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    RathenauWalther Rathenau : judaïté, “aryanisme”, et “transcendance vécue”

    ◘ Recension : Walther Rathenau 1867-1922, Paul Létourneau, Presses Universitaires de Strasbourg, 1995, 272 p.

    Depuis les années 30, aucun ouvrage n’avait été consacré en français à Walther Rathenau (1867-1922) qui fut responsable de l’Office allemand des matières premières durant la Première Guerre mondiale et ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne de Weimar. À ce titre, il se résignera à signer le Traité de Rapallo [1922], ce qui provoquera son assassinat par des extrémistes de droite [cf. le roman Les réprouvés de von Salomon]. La pensée de cet homme, qui influença Lénine et Spengler, fut d’une grande richesse sur les plans économique, politique et philosophique. Aussi, la parution du Walther Rathenau de Paul Létourneau permettra-t-elle de comprendre, loin des manichéismes réducteurs, la complexité d’un itinéraire passionnant. Citons quelques passages :

    « Nous ne voulons nullement analyser tous ses emprunts, mais sa philosophie, toute empreinte de Bergson et de Nietzsche, est un produit du courant de pensée anti-intellectualiste. Rathenau préfère l’intuition à l’intellect dont il se méfie. Lui-même repoussait l’idée d’avoir pu être influencé par ces penseurs quoique, selon son biographe Kessler, il connaissait fort bien leurs œuvres. Il adapta aussi des idées empruntées à Gobineau et à Nietzsche. Il croyait tout comme le premier à la supériorité de la race blanche et à celle de la famille aryenne au sein de la race blanche. Comme le second, il expliqua en partie la dépravation morale contemporaine par le triomphe de la lugubre morale des esclaves sur la splendide morale des maîtres. Il ajoutera cependant que la fusion des esclaves et des maîtres pourra donner éventuellement une synthèse supérieure permettant que se produise la transformation culturelle qu’il entrevoit. Son mysticisme particulier, ses conceptions de Dieu et de l’amour transcendant, son idéal spartiate et son mépris de l’utilitarisme, son patriotisme et la religion toute éclectique qu’il proposait nous révèlent également l’importance de Spinoza et de Fichte sur sa pensée. Ernst Schulin note à ce propos que Rathenau est un héritier de l’idéalisme allemand : tout comme un Wilhelm von Humboldt, il possédait cet idéal de l’être responsable, qui agit sans penser au succès personnel (…).

    Dans ses multiples activités, il s’inspirait constamment d’une idée : tout ce que l’homme fait n’a de sens que par rapport à sa disposition intérieure. Ses actions et ses pensées n’étaient pas mues par ambition personnelle seulement, il y avait en lui une dimension plus profonde, un ressort religieux et humain plein d’ambiguïté. Il se distanciait consciemment d’une confession chrétienne précise et se disait attiré par la seule “transcendance vécue”. Vivre la transcendance représentait pour lui le palier supérieur de la spiritualité (…). En définitive, la quête incessante de Rathenau reflète ses préoccupations du divin, de l’universel, par opposition au terrestre et à l’utilitarisme qu’il déteste. Presque toutes ses propositions, politiques ou économiques, morales ou culturelles, le concernent intimement : elles suggèrent des solutions idéales à ses soucis intellectuels, de Juif et de patriote vivant à Berlin au début du siècle. Sa vie intérieure est demeurée sous l’emprise de son dilemme personnel : l’âme ou l’intellect, la pensée ou l’action. Le tragique chez lui est qu’il n’a voulu négliger aucun des éléments de ces options contradictoires. Il finira par la force des choses à se décider dans les deux dernières années de sa vie pour ce qui nous apparaît être sa plus forte inclination, l’action. Il s’y engagera pleinement se libérant ainsi temporairement du poids de ses déchirements. Ses prises de positions souvent courageuses, furent aussi une recherche d’amour et de vérité ».

    ► Pierre Monthélie, Nouvelles de Synergies Européennes n°19, 1996.

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