffusion de textes destinés à une élite, car ne pouvant être compris que par des personnes préparées et aptes à les recevoir, permet de séculariser leurs enseignements et donc, paradoxalement, eux qui étaient des outils pour l'élévation servent d'agents de la grande parodie. L'une des techniques de la subversion anti-traditionnelle consiste précisément à inverser les plats pourrait-on dire pour prendre une image. Elle donne grand nombre ce qui revient à un groupe pré­cis et réciproquement. De cette façon le premier s'ahurit, le second s'abrutit.

    S'il y a eu de fructueux contacts entre différentes tra­ditions, cela ne s'est pas fait aux dépens des identités qui n'ont fondamentalement pas variées. Quant aux similitudes, concernant l'essentiel, il ne faut pas y voir, comme s’ingénient les modernes, telle ou telle influence horizontale, humaine, mais une influence par le haut. Il n'en demeure pas moins que les traditions sont des formes adaptées à un peuple ou à un cycle. Ce sont des particularismes qui ouvrent sur l'universel. À la différence du monde moderne, il n'y a pas, dans les sociétés traditionnelles, de confusion entre ces deux dimensions. La montagne symbolise parfaitement l'unité au sommet et la multiplicité des chemins qui y mènent. Le syncrétisme des groupes appartenant à la “seconde religiosité” conduit de façon bien plus affirmée vers le mondialisme que les diverses religions. Le cosmo­politisme est l'un des aspects les plus importants de ceux­-ci. C'est même l'un de ceux qui permettent de déceler le rôle fondamentalement anti-traditionnel de ces groupes. En effet, on y constate un mélange de différentes races, couches sociales, cultures, bref, ils se présentent comme indifférenciés, uniformisés et uniformisateurs.

    Une bonne partie de ces groupes ne proposent qu'une thérapie. L'objet de celle-cl n'est pas, à l'inverse des voies spirituelles, d'accéder au monde céleste et de re­joindre l'Un, mais d'être, selon une expression courante aujourd'hui, “bien dans sa peau”. Le but est de ramener vers le monde moderne des personnes qui sont suscep­tibles de le contester. Remarquons également que l'utilisation d'une thérapie, ainsi que les objectifs qui lui sont assignés, est révélatrice quant à la dimension sollicitée : le monde physique et psychique. Celle-ci, ainsi, attache encore davantage l'homme à notre monde. Ce qui était tout au plus, dans les sociétés traditionnelles, un véhicule et une aide est devenu une fin en soi.

    Un autre élément équivoque est l'utilisation du terme “ésotérisme”. Celui-ci désigne une chose secrète, intérieure. Il s'oppose à exotérique. Lorsque le mot ésotérique est synonyme d'intériorité, son emploi est utile et ne cause pas de problème. Par contre, lorsqu il est synonyme de secret les aberrations apparaissent. En effet, les secrets relèvent de deux ordres. Soit du domaine temporel et humain, dans ce cas en dehors de cette sphère ils sont insignifiants. Soit ils se rapportent au su­pra-monde et, ici, se présentent deux éléments. D'un part, la pratique d'une voie justifie de la part de ceux qui l'enseignent une grande discrétion sur celle-ci afin qu il ne puisse y avoir d'incompréhension extérieure et qu'une parodie ne puisse se développer. Mais, d'autre part, la connaissance proprement dite n'a rien de secret. Il n'y a rien à cacher volontairement puisque l'on voit ou pas. Ceux qui voient n'ont pas besoin de description et ceux qui ne voient pas n'y pénètrent pas. Ce n'est pas une géographie physique et quantitative, mais vision­naire et qualitative. Pour elle, il ne saurait y avoir de se­cret puisqu'elle est, par nature, hors d'atteinte de ceux qui ne sont pas suffisamment qualifiés. On peut même dire que rien n'est caché, mais qu'il y a des personnes qui voient et d'autres pas. Aussi, ceux qui prétendent trans­mettre des secrets d'ordre métaphysique contre une ad­hésion et un engagement financier sont des imposteurs parfois dangereux, car il peut s'agir de manipulateurs. Le mot ésotérisme sert souvent à recouvrir de telles affabu­lations. Aussi il demande à être précisé. Seule une dé­marche personnelle permet de “découvrir” la connais­sance, de ce point de vue rien ne peut être transmis. Par contre, un guide s'avère le plus souvent indispensable pour éclairer la route. Cependant, il ne remplace aucu­nement le cheminement personnel.

    Certains de ces groupes accordent une grande impor­tance aux phénomènes parapsychologiques et magiques. Julius Evola et surtout René Guénon ont mis en garde contre un attrait de ceux-ci, car, en fin de compte, ils ne font que renforcer la puissance du monde et de la ma­tière. Ils sont même des obstacles à la réalisation spiri­tuelle. Ainsi que l'explique Julius Evola : « Les “pouvoirs” n'ont pas grand-chose à voir avec les choses agréables et désirables qu'imaginent la plupart des gens ; ceux qui les détiennent — souvent sans les avoir réclamés —, s'ils avaient la possibilité de s'en décharger, le feraient bien volontiers. Pour la bonne raison que chacun de ces pouvoirs est comme un vertige tenace qui ne le quitte plus, que celui-ci doit être capable de supporter et au­quel, sans trêve, il doit être attentif. Qu'un seul instant diminue d'intensité la tension grâce à laquelle un pou­voir est attiré vers un homme et lui obéit — dans l'instant même ce pouvoir le broie et l'emporte au sein du cou­rant vertigineux des “eaux” » (Ur et Krur, Ur 1927).

    Ces deux aspects, comme les précédents, montrent bien qu'il y a, là également, inversion. Aujourd'hui, le plus souvent, le mot ésotérisme ne désigne pas, ce qui est son sens légitime, l'intériorité, mais un savoir qui se transmet quasiment matériellement comme on lit une re­vue ou on s'affilie à un club. C'est devenu un produit de consommation. Il en est de même pour les pouvoirs dits “paranormaux”. Ils ne sont que volonté de puissance et de réussite dans ce monde. Partant, ils le renforcent et ne participent aucunement à une éventuelle alternative. Il n'y a pas changement de dimension et d'orientation, mais tout au plus de modalités.

    Ces différents groupes, et la santé qu'affiche ce sec­teur protéiforme, dénotent à la fois une recherche de la spiritualité par un grand nombre de personnes et un dé­sir de s'échapper au carcan du monde moderne, mais aussi une vaste entreprise de récupération. Car finale­ment, ils sont autant de pièges, de voies sans issues, des­tinés à désamorcer, puis à retourner, toute contestation véritable. Ils participent eux aussi à la grande parodie. Ils en sont même souvent l'avant-garde. L'une des principales victoires du monde moderne est d'avoir investi et retourné ceux qui constituaient, potentiellement, ses adversaires. Dans cette opération la parodie atteint sa plénitude. Celle-ci sera entièrement effective lorsque la contre-Tradition remplacera totale­ment l'anti-Tradition, ce qui se produit actuellement. Au dénigrement et à la destruction succède la caricature. Après avoir éliminé les ultimes résidus traditionnels, la puissance infernale, que l'Antéchrist incarne, qui prési­dait à cette action va pouvoir instaurer en toute liberté son règne. Celui-ci singe la royauté divine. De même, la société antéchristique caricature la société traditionnelle. Il suffit de constater la vogue et l'intérêt pour des pra­tiques anciennes, leur redécouverte, leur réutilisation et leur succès pour comprendre que les temps de la grande parodie sont très proches. Celles-ci sont toutes tournées vers l'homme, son bien-être, son “épanouissement” indi­viduel, sa réussite matérielle. Les publicités dans les journaux sont éloquentes, l'astrologie, le magnétisme, la voyance et autres sont utilisés pour gagner de l'argent, épancher sa libido, dominer les autres et avoir de l'entregent.

    Dans ce processus la prétendue conjonction science­ - “Tradition” tient une place importante. Certains scienti­fiques découvrent aujourd'hui ce que des enseignements traditionnels affirmaient il y a plusieurs milliers d'années. D'aucuns y voient la possibilité d'un nouvel âge traditionnel par l'intermédiaire de la science influen­cée par la sophia perennis. Remarquons tout d'abord que la science moderne, de par sa nature, ses fondements et la vision qui l'habite, n'intervient que dans une seule di­mension, le monde matériel. Elle révèle une compréhen­sion extérieure et intellectuelle du monde et se situe à la pointe extrême de la contrefaçon. Lorsque les scienti­fiques actuels sont amenés à réfléchir sur les différentes formes de la Tradition, ils les rationalisent, partant les rabaissent à leur niveau et ainsi n'accèdent qu'à une cari­cature.

    Évoquons aussi les divers écrits qui se fondent sur le “sensationnel”. Ceux-ci décryptent les textes tradition­nels ou les restes archéologiques avec un œil et une conception modernes. Les symboles, analogies, paraboles sont compris comme autant de phénomènes matériels sur lesquels sont plaqués les spéculations scientifiques ac­tuelles. Cette catégorie, qui relève surtout de genres litté­raires tels que le fantastique ou la science-fiction, ne fait qu'accroître la confusion et contribue à atrophier la compréhension des contemporains en les égarant à la poursuite de chimères. Cette optique, par ex., se complaît à concevoir l'alchimie comme étant la science qui permettrait de fabriquer de l'or. Or les véritables alchimistes ont toujours été très limpides sur ce point, qui suscita bien des convoitises. Ils recherchent, par analogie, la connaissance que figure l'or comme métal symbolique. Ceux qui espèrent s'enrichir matériellement sans fin à l'aide d'une formule sont appelés avec mépris “brûleurs de charbon”.

    Les anciennes traditions, après avoir été honnies et qualifiées d'obscurantistes, sont réhabilitées mais inver­sées. La parodie devient totale. L'homme traditionnel connaît le monde et l'explique par l'esprit, l'homme mo­derne, et même antéchristique, par la matière. Les appa­rences sont les mêmes, y compris dans le comportement idéalisé, le langage, les centres d'intérêt, mais les réalités sont radicalement opposées. La vision et l'orientation les différencient. Le moderne ne se reconnaît pas d'autre dieu que lui-même. (…)

    ► Christophe Levalois, extrait de : Les Temps de confusion : essai sur la fin du monde moderne, ch. IV, Trédaniel, 1991.

    Notes :

    • 1. Traduction de A. Loiseleur Deslongchamps, op. cit.
    • 2. Cité par Alain Daniélou dans La fantaisie des dieux et l'aventure humaine d'après la tradition shivaïte, éd. du Rocher, 1984.

     

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    New AgeWicca et New Age : un point de vue

    Le néopaganisme communautaire ou “sectaire” est évidemment tout autre chose, et je serais sur ce point beaucoup plus réservé. J'écrivais déjà, dans Comment peut-on être païen ? : « Ce qui nous semble surtout à redouter aujourd'hui, c'est moins la disparition du paganisme que sa résurgence sous des formes primitives et puériles, apparentées à cette religiosité seconde dont Spengler faisait, à juste titre, l'un des traits caractéristiques des cultures en déclin ». La floraison des groupes néopaïens à laquelle on assiste depuis quinze ans n'a fait que me renforcer dans ce sentiment. À elle seule, l'extrême diversité de ces groupes laisse songeur. (…) De toute évidence, nombre de ces mouvements n'ont strictement rien à voir, sinon l'usage du mot, avec le paganisme. Quant aux groupes à vocation plus strictement religieuse, leur mode de fonctionnement les apparente souvent à des sectes. (…) J'y vois beaucoup de pastiche, beaucoup de parodie, mais fort peu de paganisme !

    La confusion atteint son comble avec les groupes “néopaïens”, surtout anglo-saxons, qui s'inscrivent dans la mouvance du New Age. Plus ou moins issus du mouvement hippie et de la contestation californienne des années 60, cette mouvance a comme principale caractéristique son caractère syncrétique et composite : “anything goes”. Ses thèmes principaux sont l'écoféminisme, le millénarisme du “Verseau”, un penchant invincible vers toutes les formes d'occultisme et de paranormal, une aspiration à la transformation personnelle permettant à l'individu de vibrer à l'unisson de “l'âme du monde”. Ses références sont éclectiques : la “voie du Nord” et “l'astrologie runique” y font bon ménage avec le soufisme, la kabbale, les spiritualités orientales, le spiritisme (rebaptisé channeling), la théosophie ou le “voyage astral”. L'idée centrale est que nous entrons dans l'ère du Verseau, qui se caractérisera par la fluidité des rapports humains et l'émergence d'une conscience planétaire. Les groupes “néopaïens”, extrêmements nombreux, qui évoluent dans ce milieu échappent rarement à ce syncrétisme, en fait un patchwork de croyances et de thèmes de toutes sortes, où l'on voit se mêler les tarots et les “charmes” karmiques, l'interprétation des rêves et les invocations à la Grande Déesse, les traditions hermétiques égyptiennes et les Upanishads, Castaneda et le roi Arthur, Frithjof Schuon et la psychologie jungienne, le marteau de Thor et le Yi-King, la “magie thélèmite” et le yoga, l'Arbre de vie et la “transe chamanique”, etc. Dans ce fatras, tout n'est évidemment pas à rejeter, à commencer par des thèmes comme l'écoféminisme, la vision holistique des choses, le non-dualisme, etc. Mais ces thèmes sont noyés, sans la moindre rigueur, dans un confusionnisme débridé, fondé sur le postulat implicite de la compatibilité, voire de la convertibilité, de toutes les croyances, de toutes les sagesses et de toutes les pratiques. S'y ajoutent une débauche de bon sentiments, qui verse souvent dans l'optimisme niais dont les Américains sont coutumiers, et surtout cette croyance naïve que l'expérience individuelle est le seul critère de validation du cheminement intérieur et qu'on peut recourir à des spiritualités ready made comme à autant de recettes de bonheur et d'“épanouissement”. En fin de compte, avec ses modes et ses engouements successifs (Hildegarde de Bingen, la divination runique, les “anges gardiens”), le New Age constitue une subculture évoquant irrésistiblement ces croyances composites que l'on vit se développer à Rome sous l'antiquité tardive, en marge des rites officiels, et qui associaient sans plus de discernement spéculations égyptiennes ou chaldéennes, fragments de cultes orientaux, théorie astrale, pratiques superstitieuses, “gnose” d'origine iranienne ou babylonienne, oracles de toutes provenances. Certes, tous les groupes “néopaïens” actuels ne s'inscrivent pas dans cette mouvance, mais ils en sont rarement séparés par une frontière étanche. Un trait qui leur est commun, par ex., est leur propension à la spéculation ésotérique ou “magique”. Je ne prendrai pas ici position sur l'ésotérisme en général. Mais il n'est que trop évident qu'il sert aisément de support à tous les délires. Et de fait, nombre de groupes “néopaïens” suppléent à leur absence de savoir, ou surtout de critères permettant d'apprécier la valeur de ce qu'ils savent, par une imagination débordante : interprétation personnelle assénées comme des arguments d'autorité, affirmations sans preuves, extrapolations fantaisistes, etc.

    ►Extrait d'un entretien avec Alain de Benoist sur le néo-paganisme, éléments n°89, 1997, pp. 10-11.

     

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    Église et New Age : un point de vue

    • Recension : Renouveau charismatique : les catholiques du New Age ?, Jean-Paul Sauzet, Éd. Golias, Lyon, 1994, 144 p.

    L'auteur veut croiser une lecture théologique du mouvement charismatique avec une lecture anthropologique — en fait plutôt une approche psychosociologique, où les processus psycho­logiques “pathologiques” sont rapportés au contexte de “crise” sociale et culturelle des années 1970-1980. Les croyances et les prati­ques du Renouveau [reconnu par l'Église dès 1975] s'inscrivent, en ce sens. dans le mouvement général de quête de sens et de spiritualité qui anime aussi le New Age, et notamment dans le développement d'une « autre rationalité, celle du désir. avec ses re­tournements, son ambivalence, ses durcisse­ments possibles ». Écrit par un ancien membre de communauté charismatique (la Théophanie), l'ouvrage se veut une réhabilitation de toutes les « média­tions » humaines : la raison — y compris la rai­son théologique — les institutions, religieuses et autres, les sciences humaines, contre les « déviations » potentielles que comporte toute démarche de foi qui voudrait s'en abstraire. Fondamentalement, l'auteur s'élève donc contre toutes les pratiques charismatiques qui, encore aujourd'hui, privilégient l'émotion et l'effervescence, la croyance en une « connaissance immédiate de Dieu » ou en une action directe de l'Esprit saint, au détriment de la réflexion ; il met en cause également la dépendance alié­nante que certains “gourous” peuvent susciter chez leurs disciples — comme un père qui n'éduquerait pas son enfant à l'autonomie — en s'appuyant sur leurs demandes de certitudes et de sécurité. Des récits d'expériences commu­nautaires illustrent les pratiques et les croyan­ces dénoncées.

    ► Martine Cohen, Archives des sciences sociales des religions n°104, 1998.

     


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