• BrésilLa géopolitique brésilienne

    L’évolution de la géopolitique au Brésil remonte à une date déjà très ancienne : dès le moment où les autorités du pays ont décidé d’amorcer une expansion au-delà de la Ligne Tordesillas, fixée par le Pape en 1494, pour délimiter les possessions portugaises et espagnoles. Cette expansion est la troisième en ordre d’importance depuis l’âge des découvertes, après celles des États-Unis et de la Russie. Le Brésil a fini par devenir le plus vaste État de l’Amérique du Sud. Aujourd’hui, les États voisins du Brésil lusophone, tous hispanophones, craignent quelque peu sa politique étrangère. Le développement du Brésil lusophone a suscité une sorte de réaction instinctuelle chez les géopolitologues latino-américains d’expression castillane : tous ont craint ou craignent un leadership brésilien, attitude patente dans les années de 1930 à 1970. La pensée géopolitique brésilienne repose essentiellement sur les expériences acquises au cours de l’histoire. Il semble que la géopolitique brésilienne s’oriente selon trois axes majeurs :

    • elle met l’accent sur la sécurité nationale et cherche à se donner une position de force dans la région et sur le continent
    • les géopolitologues brésiliens ont souvent mis l’accent sur l’industrialisation, la colonisation et le développement des régions excentrées du pays
    • l’objectif majeur de ces géopolitologues a été d’atteindre le statut de grande puissance au moins pour l’horizon 2000.


    La géopolitique en Amérique du Sud repose surtout sur la dimension physique du continent : les Andes et les chaînes de montagne, les plateaux et les bassins des trois grands fleuves (l’Orénoque dans le Nord, l’Amazone au centre et le Rio de la Plata dans le Sud). Le Plateau bolivien a été considéré par quelques géopolitologues sud-américains comme le heartland de leur continent, selon la terminologie de Mackinder. Un géopolitologue, ambassadeur des États-Unis, Lewis A. Tambs (1) a un jour paraphrasé Mackinder comme suit, à propos de la Bolivie : « Celui qui tient Santa Cruz, contrôle Charcas. Qui tient Charcas, tient le heartland. Qui tient le heartland, contrôle l’Amérique du Sud ».

    L’ambassadeur Tambs concluait ses raisonnements par une question : « Pourquoi la Bolivie ne contrôle-t-elle pas le continent ? ». La raison de ce non-contrôle, c’était, bien sûr, que la Bolivie ne contrôlait pas les ressources, au contraire de la Russie en Eurasie, et ne pouvait dès lors pas dominer. Donc, il semble plus pertinent aujourd’hui d’émettre l’hypothèse que le Plateau Brésilien détient une importance capitale dans la région et devrait plutôt être, lui, considéré comme le heartland du continent. On le considère aussi souvent comme le “centre de gravité” du Brésil.

    Les travaux d’Everardo Backheuser

    Quand la géopolitique brésilienne a commencé à prendre forme dans les années 20, elle s’est inspirée de son homologue allemande. Le géopolitologue qui introduisit la géopolitique au Brésil, Everardo Backheuser, était un élève du géopolitologue suédois Rudolf Kjellén, tout comme Karl Haushofer lui-même. Les quatre thématiques majeures de la géopolitique brésilienne ont été :

    • la location stratégique du Brésil
    • un souci constant de maintenir et de défendre l’intégrité territoriale et les frontières nationales
    • un désir constant d’accéder au Pacifique (la dite “Projection continentale”)
    • le développement du pays et l’intégration nationale comme bases pour accéder au statut de grande puissance.


    Backheuser était un civil, un professeur. Il fut le premier à étudier les théories géopolitiques européennes et à les interpréter au service de la géopolitique brésilienne. Son premier ouvrage s’intitulait A Estrutura politica do Brasil - Notas Previas (1925). Avec ce livre, le Brésil peut être considéré comme un pays pionnier dans l’interprétation des thèses de Rudolf Kjellén. En 1933, il poursuit son œuvre avec Problemas do Brasil. Dans les années 40, Backheuser avait atteint son but : la géopolitique était devenue un sujet d’interrogation commun dans tout le Brésil. En 1944-45, il enseigne à l’Institut Étranger. En 1947-48, à l’Institut Culturel Brésilien. En 1948, l’Université Catholique Pontificia crée pour lui une “chaire de géopolitique”. En 1952, son ouvrage le plus connu sort de presse. Il s’intitule Curso de Geopolitica geral e do Brasil, et résume l’ensemble de ses idées.

    Frontières vivantes et mortes

    Pour Backheuser, le Brésil affronte trois problèmes majeurs d’ordre géopolitique : celui posé par la qualité de l’espace brésilien, celui posé par le site de la capitale, celui posé par la division territoriale du pays. Pour ce qui concerne les frontières, Backheuser considérait qu’elles étaient toujours marquées par l’instabilité dans le monde moderne. Cette instabilité était la résultante de la force et de la volonté. Il a inventé un “quotient de pression” : P = VF (où P = la pression géopolitique latente qui s’exerce sur une frontière, V = le taux de vitalité d’une nation et F = la force matérielle que peut déployer l’État pour rompre la barrière constituée par une frontière). La population ne constitue qu’un des facteurs dans l’index V. Backheuser énonça également trois hypothèses sur les frontières “vivantes” et les frontières “mortes” :

    • Hypothèse n°1 : là où deux zones frontalières “mortes” se joignent, il est peu probable qu’une pression s’exercera. La frontière restera donc stable.
    • Hypothèse n°2 : là où deux zones frontalières “vivantes” se touchent, il est probable que survienne une friction. La nation la plus forte sur le plan militaire l’emportera, du moins si elle est capable de se défendre aussi sur le plan diplomatique.
    • Hypothèse n°3 : là où une frontière “vivante” rencontre une frontière “morte”, l’État dont dépend la frontière “morte” risque d’être envahi par son voisin, dont la frontière est “vivante”, donc dynamique et expansive.


    Une frontière “vivante” est une frontière occupée par une population vivante, en pleine expansion démographique, jeune et agressive. Une frontière “morte” ne l’est pas. Sur base de cette distinction, Backheuser a élaboré des lois géopolitiques, proches des notions mises au point par Friedrich Ratzel :

    • La “loi de la volonté” repose sur le présupposé que le tracé de la frontière découle d’un acte de volonté, posé par des États en compétition les uns avec les autres.
    • La “loi de l’équilibre dynamique” signifie qu’une frontière n’est stable que parce qu’elle est l’expression d’un équilibre dynamique.
    • La “loi de friction” démontre qu’une zone frontalière est toujours par définition une zone de friction ; et finalement :
    • La “loi de pression” tend à prouver que la pression exercée sur les frontières est une fonction combinant la vitalité relative des adversaires et les éléments de force disponibles (P=VF).


    Revitalisation des frontières

    Historiquement parlant, les frontières brésiliennes se sont étendues considérablement à l’époque coloniale. Pendant la monarchie, elles ont été régularisées ; plus tard, elles ont été juridiquement fixées et ont servi de fait à démarquer des territoires. Finalement, pendant les années 50, on a assisté à un processus de revitalisation des frontières brésiliennes. Les conclusions du Prof. Backheuser ont été les suivantes : le Brésil doit revitaliser ses frontières afin de préserver le territoire de la nation. Cela signifier peupler les campagnes, explorer les zones inhabitées et industrialiser. En bref, cela implique une “marche vers l’Ouest”, finalement peu différente de celle qui a marqué l’histoire des États-Unis au XIXe siècle.

    La géopolitique de Mario Travassos

    Autre pionnier de la géopolitique au Brésil : Mario Travassos. Ses idées ont marqué l’Escola de Estado Maior do Exercito (École de l’état-major de l’armée), jusqu’en 1950. Dans son premier ouvrage important, Projeção Continental do Brasil, Travassos affirme que le Brésil doit se développer selon un axe Est-Ouest et pas seulement le long de la côte atlantique. La seconde édition de son livre date de 1935. Comme Tambs, il reconnaît l’importance d’une domination du Plateau Bolivien. Il a plaidé pour que la Bolivie obtienne un accès à l’Atlantique via le Brésil, mais, à titre de réciprocité, il espérait que le Brésil reçoive un accès aux ports du Pacifique détenus par le Chili et le Pérou. L’influence de Travassos dans les milieux militaires démontre clairement le lien entre la pensée géopolitique brésilienne et l’éducation des officiers de l’armée. Ce lien allait devenir encore plus évident dans les années 60.

    La géopolitique de Golbery do Couto e Silva

    Le géopolitologue qui a eu la plus grande influence au Brésil après la seconde guerre mondiale a sans doute été Golbery do Couto e Silva. C’était un officier servant dans l’état-major du Collège National de Guerre. Plus tard, après la révolution de 1964, il a fait partie de tous les gouvernements, sauf un. Ses théories ont dès lors pu être mises à l’épreuve du réel, surtout dans le domaine du développement économique du Brésil.

    Son premier ouvrage, Aspectos geopoliticos do Brasil (1952), a été réédité ultérieurement, accompagné de plusieurs essais complémentaires, tels Geopolitica do Brasil. En 1955, il publie Planejamento estrategico. Ses travaux étaient souvent un mixte de théories pragmatiques et de visions mystiques. Il a défini la science géopolitique comme suit :

    « La géopolitique est avant toutes choses un art, un art lié à celui de la politique et, en particulier, à la stratégie et à la politique de la sécurité nationale. Elle cherche à orienter tous ces arts, à la lumière des faits géographiques propres aux espaces organisés politiquement et divergeant par l’action des hommes. Les fondements de la géopolitique s’enracinent dans la géographie politique, mais la géopolitique consiste surtout en propositions et projections, qui induisent une dynamique tournée vers l’avenir. Les perspectives offertes par la géopolitique étant très nombreuses, elle se manifeste sous des formes très différentes, elle englobe tous les faits de la politique, de l’économie et de la culture qui touchent l’État, elle déborde inévitablement dans d’autres domaines du savoir, comme l’histoire, la psychologie, la sociologie et, bien sûr, la stratégie militaire… » (2).

    Les principales thématiques des travaux de Golbery traduisent véritablement les théories de la géopolitique en plans d’action gouvernementaux concrets, visant le développement du territoire brésilien. Golbery s’était fait évidemment l’avocat de l’intégration du Brésil occidental dans le reste du pays (la façade atlantique). Il visait surtout le développement de la vaste aire amazonienne. Les analyses de Golbery débouchent sur des projets nationaux concrets visant à bien situer le Brésil dans le cadre du continent sud-américain et dans le monde. Le Brésil, écrit Golbery, fait partie de la civilisation occidentale et doit contribuer à la défense de l’hémisphère occidental. Pour garantir la sécurité de cet hémisphère occidental contre ce que Golbery appelle “l’hémicycle extérieur”, soit l’URSS, il faut contrôler les continents africain et antarctique, de même que les îles du Pacifique, car l’Afrique occidentale, l’Amérique du Sud et l’Antarctique étaient, selon Golbery, des objectifs de l’expansionnisme soviétique.

    La géopolitique du Général Carlos de Meira Mattos

    Bon nombre d’experts estiment que le Général Carlos de Meira Mattos a été le successeur de Golbery ; c’est lui qui est devenu le principal des géopolitologues brésiliens. Meira Mattos s’intéresse lui aussi au développement du pays. Dans son premier livre, Projeção mundial do Brasil (1960), il exprime son souhait : le Brésil, avec son vaste espace, sa nationalité et sa position stratégique détient tous les atouts pour devenir une puissance mondiale. Il était important, aux yeux de Meira Mattos, de rester fidèle à l’Occident. Le Brésil contrôle d’importantes routes maritimes, mais avait besoin de construire à grande échelle des liaisons terrestres, notamment des routes. La mission de l’élite brésilienne était la suivante : faire du pays une puissance mondiale en l’espace d’une génération.

    Dans Brasil - Geopolitica e Destino (1975), Meira Mattos résume ses idées. Il commence par une analyse des différentes écoles et théories de la géopolitique. Ses faveurs vont aux notions élaborées par le Français Vidal de la Blache : « la géographie est le destin ». C’est donc la géographie qui fournit des solutions à la destinée des peuples. Les pays dont les formes sont compactes, à l’instar du Brésil et de la France, dégagent une supériorité en matière géopolitique. De telles formes facilitent la centralisation de l’administration politique, le commerce intérieur et la défense militaire. Le Brésil, selon Meira Mattos, détient les cinq attributs de la puissance : dimension géographique, population, possession de ressources naturelles, capacités scientifiques et technologiques et cohésion interne. Meira Mattos cite comme exemple le “Plan de Développement National” de 1975-79, qui prouve que le Brésil est bien décidé à devenir une nation développée en l’espace d’une seule génération.

    Avec A Geopolitica e as projeções do poder (1977), il développe ses idées relatives aux efforts brésiliens pour atteindre le statut de puissance mondiale. A cette époque, il était le directeur de l’Inter-American Defence College. Il pensait que la modernisation était le moyen d’atteindre l’objectif, c’est-à-dire le développement. En pratique, il faut créer sur le territoire brésilien sept “zones intérieures d’échanges frontaliers”. Ces sept zones doivent être reliées par des voies routières de transport et par des réseaux de communication à toutes les autres régions du pays. Ces zones se situent entre les Guyanes au Nord et le Bassin de la Plata au Sud.

    La théorie du “stimulus maritime”

    Pour le Brésil, le “stimulus maritime” est également important. Pendant des siècles, la mer a été le lien vital qui reliait le Brésil au reste du monde. Meira Mattos appelle de ses vœux une “Communauté de Défense du Cône Sud”, incluant le Brésil, l’Argentine, le Paraguay, l’Uruguay et le Chili, afin de protéger la route du Cap empruntée par les pétroliers et par les navires des pays sud-américains. Ultérieurement, cette communauté devra s’étendre aux pays du Sud de l’Afrique, à l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Indonésie. Le concept central de sa géopolitique est la notion de “puissance nationale”. Il cite la définition qu’en donne le Collège National de Guerre : « La puissance nationale est l’expression de tous les moyens à la disposition des nations à un moment donné afin qu’elles puissent promouvoir à l’intérieur comme à l’extérieur leurs objectifs nationaux, en dépit des oppositions » (3).

    Dans sa conclusion, il écrit : « Nous voulons sauver le pays du marais du sous-développement et l’élever au niveau d’une société stable et avancée ». Cet objectif doit être atteint pour l’an 2000, avec une amélioration du niveau de l’enseignement, avec des progrès substantiels aux niveaux de la société et de la technologie, avec un accroissement du PNB, avec des réformes sociales et une stimulation de l’esprit national au départ de la sphère culturelle.

    La géopolitique panamazonienne

    Uma geopolitica pan-amazonica, livre publié en 1980, est une étude géopolitique visant le développement intégré de la grande sous-région amazonienne, selon les stipulations du Pacte Amazonien de 1978. Si la partie brésilienne du Bassin amazonien réussit son développement, l’entièreté du Bassin pourra ultérieurement être développé. 69% de la zone, soit deux cinquièmes du continent, appartiennent au Brésil. Le reste appartient aux Guyanes, à la Bolivie, à la Colombie, à l’Équateur, au Pérou et au Vénézuela.

    Therezina de Castro et l’orientation antarctique

    Therezina de Castro, géographe et historienne, présente en 1956 sa théorie de la defrontação. Elle repose sur la revendication pour le Brésil et les autres pays sud-américains de certaines portions du continent antarctique, faisant face au continent sud-américain. Ces territoires antarctiques devraient appartenir à ces pays. Dans cette optique, le Brésil devrait recevoir une zone antarctique située entre le 28° et le 53° degrés de longitude ouest. En 1975, le Brésil a adhéré au Traité de l’Antarctique afin de se garantir une présence sur ce continent de glaces. Dans son livre Rumo a Antàrtica (1976), Therezina de Castro propose une “orientation antarctique” pour le Brésil. D’un point de vue géostratégique, la défense de l’Amérique du Sud est surtout maritime, explique-t-elle. Le Brésil possède le plus long littoral atlantique de tous les États sud-américains. L’Antarctique est une base naturelle pour la défense de l’Atlantique Sud.

    Parmi les objectifs des géopolitologues brésiliens, il y avait l’éducation des élites du pays. Les universités brésiliennes ont donc proposé divers cours de géopolitique. En 1949, l’Institut Brésilien de Géopolitique est mis sur pied. De même, depuis 1949, l’Escola Supérior de Guerra (ESG / École Supérieure de Guerre) a formé ses élèves aux matières géopolitiques. Cette école est dirigée par l’État-major général des armées. Elle offre trois niveaux de formation. Elle prépare les citoyens et le personnel militaire à l’art du commandement, à la manière de donner des conseils en tous domaines et en toutes organisations. Elle forme également les officiers de l’armée à remplir des missions de haut niveau, dans un cours organisé par l’État-major. Enfin, un cours par correspondance permet aux diplômés de suivre les dernières mises à jour des matières qui leur ont été enseignées. L’ESG semble être l’équivalent brésilien de la Försvarshögskola suédoise et des écoles de guerre des autres pays, mais, en plus, elle constitue un véritable think tank et développe un réseau d’information à l’usage de ses “anciens”.

    Il existe également une association regroupant les diplômés de l’ESG, l’Associação dos Diplomados da Escola Superior de Guerra (ADESG). Cette organisation véhicule le message géopolitique de l’ESG, de même que les enseignements que cette école donne dans d’autres disciplines ; elle s’adresse à plus de 25.000 membres dans les couches dirigeantes du Brésil, qui ont demandé à suivre les cours de l’ESG mais n’ont pas pu y accéder, vu le nombre réduit de places dans les classes de l’école. Parmi les instruments de l’ADESG, citons la revue Segurança e desenvolvimento (Sécurité et développement). On enseignait toujours la géopolitique à l’ESG dans les années 80, mais on lui accordait moins d’importance que dans les années 50, 60 et 70.

    La géopolitique dans les écoles militaires

    D’autres institutions prodiguent également des cours de géopolitique : les écoles militaires, l’Institut Rio Branco (Service étranger) et quelques universités. Pourtant l’âge d’or de l’enseignement de la géopolitique et de la bonne vulgarisation de cette discipline à l’intention du grand public est passé : c’était dans les années 50 et 60 (la période culminante a été 1958-64). Depuis la révolution de 1964, la géopolitique semble avoir été institutionnalisée, mais, en même temps, elle a perdu de son aura. Publication importante dans la diffusion des thèses géopolitiques : A defesa nacional, revue de l’Escola de Comando e Estado-Maior (ECEME).

    Depuis 1964, la sécurité et le développement ont constitué les deux principaux objectifs des gouvernements brésiliens. Quand les gouvernements civils ont pris le relais à partir des années 80, la dimension “sécurité” a perdu du terrain. Néanmoins, elle demeure présente, signifiant simultanément organisation militaire et sécurité intérieure ; elle vise la défense des frontières du pays et la défense de l’ordre intérieur afin d’assurer un développement harmonieux. Le développement à pour but d’accroître la puissance du pays et donc d’augmenter le degré de sécurité nationale. Depuis 1972, le Brésil publie régulièrement des Plans pour le développement national. Ces plans recèlent des objectifs d’ordre géopolitique et constituent une application concrète des théories de la géopolitique mais ne font pas directement usage d’une terminologie géopolitique. En revanche, d’autres plans de développement y font plus directement référence, comme, par exemple, les plans du Transport national ou les politiques énergétiques.

    Des accords bilatéraux à la lumière de la géopolitique

    Dans le domaine de la politique étrangère, les idées géopolitiques se retrouvent en filigrane dans les accords bilatéraux signés avec la Bolivie, le Paraguay et l’Uruguay. Les idées de Golbery ont eu une postérité. De vastes zones de l’Ouest du pays ont été intégrées à la nation brésilienne. Le pays travaille à intégrer sur une vaste échelle le Bassin de l’Amazonie. Des connections ferroviaires, des grandes routes et des réseaux de communication ont contribué à réaliser cette “projection continentale”. Des projets de développement communs à plusieurs nations font partie de ce vaste projet : par exemple, le projet hydroélectrique Itaipu avec le Paraguay et le projet de développement Lagoa Mirim avec l’Uruguay, accompagné d’un réseau routier.

    Le Brésil est probablement le pays d’Amérique du Sud (et du monde !) où les liens entre les théories et la pratique de la géopolitique sont les plus évidents. Entre 1949 et 1964, la géopolitique a bénéficié du statut de théorie officielle nationale de sécurité et de développement au Brésil. Même si l’âge d’or de la géopolitique au Brésil est passé, ces théories influencent encore et toujours la politique du pays et continueront à le faire au XXIe siècle.

    ► Bertil Haggman, Vouloir n°137-141, 1997.

    (trad. fr. de : « Geopolitics in South America, Part II, Brazil », Paper no.5, Helsingborg 1989)

    • Notes :

    1. Lewis Arthur Tambs, « Geopolitical Factors in Latin America », in : Norman A. Bailey, Ed., Latin America : Politics, Economics and Hemispheric Security, New York, Praeger, 1965, p. 35.

    2. Golbery do Couto e Silva, Geopolitica do Brasil, 2°éd., Rio de Janeiro, José Olympio, pp. 32-33.

    3. Carlos de Meira Mattos, A geopolitica e as Projeções de Poder, Rio de Janeiro, José Olympio, 1977, p. 120.

     

    Brésil

    Carte dessinée par Bertil Haggman : avec la Bolivie comme “heartland” sud-américain, les projections de puissance du Brésil, les chemins de fer argentins et brésiliens donnant un accès à l'Atlantique à la Bolivie enclavée. Cette carte montre bien l'importance de l'Amazone et du Rio de la Plata dans les communications intra-continentales.

     

    Brésil

     

    La composition du territoire national brésilien :
    A. Le Brésil portugais selon le Traité de Tordesillas de 1494
    B. Territoire acquis par le Traité de Madrid de 1750
    C. Gain territorial obtenu par le Traité d'Ildefonso en 1777
    D. Gains obtenus par le Traité de 1872 entre le Paraguay et le Brésil
    E. Traité de Pétropolis, 1903
    F. Traité signé avec l'Equsteur en 1904
    G. Traités signés avec le Vénézuela et la Colombie en 1905 et en 1907
    Source : Charles Wagley (ed.), Man in the Amazon, Gainsville/Florida, University Press of Florida, 1974, p. 60

     

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