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    Hambourg, porte de l'Eurasie et terminus du Transibérien ?

    HamburgUn nouveau destin pour le port et la ville de Hambourg ? La métropole allemande deviendra-t-elle l'avant-poste de l'Extrême-Orient en Europe ? Une "nouvelle Hanse" est-elle en gestation ? Comment cela se réalisera-t-il ? Un groupe d'architectes, rassemblés autour des époux Volkenborn, projettent, avec l'aide officielle du Sénat de la ville, de construire sur les rives de l'Elbe, dans le faubourg d'Altona, un nouveau port qui sera simultanément gare terminale du Transsibérien.

    Le port de Hambourg connaît de sérieuses difficultés économiques : sur une longueur de 6 km, site envisagé pour la gare terminale du Transsibérien, les grues rouillent et les quais s'effritent. Les forces vives doivent émigrer et le chômage guette ceux qui restent. Hambourg est en cela une sorte de microcosme de l'Europe industrielle. Deux projets existent à l'heure actuelle pour effacer du paysage nord-allemand ce site déshérité : le premier envisage d'y installer un gigantesque lunapark ; le second, nous venons de le révéler, c'est d'y construire une installation portuaire et ferroviaire telle, qu'elle révolutionnera le trafic international comme jadis le creusement des canaux de Suez et de Panama.

    Le Groupe des Volkenborn envisage de construire une île artificielle face au vieux port désaffecté, d'où partiraient des voies larges de chemin de fer (identiques à celles du Transsib') qui conduiraient à Lübeck, le port baltique. De là, un ferry transporterait les trains jusqu'à Klaipeda (Memel) en Lituanie soviétique. Dès leur débarquement à Klaipeda, les trains retrouveraient la voie la plus longue du monde, le Transsibérien, qui pourra les conduire jusqu'au rives du Pacifique, en face du Japon.

    Hambourg deviendrait ainsi la plaque tournante d'un circuit d'échanges eurasiens : les marchandises d'Extrême-Orient y seraient débarquées à destination de l'Europe et de l'Afrique tandis que les marchandises européennes et africaines y seraient embarquées à destination des marchés soviétique, chinois et japonais. À plus grande échelle, Hambourg et Lübeck retrouveraient leur rôle du temps de la Hanse : échanger des fourrures russes contre du drap anglais ou flamand.

    De leur côté, les Soviétiques, qui ont entamé des négociations avec les Allemands, veillent à terminer le BAM (Baïkal-Amour-Magistral), une ligne de chemin de fer ultra-moderne, tracée au nord du Transsibérien terminé en 1902 et raccourcissant de 500 à 600 km le trajet Klaipeda-Vladivostock. Ces trains rouleront à 250 km/h et diminueront de manière conséquente la durée et la longueur du trajet maritime usuel. Tandis que les navires à conteneurs les plus modernes mettent, via Suez, 30 jours pour arriver en Extrême-Orient et parcourir les 22.000 km qui nous en séparent, le BAM mettra 16 jours pour relier Londres à Yokohama (13.000 km). En outre les coûts de transport seront de 10 à 15% inférieurs à ceux que demandent aujourd'hui les armateurs. La quantité transportable de marchandises sera, quant à elle, multipliée par quatre.

    Ce projet est appuyé par le bourgmestre de Hambourg, Klaus von Dohnányi, grand spécialiste du commerce avec l'Extrême-Orient. En 1969 déjà, il avait rédigé un ouvrage sur les stratégies économiques japonaises. Entretemps, plus de 150 firmes nippones ont installé leur siège à Hambourg, même si la majorité d'entre elles préfèrent toujours Düsseldorf. Depuis peu, ce sont les Chinois qui se mettent à considérer la cité hanséatique comme la ville d'Europe la plus importante. Les Chinois veulent importer une brasserie complète et prévoient la construction d'un mini-Airbus germano-chinois. Les nouvelles relations commerciales sino-germaniques contribuent, indirectement, à apaiser le contentieux sino-soviétique. En effet, les Chinois, pour le transport de leurs marchandises, préfèrent de loin le fer à la mer et conçoivent l'importance du Transsib' et du BAM. Leur intérêt premier sera donc de négocier avec les Soviétiques une utilisation commune de ces voies ferrées.

    Autre problème politique qui se verrait réglé : les Soviétiques et les Allemands pourraient éviter, grâce au ferry baltique, de passer par la Pologne, perpétuellement en crise et dangereusement manipulée par les forces rétrogrades de l’Église de Rome. Mais, ces forces calamiteuses ne sévissent pas qu'en Pologne : en Allemagne Fédérale, tous les politiciens n'ont pas la clairvoyance de von Dohnányi et de ses architectes. À Bonn, les armateurs (qui se verraient ruinés), les clowns militaires otanesques, les professionnels de l'anti-communisme à la Folamour, ont tout entrepris pour saboter le projet et pour retarder les négociations (Cf. Vouloir n°14). À Moscou, les dirigeants soviétiques, las de toutes ces tergiversations puériles, n'insistent plus et les autorités est-allemandes entreprennent la construction de ports de ferries à Mukran (Ile de Rügen) et à Wismar.

    Le projet hambourgeois est-il définitivement mort ? Les réalisations est-allemandes à Rügen et à Wismar parviendront-elles à remplacer la fenêtre sur la Mer du Nord qu'est Hambourg ? On en doute… Ce projet représente finalement le plus grand défi géopolitique du siècle. S'il se réalise, nos maîtres à penser Karl Haushofer et Hallford John Mackinder auront eu raison à titre post-hume. La grande unité eurasienne, avec collaboration étroite entre Allemands, Russes, Chinois et Japonais se réalisera. Les marchandises africaines pourront atteindre aisément les profondeurs continentales de Sibérie et d'Asie Centrale. La qualité de vie en bénéficiera et les immensités sibériennes pourront s'avérer plus attrayantes. Dans la lutte entre le Léviathan et Béhémoth (Carl Schmitt), la Terre aura enfin vaincu…

    En revanche, la non-réalisation du projet, à cause des pressions atlantistes et des intérêts sectoriels des armateurs, condamnera Hambourg à devenir un lunapark ou une cité touristique balnéaire. Où est l'utopie ? Certes pas dans le cerveau des époux Volkenborn. Le choix entre Orient et Occident, entre le réalisme et les chimères trahit ici un choix de civilisation : ou bien le bon sens de la survie économique à très long terme ou bien les attractions du Cirque Gros-Occidental… Au fond, nous pourrions envoyer pas mal d'"artistes" à Hambourg, si le projet Volkenborn est expédié à la poubelle au profit du lunapark : les parlementaires belges, le gouvernement Martens, les Jeunesses Atlantistes, le Général Close Badaboum, les Moonistes et les disciples de LaRouche, les Le Pen Boys, la fine équipe du PTB, Marchais, le couple de pitres paléo-communistes "Rosine Lewine et Louis Van Geyt", l'ex-gouvernement Mitterrand, Yves Montand, BHL, une masse impressionnante de prêtres et de pasteurs privés de paroissiens, …

    ► Vincent Goethals, Vouloir n°31, 1986.

    Source : Der Spiegel 1986/No.29 (14-VII) ; article intitulé "Für China die wichtigste Stadt Europas" (pp. 60 à 67).   

     


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