• Néo-païensEntretien avec

    Anatoli M. IVANOV (Synergies Européennes, Moscou)

    À l’occasion de son 65ème anniversaire

     

    Le 2 avril 2000, Anatoli M. lvanov, correspondant attitré de Synergies Européennes et président en exercice de notre association à Moscou depuis 1996, fêtera son 65ème anniversaire. À cette occasion, il a décidé de faire le bilan de ses activités intellectuelles et politiques et d’en faire part aux lecteurs de Nouvelles de Synergies Européennes.

    [Ci-contre : Anatoli Mikhaïlovitch Ivanov - Анатолий Михайлович Иванов]

    ***

    • Anatoli Mikhailovitch lvanov, à la veille de vos 65 ans, comment vous présenteriez-vous à vos amis de Synergies Européennes en Europe occidentale ?

    Il est vrai que les lecteurs de NdSE ne me connaissent pas encore bien. Je n’ai pas encore eu l’occasion de me présenter personnellement, au contraire du Vice-Président Toulaev (cf. NdSE n°40). Pour ce qui me concerne, je n’ai pas été un favori de Dame Fortune ni dans l’ex-URSS ni dans la nouvelle Russie post-perestroïkiste. Je n’ai pas eu une vie de coq en pâte, loin s’en faut. Ma famille n’appartenait pas à la nomenklatura. À l’intérieur de l’Union Soviétique et de la Fédération russe, je n’ai pas eu l’occasion de beaucoup voyager : je n’ai même jamais vu la mer Noire, trop chère pour ma bourse. Mes parents étaient enseignants dans l’école secondaire, ce qui signifie qu’ils appartenaient à la couche la plus pauvre de la population de l’ancienne URSS. J’ai eu une vie de mendiant, depuis l’enfance jusqu’à mes 65 ans. J’ai été arrêté trois fois pour motif de “propagande anti-soviétique” : en 1959, en 1961 et en 1981. En tout, j’ai subi sept ans de réclusion et d’exil. Du temps de la dictature communiste, je n’ai jamais eu l’occasion de m’occuper sérieusement d’une activité professionnelle ou de publier mes œuvres. Malgré toute cette adversité, j’ai achevé mes études dans la faculté des sciences historiques de l’Université de Moscou. Je suis donc un spécialiste dûment diplômé de l’histoire russe. Mes œuvres publiées se limitent à quelques volumes.

    Bakounine et Sorel

    En 1958, j’ai rédigé une brochure dans la clandestinité. Elle s’intitulait L’opposition ouvrière et la dictature du prolétariat. J’y opposais les idées de Bakounine et de Georges Sorel au marxisme. Le thème de mon diplôme universitaire a été : Nikolaï Danilevski et son rôle dans le développement de l’idéologie slavophile(1968). On menaçait de m’envoyer en prison une nouvelle fois pour avoir osé écrire ce travail. Vous trouverez en fin d’entretien la liste complète de mes œuvres et travaux. La plupart de ces ouvrages n’ont jamais été publiés.

    De 1971 à 1974, j’ai participé à l’édition du revue du samizdat, Vetché. “Vetché” signifie l’assemblée populaire des Anciens Slaves. Aujourd’hui, je suis membre de la rédaction de l’hebdomadaire Rousski Vestnik, depuis sa fondation en 1991.

    • Quelles sont les sources de votre pensée ?

    En 1953, j’ai acheté chez un bouquiniste le Zarathoustra de Nietzsche, d’abord en allemand, ensuite en russe. La pensée de Nietzsche a immédiatement exercé une grande influence sur moi. De Nietzsche, je suis passé à Schopenhauer, et, plus tard, je me suis senti attiré par la religion chrétienne, mais, rapidement, l’Antéchrist de Nietzsche m’a empêché d’adopter la foi orthodoxe, ou d’adhérer à une autre foi d’origine juive.

    En 1964, quand j’ai quitté la prison, je me suis occupé de biologie, de la théorie de Darwin, des lois de l’évolution biologique. Ces études m’ont aidé à comprendre plus profondément le processus historique. Nikolaï Danilevski aussi était biologiste. J’ai trouvé dans sa théorie une synthèse de mes propres conclusions et des opinions slavophiles de mes amis de l’époque. Pour moi, les idées de Vladimir Soloviev et d’autres spiritualistes dans la même veine sont restées profondément étrangères car elles arrachent “l’esprit” à son fond terrestre.

    A. F. Lossev — et là mon opinion est très différente de celle de mon collègue Toulaev — fut à mes yeux un fanatique chrétien, et comme tous les penseurs de cet acabit, il hait la Renaissance et dévalorise cette époque dans le livre qu’il y a consacré.

    Quant à Dostoïevski, je l’estime au titre de grand écrivain, mais je le tiens simultanément pour un idéologue très dangereux, surtout pour le peuple russe. Il a voulu communiquer aux Russes une idée nocive, c’est-à-dire lui donner un sentiment d’élection, comme les Juifs, et lui faire croire qu’ils étaient un peuple “panhumain”, capable de comprendre l’âme de n’importe quel autre peuple. Les peuples qui cultivent de telles prétentions et de telles illusions finissent mal… 

    Une vision lucrétienne et non romantique de la nature

    • Quelles sont les grandes lignes de votre conception du monde ?

    Première remarque, je ne peux pas m’imaginer le monde comme un tout harmonieux. L’essence du monde est le tragique, la césure et la coupure tragiques. Il ne s’agit nullement d’une scission entre l’esprit et la matière, non, la ligne de cette scission coupe le royaume de l’esprit comme il coupe le royaume de la matière. Jadis, je croyais, sous l’influence du zoroastrisme qu’il s’agissait d’une lutte entre les forces du Bien et les forces du Mal, mais, plus tard, j’ai bien dû conclure que c’était des forces aveugles et irrationnelles, luttant les unes contre les autres. Raison pour laquelle le culte de la Nature de nos néo-païens est étranger pour moi. Je suis d’accord avec Lucrèce : Nequaquam nobis divinitus esse paratam / Naturam rerum : tanta stat prædita culpa [La nature n’a nullement été créée pour nous par une volonté divine : tant elle se présente entachée de défauts, in : De Natura rerum, V, v. 198-199. Pour Lucrèce, il n’y a, pour l’homme, d’autre providence que lui-même]

    • La Russie actuelle a-t-elle des perspectives ?

    Aucune. Je suis d’accord avec le colonel Sergueï Morozov, auteur du livre La conspiration actuelle contre les peuples de Russie (1999) et d’un article pertinent dans la revue Munitions (décembre 1999). La principale conclusion de Morozov est de dire que la nation russe n’existe plus. La vieille nation meurt. La nouvelle nation n’est pas encore née. Dans les circonstances actuelles les appels à la “conscience nationale” sont vains : pas de nation, pas de conscience nationale. D’où la défaite de tous les partis nationalistes russes aux élections. Mais, malgré toutes ces défaites, les nationalistes russes ne sont toujours pas parvenus à comprendre qu’ils ne sont qu’une “minorité nationale” au sein d’une population sans face, qui n’a plus de face. Il faut préciser : il y a deux minorités nationales russes : les débris de la vieille nation, vivant dans le monde illusoire de la “Sainte Russie” et le germe de la nouvelle nation, encore très éloigné de sa forme finale potentielle. Et que voulez-vous faire hic et nunc avec un “germe” ?

    L’Union Européenne n’est qu’un rimland des États-Unis

    • Quelles sont vos opinions géopolitiques et leur influence sur les débats à la Douma ?

    La première chose que je dois vous dire, c’est qu’un débat interne m’oppose en quelque sorte à Monsieur Toulaev qui dit que ses propres idées géopolitiques se sont formées sous l’influence des travaux d’Alexandre Douguine. Or Monsieur Douguine n’est pas à proprement parler un géopolitologue patenté : il popularise certes avec brio les idées d’autres gèopolitologues. Personnellement, je ne crois pas que l’on peut élaborer une géopolitique au départ de sources de seconde main. Ensuite, au-delà de ce débat entre nous, je dois dire que même les classiques de la géopolitique ne nous offrent pas une “écriture sainte”. Dans les colonnes de NdSE, Louis Sorel a eu les mots justes : « Il n’y a pas d’issue déterminée à l’affrontement entre Terre et Mer » et « Au duopole Terre-Mer on substituera le triangle géopolitique-géostratégique Terre-Mer-Air » (cf. NdSE n°35-36). Ce que l’on appelle “l’Eurasie” n’est pour moi qu’une fiction géographique et n’oblige personne. Le conflit des civilisations est une triste réalité. L’agression commise par les États-Unis et les pays européens membres de l’OTAN contre la Yougoslavie et la campagne que Washington et le bout d’Europe qui lui est inféodé contre la Russie, qui offenserait cruellement les “pauvres Tchétchènes”, nous montrent que l’Europe catholique et protestante fut et reste l’ennemie des pays slaves orthodoxes. L’Union Européenne n’est qu’un “rimland” des États-Unis. Elle n’est pas et ne sera jamais une force indépendante. Jean Parvulesco a raison quand il écrit dans vos colonnes : « La France et l’Allemagne se retrouvent à la pointe de l’assujettissement à la ligne de Washington » (NdSE n°42). C’est pourquoi tous les espoirs des politiciens russes en d’éventuels alliés européens sont vains.

    Je partage également les opinions d’Alexandre Del Valle, auteur d’Islamisme et États-Unis : une alliance contre l’Europe, mais j’ai envie — je ne vous le cache pas — de changer quelque peu le titre de son livre : “Islamisme, États-Unis et Europe : une alliance contre la Russie”. L’islamisme est effectivement aujourd’hui la plus grande menace pour la paix dans le monde. Pour répondre à cette menace, il faut créer un front commun de tous les pays menacés par l’islamisme, de la Yougoslavie à la Russie et de l’Inde à la Chine. Le triangle Russie-Inde-Chine, clef de voûte de la géopolitique de Primakov, constituerait une réponse adéquate aux prétentions des mondialistes.

    Quant au comité pour les problèmes géopolitiques de la Douma, il n’a jamais été qu’un “jouet” pour le parti de Jirinovski. En fait, je le déplore, mais il n’avait aucune influence. Dans la nouvelle Douma, ce parti a encore moins de députés. On lui a donc ôté son jouet. Le Comité géopolitique a été liquidé.

    • Comment voyez-vous la future collaboration entre les nouvelles droites en Russie et en Europe occidentale ?

    De mon point de vue, votre refus du terme “Nouvelle Droite” est pleinement justifié. Il faut surmonter la dichotomie “gauche-droite”. Nous souhaitons l’effondrement de l’Europe officielle, celle de Maastricht. Christian Rogler a écrit dans la revue allemande Signal (n°130, 1999) : « EU-Europa ist unweigerlich zum Scheitern verurteilt und sollte man keine Trane nachweinem » (L’Europe de l’UE est irrémédiablement condamnée à l’échec et on ne devra pas verser une seule larme après son trépas). Mais je crois qu’il y a dans chaque pays d’Europe, tout comme en Russie, une minorité qui se souvient du passé et tourne ses pensées vers l’avenir. Nous sommes les représentants d’une civilisation commune au dessus du monde des civilisations rivales. Julius Evola a écrit : « La seule perspective qui reste est celle d’une unité invisible dans le monde, par-delà les frontières, de ces rares individus qui ont en commun une même nature, différente de celle de l’homme d’aujourd’hui » (in : Chevaucher le Tigre). J’espère trouver parmi les synergétistes d’Europe les hommes et les femmes de la trempe de ces “rares individus” évoqués par Evola.

    ► propos recueillis le 15 février 2000, Nouvelles de Synergies Européennes n°44, 2000.

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    ◊ Liste des livres et essais d’Anatoli M. Ivanov :

    • Le Général Skobelev, capitaine et politicien (1968)
    • L’idéologie des populistes révolutionnaires russes (“Narodniki”) (1969)
    • Le mystère des deux principes : L’origine du christianisme (1971)
    • Le triomphe des suicidés. La première guerre mondiale et la révolution de février 1917 en Russie (1974)
    • La réforme agraire de Piotr Stolypine (1976)
    • Le dimanche sanglant du 9 janvier 1905 (1977)
    • La logique du cauchemar : La terreur de Staline (1978 ; édition allemande, Logik des Alptraumes, Verlag der Freunde, 1994)
    • Histoire des Vénètes (1980)
    • Zarathoustra a parlé autrement : Les fondements de la conception aryenne du monde (1981 )
    • La tradition templière dans la franc-maçonnerie (1982)
    • La civilisation mégalithique (1983)
    • Le Prince de ce monde : Du satanisme dans la littérature mondiale (1986)
    • La décadence de l’Empire romain (1987)
    • La légende noire de l’inquisition espagnole (1988)
    • Nietzsche et Evola (1996)
    •  La deuxième chute de Montségur (1998)


    Anatoli M. Ivanov a également participé à la revue du samizdat Vetché, de 1971 à 1974 (Vetché signifie l’assemblée populaire des anciens Slaves) [il usera aussi du pseudonyme Valeri Stukarlov]. Il est membre de la rédaction de l’hebdomadaire Rousski Vestnik depuis sa fondation en 1991. La plupart des œuvres mentionnées ci-dessus n’ont pas été publiées et cherchent un éditeur.

     

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    Trois Europe, trois pays

    Sur plus d’un point, je marque mon accord avec mon ami français Guillaume Faye. Nous avons effectivement besoin d’une utopie positive, d’autant plus que la définition de celle-ci correspond à celle du mythe, telle qu’elle nous a été léguée par Georges Sorel : le mythe est le but des efforts déployés. Le mythe est réalisable mais sa réalisation est difficile et exige beaucoup d’efforts pour arriver au succès dans la lutte, exige aussi le sacrifice de soi mais non pas avec cette joie triste des chrétiens dévorés par les lions, plutôt avec l’extase dionysiaque. Le mythe est une projection du pouvoir, générée par des hommes rares qui forgent une conception de l’avenir. Avant de vouloir, il faut créer un projet, susciter l’émergence d’une vision du monde.

    Le mythe est donc un bon atout. Les sceptiques nous diront cependant que nos mythes n’inspirent plus que nous-mêmes. Et parmi ces mythes, il y a la conception fausse d’une Europe unie.

    Il y a un siècle et demi, Nikolaï Danilevski, principal idéologue du slavisme russe, défendait, dans son ouvrage célèbre, La Russie et l’Europe, une double thèse : Russie et Europe sont deux mondes différents et l’Europe ne connaît pas la Russie, ne peut pas la connaître et ne veut pas la connaître. Sa thèse de la méconnaissance de la Russie par l’Europe reste actuelle. Pavel Toulaev a participé, en novembre l’année dernière [ndt : en 2006], à une conférence internationale à Madrid, d’où il nous a rapporté une affiche titrant « Ellos guian nuestra Europa » (Ils guident notre Europe). L’affiche reproduisait en outre trente portraits de penseurs ou d’écrivains : parmi eux, je n’ai trouvé aucun Russe, sans parler des Slaves en général. Conclusion : devons-nous distinguer ainsi LEUR Europe de NOTRE Europe ?

    La seconde thèse de Nikolaï Danilevski ne correspond pas à la vérité. La présence de délégués européens à notre colloque précédent, et à celui d’aujourd’hui, prouve le contraire. S’ils peuvent et veulent nous connaître ? L’avenir le montrera.

    Mais l’Europe de Danilevski est, elle aussi, une abstraction. Plekhanov ironisait à ce sujet, en disant qu’il ressemblait au gamin juif d’un récit qui divisait le monde en deux parties : la Russie et l’étranger. Il y a quatre ans, à l’époque où l’Irak était agressé, les Américains, mécontents de la position prise alors par la France et l’Allemagne, ont forgé une nouvelle dichotomie, en opposant les pays dits “énergiques” aux pays dits “passifs”, ce qui me rappelle la classification raciale d’un savant allemand, Klemm, qui posait, lui aussi, une dichotomie entre races actives et races passives. Il tenait, bien évidemment dans le contexte de son époque, les Slaves pour les représentants d’une race “passive”.

    Les considérations des Américains actuels ne sont pas aussi généralisantes : quelques pays slaves ont récolté leurs compliments, surtout la Pologne. Les Américains ont utilisé celle-ci pour enfoncer un coin dans l’Axe Paris-Berlin-Moscou. Il faut dire, avec regret, que cet Axe, en lequel Jean Parvulesco et d’autres ont placé de grandes espérances ne fut qu’une vision éphémère. Le changement de gouvernement en Allemagne l’a brisé et, après l’élection en France du russophobe Sarközy, il ne reste de cet Axe que des débris.

    Mais il ne faut pas confondre les États et les peuples. Charles Maurras, qu’on a parfois appelé le “Marx de la Droite” affirme qu’il n’existe pas seulement un « pays légal », c’est-à-dire un pays officiel, mais aussi un « pays réel », ce que l’on appelle aujourd’hui la “majorité silencieuse”. Maurras a cru que cette majorité silencieuse pensait comme lui, qu’elle était au fond royaliste et catholique. Il s’est trompé : son “pays réel”, en effet, était plutôt irréel, imaginé.

    On peut idéaliser son peuple ; ou, au contraire, on peut désespérer de ses possibilités, de son avenir. Un exemple classique nous en est fournit par la discussion entre Tchernytchevski et Dobrolioubov. Cette discussion nous est livrée par le roman Le Prologue, où l’auteur s’est représenté, lui et son ami, sous les noms de “Volguine” et “Levitski”. Dobrolioubov n’était pas d’accord avec son interlocuteur qui disait : « Le peuple est mauvais et bas dans la même mesure que le monde est beau ». Et Tchernytchevski racontait par dérision que les artisans chantaient, fin saouls : « Nous ne sommes ni voleurs ni brigands, nous sommes ouvriers de Stenka Razine ! ». Mais après le premier cri d’un policier, ces « anciens ouvriers de Razine » se dispersent tout de suite, en remerciant Dieu qu’ils ont rencontré un bon policier. On cite souvent la piètre estime dans laquelle est tenue le peuple russe dans ce roman : « C’est une nation misérable, tous sont des esclaves, du haut en bas ». Comment cette nation, à son avis “misérable” a pu vaincre Napoléon ou, du vivant même de l’auteur, libérer la Bulgarie du joug turc, ce démocrate-révolutionnaire n’a pas pu nous l’expliquer. Nekrassov doutait aussi des capacités du peuple russe :

    « Si tu te réveilleras, plein de forces…
    Ou si tu as déjà fait tout ce que tu as pu :
    As-tu créé une chanson qui ressemble à un gémissement
    Pour t’endormir ensuite pour toujours ? ».

    L’activité politique est sans aucun doute l’indice le plus important pour juger des ressources en énergie d’une nation, mais elle n’est pas le seul indice. Il y en a au moins un autre : c’est la capacité à construire un État. Mais un État qui ne doit pas se substituer au peuple. L’écrivain français Georges Bernanos écrivait dans son Journal, au début de la Seconde Guerre mondiale, encore avant la défaite de la France : « On a volé la France aux Français, depuis qu’on leur a mis dans la tête que la France était uniquement l’œuvre de l’État, non la leur ». Et : « On a substitué au sentiment de la patrie la notion juridique de l’État ». Et voilà le résultat, ajoutait-il, « les Français n’ont plus de patrie » (cf. Les enfants humiliés). Les fruits d’une telle substitution sont toujours d’abord la stagnation, et puis l’effondrement.

    L’État soviétique fut très fort mais tout le monde sait, aujourd’hui, quelle fut sa triste fin. Je note avec inquiétude tous les signes d’engourdissement de notre État et j’observe avec envie la vie politique orageuse, tempétueuse, de l’Europe orientale : Pologne, Roumanie, Ukraine. Vraiment, il y a deux Europe. La première est celle des pays où les sentiments nationaux demeurent aigus, où l’énergie non épuisée des peuples trouve à se manifester vers l’extérieur. Et puis, il y a celle où les sentiments sont émoussés, où règne l’apathie, l’indifférence et le je-m’en-fichisme.

    Alors, et la dichotomie de départ ? Russie et Europe ? Il y a la Russie et les deux Europe. Où la Russie et la troisième Europe, différentes des deux précédentes mais néanmoins aussi l’Europe.

    Vous dites, chers interlocuteurs, qu’il n’y en a que deux, la Russie et l’Union Européenne ? Mais l’élargissement de l’UE fait de celle-ci une instance de plus en plus instable. Perle parmi les nouvelles acquisitions de l’UE est la Pologne qui, fidèle à ses traditions, utilise son liberum veto envers et contre l’avis de toute l’Europe, médusée. Mais quelle raison les Européens ont-ils de s’étonner ? Il faut se souvenir de l’histoire.

    La Pologne se pose comme obstacle au rapprochement mutuel entre l’UE et la Russie. Mais quelle Pologne : la Pologne légale ou la Pologne réelle ? Nous savons, par exemple, que malgré les affects anti-russes traditionnels des Polonais, plus de la moitié de la population polonaise s’oppose à l’installation des bases militaires américaines sur le territoire de sa patrie. Mais que faire, si ton peuple se tait, s’il est privé de la possibilité d’exprimer son opinion, si les autorités “légales” ne s’intéressent pas à cette opinion, se contentant de ‘sondages’ falsifiés à plaisir ?

    On peut imaginer que le peuple se tait à l’unisson avec toi, à la Maurras ; on peut désespérer du peuple, à la Tchernytchevski. Mais se dernier ne se perdait pas en conjonctures pour deviner comment se transformerait le peuple, seize ans après sa mort.

    À part les deux pays de Maurras, le légal et le réel, il y en a encore un troisième, que j’appellerai le “peuple potentiel”. Nietzsche le devinait quand il disait : « Aimez le pays de vos enfants ». S. Morozov, dont je cite constamment le livre La conspiration actuelle contre les peuples de Russie, affirme que nous traversons une période transitoire, où la vieille nation russe n’existe plus et la nouvelle nation n’existe pas encore. Mais l’image de cette nouvelle nation reste vague, y compris pour l’auteur du livre lui-même.

    L’image de l’Euro-Russie, évoquée dans les milieux amis d’Europe occidentale, est encore plus vague. Gabriele Adinolfi, rédacteur auprès de la revue italienne Orion, a prononcé un discours très important, qui est publié dans la revue espagnole Tierra y Pueblo (septembre 2006). Dans ce discours, Adinolfi exprime sa crainte : « Plus nous sommes immergés dans la réalité, plus nous la reflétons. Plus la sphère de notre imagination est vaste, plus ses contours seront indéfinis et nous ne pourrons les dessiner ». L’hypothèse de l’Euro-Sibérie ne se base, à son avis, que sur un espoir mal fondé. Nos pensées planent dans le domaine de la politique extérieure. Nous transférons nos propres vœux aux pays exotiques, que nous ne connaissons pas pratiquement. Cette Euro-Sibérie désirée, conclut Adinolfi, pourra s’avérer un mirage dans le désert.

    Je voudrais ajouter une observation, tiré de mon expérience vitale. Quand il pleut, il semble toujours que le trottoir d’en face est plus sec, mais quand on traverse la rue, on s’aperçoit qu’il est mouillé dans la même mesure. Il y a vingt ans, Guillaume Faye plaçait ses espérances dans un réveil de l’Allemagne. En vain. Aujourd’hui, il les place dans une renaissance de la Russie. Et demain ?

    Les catégories de pensée que sont l’Empire, l’État, etc. ne sont pas destinées à nous. Si nous sommes incapables de récolter suffisamment d’argent pour payer un billet d’avion Moscou/Paris ou pour louer une salle, nos affaires sont posément désastreuses. Mais, dans le même temps, nous songeons à construire l’Empire ! Gabriele Adinolfi compare notre situation à celle des premiers chrétiens dans l’Empire romain. À mon avis, c’est la seule comparaison adéquate, mais il saute, en la posant, par-dessus une grande étape historique nécessaire, parce qu’il nous parle des chrétiens, qui avaient déjà un canon et des structures bien organisées. Nous, nous n’avons rien. Les chrétiens ne rêvaient pas de l’Empire, au contraire, ils le tenaient pour un ennemi. Ils cherchaient le Royaume de Dieu et on sait que ce Royaume n’est pas d’ici ou de là, il est “dedans de nous”, ou, en d’autres mots, “au centre de nous-mêmes”.

    Il me paraît curieux que Gabriele Adinolfi prêche la même chose. Il croit, par exemple, que le fameux choc des civilisations a lieu au-dedans de nous et que nous devons mettre en ordre notre monde intérieur avant de résoudre les problèmes mondiaux. Il doute ensuite de l’existence réelle d’une communauté spirituelle qui nous serait propre et dont les membres pourraient se référer à un “nous”. Je partage ses doutes, parce que quand on me suggère une “synthèse organique” qui serait un mélange étrange de Gengis Khan et des saints chrétiens, je le dis sans circonlocutions inutiles : je ne ferai jamais partie d’un tel “nous” ! Existons-nous ? Non. Pour le moment. Mais je suis convaincu que nous existerons.

    ► Anatoly Ivanov, 1987.

     

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    Identité et socialisme en Russie

    Entretien avec Anatoli Ivanov

    Tous les Européens tournent anxieusement leurs regards vers la Russie. Les élections de la Douma n'ont pas profité à l'opposition nationale, qui n'a pas obtenu la majorité des sièges escomptée. L'opposition de gauche a pris, elle, un poids considérable. Mais le vieux clivage gauche/droite, cher aux démocraties vermoulues d'Europe occidentale et des États-Unis, est beaucoup plus fluide en Russie car l'anticapitalisme et l'anti-américanisme sont aux programmes de ces deux blocs oppositionnels. C'est en tenant compte de cette réalité idéologique que le spécialiste allemand des questions russes, Wolfgang Strauss, est allé s'entretenir avec notre correspondant russe, Anatoli M. Ivanov, fin observateur de la vie politique russe actuelle (Robert Steuckers).

    ***

    • Aviez-vous envisagé la victoire de l'opposition de gauche ?

    Oui. J'avais pronostiqué 30%. Mais la concentration des voix sur le parti de Ziouganov a été plus forte encore que je ne l'avais imaginé (au lieu de 15%, il a obtenu 22%). Les partisans du PC ont ainsi évité une dispersion des votes. Je connais même d'anciens détenus politiques qui ont voté pour le PCFR. Le parti Troudovaïa Rossiya (La Russie au Travail) de Viktor Ampilov a engrangé 4,5% des voix et obtenu un seul mandat direct. Le Parti Agrarien a eu 4% et 20 élus directs. Le bloc électoral Le pouvoir au peuple n'a, lui, obtenu que 1,5%, mais s'est assuré la majorité dans onze circonscriptions. Ses têtes de liste, Ruchkov et Babourine ont désormais un siège au Parlement.

    • Ces résultats ont-ils été obtenus au détriment de l'opposition nationale ?

    Sans nul doute, on peut dire que l'aile nationale du spectre politique russe est sortie affaiblie de ces élections. Jirinovski a eu 11% et a subi ainsi une défaite dans toutes les circonscriptions où le vote personnel avait de l'importance. Parmi ses 180 candidats directs, un seul a obtenu un siège.

    • Le fiasco du Congrès des Communautés Russes (CCR) était inattendu : il n'est pas parvenu à passer la barre des 5%…

    Dans les circonscriptions à vote majoritaire, le CCR a gagné cinq mandats, parmi lesquels celui du Général Alexandre Lebed. Tous les observateurs de la vie politique russe pensent que la raison principale de cet échec provient de la personnalité de Skokov, fort antipathique. Cet homme figurait en tête de liste. Le maigre résultat du CCR diminue considérablement les chances du Général Lebed dans la prochaine course à la présidence.

    • Et qu'est-il advenu du mouvement social-patriotique Derchava, dirigé par le Général Routskoï, le héros de la Maison Blanche en octobre 1993 ?

    Ce mouvement a dû encaisser une défaite totale. Il n'a obtenu que 2% des voix et n'a gagné aucun mandat direct.

    • Et les autres figures de proue de l'opposition nationale qui se sont présentées dans les circonscriptions à élection directe ?

    Elles ont toutes été perdantes. Nikolaï Lyssenko, le chef des nationaux-républicains, a connu l'échec tout comme les candidats de la Fédération des Patriotes, les généraux Sterligov et Atchalov, et les militants du Semskii Sobor (L'Assemblée du Pays), parmi lesquels l'ancien député Astafiev, un chrétien démocrate. Le cinéaste Stanislav Govoroukhine de l'Alliance Populaire, porte-paroles de la fraction constituée par le petit Parti Démocratique dans l'ancienne Douma, a gagné les élections dans sa circonscription à vote majoritaire, grâce à l'appui des communistes ; en revanche, ses co-listiers Axioutchiz (libéral) et Roumiantsev (social-démocrate) ont perdu. Les locomotives du “Parti National-Bolchevique”, Edouard Limonov et Alexandre Douguine, n'ont eu aucun succès à Moscou et à Saint-Petersbourg. Le célèbre animateur de télévision Alexandre Nevzorov a été réélu à Pskov. Le Mouvement Populaire Russe, fondé par les Cosaques de Sibérie, n'a obtenu que 0,13% des voix. Quant aux atamans des Cosaques du Don, Ratiyev et Kosytsine, ils n'ont pas pu s'affirmer dans leurs propres circonscriptions électorales.

    • Mais quel est le résultat final de tout cela, en termes de sièges à la Douma…

    … les partis d'opposition nationale ont 20%, le parti gouvernemental de Tchernomyrdine n'a que 9%. Le rapport des forces est de 51-49. L'opposition, droites et gauches confondues, obtient 51% ; Tchernormyrdine, c'est-à-dire Eltsine, et différents partis démo-libéraux, obtiennent 49%.

    • Au vu de ses résultats, peut-on dire que les pronostics pour les élections présidentielles du 16 juin doivent être totalement révisés ?

    Certainement. Tous les pronostics émis avant le 17 décembre se basaient sur des appréciations exagérées de la popularité de Lebed. Il ne reste plus que deux favoris à l'heure actuelle : Ziouganov et Jirinovski. Chacun d'eux peut battre Tchernormyrdine, mais pas Eltsine ! Le CCR fait contre mauvaise fortune bon cœur et cherche les causes de sa défaite dans les brouilles internes du mouvement, dans les intrigues de ses propagandistes, en un mot, partout, sauf, dans ses propres erreurs de gestion.

    • Ce qui intéresse tout particulièrement les lecteurs allemands et ouest-européens, militants des diverses oppositions nationales comme anti-fascistes en quête de sensationnel, c'est l'échec complet du mouvement Unité Nationale Russe, qui a fait la une de beaucoup de journaux à cause de son style qui rappelait les années 30…

    Pour ce qui concerne son leader, Alexander Barkachov, il faut dire que son avocate, Madame Dementyeva, a subi une défaite à Moscou, tandis que son second candidat a échoué dans la région de Kalouga. Un ancien partisan de Barkachov, Alexander Fiodorov, s'est porté candidat pour le Parti Russe à Mytichtchy dans la région de Moscou : en vain, résultats nuls! Quant au célèbre Wedekin, il a connu l’échec à Lioubertzy, également dans la région de Moscou. Nos grandes villes ne se prêtent pas à ce type d’“aventuriers politiques”, comme les appellent les libéraux. Alexander Nevzorov a été plus pertinent : il s'est porté candidat en province, à Pskov, et a gagné.

    • Il est étonnant que ce mouvement national, si bien capillarisé dans la société, si diversifié, alignant tant de partis et de cartels électoraux, n'a obtenu que des résultats aussi misérables. En tant qu'analyste patenté de cette nébuleuse de partis d'opposition nationale, pourriez-vous nous expliquer les causes de cet échec ?

    Il y a deux causes principales, d'ordre technique et organisationnel. D'abord, ils n'ont pas été en mesure de réunir les 200.000 signatures par liste prévues par la loi électorale. Ensuite, ils ne possédaient pas de “réserves” de voix, ce qui permettait à la “commission électorale centrale” de les exclure très aisément de la course. Plusieurs partis ont été victimes de cette débâcle : le Parti Russe du Colonel Milozerdov, le parti Renaissance, le Parti National Populaire de Vladimir Ossipov (un ami de jeunesse, prisonnier politique de 1961 à 1968 et de 1974 à 1982), la Fédération des Patriotes, enfin, le Semskii Sobor dans lequel militaient le célèbre sculpteur Klykov et le rédacteur en chef du journal Rousski Vestnik (Le messager russe), Sénine, qui figurera en tête de liste.

    • Donc, dès le départ, c'est Jirinovski qui a eu les meilleurs atouts en mains ?

    Quelle que soit la position que l'on adopte à son égard, quel que soit le jugement que l'on puisse porter sur sa personne, ses succès électoraux nous obligent à réfléchir. L'élément principal dans ce phénomène politique, c'est que Jirinovski incarne le type même de l'activiste politique moderne capable de conquérir la sympathie du public et qui ne palabre pas inlassablement sur le bon vieux temps d'il y a cent ans…

    • Il est tout de même étonnant qu'aucun rival ne se mette en travers du chemin qu'emprunte cet homme haut en couleurs, qu'aucun concurrent crédible venu du camp de l'opposition nationale, qu'aucun populiste véritable ne se lève pour lui barrer la route…

    • Effectivement ! Lors des élections pour la Douma en décembre 1993, Jirinovski a profité de la colère populaire après l'assaut sanglant lancé par les troupes d’Eltsine contre le Parlement (la Maison Blanche). Jirinovski a pu ainsi se hisser au-dessus des cadavres des défenseurs de la Douma et confisquer à son profit leurs mots d'ordre nationaux russes. En 1995, les démocrates annonçaient urbi et orbi  que le parti de Jirinovski n'allait jamais passer la barre des 5%. Aujourd'hui, ils s'étonnent une fois de plus des succès enregistrés par Jirinovski. On peut se poser la question : pourquoi aucun homme politique du camp national ne peut-il dépasser Jirinovski en popularité, pourquoi aucun d'entre eux ne peut-il exercer le même pouvoir d'attraction sur les masses populaires, ne fait-il preuve d'une autorité comparable ?

    • La Russie ne possède-t-elle donc pas d'homme charismatique dans le camp des nationaux ?

    Pendant toute une période, on a pensé que le général Alexander Routskoï allait pouvoir jouer ce rôle. Sous la bannière de son mouvement Derchava, plusieurs opposants du camp national se sont unis, tels Axioutchitz, Astafiev, Pavlov, Artemov et le colonel Alksnis. Mais on n'a assisté par la suite qu'à des démissions, des scissions, des intrigues. C'est ainsi que Routskoï a perdu son prestige, qu'il n'a plus pu jouer le rôle d'intégrateur. L'échec de son mouvement met un terme définitif à ses ambitions dans les élections présidentielles. Après le désastre subi par Routskoï, les mouvements patriotiques ont placé leurs espoirs dans le général Alexander Lebed. Mais contre toute attente, son CCR a subi une terrible défaite en décembre 1995. Du fait que le CCR n'a pas réussi à se tailler une part dans les sièges de la Douma, on a accusé son président, Youri Skokov, d'avoir mal géré le mouvement derrière lequel se profilait le populaire général. La stratégie de Skokov a suscité l'incompréhension voire le rejet des nationaux-patriotes. Non seulement parce que le technocrate Skokov pactisait en coulisse avec le parti de Gaidar, mais parce que Skokov prétendait qu'il n'existait pas de Russes ethniquement purs et que, dès lors, la Russie devait être transformée, par le biais d'un référendum, en une Union d'ethnies diverses.

    • Mais les causes de l'échec de l'opposition nationale ne sont-elles pas plus profondes, ne sont-elles pas à rechercher au-delà des querelles de personnes, c'est-à-dire dans le discours idéologique lacunaire qu'elle tient et dans les stratégies déficitaires qu'elle pratique ?

    Bien sûr. Quoi qu'on puisse dire sur Routskoï, il a eu des moments de grande lucidité. La grande tragédie de la Russie, a-t-il dit lors d'un entretien avec la presse, est d'avoir considérer que les deux grandes idées mobilisatrices de notre siècle, l'idée de justice sociale et l'idée d'identité nationale, ont été considérées comme des antinomies. Effectivement, quand un militant politique s'engage pour le salut de sa nation et oublie la justice sociale, ou quand un militant socialiste s'engage à fond pour la justice sociale et oublie le salut de la nation, ils font tous deux fausse route, s'engagent dans une impasse. Hélas, Routskoï n'a fait que signaler ce problème majeur, il n'a suggéré aucune solution. Mais si les nationaux parvenaient à s'en rendre compte et à agir en conséquence, les communistes perdraient rapidement leur marge de manœuvre en Russie.

    • Autre sujet : la situation des Allemands de Russie autorise-t-elle quelqu'espoir ? Quelles sont leurs chances de retrouver une dose d'autonomie ? Comment leur futur se dessine-t-il ? Vont-ils rester ? Vont-ils émigrer ?

    La situation des Allemands de Russie a été soumise à discussion dans la Douma le 17 novembre 1995. C'est une déclaration du député communiste Oleg Mironov qui a ouvert les débats. Dans la circonscription électorale d'Engels, ce député a proposé de voter le 17 décembre pour le national-républicain Lyssenko. Mironov a dit : « Dans la région de Saratov les relations entre les nationalités sont en train de se dégrader. D'après les résultats de sondages locaux, la population russe refuse catégoriquement que ce crée un État allemand sur le cours de la Volga [ndlr : comme avant 1941]. Il est dangereux de soulever à nouveau cette question. Parmi les habitants de cette ancienne république autonome règne désormais un certain désarroi ; ils pensent : des Allemands dans la région ? Oui ! Une autonomie ? Non ! ».

    • Il n'y a pas eu de voix pour s'opposer à cette opinion ?

    Si. Le ministre des nationalités Mikhaïlov a répondu que les données qu'avançait Mironov étaient obsolètes et remontaient aux années 1988-89. A cette époque-là, la situation avait été très tendue ; aujourd'hui, quelque 17.000 Allemands se seraient installés dans la région, dont 65 à 70% des familles seraient mélangées, seraient donc germano-slaves. Près de 80% des Allemands de Russie vivaient auparavant en Sibérie occidentale, soulignait le ministre.

    • Jirinovski a-t-il participé aux débats ?

    Oui, en lançant la phrase suivante : « Nous devrions cesser définitivement de parler de la création d'une quelconque autonomie pour les Allemands de Russie. Au Kazakhstan, s'il vous plait ».

    • Qu'a répondu le ministre ?

    En citant des faits. Voici ce qu'il a dit, textuellement : « Après la guerre, 1,7 million d'Allemands ont quitté l'URSS et, au cours de ces trois dernières années, 200.000 Allemands supplémentaires sont encore partis, la plupart venant du Kazakhstan, d'Asie centrale». Un tiers de ces réfugiés sont revenus s'installer en Sibérie occidentale russe, où nous avons constitué deux arrondissements nationaux allemands, dans la région de l'Altaï et dans la circonscription d'Azov dans la région d'Omsk. 70.000 Allemands du Kazakhstan et d'Asie centrale  — dans ce cas aussi, nous avions affaire à des familles mixtes — ont souhaité s'installer dans la circonscription d'Azov ». Ensuite, Mikhaïlov a dit, plein d'espoir : « Nous avons donc un bilan positif. Au cours de ces deux dernières années, plus d'Allemands ont quitté la région de Saratov que de nouveaux arrivants y ont été enregistrés. Dans des circonstances favorables, 150.000 à 160.000 Allemands pourraient trouver une nouvelle patrie sur les rives de la Volga ».

    • Monsieur Ivanov, nous vous remercions de nous avoir accordé cet entretien.

    ► entretien paru dans Europa Vorn n°100, avril 1996.

     

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