• Néo-païens

    TOUR D'EUROPE DU NÉO-PAGANISME

     

    ◘ Allemagne :

    Un seul dieu conduit à l'uniformité, beaucoup de dieux conduisent à la pluralité

    ◘ Entretien avec Géza von Neményi, animateur de la “Germanische Glaubensgemeinschaft”

    gezabi10.jpgEn 1991, à partir de la Heidnische Gemeinschaft (HG ; Communauté païenne) de Berlin, renaît l'ancienne Germanische Glaubensgemeinschaft (GGG ; Communauté de la religiosité germanique). À l'origine, cette communbauté avait été créée en 1913 par le peintre et poète Ludwig Fahrenkrog. Elle visait à rassembler plusieurs petits groupes païens épars. La renaissance de cette communauté païenne historique n'a pas séduit tous les païens berlinois. La Heidnische Gemeinschaft existe toujours, désormais séparée de la GGG. Celle-ci est dirigée par Géza von Neményi, l'Alsherjargodi, connu pour avoir écrit un ouvrage de référence pour la scène néopaïenne, Heidnische Naturreligion (La religion païenne de la nature), paru au Kersken Canbaz Verlag [en 1988]. Ce livre a acquis une certaine notoriété, si bien que la GGG constitue l'un des groupe néo-païen les plus structurés d'Allemagne, avec, par ailleurs, l'Yggdrasil Hecksenkreis et la HG, dont il est issu. Thomas Lückewerth, directeur de la revue musicale Sigill, a rencontré Geza von Nemenyi, ce qui a permis de faire le point sur l'état du néo-paganisme allemand actuel.

    • TL : Vous avez délibérément replacé la GGG dans la tradition fondée jadis par d'autres groupes néo-païens. N'est-ce pas un anachronisme, qui risque de vous être préjudiciable ? Surtout quand on sait aujourd'hui que la plupart des "groupes païens" de cette époque défendaient des valeurs ultra-conservatrices qui étaient en réalité chrétiennes et n'étaient recouvertes que d'un vernis païen ?

    buch0110.jpgGvN : Quand j'ai commencé mes activités au sein d'un petit groupe païen en 1982, mes amis et moi avons pensé que l'adjectif "germanique" éveillerait plutôt des sentiments de rejet dans le public. C'est pourquoi nous avons fondé la Heidnische Glaubensgemeinschaft (HGG ; Communauté de la religiosité païenne ; plus tard, cette association a été enregistrée sous le nom de Heidnische Gemeinschaft / HG). Nous voulions consciemment nous débarasser de toute référence à la germanité, car celle-ci avait des connotations péjoratives. Nous voulions permettre à des gens de toutes obédiences politiques de revenir au paganisme. L'expérience nous l'a prouvé : ça n'a pas marché. Ceux qui rejettent l'étiquette "germanique", rejettent tout autant l'étiquette "païenne". Or nous avons toujours tenté de pratiquer la religion des anciens Germains (et partiellement aussi celle des anciens Celtes). Le temps est donc venu de cesser de se dissimuler derrière des étiquettes édulcorées. Nous devions dire aux gens ce que nous faisions vraiment. Ensuite, l'occasion s'est présentée à nous de remettre sur pied l'ancienne GGG. Je suis parti à la recherche du dernier président de cette association, ainsi que de quelques membres encore en vie. Mon idée était d'utiliser la nouvelle GGG comme coupole pour abriter plusieurs communautés indépendantes les unes des autres. Cela n'a malheureusement rien donné. Car aucun des groupes que j'ai contactés (tous non extrémistes) ne cherchait à participer à un ensemble ou à une fédération plus vaste.

    Mais, pour répondre à l'autre volet de votre question, je me permets de vous rappeler que l'ancienne GGG n'a jamais défendu des valeurs chrétiennes ou ultra-conservatrices. Le "conservateur" entend toujours maintenir ce qui existe. Je pense toutefois que le paganisme est en réalité une réaction, car les païens veulent réintroduire dans la société quelque chose qui a disparu ou qui subsiste à l'état fragmentaire. Le paganisme est aussi "progressiste" dans la mesure où la pratique des anciens cultes et rites est forcément quelque chose de nouveau dans nos sociétés.

    • Avec quels groupes allemands et étrangers travaillez-vous ou entretenez-vous des contacts ?

    Nous avons de bons contacts avec les groupes américains "Asatru", avec quelques groupes anglais et scandinaves, y compris islandais. Nous avons également des liens avec la Lithuanie. Il nous faut cependant poser la question : quel est le sens que pourrait revêtir une coopération internationale ? Nous, membres de la GGG, nous mettons surtout l'accent sur les recherches philologiques, archéologiques, littéraires, etc. Nous cherchons à retourner aux sources de la paganité. Beaucoup d'autres groupes profitent de nos recherches et de nos travaux. En revanche, nous recevons des impulsions d'autres groupes, qui mettent plutôt l'accent sur une vie communautaire, festive et conviviale, que sur les recherches scientifiques.

    • Au nom de la GGG, vous prétendez représenter la "paganité authentique" et vous dites que beaucoup d'autres groupes pratiquent en fait un néo-paganisme. Certes, il est possible d'étudier les sources, de reconstituer quelque chose au départ de ces fragments, mais jamais on n'a la certitude absolue de faire revivre authentiquement les rites et les coutumes du paganisme antique. Mais est-ce bien nécessaire de s'efforcer de retrouver une telle authenticité, car, finalement, nos contemporains ont d'autres problèmes à affronter que leurs ancêtres…

    Notre exigence d'authenticité, nous l'avions déjà formulée au temps de la HG, car, dans cette communauté, au départ, il y avait des adeptes venus de groupes païens très différents les uns des autres, qui étaient subitement appelés à coopérer. Chacun avait des conceptions différentes, imaginait différemment la pratique du paganisme. Voilà pourquoi notre quête d'authenticité, de retour au paganisme originel, tel qu'il nous a été transmis par les sources, a été en quelque sorte un compromis, une voie médiane. Ensuite, il y a une autre considération qu'il ne faut surtout pas sous-estimer.

    Celui qui fonde une nouvelle religion est également responsable, au niveau du karma, de ce que font les adhérents à cette religion. En d'autres mots : les chrétiens par ex. qui ont introduit fallacieusement l'idée de mission dans les évangiles, sont co-responsables des génocides perpétrés par les Espagnols contre les Amérindiens, etc. Moi, je ne veux pas porter une telle responsabilité. Donc je me garderai bien d'introduire dans le paganisme des idées ou des doctrines qui me sont personnelles. En revanche, si je me revendique de la paganité de nos ancêtres, alors je ne suis pas le fondateur d'une religion nouvelle, je ne suis qu'un adhérent à une religion ancienne. Je ne suis donc pas responsable au niveau du karma des futures déviances possibles de cette religion.

    Par ailleurs, je n'ai pas la prétention de devenir une sorte de gourou. Celui qui veut absolument faire pratiquer par d'autres ses propres doctrines et leur impose ses propres révélations, rend leur pratique obligatoire dans un groupe, celui se hisse au rang de gourou et contraint la conscience de ses adeptes. Il y a eu des précédents : Jésus — en admettant qu'il ait réellement vécu — a prétendu avoir eu des révélations (la tentation du désert par Satan ou le dialogue avec Dieu). Ses disciples n'ont pas eu directement ces révélations, ou n'en ont reçu qu'indirectement un fragment : ils sont donc de purs croyants. Les chrétiens actuels sont encore plus mal lotis : ils adhèrent pour le meilleur et pour le pire aux assertions du fondateur de leur religion. Et si Jésus avait tout inventé ? Alors des millions d'hommes et de femmes auraient assis leur foi sur des mensonges et auraient axé leur existence sur des idées fausses… C'est en me posant de telles questions que je me suis dit ceci : si Odinn apparaît à un chef de groupe et lui dit de changer le culte de la communauté, je dirai que c'est là une belle vision. Mais il ne faudrait changer le culte que si Odinn apparaît à tous les membres de la communauté et leur donne un même conseil.

    Pour ce qui est des sources, la paganité germanique est bien servie. Dans la collection "Monumenta Germania Scriptores", philologues et mythologues compilent en version originale depuis le début du XIXe siècle les textes traitant de l'aube de notre communauté de peuples. Cette collection est très vaste, mais n'englobe pas encore tous les textes, tant ils sont nombreux ; de plus ceux-ci ne sont pas encore traduits. Une celtologue me disait récemment que dans la bibliothèque de Dublin, dormaient encore environ un million de manuscrits qui n'avaient encore été ni examinés ni publiés. Même si dans chacun de ces textes il n'y a qu'une seule page sur le paganisme, nous avons là une formidable collection ! Bien sûr, il faudra travailler ces sources et les interpréter, mais ce n'est pas la besogne de tout un chacun. Les résultats de telles recherches sont importants et peuvent être communiqués à tous. Ce qui fait la vie d'une religion — nouvelle ou ancienne — c'est la ferveur et la conscience des fidèles. Le rôle du groupe réside justement dans l'entretien de cette ferveur et de cette conscience.

    • Vous avez récemment publié un livre intitulé Die Sprache der Vögel (Le langage des oiseaux), qui traite des augures basées sur l'observation du comportement des oiseaux. Pouvez-vous nous préciser votre démarche ? Quelles sont les sources que vous avez étudiées, avez-vous vous-mêmes rassemblé des expériences en ce domaine ?

    buch0210.jpg"Publié" est un grand mot. Je n'ai commandé qu'un tirage très réduit de cet ouvrage, afin de faire connaître les restes du savoir antique sur le langage des oiseaux et sur leur vol. Sur le socle de ce petit ouvrage, on pourra continuer. Mes principales sources ont été nos traditions populaires allemandes et les textes anciens d'Agrippa, de Gesner, de Megenberg, etc. J'ai commencé à rassembler ma documentation quand j'ai vu pour la première fois dans ma vie un martin-pêcheur dans le parc du château de Charlottenburg à Berlin. Le martin-pêcheur est signe de pluie. Et il a plu effectivement. C'est cela qui m'a incité à commencer mes recherches.

    • On vous reproche de revendiquer cette "authenticité" pour dénigrer les actions et les pratiques des autres groupes ?

    Il ne s'agit pas de dénigrer, mais d'éviter toutes les déviances futures. Si au début de ce siècle les païens avaient dit à Guido von List qu'il y avait d'autres sources sur les runes que le "Chant runique" de l'Edda, alors il n'aurait pas publié ses interprétations erronée, ou du moins ne l'aurait-il pas fait de la même manière. En 1996, les païens ne doivent pas se fatiguer l'esprit à apprendre les fantaisies runologiques que publient certains auteurs : elles ne valent pas le papier sur lequel elles sont imprimées ! Ces théories erronées (la science a prouvé depuis longtemps leur caractère erroné et fallacieux) ne cessent d'attirer des adeptes, voilà pourquoi je suis contraint de critiquer sans arrêt ces théories quand des gens se présentent chez nous. L'adhésion à de telles théories bloquent toute évolution future du candidat païen. Nous soupçonnons même que des forces anti-païennes répandent consciemment ces inepties sur le marché pour tromper les masses dénuées d'esprit critique et pour semer la zizanie parmi les païens. Ces forces obéissent au vieil adage : diviser pour régner. À ces faussaires (p. ex. Vatan), je dis qu'ils ne doivent pas essayer leur petit jeu chez nous. Malheureusement, il n'y a pas encore d'instance païenne qui soit en mesure de dresser l'index de ces publications.

    • Quelle est la valeur des Externsteine dans la religion naturelle des Germains ? Vous écrivez dans votre livre que c'est dans ce site mégalithique qu'étaient consacrés les godis. Quelles sont les sources historiques qui vous permettent d'affirmer cela ?

    Pour les tribus germaniques de l'Ouest, les Externsteine sont un site sacré très important. Dans la zone de Berlin, il y a d'autres sites. Mais, dans le cas des Externsteine, il ne s'agit pas simplement d'une colline ou d'un monticule entouré de légendes et où l'on a trouvé quelques traces archéologiques. Dans le site des Externsteine, on voit du concret : des pierres dressées, des rochers, des cavernes cultuelles. C'est la raison pour laquelle ils sont si intéressants. La querelle quant à leur signification bat toujours son plein. Jusque dans les années 70, l'Église faisait dire la messe dans la grotte la plus profonde. Les païens ont également le droit — un droit d'aînesse ! — d'y pratiquer leurs cultes. Inutile de nier le caractère cultuel des pierres et des roches. 

    Toute tentative de démonisation des Externsteine provoque au contraire de l'intérêt pour ce site. De nombreuses légendes entourent les Externsteine : elles en font un lieu de culte. Il y a des traditions littéraires, des découvertes archéologiques qui atteste le caractère cultuel du site. Ensuite, il y a le simple bon sens. Ceux qui savent quelque chose du mental des peuples naturels, comme les Germains de cette époque en étaient un, savent aussi qu'aucun homme de cette préhistoire ne pouvait passer devant un tel alignement de pierres et de roches sans le percevoir comme un site naturel destiné au culte. Deux cercueils taillés dans des troncs d'arbre et une pierre tombale platte datant de l'époque mégalithique l'attestent.

    • En Europe, de plus en plus de gens s'intéressent aux traditions des Améridiens d'Amérique du Nord et tentent d'emprunter une voie religieuse dans ce sens. Je pense que chacun est libre de faire ce qu'il croit juste de faire, je pense tout de même qu'il est un peu niais d'invoquer les dieux amérindiens des montagnes dans la plaine du nord et du centre de l'Europe… De plus, les Indiens ne voient pas d'un très bon œil ces "hommes-médecine" blancs auto-proclamés qui répandent de soi-disant "doctrines indiennes secrètes". Je songe notamment à la déclaration de guerre des tribus Lakota, où il est dit, que les Blancs, après avoir volé les terres des Indiens, viendront aussi voler leur spiritualité. Qu'en pensez-vous ?

    Le galvaudage de la religion amérindienne par les touristes ésotériques est un sombre chapitre de plus dans l'histoire de notre actuel supermarché religieux. Un vieux proverbe nous dit : "On ne s'enrichit pas à aller emprunter chez le voisin". Malheureusement, ce comportement de consommateur, transposé dans le domaine de la spiritualité, trahit les déficits de bon nombre d'ésotéristes contemporains, de New Agers. C'est justement une problématique que nous devons affronter. J'ai donné un cours de runologie en forêt près de Berlin : il avait lieu une fois par semaine pendant six mois. Il était entièrement gratuit. La sagesse spirituelle ne peut se communiquer contre de l'argent ou contre un quelconque profit matériel. Résultat : plusieurs personnes ont estimé que mon cours ne valait rien parce qu'il était gratuit ! Elles préféraient donner 300 DM pour un cours qui faisait l'exégèse des théories runiques de Guido von List. Voilà où on en arrive dans une société dont le vrai dieu est Mammon.

    • Ouvrons une perspective sur l'avenir : comment évolueront, à votre avis, la GGG et le paganisme en général dans le prochain siècle ? Et que deviendrez-vous vous même ?

    sig1210.jpgJe me contenterai de spéculer sur les toutes prochaines années. Si nous ne faisons pas davantage pour la protection de l'environnement, nous risquons bien de ne pas survivre aux prochaines décennies. Je n'aimerai pas me réincarné dans une planète désertifiée. Nous devons tous, que nous soyons païens ou non, modifier nos schémas de pensée de fond en comble. Les groupes païens comme la GGG ou d'autres attireront sans cesse de nouveaux adhérents, au fur et à mesure que le donné naturel sera détruit. Quand on nous obligera à porter des masques à gaz, beaucoup de pollueurs réfléchiront… Il faut sortir du cercle "karmique" des destructeurs. Chacun peut le faire à partir de ses propres forces.

    ► Propos recueillis par Thomas Lückewerth, Nouvelles de Synergies Européennes n°25, 1997.

    (extrait d'un entretien paru dans Sigill n°12, hiver 96/97)

     

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    ◘ Croatie :

    Aux origines païennes de la Croatie

    800px-11.jpgC'est en 626 ap. JC à l'invitation du Tsar byzantin Heraklius que les Croates (dits des "karpates") s'établirent avec une dizaine de milliers de guerriers sur le territoire qui constitue leur actuelle patrie en occupant 3 provinces byzantines : la Panonie, l'Ilirik et la Dalmatie. Peuple guerrier à l'organisation politico-sociale "communautaire", ils importent avec eux leurs croyances polytheistes d'origine perso-aryenne et intègrent progressivement les éléments ethniques autochtones illyriens, celtes, goths, grecs, romains et avars. Ce n'est qu'avec l'arrivée au VIIe siècle et sous l'influence prosélyte des missionnaires catholiques mandatés et envoyés par Rome que ce peuple assimilera le monothéisme chrétien qui leur était étranger jusqu'alors. C'est en 641 que les Croates se convertiront pour une majeure partie d'entre eux à la religion chrétienne grâce à l'action concertée et convergente du Tsar byzantin Heraklius et du pape Ivan IV originaire de Dalmatie qui envoya son fidèle missionnaire Ivan Ravenjanin évangéliser ce peuple "païen", et lequel réussira à convertir au christianisme le tout nouveau chef croate Porga. Malgré tout, le processus de christianisation et d'évangélisation ne se fit pas sans difficultés compte tenu de la subsistance des anciennes croyances polythéistes bien ancrées chez les populations de certaines régions montagneuses difficiles d'accès. Le polythéisme fut pendant une longue période pratiqué par les croates de la région de Neretlja de sorte que ce territoire fut dénommé la "Paganie".

    De tous les peuples slaves, les Croates furent les premiers à se convertir au christianisme en s'imprégnant d'emblée de la culture et des mœurs européennes, de sorte que leur fidélité au Saint-Siège leur a valu dans l'histoire la qualification de "rempart de la chrétienté" (Antemurale Christianitatis). En dépit de la fidélité inconditionnelle qu'affiche la Croatie à l'égard de la chrétienté occidentale et du Saint-Siège (ce qui sur le plan politique et national ne lui fut pas toujours profitable au cours de son histoire), les réminiscences et la présence vivante des croyances et des cultes païens restent bien ancrées dans la mémoire collective à travers les mythes populaires, les expressions linguistiques, les traditions folkloriques picturales et ornementales et la survivance d'antiques lieux de cultes païens. En effet ces éléments de la spiritualité croate préchrétienne solaire et virile d'origine perso-aryenne ne demandent qu'à être revalorisés et réhabilités dans le cadre d'une démarche synthétisante et convergente avec la tradition chrétienne dominante.

    Origine perse / sarmate des Croates

    L'origine perso-aryenne des Croates est aujourd'hui historiquement bien établie et reconnue notamment grâce aux travaux et à l'apport considérable effectués dans ce domaine par l'historien croate Dominik Mandic. En effet pour la première fois on retrouva l'appelation croate ("horvat") incrustée sur des stèles commémoratives figurants sur les bâtiments publics de la ville de Tanais située à l'embouchure du fleuve Don sur la mer d'Azov. Entre le Ier et IIIe siècle ap. JC dans la cité Tanais vivaient divers peuples perso-aryens sarmates parmi lesquels les Croates. Le nom désignant la nationalité croate est incontestablement d'origine perse. En effet, grâce aux recherches de l'iranologue russe Vsevolod Miller, il ressort que l'appellation "croate" provient du mot perse Hor-va (t) qui signifie "chemin", "demeure solaire". L'historien M. Vasmer fait remonter l'origine du mot croate au mot "Hu-urvata" qui signifie "ami", amicus. D'autre part toutes les appellations des dignités gouvernementales des Croates de l'Antiquité tels que Kralj (roi), Ban (vice-roi), zupan sont d'origine perse. Les croyances et les cultes polythéistes des Croates de l'Antiquité présentent tous les attributs manichéens et solaires de la spiritualité perso-aryenne : le dieu de la lumière et des ténèbres, le culte du feu, le rite de la crémation pour les morts. De nombreux mots croates à signification religieuse sont d'origine perse : Bog (dieu), vjera (foi), zrtva (victime), raj (paradis), vazam, vapiti etc.

    La cosmogonie perso-aryenne

    D'autre part, dans le cadre de la cosmogonie perso-aryenne, les Croates d'alors divisaient les parties de la terre et du monde en différentes couleurs : la couleur blanche pour la partie occidentale, rouge pour la partie sud, verte pour la partie est et la couleur noir pour le nord. De cette vision cosmogonique naitra la division géopolitique de la Croatie blanche occidentale, la Croatie rouge du sud et la Croatie verte de l'est. Par ailleurs, on retrouve la spiritualité perso-aryenne à travers la tradition architecturale et picturale antique croate dont l'exemple le plus significatif est le "troplet" croate (ornement à 3 branches entrecroisées). Les Croates importèrent de même de leur antique foyer perse leur damier national blanc et rouge de 64 carreaux. L'origine perso-aryenne des Croates est attestée par une stèle du roi Darius Ier (522-486 av JC), laquelle mentionne parmi les 23 peuples sujets de l'Empire perse le peuple croate "Harahvaiti". La région ou vivaient ces peuples comprenait à cette époque la moitié sud de l'Afghanistan, la totalité du Beloutchistan et l'est de l'actuel Iran.

    Les anciennes croyances polythéistes croates ont trouvées leurs sources et leurs transcription dans les textes sacrés du prophète Zoroastre (forme hellénisée du perse Zarathoustra), les Gathas (hymnes composés par le prophète) se rapprochant des hymnes indiens antiques du Rig-Veda, ainsi que l'Avesta, le livre saint des zoroastriens (lui-même divisé en la Yasna, la Vispered, le Vendidad, le petit Avesta et les Yashts), dans lesquels sont révélés de nombreux mythes païens d'origine pré-zoroastrienne. L'ensemble de la cosmogonie perso-aryenne et zoroastrienne se fondait sur la lutte cosmique entre le dieu Ahura-Mazda, dieu suprême de la bonté, de la sagesse, de la connaissance absolue, le créateur du soleil et de la lumière, et le dieu-démon Angra-Mainyu, l'esprit du mal, qui œuvre constamment à la destruction du monde de la vérité. L'enseignement zoroastrien  implique un dualisme de la lumière et des ténèbres, du bien et du mal, entre le dieu et le démon.

    Le culte de Mithra

    Mais la spiritualité solaire perso-aryenne des Croates s'est surtout manifestée à travers le culte du dieu Mithra, Mithra étant la divinité la plus connue du panthéon iranien, ce qui est dû à l'extension et à la popularité du mithraïsme sous l'empire romain. Mithra était considéré par les populations perso-aryennes comme le dieu du bon ordre par opposition aux forces chaotiques, contrôlant l'ordre cosmique et étant associé au feu et au soleil. Divinité solaire, il protégeait le juste et châtiait l'injuste en s'associant aux guerriers. Cette croyance dualiste se traduisait chez les Croates par la vénération des lieux de culte qui symbolisaient cette union indissoluble des dualités du bien et du mal, de la lumière et des ténèbres, lesquelles étaient incarnées par des montagnes et des forêts. De tels lieux de cultes, qui portent aujourd'hui une appellation chrétienne, ont été localisés dans les régions qui s'étendent des Alpes jusqu'aux Balkans.

    C'est ainsi que concernant le culte de "Svante Vid", l'appellation slave du dieu iranien "Ahura-Mazda" s'est transformée en la vénération chrétienne croate de Saint Vid ; la même christianisation s'est opérée pour les cultes de Saint Ilija (dieu du tonnerre) et de Saint Ivan le Baptiste, remplaçant les anciens cultes païens de la lumière et du soleil. À la place des anciens cultes païens dédiés aux divinités des ténèbres furent érigés des chapelles et les lieux de pèlerinage chrétiens furent dédiés au Saint Archange Michel et à Saint Georges, les légendaires vainqueurs des forces démoniaques des ténèbres. De tels lieux de cultes païens christianisés furent retrouvés dans les régions croates de Dalmatie à Kastel Lastve (Petrovac), à Lucinski Vira, dans le village de Bogetic dans la commune d'Oklaj, à Kastel Luksic à côté de la ville de Makarska, dans la région de Nin à Vinodol, à Vidovo sur l'île de Pag (qu'on appelait à juste titre l'île des païens : insula paganorum).

    Persistance dans les coutumes paysannes

    Les noms perso-aryens qui personnifiaient les diverses divinités du panthéon zoroastrien connurent la même transformation sémantique : Svantevid (Ahura-Mazda) est devenu Belbog, Dabog, Davor, Jakobog ; les divinités du printemps reçurent les noms de Lada, Vesna, etc. Les anciens cultes païens "naturistes" dédiés aux monts, aux bois et aux arbres trouvent encore aujourd'hui des réminiscences dans les fêtes populaires tels que le "Djurdjevdan" et celle du 1er Mai dans certains villages situés autour de la ville de Karlovac. Un témoignage flagrant de la présence vivante des croyances païennes en Croatie réside dans les coutumes et mœurs populaires des paysans croates de Vlasic Planini près de Travnik qui, encore aujourd'hui, persistent chaque matin, au lieu du signe de croix, à pratiquer leur ancien culte solaire en se tournant vers l'est au lever du soleil pour implorer bras tendus son aide et sa force. La même persistance du culte païen guerrier se vérifie aujourd'hui à Turopolje, près de Zagreb, par la bénédiction saisonnière des chevaux le jour de Saint-Stjepan-le-Martyr. En outre, les traditions de tissage et d'art ornemental de certaines régions croates témoignent de la survivance de symboles pré-chrétiens perso-aryens (comme à Obrovac dans le nord de la Dalmatie) : les motifs stylisés animaliers, le symbole de l'arbre de la vie.

    La spiritualité manichéenne perso-aryenne des anciens Croates se perpétuera du XIIIe au XVIe siècle en Bosnie par l'organisation de la communauté Bogomil. Cette croyance fut importée en Bosnie par un prêtre orthodoxe bulgare (contemporain du tsar bulgare Pierre, 927-969) lequel a rénové et propagé en Bulgarie la croyance manichéenne dans les dieux du bien et du mal, en reniant le baptême par l'eau, l'institution du mariage, les églises et les autels. Sur le territoire croate oriental de la Bosnie fut fondé entre 990 et 1018 un évêché Bogomil dont la juridiction couvrait l'ensemble des terres croates (Ecclesia Sclavoniae). Les croyants et les disciples bogomils furent dénommés les "parfaits" (ce qui n'est pas sans rappeler les "illuminés" chez les cathares) ou les chrétiens bosniaques (Krstjani), et vivaient dans des communautés monastiques en menant une existence repliée. En 1203, à Bilino Polje, près de la ville de Zenica, la communauté des Bogomils a reconnu l'autorité du pape Innocent III et ils furent ainsi reconnus officiellement comme catholiques par le légat du pape, Ivan de Casamare. Cela n'empêchera pas pourtant de voir, tout au long du XIIIe siècle et jusqu'au XVIe siècle, progressivement disparaître cette croyance païenne, sous l'action et les effets conjugués des sanguinaires croisades menées par l'Herceg (chef militaire) croate Koloman à l'instigation de l'évêque Ugrin, contre les adeptes de cette croyance. D'où les conversions massives au catholicisme pratiquées par les missionnaires franciscains sur ordre du pape Benoît XII (1334-1342) et du général de l'ordre des franciscains, Gerald Eudes.

    Aujourd'hui la Croatie, creuset des cultures germaniques, celtiques et slaves, pays "catholique romain" par excellence, parviendrait à revitaliser son catholicisme intransigeant, qui trop souvent se réduit à un simple ritualisme niveleur de masse, en puisant dans ses racines païennes et en incorporant synthétiquement les éléments de cette croyance trop souvent reléguée au simple rôle de folklore.

    ► Jure Vujic, Nouvelles de Synergies Européennes n°19, 1996.

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    ◘ France :

    lp-a10.jpgLe malentendu du néo-paganisme

    ◘ par le groupe Libération païenne (Marseille)

    Le néo-paganisme repose pour l'essentiel sur un malentendu qui est autant le fait de ses ennemis, au premier rang desquels figurent les Églises chrétiennes, que de la plupart de ceux qui s'en réclament, qu'il s'agisse des néo-nazis qui y voient une sacralisation de la haine raciale ou des cercles intellectuels de la nouvelle droite française, dont le royaliste Charles Maurras a été le précurseur et pour lesquels le néo-paganisme est la plus haute expression d'un esthétisme droitier d'inspiration apollinienne, épris d'ordre et de hiérarchie.

    Le cas Hitler

    Les néo-nazis se déclarent païens parce qu'à les en croire, le IIIe Reich aurait été païen. Ils en veulent pour preuves la symbolique nazie, les cérémonies de l'“Ordre SS”, ainsi que les déclarations anti-chrétiennes de tel ou tel chef nazi. Mais la vérité historique est toute autre : le parti nazi s'est, en effet, toujours réclamé du christianisme (cf. la référence au “christianisme positif” dans l'article 24 du programme de 1920 et l'allocution radiodiffusée du 1er février 1933, définissant l'orientation idéologique du nouveau gouvernement dirigé par Hitler) ; il s'est, d'autre part, allié aux chrétiens conservateurs et s'est appuyé sur les Églises pour parvenir au pouvoir. Hitler a ensuite signé le Concordat avec le Pape (le 7 juillet 1933) et réprimé libres-penseurs et néo-païens qu'il a, pour l'immense majorité d'entre eux, interdits de parole et à qui il a interdit l'accès à certaines fonctions (telles que celle d'officier dans l'armée allemande). Comme on le voit, les juifs n'ont pas été les seuls à subir sous le IIIe Reich des mesures discriminatoires !

    Certes, on nous objectera que les relations se sont ensuite tendues entre le régime hitlérien d'un côté, l'Église catholique et une fraction du protestantisme allemand (l'“Église confessante”) de l'autre, qui se disputaient notamment le contrôle de la jeunesse allemande. Mais il ne faut pas voir autre chose dans cette dispute qu'un affrontement entre 2 pouvoirs totalitaires. L'Église catholique et l'Église confessante n'ont d'ailleurs pas été les moins véhémentes à réclamer d'Hitler en 1933-1934 des mesures liberticides, particulièrement à l'encontre des libres-penseurs et des néo-païens dont elles dénonçaient, au choix, le “libéralisme” ou le “bolchevisme athée”, et n'ont manifesté aucune opposition aux premières lois anti-juives du régime. En outre, cet affrontement ne déboucha jamais sur une rupture ouverte : seule une poignée de chrétiens allemands se livra à des actes isolés de résistance ; quant aux chefs nazis, majoritairement catholiques, aucun d'entre eux ne quitta l'Église à laquelle il appartenait et tous continuèrent d'acquitter leurs impôts cultuels ! Nous voilà bien loin de l'image complaisamment répandue par les Églises chrétiennes d'un nazisme résolument païen, image à laquelle s'accrochent les représentants les plus dégénérés de la “race aryenne” que sont les skinheads et autres ratonneurs du samedi soir…

    Que pouvait-il d'ailleurs y avoir de païen dans le bric-à-brac idéologico-culturel du nazisme, fait d'un mélange de symboles runiques, de salut à la romaine, de statuaire grecque et de monumentalité égyptienne destinée à écraser l'Allemand moyen et à le convaincre de la toute-puissance de Pharaon, le Führer Adolf Hitler, avec, pour couronner le tout, un monothéisme germanique (1) qui reposait sur la croyance en un Dieu allemand, dieu des armées, dont le peuple allemand serait l'élu (un Yahvé qui aurait les traits d'Odin !) ? Un certain nombre d'auteurs ont remarqué que le nazisme se présentait de fait comme un judaïsme inversé dont les partisans estimaient nécessaires de liquider le modèle hébreu trop voyant, trop gênant. Ici apparaît clairement la parenté entre le nazisme et le racisme anglo-saxon ou afrikaner d'inspiration calviniste dont le Ku-Klux-Klan aux États-Unis, l'Ordre d'Orange en Irlande du Nord, l'Apartheid en Afrique du Sud ont été autant d'expressions récentes et qui trouve ses fondements idéologiques dans les écrits vétéro-testamentaires. Aussi, nous ne saurions trop conseiller aux néo-nazis de changer de religion (s'ils en ont une) et de relire l'Ancien Testament. Ils y trouveront plus de sources d'inspiration que dans les mythes européens où le meurtre, le génocide et la haine de tout ce qui est différent n'occupent pas la place d'honneur et ne reçoivent aucune justification divine…

    Le paradoxe de la nouvelle droite

    Nous avons évoqué la nouvelle droite dans l'introduction au présent article. Comme la vieille droite, la nouvelle droite conteste l'ordre né de la Révolution française. Ses bases sociologiques sont cependant différentes en ce qu'elle s'appuie sur une partie des intellectuels alors que la vieille droite bénéficiait du soutien de l'aristocratie foncière, ainsi que ses références intellectuelles marquées par le positivisme et le scientisme du XIXe siècle finissant. Les premiers représentants de cette nouvelle droite ont été en France Charles Maurras, héritier du positivisme d'Auguste Comte, et les amis avec lesquels il fonda en 1899 la revue d'Action Française. Maurras se voulait à l'origine à la fois païen (il suffit, pour s'en convaincre, de lire Anthinéa et Le chemin de paradis !)  et catholique (parce que l'Église catholique aurait, à l'en croire, neutralisé le “poison chrétien”), mais peu à peu le catholicisme devait l'emporter chez lui sur le paganisme au point d'étouffer complètement celui-ci.

    À la fin des années 1960, un nouveau mouvement se fit jour en France et dans le reste de l'Europe qui se désigna lui-même sous le nom de “Nouvelle Droite” (2). Ce mouvement présentait de nombreuses ressemblances avec l'Action Française des débuts (3), mais il refusait d'imiter sa dérive catholique. Paradoxalement, la nouvelle droite s'est dite et se dit encore païenne pour les mêmes raisons que la vieille droite s'affirmait chrétienne, et au nom des mêmes valeurs “aristocratiques” ! Tandis que la vieille droite considérait que l'inégalité entre les hommes était l'expression de la volonté de Dieu et que les chrétiens se devaient de respecter celle-ci, la nouvelle droite soupçonne le christianisme d'avoir introduit en Europe le “bacille” égalitaire.

    Un paganisme tiré de Maurras et d'une mauvaise lecture de Nietzsche

    Maurras, et toute le nouvelle droite après lui, dénonçait dans le christianisme l'égalité métaphysique — l'égalité des hommes devant Dieu — qui aurait, selon lui, frayé la voie à l'égalité politique (la démocratie) et à l'égalité sociale (le socialisme). On retrouve le même raisonnement, terriblement simplifié, caricaturé à l'extrême, sous la plume de Dietrich Eckart, qui fut le mentor de Hitler dans ses premières années de lutte politique et l'auteur d'une brochure intitulé de manière significative : Le bolchevisme de Moise à Lénine.

    L'idée avancée par Nietzsche selon laquelle le christianisme serait une morale d'esclaves, la morale du ressentiment, est reprise sans nuances par les amis de Maurras au tout début du siècle et par les tenants de la Nouvelle Droite aujourd'hui (4). Ces derniers, s'inspirant des écrits de Celse, un adversaire romain des premiers chrétiens, décrivent avec complaisance la conversion progressive de Rome au christianisme… par ses esclaves. Vision absurde, sans fondement historique ! Comment imaginer, dans une société aussi impitoyablement hiérarchisée (et dont l'Église chrétienne épousa parfaitement les contours) que les esclaves auraient pu convaincre et entraîner leurs maîtres ? Rome n'est devenue chrétienne que parce que sa classe dirigeante (d'où sont issus les Pères de l'Église : Ambroise, Jérôme, Augustin, etc.) s'est persuadée, à tort ou à raison, des avantages du christianisme. Par la suite, ce sont les diverses élites celtiques, germaniques, slaves, etc., qui, converties de leur plein gré au christianisme, imposeront celui-ci à leurs peuples en même temps que le nouvel ordre féodal aux lieu et place du paganisme et de l'antique ordre libertaire, égalitaire et fraternel des clans et des tribus qui lui était consubstantiel.

    Une mésinterprétation de Dumézil

    Pour étayer son discours anti-égalitaire, la Nouvelle Droite s'est appuyée sur les travaux de Georges Dumézil. On sait que ce dernier avait discerné, à partir de l'étude des mythes propres aux peuples indo-européens, l'existence d'une idéologie trifonctionnelle structurant le mental des Indo-Européens depuis la plus lointaine préhistoire. La Nouvelle Droite semblait avoir trouvé là le moyen de légitimer l'existence d'une hiérarchie sociale semblable à celle des castes indiennes ou des ordres médiévaux, avec, au sommet, les prêtres, en bas, les travailleurs, et entre eux, les guerriers. Après avoir posé, comme nous l'avons vu, l'équivalence suivante : christianisme = égalitarisme, la Nouvelle Droite en arrivait donc à justifier, en quelque sorte scientifiquement, cette autre équivalence : paganisme (indo-européen) = anti-égalitarisme. Mais, à supposer même que cette idéologie trifonctionnelle ait été destinée à être transposée au plan social — ce qui ne semble pas avoir été le cas, comme l'observait Dumézil lui-même ; elle ne l'a d'ailleurs été que très exceptionnellement — rien n'indique que ce fut sur un mode hiérarchique ; au contraire, il apparaît clairement que pour les Indo-Européens, les trois fonctions étaient d'égale dignité.

    Il se pourrait d'ailleurs bien que la troisième fonction, méprisée par les thuriféraires néo-droitiers du “décisionnisme” politique et des vertus guerrières, ait été en définitive la plus importante parce qu'elle assurait, avec la survie quotidienne de la communauté et sa continuité biologique, la “perdurance du lien social”, pour employer une formule chère à Michel Maffesoli (la troisième fonction englobait, en effet, outre la production des biens et la reproduction des hommes, tout ce qui touchait à la sexualité, au sens le plus large de ce terme, et finalement aussi à la convivialité). Les deux autres fonctions demeuraient en sommeil, en latence, et ne se manifestaient que dans la crise lorsqu'il était nécessaire de prendre une décision en souveraineté ou de combattre un ennemi.

    Éminent germaniste, le Professeur Allard paraît confirmer ce point de vue lorsqu'il relève que les populations germaniques, qui vivaient, rappelons-le, dans ce qui semble avoir été le foyer originel des Indo-Européens, n'ont connu jusqu'au début de l'ère chrétienne (voire, en ce qui concerne les Suédois, jusqu'au cœur du Moyen-Âge) qu'une royauté liée à la troisième fonction, royauté populaire et “vanique” placée sous les auspices de la déesse Freya, avant que les circonstances (la pression militaire romaine notamment) ne les contraignent à changer à la fois d'institutions et de culte pour adopter une royauté à fondement guerrier consacrée à Wotan (5).

    Communion et libération

    Le soi-disant paganisme des néo-nazis et celui des néo-droitiers représentent chacun à nos yeux une double imposture. La première consiste en ce que les uns et les autres prétendent y entrer leurs fantasmes de race élue ou d'aristocratie auto-proclamée. Mais, comme nous venons de le voir, celui-ci, à la différence du christianisme, n'offre pas prise à de telles prétentions. Et de ce fait même — c'est là où se situe la seconde imposture — leur néo-“paganisme” fantasmatique ne peut être vécu. Or, le paganisme n'est rien, ce n'est qu'un mot vide de sens, s'il n'est pas d'abord une réalité vécue.

    Notre néo-paganisme (6), celui que nous essayons, modestement, de vivre et de professer, se veut, quant à lui, à la fois libération et communion.

    Libération des contraintes morales et physiques imposées par le christianisme ainsi que par les institutions et les idéologies nées de celui-ci et de sa lente décomposition, qui ont déchu l'homme et la femme d'Europe de leur statut d'homme et de femme libres pour les livrer à l'arbitraire des seigneurs, auquel se substitua celui de l'État et des patrons, doublé de la police des âmes exercée par l'Église et les idéologies qui lui succédèrent.

    Le christianisme a séparé le divin du monde. Ce faisant, il a, comme l'écrivait Max Weber, “désenchanté le monde”. Nous aspirons à son réenchantement — au moyen de la communion retrouvée avec le Grand Tout, avec la Terre-Mère, avec l'Humanité, au sein des liens que tissent l'amour, l'amitié, la camaraderie et la parenté. L'orgiasme, expression paroxystique de cette communion, nous y aidera parce que l'extase à laquelle il nous fait accéder nous permet d'outrepasser notre individualité et notre finitude.

    Pour un paganisme immoral et anarchiste

    Disons-le tout net : notre néo-paganisme est immoral, mais il s'agit ici d'un “immoralisme éthique”, pour reprendre l'expression de Michel Maffesoli qui prend soin de distinguer la morale, “devoir-être” générateur de tous les totalitarismes, de l'éthique, expression du “vouloir-vivre” et de l'“être-ensemble” :

    « Il est peut-être plus nécessaire que jamais de faire une distinction entre la morale qui édicte un certain nombre de comportements, qui détermine ce à quoi doit tendre un individu ou une société, qui en un mot fonctionne sur la logique du devoir-être, et l'éthique qui, elle, renvoie à l'équilibre et à la relativisation réciproque des différentes valeurs constituant un ensemble donné. L'éthique est avant tout l'expression du vouloir-vivre global et irrépressible, elle traduit la responsabilité qu'a cet ensemble quant à sa continuité (…) À une époque où, suite à l'obsolescence des représentations politiques, nombre de “belles âmes” font profession de moralisme, il n'est peut-être pas inutile de rappeler que c'est toujours au nom du “devoir-être” moral que se sont instaurées les pires des tyrannies, et que le totalitarisme doux de la technostructure contemporaine lui doit beaucoup » (7).

    Notre néo-paganisme est également an-archiste en ce qu'il dénie toute légitimité aux institutions mortifères (l'État et l'Argent en particulier) qui se sont substituées, la plupart du temps par la violence, aux communautés primitives, clans, villages, tribus et peuples, dans lesquelles régnait, sous une forme plus ou moins euphémisée, une effervescente confusion des corps (8) et dont il aspire, en quelque sorte, à restaurer l'organicité au sein de communautés dionysiaques comparables aux thiases de l'Antiquité gréco-romaine (9).

    Dionysos et Shiva

    Quoique “néo”, notre paganisme renoue avec ce qu'il y avait de plus archaïque et de plus subversif dans le paganisme antique qu'incarnait la figure de Dionysos en Grèce et à Rome ou qu'incarne encore aujourd'hui celle de Shiva en Inde. Ces dieux et les cultes qu'on leur vouait étaient tenus en suspicion par les Anciens attachés à l'ordre établi de la Cité ou par les Hindous attachés à celui des castes. Les uns et les autres n'hésitèrent pas à en persécuter les sectateurs, comme en témoigne le récit que fit Tite-Live de la répression des Bacchants. C'est pourtant autour d'eux que s'organisa en Europe méditerranéenne la résistance à la christianisation et en Inde la résistance à l'islamisation.

    « Rarement — écrit Mircéa Eliade à propos de Dionysos —, un dieu surgit à l'époque historique chargé d'un héritage aussi archaique : rites comportant masques thériomorphes, phallophorie, sparagmos, omophagie, anthropophagie, mania, enthousiasmos. Le plus remarquable c'est le fait que, tout en conservant cet héritage, résidu de la préhistoire, le culte de Dionysos, une fois intégré dans l'univers spirituel des Grecs, n'a pas cessé de créer de nouvelles valeurs religieuses » (10).

    Issu du culte de la Terre-Mère et quoique marquant une certaine rupture avec lui, par le fait qu'il soit une divinité masculine et que, recueilli par Zeus dans sa cuisse où il acheva sa gestation, il symbolise le passage de la matri- à la patrilinéarité, le culte de Dionysos en présente encore bien des traits. Dionysos est à l'origine le dieu de l'arbre et de la vigne arborescente nés de la Terre. On ne doit pas s'étonner de ce qu'il ait été en même temps le dieu des pratiques orgiaques. En effet, de l'arbre, « réceptacle des forces qui animent la nature, émanent aussi des forces dont s'imprègnent ceux et celles qui célèbrent son culte et qui produisent chez eux les effets ordinaires de la possession (…) les divinités de l'arbre, poursuit Henri Jeanmaire, reçoivent un culte qui est par nature orgiaque et extatique. Cette règle, qu'illustrent maints cultes locaux dans lesquels Artémis comme Dame de l'Arbre, est l'objet d'un service qui consiste dans l'exécution de danses extatiques, vaut aussi pour Dionysos » (11). Mais, ajoute Mircea Eliade, Dionysos n'est pas seulement lié a la végétation, il « est en rapport avec la totalité de la vie, comme le montrent ses relations avec l'eau et les germes, le sang ou le sperme, et les excès de vitalité illustrés par ses épiphanies animales (taureau, lion, bouc). Ses manifestations et disparitions inattendues reflètent en quelque sorte l'apparition et l'occultation de la vie, c'est-à-dire l'alternance de la vie et de la mort, et, en fin de compte, leur unité (…) Par ses épiphanies et ses occultations, Dionysos révèle le mystère, et la sacralité, de la conjugaison de la vie et de la mort » (12).

    À la suite de Bachofen et de Ludwig Klages, on s'est plu à voir dans les cultes de la Terre-Mère et de Dionysos (ou de Shiva), l'expression d'un substrat pré-indo-européen, “pélasgien” [pré-héllenique] (ou dravidien dans le cas du shivaïsme (13)). Certains ont situé l'origine de ces cultes dans les civilisations néolithiques de l'aire égéo-anatolienne. Mais l'importance des apports nordiques dans le dionysisme n'est pas contestable, comme l'observe Henri Jeanmaire (14). De fait, le culte de la Terre-Mère semble relever d'un héritage commun à toutes les populations euro-méditerranéennes, un héritage des temps antérieurs à l'individualisation du rameau indo-européen.

    Pour préciser le concept d'“indo-européen”

    À l'époque glaciaire, l'Europe présentait une grande unité raciale, linguistique, culturelle et cultuelle. Le réchauffement du climat y mit progressivement un terme. Ainsi, d'après les paléolinguistes, l'Âge du Cuivre vit les Proto-Indo-Européens, venus du Nord de l'Europe et installés dans les steppes de Russie et d'Asie centrale, se détacher de la masse commune, de la souche vieille-européenne, pour adopter un mode de vie pastoral et guerrier, une structure patriarcale et hiérarchique, qu'ils tentèrent d'imposer aux populations soumises d'Europe et du subcontinent indien (15). Constitués en bandes de pillards, les Proto-Indo-Européens entreprirent, en effet, de conquérir leur ancienne patrie, l'Europe, ainsi que la plus importante partie du Proche- et du Moyen-Orient. Mais la greffe indo-européenne ne prit pas partout, et, en tout cas, pas partout de la même manière. Il faut, en outre, garder à l'esprit que, lorsqu'on évoque les “Indo-Européens”, ce n'est pas au noyau conquérant de jadis, dont on connaît finalement peu de choses, que l'on fait allusion mais à toutes les populations indo-européanisées que ce noyau a conquises ou avec lesquelles il a fusionné. Ainsi en est-il des savantes études de Georges Dumézil concernant la trifonctionnalité, que nous avons évoquées un peu plus haut. Nous avons vu que les Germains, probablement issus d'un mélange entre les “pasteurs guerriers porteurs de la céramique cordée et des haches de combat” (16), c'est-à-dire les Proto-Indo-Européens, et les populations autochtones d'Europe septentrionale, restèrent longtemps fidèles au matriarcat et à une forme populaire, voire démocratique, de royauté.

    Dans la Grèce hellénisée et l'Inde aryanisée où, pour des raisons historiques, l'indo-européanité dans ses aspects les plus dominateurs fut particulièrement prégnante, le dionysisme et le shivaïsme traduisirent, sous l'aspect de la démence et de la furie, la révolte de la Vie, de la Nature et du substrat vieil-européen contre l'idéologie de la Maîtrise de soi-même, des autres et du monde véhiculée par les anciens conquérants…

    ► Pierre-Olivier Martin p/o Groupe “Libération païenne” (Marseille), Vouloir n°142/145, 1998.

    ◘ notes :

    • (1) Que ce monothéisme s'affirmât chrétien ou anti-chrétien importe peu en l'espèce. En son temps, Maurras dénonçait déjà chez les Allemands le “monothéisme du moi national”, produit local du biblisme protestant (cité par Patrice Sicard, in Maurras ou Maurras,  p.15).
    • (2) Nous emploierons des minuscules à propos de la nouvelle droite, entendue comme courant de pensée né à la fin du XIXe siècle, et des majuscules lorsqu'il s'agira du mouvement qui, ces dernières décennies, a adopté cette dénomination.
    • (3) La brochure intitulée Maurras ou Maurras (cf. note 1), publiée en 1974 par le GRECE, noyau organisationnel de la Nouvelle Droite, établissait clairement que celle-ci était consciente de l'existence de telles ressemblances, voire d'une certaine filiation, entre les 2 courants.
    • (4) En défendant une telle idée dans Généalogie de la morale, Nietzsche n'a pas voulu signifier que le christianisme n'était professé que par des esclaves mais qu'il produisait des esclaves (ce que l'Histoire confirmera !) et qu'il fut accueilli, et l'est encore, par ceux qui ont une prédisposition à la soumission. Le problème de la Nouvelle Droite est qu'elle prend beaucoup de choses au pied de la lettre. Y compris, comme nous le verrons plus loin, la théorie de la trifonctionnalité chez les Indo-Européens, développée par Georges Dumézil.
    • (5) Jean-Paul Allard, « La royauté wotanique des Germains », in Études indo-européennes, revue publiée par l'Institut d'Études Indo-Européennes de l'Université Jean Moulin (Lyon III), n°1 (janvier 1982) et n°2 (avril 1982).
    • (6) L'emploi du préfixe “néo” nous semble justifié par le fait que nous vivons, depuis quelques siècles, dans un univers mental et institutionnel profondément marqué par le christianisme. Nous tentons, certes, de nous en affranchir et de renouer ainsi avec le paganisme des Anciens. Cette démarche est difficile et elle intègre, de surcroît, une part de prosélytisme totalement inconnue du paganisme originel. Pour toutes ces raisons, il nous paraît utile de préciser que celui qui, aujourd'hui, se présente comme un païen tout court à la manière d'antan ne peut être, de toute évidence, qu'un jean-foutre.
    • (7) Michel Maffesoli, L'ombre de Dionysos : Contribution à une sociologie de l'orgie,  Paris, Méridiens/Anthropos, 1982, pp. l8/19.
    • (8) Confusion symbolisée par la consanguinité, réelle ou imaginaire, entre les membres du groupe — ces communautés étaient, rappelons-le, des communautés de sang — et qui s'accomplissait tant dans les activités quotidiennes de toutes sortes, dans le labeur collectif, que dans la “dépense improductive”, elle aussi collective, à l'occasion des fêtes orgiaques émaillant le cours de l'année et de l'existence humaine.
    • (9) Concernant les thiases, on se reportera avec profit à l'ouvrage de P. Foucart, paru en 1873 chez Klincksieck et intitulé : Des associations religieuses chez les Grecs : Thiases, éranes, orgéons.
    • (10) Histoire des croyances et des idées religieuses, tome 1, Payot, 1976, pp.380/381.
    • (11) Dionysos : Histoire du culte de Bacchus, Payot, 1951, pp.213/214.
    • (12) Op.cit., pp.373/374.
    • (13) Cf. Alain Daniélou, Shiva et Dionysos, Fayard, 1979, pp. 17 à 59.
    • (14) Op. cit., p.39.
    • (15) Cf. Jean Haudry, Les Indo-Européens, PUF, 1981.
    • (16) Ibid., p. 115.

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    Muninn et Yggdrasill, paganisme et écologie en Provence

    En Provence (à Gardanne), existe l'association Yggdrasill [fondée en 1991] qui se définit ainsi : « Yggdrasill, fondée sur le retour de l'homme à son biotope naturel et sur les valeurs de l'ancienne tradition. Nous nous sommes engagés dans le cadre de cette association à promouvoir le respect et la protection de la nature. Après de nombreuses recherches, nous nous sommes aperçus que le retour n'est possible que par la redécouverte de nos racines ethno-culturelles, dans la mesure où celles-ci sont conditionnées par les structures de l'environnement : climatologie, faune, flore et tellurisme spécifiques au continent européen (…). Il nous appartient de nous réconcilier avec la spiritualité originelle européenne, afin de retrouver un équilibre physique et mental qui ne porterait plus les stigmates du stress moderne, de la déchéance intellectuelle et culturelle ». L'association publie une revue bimestrielle intitulée Muninn dont l'optique est résolument panthéiste. 

    ► Jean de Bussac, Nouvelles de Synergies Européennes n°13, 1995.

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    ◘ Grèce :

    Voir entrée Diipetes

     

    intertitre

     

    ◘ Italie :

    Voir entrée Romanitas

     

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    ◘ Pays baltes :

    Dievturi en Lettonie

    En 1926, ceux qui voulaient restaurer l’ancienne religion lettone furent officiellement enregistrés en tant que communauté religieuse sous le nom de “Dievturi”. Dievturi signifie “les personnes qui vivent en accord avec les lois divines”, les lois divines devant être comprises comme celles que l’on déduit de l’observation de la Nature. En 1940, l’occupation soviétique mit un terme à l’existence légale de Dievturi. Son dirigeant E. Brastins fut arrêté et déporté en Sibérie. Il sera fusillé en 1942. Après la Seconde Guerre mondiale, Dievturi ne peut exister qu’en terres d’exil. En 1989, il sera autorisé à nouveau à la faveur de la fin de l’empire soviétique. La communauté “Dievturi” se compose de cinq groupes principaux. L’un d’eux se nomme “Talavas Dievturu” (Talava était le nom d’uns ancienne région lettone) et a pour centre de ses activités la ville de Valmiéra. Il est dirigé par Ojars Ozolins qui a publié un livre sur l’ancienne Talava et qui a terminé un important ouvrage, illustré de nombreuses photographies, sur la cosmologie, les dieux et les lieux sacrés de la Lettonie. À 30 km de Valmiéra se trouve une colline sacrée nommée “Grebi”. Les membres de Dievturi ont regroupé là des pierres sacrées provenant de sites religieux lettons. “Talavas Dievturu” estime que la protection et la restauration des sites sacrés sont des tâches essentielles. Ils célèbrent les solstices, les équinoxes et d’autres fêtes saisonnières ainsi que les attributions de noms, les noces et les funérailles. Ils ont de bonnes relations avec le mouvement lituanien Romuva ainsi qu’avec tous ceux qui visent préserver à l’héritage spirituel et culturel du Nord.

    ► Traduit de l’anglais par Jean de Bussac, Nouvelles de Synergies Européennes n°14, 1995.

    • Note : Il existe un passionnant documentaire, intitulé en angtais The Way of the Sun, où O. Ozolins nous guide à la découverte des lieux sacrés lettons.

    *************

    Entretien avec Valter Grivins à propos des Dievturi et de la renaissance du Paganisme letton

    • Valters Grmns, vous êtes l’auteur d’un livre récent sur les Dieux du Paganisme balte non encore traduit. Vous êtes aussi l’un des responsables de Dievturi, Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

    Je suis l’assistant d’Ojars Ozolins, l’aîné des “Talavas Dievturu Draudze” et son représentant. Talavas Dievturu Draudze (TDD) est une part du mouvement païen letton Dievturiba ; il s’agit d’une association socio-religieuse pour la promotion de la religiosité, de la culture et de l’identité lettonnes. Elle s’attache particulièrement à rechercher les lieux sacrés de l’ancienne Lettonnie (collines sacrées, mégalithes, etc.) et à étudier les anciennes inscriptions. Notre mouvement s’occupe d’un site sacré pour les Baltes : Grebi (à 30 km de la ville de Valmiera). À Grebi, se trouvent les collines sacrées de nos ancêtres ainsi qu’un musée que nous avons fondé en 1991. Nous y exposons les pierres sacrées, les mégalithes que nous avons sauvés de la destruction. Ce site est préservé, gardé en permanence. Notre association tire son nom d’un des anciens états lettons : Talava.Talava se trouvait au Nord-Est de l’actuelle Lettonie et sa capitale était proche de Valmiera. Draudze pourrait être traduit par “confrérie”.

    • Qui sont les Dievturi ? Quelle est l’étymologie de ce terme? Et qu’en est-il des objectifs de l’association, de son importance ?

    Les Dievturi (singulier : Dievturis) sont les adhérents de Dievturiba, le Paganisme letton. On peut scinder ce terme en deux parties : Dievs et Turet. Dievs (Dieu) est l’Être suprême du Paganisme letton (voir plus loin) ; Turet signifie “tenir, respecter”. Dievturiba peut donc être traduit par “activités où les lois divines sont respectées”, par ex. le culte religieux letton. Par lois divines, il ne faut pas comprendre les lois du Christianisme : les lois de Dieu, pour nous, sont celles de la Nature, ces lois éternelles de l’évolution universelle. À savoir que le peuple est la base de l’humanité ; que chaque peuple a le droit d’être le maître de sa terre ; que chaque peuple peut atteindre sa plénitude sur la base de ses propres traditions, de sa culture et de sa religion. Le principe de diversité est également fondamental. Enfin, l’humanité ne peut vivre qu’en accord avec la Nature.

    L’appellation Dievturiba a commencé à être couramment utilisée en 1926, quand la religion populaire et naturelle des Lettons fut officiellement réactivée et enregistrée. Les objectifs de Dievturiba sont simples : la renaissance de l’ancien Paganisme letton, des traditions et de la culture de notre pays. Le mouvement des Dievturi entend renforcer la cohésion, l’unité et la volonté du peuple letton. Tout cela est d’une importance énorme aujourd’hui car il ne faut pas oublier que la Lettonie a été victime d’une forte immigration russe, composée de civils. Avant la guerre, les Lettons représentaient 75,5% des habitants. Actuellement, à cause de la politique coloniale de l’État soviétique, nous ne sommes plus qu’environ 51%…

    Il y a un risque net d’extinction et seule une décolonisation peut résoudre le problème de notre survie. Et ce, d’autant plus que le capitalisme sauvage, combiné à l’impérialisme russe et à une Église en pleine mutation, tentent d’inoculer à notre opinion publique le sentiment que nous autres, Lettons, serions incapables de disposer de notre terre, de notre état, de notre âme. Dievturiba est dispersé sur toute l’étendue du territoire national et il existait même des confréries païennes à l’Ouest, créées par des réfugiés (les “personnes déplacées”) d’après 1945. En Lettonie même, il y a six confréries de Dievturi indépendantes, dont quatre sont fédérées et deux totalement autonomes. Elles ne diffèrent pas d’un point de vue religieux proprement dit mais quant aux applications pratiques. Notre confrérie (TDD) pense que les Dievturi doivent collaborer avec les autres religions enracinées et avec les autres confréries lettonnes. Ils doivent aussi être plus actifs sur le plan social, poursuivre les recherches et préserver notre patrimoine (sites sacrés, monuments d’intérêt culturel). Enfin, nous pensons qu’il faut faire connaître notre religiosité en Lettonie et ailleurs dans le monde. Les autres confréries sont moins actives, plus “contemplatives”. L’exemple des Dievturi réfugiés à l’Ouest illustre mon propos: en cinquante ans — la durée de l’occupation soviétique —, ils n’ont pas été à même de nouer des contacts avec le moindre groupe païen, de publier le moindre livre expliquant le concept de Dievturiba aux lecteurs anglophones, germanophones ou francophones. Toutefois, notre but n’est pas de dénigrer ces confréries, dont certaines sont d’une aide précieuse sur le plan financier, ou actives dans d’autres domaines que nous. Quant à l’importance de la mouvance en Lettonie, on ne peut pas dire que les membres officiels de Dievturiba soient très nombreux. En revanche, bien des Lettons éprouvent une grande sympathie pour nous : beaucoup en fait sont “à moitié” Dievturi ! Tout récemment, le Parlement a ratifié une loi garantissant pour Dievturiba les mêmes droits que pour l’Église chrétienne et pour la communauté juive.

    • Quel est le lien entre Dievturiba et l’ancien Paganisme letton ? Y a-t-il eu des mouvements païens avant le vôtre ?

    Il y a toujours eu des mouvements païens en Lettonie. Comme je vous l’ai dit, notre mouvement a été officiellement enregistré en 1926, mais il n’a pas été créé ex nihilo. Dievturiba est l’héritier direct de l’antique Paganisme balte, qui remonte à la préhistoire. Depuis l’invasion des pays baltes par les Chrétiens au XIIe siècle, notre religion a été persécutée, calomniée et opprimée de toutes les manières possibles... mais elle a survécu. Notre peuple s’est en effet attaché à préserver ses anciennes traditions, les festivals, les sites sacrés oh chants païens (dainas), savoir ancestral et traditions ont été transmis en secret, de génération en génération, de bouche à oreille. Quand, au XIXe siècle, l’intelligentsia lettonne a commencé à transcrire l’héritage spirituel de notre peuple, on s’aperçut qu’une masse énorme d’éléments avait survécu. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, la collecte des dainas, les chants sacrés du Paganisme letton, sauva de l’oubli environ 1.200.000 chants. Les anciens rituels, les danses, les traditions ont en fait survécu jusqu’au XXe siècle ! Les documents de l’Église le prouvent : ils nous parlent du nombre énorme de “Païens”, qui “ne reconnaissent pas le Christ”. En voici un exemple : en 1836, un pasteur, dans un rapport à ses supérieurs, précise que près de quatre-vingt tombes sacrées, sur lesquelles les paysans faisaient des offrandes, ont été détruites en l’espace de quatorze jours ! On trouve des tas de témoignages de ce genre dans les archives ecclésiastiques. Quand Dievturiba a été officiellement réactivé, il se fondait sur l’antique religiosité pré-chrétienne, toujours vivante dans le peuple letton au début de ce siècle. Les Dievturi sont donc, depuis bien avant la guerre, les véritables fidèles de l’ancienne religion.

    • Y a-t-il eu un lien entre la Résistance contre les Soviétiques et les Dievturi ? Avec les Frères de la Forêt ?

    Quand en 1940, les Russes ont occupé la Lettonie, ils ont immédiatement arrêté et assassiné des membres de Dievturiba, des officiers de l’armée ainsi que des membres d’Aizsargi (en letton : les Protecteurs), une organisation para-militaire patriotique de défense et de promotion de la culture nationale. Aizsargj est comparable à la National Guard aux États-Unis, mais plus orientée vers les activités sociales et culturelles. Tous ces gens étaient des patriotes et représentaient une menace pour le pouvoir soviétique. Staline avait planifié l’extermination de toute la population lettonne et c’est en fait l’attaque allemande de 1941 qui nous a sauvés. Ce fut une année terrible : les Soviets nous ont traités avec une rare sauvagerie. C’est pourquoi les Allemands ont été accueillis en libérateurs. Au début les Lettons ont cru que le pays allait retrouver son indépendance, mais rapidement ils ont compris que ce ne serait pas le cas. Toutefois, les Allemands n’ont pas fait couler le sang autant que les Russes (massacres systématiques des intellectuels et des cadres, vagues de déportation se sont échelonnés de 1941 à 1954, NDT). Des Lettons se sont engagés dans l’armée allemande, mais plus nombreux sont ceux qui ont été enrôlés de force. Une Légion lettonne fut créée en 1943 pour combattre les Soviétiques. Ces hommes ne combattaient pas au nom d’idéaux nazis, mais bien contre les meurtriers de leurs proches et pour leur patrie. Beaucoup d’entre eux espéraient que cette Légion formerait l’embryon d’une armée lettonne. Je vous rappelle que la Lettonie a été un des plus grands champs de bataille de la Seconde Guerre mondiale. Les légionnaires lettons n’ont jamais été battus militairement par les Russes et, si l’armée allemande a capitulé, la Légion, elle, a poursuivi le combat dans les forêts (jusqu’en 1952 au moins, NDT). Je ne peux pas vous préciser le nombre de Dievturi dans la Résistance. Je ne pense pas qu’il soit très important. L’essentiel était la lutte pour la liberté et les Dievturi, par leur action en faveur de cette liberté nationale, ont influencé bien des Lettons.

    • Quelles sont vos relations avec l’Église ?

    Elles sont ce que les relations entre l’Église chrétienne et les religions enracinées ont toujours été, partout dans le monde. Pour simplifier, je parlerai de guerre : une guerre de basse intensité. Les Chrétiens ne peuvent haïr les Dievturi, et, en toute occasion, ils précisent que notre Dievturiba est un “péché”. Jamais un pasteur n’a eu l’audace de discuter ouvertement avec nous.

    • Quelles sont pour vous les grandes différences entre le Christianisme et le Paganisme letton ?

    Il me semble préférable d’examiner ce qui est commun. Par exemple le fait que les Chrétiens ont pillé la religion lettonne au même titre que les autres religions de la Nature, les religions païennes. Dans notre cas, l’emprunt principal est précisément le vieux nom balte “Dievs”, qui a été utilisé dans la traduction de l’allemand en letton de la Bible : Gott a été traduit par Dievs. D’autres termes païens ont également été usurpés par les Chrétiens. S’il y a point commun sur le plan des termes, il n’en va pas de même pour le sens. La religion lettonne ne parle nullement du Christ, de salut, de Royaume de Jéhova, de Jugement dernier, d’Immaculée Conception, etc. Nous autres Lettons honorions nos Dieux bien avant qu’Abraham ne quittât Urah ! Nous ne voyons rien d’unique dans la religion des Juifs ni dans celle des Chrétiens… Les Chrétiens exigent du peuple une obéissance aveugle ; les Dievturi lui demandent tout simplement de penser. Pour les Chrétiens, l’essentiel est le salut de l’âme ; pour nous autres Païens, c’est son développement par l’étude de la Nature et de Dievs. Pour les Chrétiens, la Terre n’est qu’un lieu de passage et le peuple n’est rien ; pour les Dievturi, la Terre est notre Mère, et le peuple est la famille, le passé, l’avenir...

    • Qu’en est-il des fêtes, des rituels ?

    Tous nos festivals sont en étroite relation avec les principaux moments de l’année solaire. Il y en a huit au total : les solstices d’hiver et d’été, les équinoxes d’automne et de printemps, et quatre autres fêtes. Nos rituels sont reliés à la famille et à la vie quotidienne : don du nom, mariage, funérailles…

    • Quels sont vos Dieux tutélaires ?

    Les Lettons honorent Dievs, Mara et Laime. Dievs (lith. Dievas, vieux prussien Deiws, latin Deus, sanskrit Deva, grec Zeus, vieux germ. Tiwaz) est l’Être suprême, la Loi, le Créateur. Les Lettons l’ont interprété comme la loi qui fonde tous les aspects de l’existence. Nos ancêtres concevaient également les polarités masculine et féminine du divin (qui est esprit et matière), exprimées par les concepts Debesu, Dievs, Debestevs (sanskrit dyaus pitar, grec Zeus Patèr, latin Iupiter) et Mara, mère de la terre, mère des peuples, etc (grec Démétèr, sanskrit prthivi matar). Laime, Déesse du Destin, personnifie donc ce dernier, les lois éternelles de Dievs. D’autres déités sont également honorées mais pas autant que Dievs, Mara et Laime. Notre religion ignore le dogme. Si vous voulez considérer Dievs, Mara et Laime comme des personnes ou comme des concepts, vous en avez parfaitement le droit. En outre, notre religion n’est pas une religion de la mort.

    ► Entretien à Valmiera, 1er novembre 1995, in : Antaïos n°8/9, 1995.

     

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    Lithuanie : Romuva

    À l’occasion du camp d’été organisé par le mouvement Romuva, Synergies Européennes a posé quelques questions à son principal responsable Jonas Trinkunas. Voici ses réponses.

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    • À quelle date a commencé le mouvement Romuva ?

    Le mouvement Romuva a commencé ses activités en 1967. Il fut interdit par les soviétiques en 1971 et est toléré depuis 1988. Des tentatives pour restaurer la religion de Romuva eurent lieu avant la Seconde Guerre mondiale.

    • Dans quettes circonstances ?

    Il y eut à l’époque de Khrouchtchev une certaine libéralisation et apparut au même moment un intérêt pour les cultures autochtones et en particulier pour les traditions païennes. De nombreux groupes de chants folkloriques furent alors créés.

    • Quelle est la philosophie de Romuva ?

    Le point central de la philosophie de Romuva est que la Nature possède un caractère sacré. Ceci repose sur des croyances polythéistes et la tradition folklorique ethnique. La Lituanie fut le dernier pays païen en Europe car le christianisme n’y fut énergiquement introduit qu’au XIVe siècle. En réalité, il ne fut accepté qu’aux XVIIIe et XlXe siècles. C’est pour cette raison que le folklore lituanien, les croyances et les coutumes conservèrent une très forte empreinte pré-chrétienne jusqu’à nos jours. Une attitude aussi traditionnelle correspond parfaitement aux préoccupations spirituelles et écologiques contemporaines. L’éternité de la Vie, le caractère sacré de la Terre et de la Nature, un désir d’harmonie (principe lituanien de “Darna”),voici quelques unes de nos idées fondamentales.

    • Quelle fut votre action pour être officiellement reconnus par le gouvernement lituanien ?

    Lorsque la Lituanie a retrouvé en 1990 son indépendance, la majorité des organisations qui avaient été interdites furent autorisées à nouveau. Romuva commença à organiser des conférences, des camps d’été et à travailler à la sauvegarde de monuments historiques et de sites naturels. Ces activités reçurent l’approbation du peuple lituanien. Le gouvernement se contenta de reconnaître formellement notre organisation sans la soutenir.

    • Travaillez-vous avec d’autres mouvements en Europe ?

    D’abord, nous coopérons activement avec nos voisins les plus proches : le mouvement “Dievturi”, en Lettonie, le mouvement “Krvuja” en Biélorussie, les Estoniens et les Finnois. Ensuite, nous sommes entrés en contact avec la Wicca en Angleterre, l’Asatru en Islande, en Allemagne et en Autriche ainsi qu’avec des Odinistes anglais. Nous avons de nouveaux contacts avec des représentants du mouvement Druidique en France. Ces relations et contacts sont très importants pour Romuva.

    • En l’an 2000 aura lieu un grand rassemblement des religions natives, comptez-vous y participer ?

    Nous aimerions y participer. Mais les frais de voyage sont trop élevés pour nous et nous recherchons un endroit plus proche de chez nous, en Europe centrale par exemple.

    • Quels sont vos projets pour le futur ?

    La majorité des membres de Romuva vit et travaille en régions urbaines. Nous portons notre attention maintenant sur les campagnes où nous commençons à établir des lieux permanents pour les activités de Romuva et les pratiques traditionnelles dans la Nature. Nous élargissons aussi nos relations à d’autres personnes en Europe et nous croyons possible d’établir une association des religions de la nature dans toute l’Europe.

    • Quels moyens utilisez-vous pour sensibiliser les gens à votre approche ?

    Notre attitude de respect envers la Nature, une attitude basée sur l’éthique des chants traditionnels et des vieilles coutumes, trouve un excellent écho chez les gens des campagnes comme chez les habitants des villes. Nos principes sont clairs, sans aucun aspect mystique ou secret.

    ► Traduit de l’anglais par Jean de Bussac, Nouvelles de Synergies Européennes n°14, 1995.

    • Note : Le nom Romuva était le nom d’un sanctuaire religieux pour les Baltes situé dans la Prusse orientale (région de Königsberg). Le mot Romuva signifie littéralement “Temple” et “harmonie” (d’après Marija Gimbutas).

     

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    ◘ Entretien avec Jonas Trinkunas à propos de Romuva et de la renaissance du Paganisme lithuanien

    • Qui êtes-vous ?

    Jonas Trinkunas : J’ai 56 ans et je travaille à l’Institut de Sociologie et de Philosophie de Vilnius (Lithuanie). Mes recherches couvrent les domaines de l’éthique, de la mythologie, de l’histoire des religions et du folklore. J’ai étudié la philologie lithuanienne à l’Université de Vilnius de 1960 à 1965. Nous avons créé le mouvement Romuva en 1967, mais en 1971, il a été interdit par les autorités communistes. À l’époque je travaillais comme maître de conférences à l’Université, en philosophie. J’ai été chassé de l’Université en 1973 en raison de mes activités au sein de Romuva. Jusqu’à la “Pérestroïka” de 1988, tout travail scientifique ou intellectuel m’était interdit. Romuva était alors un mouvement plus ou moins secret… Ma femme Inija est sociologue et travaille au même Institut que moi. Nous avons quatre filles.

    • Qu’est-ce que Romuva ?

    Romuva redonne vie aux antiques traditions spirituelles et à la religiosité lithuaniennes. Cette religiosité est à la fois une spiritualité, une vision du monde et un style de vie. Le nom, Romuva, a été choisi pour honorer le sanctuaire légendaire des Prussiens de la Baltique, Romuva précisément, situé dans la province de Nadruva, près d’Instenburg (Tchernahovsk, dans la région de l’actuelle Kaliningrad / Königsberg, NDT). Romuva était le grand sanctuaire de tous les Baltes et il a été détruit par les Croisés allemands. Romuva (Romowe, Ramuva, etc) signifie “endroit paisible et magnifique”, “sanctuaire”. Il existe bien d’autres lieux sacrés au nom similaire dans les pays baltes. Pour le mouvement Romuva, ce nom traduit la recherche de l’harmonie sur la base des traditions indigènes. Romuva est une part du réveil spirituel et culturel de l’Europe. Pour la Lithuanie, Romuva signifie liberté, indépendance et unité avec les traditions européennes. Toutefois, je comprends parfaitement que Romuva ne soit pas la seule voie pour tous les Lithuaniens.

    • Y eut-il, dam le passé douloureux de votre pays, un lien entre la religiosité païenne et la résistance à l’oppression soviétique ? Avec les fameux Frères de la Forêt par exemple ?

    Le destin même du mouvement est la preuve de son anti-soviétisme. Certains membres de la jeune Résistance antisoviétique étaient des nôtres, car la mouvance existait avant-guerre. Ils furent déportés dans les camps de Staline, notamment au camp de concentration d’Inta. Nous ne savions rien d’eux dans les années 1967-1971, lorsque nous avons commencé nos activités au sein de Romuva.

    • Quelles sont vos relations avec l’Église catholique ?

    Entre Romuva et l’Église catholique, c’est la coexistence pacifique. Je suis toutefois de ceux qui pensent qu’il y aurait lieu pour l’Église de présenter des excuses pour les sanglantes croisades chrétiennes contre les Baltes et pour sa lutte séculaire contre les religions païennes indigènes. L’Église Catholique est actuellement une puissance riche en privilèges en Lithuanie. Les anciens communistes, qui dominent au Parlement et au gouvernement en ce moment, sont très bienveillants à son égard. Nombre d’anciens communistes sont devenus des catholiques très actifs… Les uns et les autres — anciens communistes et catholiques — n’éprouvent pas la moindre sympathie pour Romuva. Mais on ne peut pas parler d’oppression proprement dite.

    • Qu’en est-il de Dora ?

    Dora est le terme lithuanien pour “morale”. Dora a de très intéressants rapports linguistiques et sémantiques dans la langue lithuanienne. D’abord, il y a darbas (travail), qui est la racine de l’arbre sémantique : darbas - darna (harmonie) - derlius (moisson), dermè (fiançailles) - dora (morale), et il y a encore bien d’autres mots et significations. Je suis persuadé que ces termes, ces étymologies sont une excellente base pour une philosophie païenne enracinée. Tous les efforts (darbas) visent darna dans la nature et dans la vie quotidienne, et tout cela baigne dans dora

    • Qu’en est-il des fêtes, des musiques traditionnelles, des rites ?

    Le folklore lithuanien, les fêtes populaires, la musique sont les conservatoires des anciennes traditions païennes. Contrairement aux Païens occidentaux, Romuva a d’immenses possibilités pour exploiter les trésors du folklore et des traditions populaires. Le calendrier, malgré l’influence catholique, a préservé l’ancien Paganisme : chants, danses et rituels.

    • Quel est le lien entre Romuva et l’ancien Paganisme lithuanien ? Y a-t-il eu un mouvement païen déclaré avant Romuva ?

    L’ancien Paganisme de notre pays possède diverses traditions ; toutes ne sont pas d’un intérêt égal pour Romuva. Nous sommes différents des Païens d’avant-guerre, même si l’attitude à l’égard de la Nature, des ancêtres, des lieux sacrés est la même. Les derniers groupes de Païens lithuaniens, dans les campagnes, remontent au XVIIIe siècle. Au début du XIXe siècle, l’historien Simonas Daukantas fut le principal défenseur du Paganisme balte. Il fut d’un grand secours pour le Paganisme sur le plan intellectuel et un excellent propagandiste. À la fin du XIXe siècle, Jonas Basanavicius a joué un rôle similaire, suivi par le philosophe Vydunas, vers 1900. Il créa l’armature intellectuelle du Paganisme lithuanien moderne. C’est lui qui a popularisé le nom de Romuva ainsi que l’idée. Au début de ce siècle, le Duc Jonas Berzanskis a tenté de créer une association païenne dans le Grand Duché de Lithuanie, sous l’occupation russe, mais également dans la Lithuanie indépendante. Dans les années 30, on a vu une vigoureuse renaissance de la religiosité païenne lithuanienne, mais la Seconde Guerre mondiale a prématurément dispersé le mouvement. Après la guerre, des groupes païens se sont établis au Canada et aux États-Unis.

    • Avez-vous pu rencontrer Marija Gimbutas, la grande historienne des religions ?

    Madame Gimbutas est revenue en Lithuanie pour la première fois depuis la guerre en 1968. Elle a exercé une profonde influence sur le mouvement Romuva et sur moi-même. Je l’ai rencontrée à de nombreuses reprises et nous avons longtemps correspondu. Avant sa mort, elle avait déclaré : « Nous appartenons tous à Romuva ».

    • Quelles sont pour vous les différences essentielles entre le Christianisme et le Paganisme lithuanien ?

    M. Gimbutas disait que le Christianisme lithuanien n’est qu’un très mince vernis, recouvrant la tradition païenne. Les différences entre les deux religions sont évidentes. Les sources de Romuva sont la tradition orale, le folklore, les traditions spirituelles indigènes. Romuva est une religiosité polythéiste, elle ignore le dogme et n’a aucune prétention à dicter son attitude à quelque peuple que ce soit. La Nature n’est pas un moyen, et l’homme en est une partie intelligente. L’homme et la femme ont des droits égaux en matière de vie religieuse. Romuva reconnaît les autres traditions, etc.

    • Avez-vous des contacts avec d’autres groupes païens européens ?

    Nous travaillons en étroite collaboration avec nos voisins lettons (les Dievturi), avec des groupes païens biélorusses (Kryvja), estoniens et finlandais. Nous avons quelques contacts avec des Anglais, l’Asatru islandaise, des Allemands, des Autrichiens. Tout récemment, nous avons rencontré des Druides de France. Tous ces contacts sont très importants pour Romuva.

    • Vos Dieux tutélaires ?

    Ma Déesse tutélaire est Laima, qui prend soin de ma famille et de moi-même. Perkunas, le Dieu de la puissance et de toute activité, m’est d’une grande aide.

    ► Entretien à Vilnius, 31 octobre 1995, in : Antaïos n°8/9, 1995.

     

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    ◘ Pologne :

    Zadruga : un groupe nationaliste et païen en Pologne

    ◘ Explications de Jaroslaw Tomasiewicz et réponses d'Antoni Wacyk

    Néo-païensFondé en 1937 par Jan Stachniuk, la revue et le mouvement Zadruga ont voulu, dans la Pologne catholique, exprimé et illustré une sensibilité païenne, ont perçu l'essentiel dans l'enraciment dynamique et évolutif dans une terre, dans la localisation précise des hommes et des peuples, localisation d'où s'élance un déploiement harmonieux et créatif. Cet enracinement/localisation constitue la culture proprement dite : les théories, idées, systèmes, principes qui ne reposent pas sur ce locus primordial relèvent de la non-culture, dont le père spirituel est Socrate [alussion à l'anathème de Nietzsche]. Les idéaux du socratisme sont vidés de toute concrétude et brisent l'élan de l'homo creans enraciné. Les grands systèmes religieux et/ou philosophiques (bouddhisme, islam, christianismes) relèvent de la non-culture.

    Pour une approche complète des idées de Zadruga, on lira avec profit l'ouvrage de Stanislaw Potrzebowski : Zadruga : Eine völkische Bewegung in Polen, Institut für angewandte Sozialgeschichte, Bonn, 1982, 325 p.

    Malgré les vicissitudes de l'histoire polonaise, l'occupation allemande et le régime communiste, Zadruga existe toujours. Ce n'est plus qu'un cercle très réduit, nous explique Jaroslaw Tomasiewicz, regroupant 5 à 7 intellectuels adultes et beaucoup de jeunes sympathisants. Il rencontre des difficultés énormes d'ordre financier et technique et appelle les mouvements d'inspiration païenne et néo-droitiste à l'aider à se diffuser. Notamment par le biais de photocopies. Les anciens membres de Zadruga continuent sans répit à écrire articles, poèmes, manifestes, lettres, etc. mais sans pouvoir rien publier à grande échelle. Jaroslaw Tomasiewicz tente de faire passer le message dans les masses en militant dans des mouvements politiques et dans des associations culturelles, notamment sur la scène de la pop-culture. Celles-ci font notamment paraître une revue, Kolomir (le nom slave de la croix irlandaise), destinée à la jeunesse et consacrée à la musique et aux idées politiques. Elles organisent entre autres choses des soirées de danses populaires traditionnelles et diffusent des cassettes audio, de musique engagée rock'n'roll et folk. Tomasiewicz songe à créer un magazine de littérature fantastique et un journal sportif. Au niveau de la «culture des élites», J. Tomasiewicz entretient d'excellents contacts avec les grands peintres nationalistes et païens comme Konarski et Fraczek et un écrivain comme Nienacki. Par son intermédiaire, nous avons pu transmettre dix questions à Antoni Waczyk, le principal collaborateur de Stachniuk aux débuts de l'histoire de Zadruga.

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    • 1. Qu'en est-il de votre mouvement Zadruga aujourd'hui ?

    AW : Fondé par Jan Stachniuk (1905-1963), Zadruga est un mouvement culturel et non politique. Le terme Zadruga signifie “communauté” (au sens holiste). Aujourd'hui nous existons à l'état embryonnaire. Notre objectif est de déclencher une révolution culturelle, assise sur une conception de l'homme et de l'humanité diamétralement opposée à celle du christianisme, de l'hindouisme, du bouddhisme et des autres idéologies décadentistes, le communisme y compris.

    • 2. Quelles sont les sources d'inspiration de Zadruga ? Herder ? Nietzsche ?

    Notre inspiration ne nous vient ni de Nietzsche ni de Herder. Dans l'histoire des idées en Pologne, nous nous référons dans une certaine mesure à Stanislaw Brzozowski (1878-1911). Mais pour l'essentiel nous nous inspirons des écrits de Stachniuk lui-même.

    • 3. Le groupe Zadruga défend-il un principe ethniste ? Si oui, quel type d'institutions suggéreriez-vous pour votre peuple ?

    Oui, Zadruga défend le principe ethnique. Quant aux institutions, je crois qu'il est encore trop tôt pour y penser. C'est un problème qui est encore fort éloigné…

    • 4. Comment le groupe Zadruga explique-t-il l'émergence des peuples slaves en Europe orientale ?

    Les peuples slaves sont d'origine indo-européenne et leur foyer préhistorique initial s'étendait entre l'Oder et la Vistule.

    • 5. Comment le groupe Zadruga explique-t-il la christianisation de la Pologne ?

    La christianisation de la Pologne était inévitable puisque le catholicisme en expansion avait pour lui la gloire de feu l'Empire Romain et la puissance militaire des Allemands récemment convertis.

    • 6. Comment jugez-vous le phénomène politique qu'est Solidarnosc ?

    Solidarnosc est un facteur politique traditionnel en Pologne, animé qu'il est par des prêtres. C'est une garantie de stagnation assurée pour le peuple polonais.

    • 7. La Pologne est coincée entre deux géants, l'Allemagne et la Russie. En tenant compte de ce fait géographique, comment voyez-vous l'avenir de votre pays ?

    C'est difficile à dire. Cela dépend du temps que mettront ces 2 géants, nos voisins, à résoudre leurs propres problèmes. Mais une chose est sûre, si une nouvelle agression venait de l'Est, il y aurait apaisement à l'Ouest.

    • 8. Les frontières de la Pologne sont à nouveau objet de discussion dans le monde ? Quelle est votre position ?

    Les frontières de la Pologne sont inviolables.

    • 9. Comment jugez-vous les événements d'URSS (la perestroïka), de Tchécoslovaquie (l'accession de Vaclav Havel à la Présidence), en Hongrie et en Allemagne de l'Est ?

    Nous saluons la perestroïka russe comme un phénomène positif. Mais nous avons des doutes quant à son succès final… Vaclav Havel ? He is the right man in his place. C'est l'homme de la situation. Les Hongrois retourneront à l'Europe bien avant nous. Quant aux Est-Allemands, ils ont droit à la réunification.

    • 10. La presse occidentale, ignorant la plupart du temps les réflexes profonds des peuples slaves, parle abondamment d'un mouvement russe appelé Pamyat et le décrit comme “populiste” ? Qu'en pensez-vous ?

    Pamyat est un mouvement ethno-nationaliste russe et, en tant que tel, ne peut qu'être populiste.

    ► Vouloir, 1989.

     

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    ◘ Roumanie :

    noel-r10.jpgLa religiosité cosmique de la Roumanie

    Terre de rencontre des Cimmériens, des Thraces, des Géto-Daces, des Grecs et des Romains dans l'Antiquité, du christianisme et des influences asiatiques nomades au Moyen Âge, la Roumanie a développé une religiosité « cosmique » originale. Ses traces sont encore perceptibles dans le folklore, mais aussi dans la réflexion philosophique et dans l'art.

    [Ci-dessus : la "danse de Capra" durant la célébration populaire de l'hiver (sărbătorilor de iarnă). La Roumanie a conservé une forte population rurale (45 % de la population totale), qui maintient, dans les zones les plus isolées du pays, des traditions paysannes dont l'origine plonge dans la nuit des temps]

    Dans le domaine de l'ethnologie et de l'histoire des religions, la Roumanie a souvent été considérée comme une exception historique, que symbolise notamment son « christianisme cosmique ». De nombreux auteurs l'ont étudié : Tudor Pamfile, Arthur Gorovei, Marcel Olinescu, Maria Ionita, Gheorge Vladutescu ou encore Romulus Vulcanescu. Nous avons choisi ici de présenter trois approches différentes : celle de l'historien des religions Mircea Eliade, celle de l'ethnologue Victor Kernach et celle du penseur traditionnel Vasile Lovinescu.

    Mircea Eliade et le christianisme cosmique

    L'expression « christianisme cosmique » est due à Mircea Eliade. Cet auteur, mondialement célèbre pour ses monumentales études sur l'histoire des religions, a été précocement frappé par le fait que la « sacralité du monde » telle que la concevaient les paysans de Roumanie (et d'Europe orientale) ne coïncidait guère avec les dogmes chrétiens.

    Loin de véhiculer l'idée d'une séparation radicale entre Dieu et sa création (le cosmos), balades, légendes et mythes roumains abondent en références cosmogoniques où l'on peut saisir une « communion » entre l'homme et la nature : « La solidarité mystique avec les rythmes cosmiques — écrit Eliade — violemment critiquée par les prophètes de l'Ancien Testament et à peine tolérée par l'Église chrétienne, se trouve au centre de la vie religieuse des populations rurales, particulièrement de celles de l'Europe de l'Est ». Alors que la foi chrétienne tentait d'intégrer dans sa liturgie le vieux fonds des croyances populaires, les paysans ont accompli le mouvement inverse : « Le mystère christologique est projeté sur la Nature entière ». Ce faisant, ils renouaient avec les plus anciennes traditions de leur contrée, marquées par l'influence originelle et durable des cultes extatiques et mystériques (Sabos et Sabazios, les Dionysos thraces, Zalmoxis ou Gébéléizis, divinités géto-daces). Eliade remarque également combien il est significatif que « la cosmogonie biblique ait disparu dans le folklore européen ». Et de rappeler : « Dans une histoire "totale" du christianisme, il faut également tenir compte des créations spécifiques aux populations rurales. À côté des différentes théologies construites à partir de l'Ancien Testament et de la philosophie grecque, il importe de considérer les esquisses de "théologie populaire" : on trouvera, réinterprétées et christianisées, nombre de traditions archaïques, depuis le néolithique jusqu'aux religions orientales et hellénistiques. Au cours des âges, ce « panthéisme unitariste » a accepté et assimilé aussi bien les croyances indo-européennes et pré-indoeuropéennes que la foi chrétienne. La Vierge Marie devient ainsi la Grande Dame ou l'Impératrice qui assiste au culte de matraguna (la belladone, associée aux rites érotiques féminins), ou encore la bonne fée Ileana Cosanzeana, qui aide les héros dans leurs combats contre les animaux fabuleux.

    mask-011.gifVictor Kernbach à la recherche du fonds proto-païen

    [Ci-contre : Ce masque funéraire est utilisé par les paysannes à l'occasion de l'inhumation des morts, dans la partie orientale de la Roumanie]

    Dans son étude fouillée sur le fond religieux de la Roumanie, Victor Kernbach a accompli l' « herméneutique de la tradition rurale » que Mircea Eliade appelait de ses vœux. Kernbach a mis en évidence la double acculturation à laquelle a été soumise la communauté daco-romaine. La première, qui s'accomplit, sous l'égide du christianisme, à l'époque même de la formation du peuple roumain, a empêché l'émergence d'un « système mythique unitaire ». La seconde tient à le genèse syncrétique du « christanisme cosmique », à la confluence des anciens mythes païens autochtones, de la christianisation superficielle des esprits et de l'influence des peuplades nomades venues d'Asie. La logique de la mythologie roumaine a été plusieurs fois fragmentée : Victor Kernbach, qui ne cache pas sa sympathie pour les anciennes traditions païennes, a néanmoins tenté de retrouver ce fonds primitif, notamment à travers d'énigmatiques fêtes populaires qui ont persisté jusqu'à nos jours dans certaines régions isolées. Observateur de terrain attentif, Kernbach a ainsi souligné que « les mythes bibliques écoutés à l'église par les paysans ont été mêlés spontanément à la nervure mythique locale ». Cette dernière n'est pas constituée d'un panthéon de dieux, mais plutôt d'une pléiade d'esprits (anima) incarnés par des divinités totémiques (Sfanta Vineri, l'oiseau Maiastra), telluriques (le chien de la Terre) ou cosmiques (Sin Petru, Sin Ilie, divinités de la nature), des animaux prophétiques (légendes du mouton ou du cheval merveilleux), des monstres zoomorphes, des héros (Fat-Frumos), des géants (les Novlac) et des fées (Ileana Cosanzeana).

    L'étude de Kernbach met en évidence les traits caractéristiques de la mythologie roumaine :

    • le monde est peuplé d'esprits dangereux et perfides, contre lesquels l'homme ne s'engage que par vocation (esprit héroïque) ou provocation (réponse à une action maléfique) ;
    • ces esprits se meuvent dans des univers parallèles, qui ne renvoient pas au dualisme chrétien, mais à la mentalité magique ;
    • le destin de l'homme et du monde est inéluctable, donc tragique. Lorsque Fat-Frumos, le héros archétypique, rencontre à la croisée d'un chemin sainte Vendredi, celle-ci lui annonce : « Si tu prends à droite, tu t'en repentiras, et si tu prends à gauche aussi » ;
    • la conviction qu'il existe un secret de la jeunesse éternelle et de la « vie sans mort ». De nombreux récits nous en montrent la quête par des héros qui, dès lors qu'ils reviennent en arrière par nostalgie du monde qu'ils ont quitté, constatent que le temps s'est écoulé pour eux à une grande lenteur (ils meurent d'ailleurs rapidement, l'effet magique de leur quête se dissipant pour les replonger dans le temps réel).


    Ce complexe de croyances et de superstitions trace les limites d'un « proto-paganisme » européen dont le christianisme cosmique roumain a conservé nombre d'influences.

    Vasile Lovinescu et la Tradition primordiale

    [Ci-contre : Babele (« les vieilles dames »), au sommet Omu' de Bucegi. Selon les ethnologues et les archéologues, ce mégalithe était utilisé dans les rites de vénération des divinités féminines pré-indo-européennes]

    sfinxu10.jpgVasile Lovinescu, connu en Europe occidentale sous le pseudonyme de Geticus, fut un ami de René Guénon, dont la revue roumaine Caiete Critice a publié, en 1994, un texte inédit : « Le monde ancien et le christianisme ». Dans cette étude synthétique, Lovinescu oppose les religiosités judéo-chrétienne et « vieille-européenne », qu'aucune consubstantialité de tradition ou de vocation ne relie à ses yeux. La christianisation de l'Europe y est assimilée à un « accident historique » et à l'« irruption d'un corps étranger », probablement « due à une anémiation des vieilles croyances païennes ».

    Lovinescu accuse d'abord le christianisme d'avoir rompu l'équilibre entre autorité spirituelle et pouvoir temporel, équilibre qui caractérise le génie propre de l'Empire : « Si on considère, comme le font les chrétiens, qu'aucun pouvoir dans le monde ne peut résister au Verbe jadis incarné en Judée […] on se pose nécessairement la question : pourquoi Jésus-Christ ne s'est-il pas manifesté, comme Zalmoxis ou Mithra, à la fois comme Roi et Grand Prêtre ? ». Ce refus de l'incarnation en politique se retrouve dans la métaphysique chrétienne, dont Lovinescu critique le dualisme (opposition entre Être incréé et Être créé). Si un rapport intime à la divinité était possible dans le paganisme, c'est qu'« à la différence du Dieu judéo-chrétien, le Dieu suprême de chaque mythologie était à la fois transcendant et immanent dans la caverne cosmique ».

    Loin d'opposer métaphysique et mythologie (« les peuples les mieux dotés spirituellement sont ceux qui développent une mentalité mythologique »), Lovinescu rattache le paganisme européen à une Tradition originaire « venue du Nord » qu'il qualifie d'« ouranienne » et dont l'idée fondamentale est la co-appartenance de l'homme et de la nature, cette dernière étant toujours conçue comme un mystère : « Le seul support de l'ineffable était la nature vierge, les bois des montagnes, le ciel, les eaux, les roches. Ainsi, nous mesurons l'exceptionnelle capacité de contemplation nécessaire à ces hommes pour percevoir, dans cette nature, le suprême ». De cette attention permanente au monde provient la dimension avant tout esthétique et poétique de notre présence au monde : « Le polythéisme rendait impossible la prose ».

    ► Bogdan Radulescu, éléments n°89, 1997.

    ◘ Références :


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    Ion Tuculescu : les émotions primitives

    stamp_10.jpgDe formation scientifique (docteur en microbiologie, fondateur du laboratoire de zoologie descriptive de la faculté des sciences de Bucarest), le peintre Ion Tuculesciu (1910-1962) a incarné en Roumanie le courant “néo-primitiviste”, dont l'exigence n'était rien moins que l'oubli (la “déconstruction”) des 3 derniers millénaires de l'histoire occidentale. Ses confidents et critiques — Petru Comarnescu, Ion Frunzetti — ont raconté comment Tuculescu trouva sa vocation. Un jour qu'il se promenait dans les environs de Mangalia, un port de la mer Noire, il avisa une paysanne en pleurs qui arrachait ses vêtements et en accrochait les lambeaux aux arbres entourant sa maison. Interrogeant les gens du pays sur cette étrange scène, Tuculescu apprit que cette paysanne, loin d'être folle, perpétuait un ancien rite : lorsque la souffrance d'un être est trop forte, il la partage avec son double végétal. Impressionné par le puissant symbolisme de cette communication avec “l'autre monde”, Tuculescu a dès lors voulu renouer dans ses toiles avec une “émotion primitive” encore intacte derrière la grande fatigue de la civilisation moderne. Les étapes de son œuvre païenne ont été, selon ses propres termes, la « phase folklorique » et la « phase totémique ». Tuculescu a ainsi abondamment représenté les danses anciennes (hora, sârba, batuta), les lamentations funéraires (bocet) et les intérieurs des maisons rurales (odaie). Il ne choisissait ses couleurs que dans la gamme vive des scoartze, tissus de laine imprimée avec des motifs folkloriques. Ses tableaux, aux titres éloquents – Totem solaire, Fête païenne dans la forêt, Parmi les ancêtres –, développèrent les thématiques de la réconciliation de la vie et de la mort, de la confiance magique dans la nature et de l'éternelle présence des ancêtres.

    Dimitrie Paciurea : la puissance de l'archaïque

    stamdp10.jpgBien qu'immergé dans le monde moderne, l'art plastique peut en appeler au fond immémorial de l'archaïque, puisé dans les cultures “primitives” (influence de l'art noir sur le cubisme ou de l'art polynésien sur Gauguin) ou dans la pure énergie d'un cosmos mythique (Constantin Brancusi ou Henry Moore). Le sculpteur roumain Dimitrie Paciurea (1875-1932) s'inscrit dans cette lignée d'artistes inspirés par une sensibilité “païenne”. D'origine paysanne, il introduit dans l'art roumain le courant du “réalisme magique” : les forces élémentaires de la nature doivent entrer en intime symbiose avec l'homme pour éveiller une “exaltation dionysiaque”. Renvoyant dos à dos théocentrisme et anthropomorphisme, Paciurea s'est inspiré des figures divines “vieilles-européennes” (au sens que l'archéologue Marija Gimbutas a donné à cette expression) pour réaliser l'ensemble des Chimères. La Chimère de l'air et la Chimère de la nuit donnent une forme contemporaine au mythe de l'oiseau Maiastra (proche du Phénix ou du Garuda indien).

    ► Paul Dudea, éléments n°89, 1997.

     

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    ◘ Russie :

    Voir entrée Paganisme russe

     

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    Du Christianisme au Libéralisme : le chemin de la décadence

    Que ce soit dans le cadre de colloques internationaux, de séminaires organisés par des autorités universitaires, ou plus simplement de débats télévisés, le monde intellectuel est dominé par une idéologie qu'il est malaisé de définir, mais qui projette son ombre omniprésente sur tous les champs du savoir. La recherche de la vérité DOIT passer préalablement par le “filtre” castrateur de la pensée du Big Brother universel.

    Dans un essai collectif paru sous la direction de Watson Fuller (La Responsabilité scientifique, Hermann, 1974), le professeur Geoffrey Beale signale que certains savants se sont prononcés pour la suppression des crédits affectés aux recherches dont les résultats n'iraient pas dans le même sens que les croyances universalistes et égalitaristes.

    Des sciences telles que la biopolitique ou les expériences en génétique sont jugées dangereuses, anti-chambre de la philosophie scientifique nazie ! Il suffit de suivre d'assez près les milliers d'ouvrages qui paraissent en économie pour juger de cette hantise moderne. Malgré le cynisme de gens comme Jacques Attali, Jacques Delors, André Leysen, Alain Minc et consorts, qui, en bafouant en pratique leurs propres dogmes pour s'enrichir, n'en développent pas moins une idéologie des Droits de l'Homme certes très théorique, les sciences économiques baignent dans cet “humanisme” enfanté par les Loges ou par les doctrinaires du Club de Rome.

    Comment une telle vision du monde a-t-elle pu s'élaborer et s'enraciner aussi profondément dans le mental des hommes de cette fin de XXe siècle, aussi bien en Europe qu'en Amérique et, dans une moindre mesure, en Asie et en Afrique ? Le chemin parcouru peut être synthétisé dans le parcours des “révolutionnaires” de la génération mai 68, qui se passe en 5 phases :

    ◊ 1) Révolte aveugle contre la société et contre toutes hiérarchies. C'est la phase “anarchiste”, sentiment avorton d'une plèbe mal née qui rejette la beauté, l'harmonie, la Tradition et ses lois. Le mouvement est lancé par les scories de la société, les désaxés, les refoulés, les métis et les malades de tous ordres. À Rome, c'est dans cette population que les chrétiens trouveront le meilleur appui à leurs phantasmes. Rejetés par le Beau et le Fort, les exclus aspirent dans leur néant nihiliste à une idée qui modulera la revanche de leur haine.

    ◊ 2) Du stade “anarchiste”, le révolté passe au stade marxiste, ou “gauchiste” pour les contestataires de mai 68. La revendication sociale s'inscrit dans une vision messianique de l'évolution des peuples. Abolition des acquis de "l'ancien système" et suppression des Ordres nés de la Tradition. La famille, la nation, l'art classique, autant de cibles de choix pour les marginaux en guerre. Les marxistes trouveront même le moyen de modifier la biologie (doctrine de Lyssenko) et découvriront un sens à l'Histoire dont l'aboutissement est bien entendu le Communisme universel.

    ◊ 3) Déçu du marxisme et de ses faillites, le “déraciné” poursuit son chemin vers l'Invisible, c'est-à-dire vers la psychanalyse. Ne pouvant régenter les hommes, il s'emploie à les analyser au microscope de ses délires. Karl Marx est complété par les théories de Sigmund Freud ou par les délires de Wilhelm Reich. Tout ce qui n'avait pas été détruit par le marxisme le sera par l'interprétation psychanalytique du monde : les anciens dieux et les contes de fées (Bruno Bettelheim), la famille et les rapports entre hommes et femmes, l'éducation, les rêves (Carl G. Jung), etc… Les thérapies de groupe remplacent les défilés de rue, l'introspection nombriliste poursuit l'auto-critique marxiste. Puisqu'il ne peut ou ne veut saisir le monde, le désaxé essaie de se comprendre lui-même ; il échoue… Il ne reste donc plus que Dieu, fuite facile pour exorciser les hantises qui naissent des cogitations maladives !

    ◊ 4) Après l'anarchisme, le marxisme, la psychanalyse, voici donc LA solution à tous les maux : Jéhovah, Yahvé, Dieu-Le-Tout-Puissant et son fils venu sur terre pour racheter les “péchés” des hommes. Le “déraciné” adhère à une doctrine religieuse vomie par les peuples du désert, bricolée de traditions diverses et hétéroclites. Le christianisme permet au marxiste de plaider la cause des faibles et de figer l'Histoire en une rectiligne marche vers le “paradis” où chacun sait que les puissants auront bien des comptes à rendre ! Le très mystique Freud n'y perd rien non plus ; nos phantasmes ne sont-ils pas une déviation du “péché originel” ? Le nihilisme des médiocres pourra s'épanouir dans la vision onirique d'un égalitarisme où races, cultures, conditions sociales et traditions sont ravalées au rang unidimensionnel du christianisme. Mais pour tenir une place dans la société, chose qu'il souhaite ardemment, le déraciné ex-révolutionnaire doit s'affirmer dans une “réussite” où sa vanité donnera la mesure de son égoïsme.

    ◊ 5) N'étant plus lié à rien, le désaxé peut donc tout se permettre et donner à son égocentrisme la forme la plus achevée de sa petitesse : le libéralisme à prétention humanitaire. Mélange de socialisme mitterandesque, de christianisme, de Droits de l'Homme, de sociologie, le libéralisme permet de s'enrichir tout en ayant bonne conscience. La doctrine a ses papes : Keynes, Friedmann, Fisher. Et ses évêques, Silvio Berlusconi, Bernard Tapie. “Du pavé à la carte de crédit” écrit un ex-gauchiste fustigeant ses anciens amis tombés dans un culte de la réussite personnelle, tel Serge July, actuel direc-teur du journal Libération, publication reconvertie au pire matérialisme teinté de sous-culture made in USA…  Car si le Grand Dogme a ses papes et ses évêques, il possède aussi sa Terre Promise : les Etats-Unis d'Amérique. La Bible et le dollar, le pays où l'on trouve le plus grand nombre de psychanalystes et… de tarés ! Le pays de la corruption et de la criminalité, mais aussi celui du “busing” racial et des centaines de sectes d'inspiration chrétienne.

    Le cercle se referme sur l'itinéraire du déraciné. De l'anarchisme au libéralisme, en passant par la parole du Christ et de celle de Marx, le “branché” pourra se rendre en pèlerinage à Wall street, puis se reposer au Club Med de monsieur Trigano, le “babylonien” de service.

    Mais il reste un espoir de voir un jour s'abattre cette monstrueuse construction d'hypocrisie et de bêtise. Le marxisme meurt lentement dans les décombres d'une URSS qui ne tient plus que par l'aide de la Banque Mondiale. La Chine, dix ans avant Moscou, a pris les mesures nécessaires pour s'ouvrir à l'économie marchande, enterrant ainsi sa révolution culturelle et les préceptes marxistes. La psychanalyse est remise en question dans toutes les facultés et les méthodes modernes d'éducation sont mises au placard par ceux-là même qui les avaient appliquées. Les plus récentes découvertes de la biologie balaient les doctrines égalitaires. Konrad Lorenz est Prix Nobel, Bernard-Henry Levy ne le sera jamais…

    Malgré des décennies de mensonge (par ex., l'histoire récente de l'Europe et de la Deuxième Guerre mondiale) une aube éclaire les cieux européens. Le renversement du mur de Berlin n'est sans doute qu'une première étape dans la voie de la libération des peuples d'Europe. Le christianisme balbutie de synodes en schismes ses dernières vilénies et les églises, comme les séminaires, se vident peu à peu. Dieu n'est ni mort (Frederich Nietzsche), ni “en réparation” (Louis-Ferdinand Céline), il n'a jamais existé ! Le libéralisme, miné par les différentes crises économiques, le chômage, l'immigration, la dette du tiers-monde, la pollution, le “mal de vivre” de ses élites, s’essouffle dans sa pusillanime course au bonheur.

    Des hommes et des femmes d'horizon très divers redécouvrent d'autres valeurs et réagissent contre cet état de fait. Les valeurs traditionnelles de nos peuples reviennent en première ligne malgré une entreprise de destruction sans précédent par les médias. Plusieurs pays d'Europe ont donné à des partis nationalistes des élus au Parlement de Strasbourg et les ethnies des pays de l'Est retrouvent la fierté d'exister par elles-mêmes. Laissons crever la dernière génération des homoncules du petit bonheur, le vent qui souffle du désert n'a pas égratigné la forteresse Europe. Les walkmen, les jeans, les Bibles et les discours chimériques s'embraseront bientôt au souffle du dieu Lug dont le feu purificateur fera renaître l'Empire des fils d'Hyperborée…

    ► Daniel Derbaudrenghien, Combat Païen n°7, déc. 1990.

    ***

    ♦ Pour prolonger : B.A.-BA du néo-paganisme (C. Bouchet, Pardès, 2001)

     


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