• BrasillachEncore dernièrement, Brasillach semblerait sulfureux à citer, du moins pour ces pisse-copies qui ne seraient pas en reste pour finir à la lanterne. Plus probe pourtant nous semble de ne juger un homme ni d’après son nom, ni d’après le nom de ses amis, ni d’après le nom de ses idées. L’enthousiasme militant dès 1937 pour une “Révolution Nationale” en France, marqué par le contexte de l’entre-deux-guerres où l’ennemi principal reste pour lui le communisme, a certes pris parfois en défaut sa lucidité (antisémitisme de veine anticapitaliste), il n’en reste pas moins un homme de lettres que nous saluons et qui, comme Sartre au final, excelle dans le domaine de la critique : Portrait de Virgile, Les Quatre Jeudis, Histoire du cinéma. Certains, comme l'historien H. Amouroux (cf. Apostrophes du 01/12/78), estiment que les hommes de lettre doivent être mis face à leur responsabilité et même payer de leur vie car leur incomberait le rôle d'entraîner la population. Brasillach a été fusillé le 6 février 1945 au Fort de Montrouge parce que c’était un bouc-émissaire (beaucoup ont fait pire que lui), parce que c’est facile de tuer un écrivain (tous les bouchers et les politiciens le savent) et plus difficile de tuer un haut fonctionnaire ou un industriel. Finalement Brasillach a été… le Juif des résistants ! Afin de contextualiser le parcours de cet écrivain méconnu en une période tourmentée, nous présentons ici à titre documentaire un extrait du texte assez long tiré des Études Maurrassiennes n°4 (1980) écrit par Pierre-Marie Dioudonnat : « Maurras et l’Action Française vus par Je suis Partout » (p. 45-58). Au moins pourra être rappelé par là un homme qui, s’il est comme Malraux un enfant de son époque marqué par ses contradictions, appartient à la littérature.

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    (…) Le second point [à relever d'un portrait de Maurras lors d’une conférence de Pierre Gaxotte organisée par JSP en 1937] est plus sujet à controverses, c'est celui de Maurras “maître des révolutions nationales”. Je suis partout affirme, non sans exagération, que l'influence de Maurras est pour une large part à l'origine du renversement des idées en Europe, du réveil des nationalismes, en d'autres termes, du développement des fascismes. Que cette certitude témoigne d'une conception singulièrement large, et sans doute fausse, du fascisme, nous essayerons d'y revenir tout à l'heure. Brasillach écrit :

    « Interrogeons Salazar, Degrelle ou Franco, et ils nous répondent en disant : La France, c'est Maurras. J'ai appris à lire dans Maurras… Partout où se forme un jeune mouvement national, que ce soit en Belgique, en Suisse, en Pologne, il se tourne d'abord vers le traditionalisme révolutionnaire de Maurras ».

    Tout cet aspect s'estompe après Munich, et il n'est pas outré de dire que de ce moment à la défaite, il existe une complète solidarité, dans les idées comme dans le combat politique, entre JSP et L'Action française, même si l'hebdomadaire s'exprime parfois — rarement — en des termes fort différents de ceux du quotidien. Le 14 avril 1939, sous le titre Il faut répondre aux nationalismes menaçants par le nationalisme et non par la démocratie, Brasillach écrit :

    « Il ne faut tout de même pas avoir peur des mots. On ne matera le fascisme étranger que par le fascisme français. Le seul vrai fascisme. Ne croyons pas que nous ayons du goût pour cette avalanche de paperasserie sous laquelle croule le national-socialisme, le fascisme italien. Pas davantage pour les vexations inutiles, les plaisirs en commun et la rigolade par quatre… Mais c'est que justement il y a dans les fascismes étrangers beaucoup trop de démocratie pour notre goût. C'est l'Allemagne et l'Italie qui ont déconsidéré le fascisme… Et nous saurions mieux établir notre fascisme qu'eux, je vous le jure ! Nous saurions lui donner la continuité, le débarrasser des entraves au bonheur, l'appuyer sur une force qui a moins besoin d'être proclamée à chaque instant, qui est plus sûre de soi. Car nous sommes la France… »

    Et, le 2 février 1940, il s'en prend à ceux qu'il appelle les “endormis” :

    « Nous pensons qu'ils n'ont pas lu un des derniers discours de M. Paul Reynaud, où notre ministre déclarait tout net que certains principes, pour désagréables qu'ils nous paraissent, ont fait la force menaçante de l'Allemagne. Ces principes (l'autorité, l'amour de la nation, la nécessité du travail, l’entraide sociale), nous pensons que l'Allemagne a commencé par nous les voler puis par les caricaturer dans la brutalité et l'esprit de système — avant d'ailleurs d'en abandonner carrément quelques-uns, car il y aurait beaucoup à écrire sur l'évolution antisociale du Troisième Reich depuis 1938. Mais nous pensons aussi qu'ils sont bons et qu'ils sont français. Il y a près d'un an, nous écrivions qu'il faut répondre aux nationalismes étrangers par le nationalisme français. Nous n'avons pas changé d'avis. Nous n'avons pas changé d'avis non plus sur le contenu de ce nationalisme ».

    Loin de choquer l'A.F., ce langage lui plaît ; elle cite longuement cet article et Robert Havard de La Montagne en approuve les conclusions : « Les bons principes ne deviennent pas mauvais parce que l'Allemagne en a fait une exécrable caricature ». C'est le 9 février 1940, dans un numéro spécial de JSP consacré à la Finlande, que paraît le seul article spécialement rédigé par Maurras pour l'hebdomadaire. En juin, quand Charles Lesca et Alain Laubreaux, qui dirigent le journal depuis que Brasillach a été mobilisé et que Gaxotte l'a quitté, sont arrêtés Maurras, seul dans la presse, élève une vigoureuse protestation, et se porte garant de leur patriotisme.

    Pourtant, dès l'été 1940, à Vichy, le processus qui aboutit au divorce entre l'A.F. et l'équipe de JSP, qui a cessé de paraître, est amorcé. Rebatet, Laubreaux, rédacteurs à la radio, ont déjà opté pour le rapprochement avec l'Allemagne, et l'A.F. rompt toutes relations avec les membres de ce qu'elle nomme le clan des ya. Des préparatifs sont entamés pour faire reparaître JSP à Paris. Brasillach, prisonnier de guerre en Allemagne, demande qu'on prenne l'avis de Maurras. Celui-ci est fermement négatif : « Comment un journal national peut-il penser à reparaître à Paris et demander une autorisation aux Allemands, sous la censure allemande ? C'est complètement impossible… »

    Les pourparlers avec les occupants durent, car les Allemands suspectent JSP de maurrassisme, mais l'hebdomadaire reparaît à Paris en février 1941 et prétend y défendre le point de vue du nationalisme français — un nationalisme désormais explicitement fasciste — ; c'est dire qu'il se réclame des principes de la politique maurrassienne, réalisme, empirisme, pour justifier la collaboration franco-allemande. Les rédacteurs de JSP ont du mal à se déprendre de l'autorité de Maurras. Tout en préférant citer l'A.F. d'autrefois, ils persistent à chercher des arguments, des références, dans les articles contemporains de Maurras. Le 2 mai 1941, Brasillach qui, libéré, a repris ses fonctions de rédacteur en chef, écrit : « L'avenir appartiendra, écrivait Maurras il y a un demi-siècle, à celui qui saura unir dans un mot la critique de la démocratie et un vocable populaire comme le mot socialisme. Ainsi fut-il ce jour-là le prophète du national-socialisme ».

    Le 10 janvier 1942, un éditorial signé « Je Suis Partout », faisant allusion au procès de Riom, rappelle que Maurras appelait celui-ci, un an auparavant, la pierre de touche de la révolution nationale. D'autres articles opposent les éléments positifs, à leurs yeux, de la politique suivie par l'A.F., aux éléments négatifs. « À l'Action française — écrit L. Rebatet le 13 septembre 1941 en évoquant la presse de zone libre —, les vigoureuses diatribes contre De Gaulle, la chronique clairvoyante et nourrie de Jacques Delebecque voisinent toujours le plus singulièrement du monde avec quelques loufoqueries stratégiques ».

    Deux mois plus tard, Jean Servière — il s’agit d’un pseudonyme utilisé par Brasillach — dans un article sur « les anciens partis », approuve l'antigaullisme de l'A.F., l'anglophobie de Maurras, mais regrette que celui-ci « ne soit pas plus net sur la collaboration ». Il cite toutefois la réponse de Léon Daudet à une interview de Gringoire : « J'ai assisté à Lyon au triomphe sans précédent du maréchal Pétain, il montre que la France n'est pas morte et qu'elle veut revivre dans une collaboration pacifique avec ses voisins… » Déplorant le manque d'information des militants, dont certains sont gaullistes, d'autres attentistes, Jean Servière se réjouit de ce que « les anciens jeunes gens d’A.F. sont à l'avant-garde de la rénovation nationale et de la collaboration européenne ».

    Parallèlement, JSP développe une critique de fond de certaines positions doctrinales de l'A.F. On trouve ainsi, le 16 juin 1941, sous la plume de Brasillach, des phrases sur la monarchie qu'on aurait en vain cherchées avant-guerre :

    « On connaît les arguments de Charles Maurras pour la monarchie. Ils nous semblent, osons le dire, non seulement admirables par leur rigueur logique, mais fondés sur l'expérience et sur la vérité. Aucun royaliste cependant ne nous contredira si nous affirmons qu'il fait jour à midi et qu'il n'y a pas de roi en ce moment. La monarchie est certes un élément de stabilité et de souplesse. Nous l'avons vue dans notre histoire s'adapter à toutes les circonstances. J'ai toujours tenu pour les plus grands rois de France, non seulement Louis XI, qui fut le dictateur de la diplomatie, non seulement Louis XIV qui fut le souverain absolu et seul — mais aussi Louis XIII qui comprit qu'il fallait appuyer Richelieu. De nos jours, le fascisme a conservé la monarchie italienne et s'est appuyé sur elle. Une monarchie française pourrait, le cas échéant, s'appuyer sur un fascisme français. Mais l'interrègne commence à approcher de son siècle d'âge, et nous en sommes au point où le monarque devrait être Hugues Capet, c'est-à-dire beaucoup plus le premier que la suite. C'est au comte de Paris à prouver qu'il est Hugues Capet, pas à nous ».

    C'est en 1942 que les relations entre l'A.F. et JSP s'aigrissent définitivement. L'hebdomadaire ne peut plus dissimuler qu'il n'a plus l'appui de l'A.F. Celle-ci publie en février une note de mise en garde contre une conférence prononcée à Lyon par Brasillach, qui est très affecté par l'attitude de son vieux maître à son égard. Le 7 août, parodiant le slogan La France, la France seule, Brasillach publie sa déclaration de rupture sous le titre La Provence, la Provence seule :

    « Rien ne nous empêchera jamais de rendre aux vieux maîtres de notre jeunesse l'hommage qui leur est dû. Rien ne nous empêchera de garder une reconnaissance éternelle aux lutteurs vaincus de la paix en 1939, dont le combat magnifique contre la guerre est l'honneur de l'esprit humain. Mais le présent reste le présent, avec ses vérités ou ses erreurs. (…) Ce sera la première fois que le mouvement monarchiste aura rencontré ainsi la pure démagogie, mais il y est bien. Nous reviendrons un jour sur ces étonnants manquements au destin, à tout ce qui aurait pu être, might have been comme disait Rossetti, si souvent cité par Léon Daudet. En attendant, les faits son là. Nous ne pouvons pas accepter, nous, que la France soit réduite à quelques rêveries autour des santons de Maillane et des gracieux costumes des filles d'Arles. Nous ne pouvons pas accepter que la devise de la reconstruction national soit : La Provence, la Provence seule ».

    Au même moment paraît le pamphlet de Lucien Rebatet, Les décombres, qui va être un des plus grands, sinon le plus grand succès de librairie de l’Occupation, et qui contient de nombreuses pages sur le mouvement royaliste et sur son chef. Maurras et l’A.F. ne veulent voir dans le livre qu'un torrent d'injures à leur endroit et ripostent par un article d'une violence extrême :

    « Vous le connaissez bien, nabot impulsif et malsain, l’œil éminemment grégaire et cramponné à toutes les bêtes du troupeau. Il faisait sa partie dans un petit groupe que l'idée de la seule France met en transes de rage et d'insultes. Mais par littérature ou par respect de soi, ces transfuges de notre alliance s'appliquaient à garder une certaine tenue. Notre auteur n'a pu se tenir… »

    En fait, une lecture moins passionnelle des Décombres permet aujourd'hui d'y remarquer l'amour déçu de Rebatet pour l'A.F. et pour Maurras qui vibre sous la virulence du pamphlétaire. Rendant compte des Décombres dans JSP le 4 septembre 1942, Brasillach tente de présenter un bilan de ce qu'il considère comme une histoire achevée, celle de l'Action française. Je ne citerai qu'une partie de ce long article :

    « Certes, dans le domaine de l'action, il faudra bien écrire un jour que le grand péché spirituel de l'Action française fut l'amour de la solitude. D'année en année, cette solitude prenait un aspect de plus en plus tragique. La mort a privé le vieux journal de Bainville et de Daudet. On ne s'était jamais soucié de les remplacer. Nous ne plaidons même pas ici pour notre génération mais pour les précédentes : la guerre de 1914 n'a pas tué tout le monde, et les amoureux de la solitude n'ont prévu aucune relève, les théoriciens de la dynastie semblent avoir pris pour devise : après nous le déluge. Elle est longue la liste des exclus et des dissidents ! Sans doute quelques-uns, Valois, Bernanos, sont partis avec tous les torts. Mais pas tous les autres, mais pas les vieux serviteurs renvoyés parce qu'ils avaient déplu à quelque énergumène indéracinable, et ceux-là mêmes qui n'étaient pas officiellement exclus ne restaient qu'à condition de ne pas bouger et de se cantonner hors de la politique. Quant au meilleur moyen de rester en bons termes avec la maison, c'était de ne pas en faire partie, tout le monde l'a toujours su.

    À cela, il fallait ajouter ce que décrit Lucien Rebatet avec une verve magistrale, l'incapacité toute démocratique d'organiser, le journal à la fois le plus passionnant et le plus mal fait de Paris, le déficit ahurissant des finances, les gouffres creusés sans cesse dans les sacrifices de centaines de pauvres bougres, le refus de saisir les occasions, le chahut du quartier latin érigé en acte de salut public. La doctrine même devenait plus pâle : qu'est-ce que l'antisémitisme de 1942 à côté de celui de 1912 ! Et quant à l'admirable anticapitalisme d'avant l'autre guerre, on jettera un voile sur ce qu'il est devenu.

    Il restait à cette étrange maison d'abriter le génie sous la poussière, le courage sous le conformisme, l'amour de la patrie sous l'illusion, d'avoir aimé la paix en 1935 et de l'avoir payé de la prison, de s'être admirablement battu pour elle (L. Rebatet en rend le témoignage vivace) en 1938 et 1939. Il lui reste d'avoir été la seule école politique du XXe siècle. Aujourd'hui que son histoire est close, nous devons en porter le témoignage sans crainte et avec amitié. Comme le disait un de ses maîtres, Ernest Renan : La foi qu'on a eue ne doit jamais être une chaîne : on est quitte envers elle quand on l'a soigneusement roulée dans le linceul de pourpre où dorment les dieux morts… »

    JSP prétendait enterrer l'A.F. Celle-ci ne pouvait évidemment lui pardonner.

    Je voudrais, pour conclure, évoquer brièvement le problème maurrassisme / fascisme. Il y aurait encore beaucoup à dire sur le sujet, et je me bornerai à poser ici quelques questions, peut-être provocantes, j'espère sans parti-pris. Je crois qu'il subsiste encore à ce propos un tabou, du fait que le problème n'a pratiquement jamais été abordé que par des détracteurs systématiques, amalgamant hâtivement maurrassisme et fascisme à de trop évidentes fins polémiques, ou par les hagiographes d'un maurrassisme prétendument orthodoxe, qui ont oublié que la vraie tradition est critique.

    La première question concerne l'ambiguïté de la position de l'A.F. à l'égard du fascisme. Il y a le fameux texte de Mes idées politiques souvent invoqué parJSP :

    « Qu'est-ce en effet, que le FASCISME ? Un socialisme affranchi de la démocratie. Un syndicalisme libéré des entraves auxquelles la lutte des classes avait soumis le travail italien. Une volonté méthodique et heureuse de serrer en un même faisceau tous les facteurs humains de la production nationale : patrons, employés, techniciens, ouvriers. Un parti-pris d'aborder, de traiter, de résoudre la question ouvrière en elle-même, toute chimère mise à part, et d'unir les syndicats en corporations, de les coordonner, d'incorporer le prolétaire aux activités héréditaires et traditionnelles de l'État historique, de la Patrie, de détruire ainsi le scandale social du prolétariat. Ce FASCISME unit les hommes pour l'accord : il fait jouer les forces naturelles ensemble, assure les fonctions sociales les plus variées avec l'aide des grands et l'aide des petits ».

    Maurras écrit plus loin :

    « Devant les résultats de cette politique de la main tendue, il est normal que les démocraties, ayant adopté la formule du poing tendu, se soient donné pour mot d'ordre commun l'antifascisme : leur plus grand intérêt vital est d'empêcher tout faisceau national de se former pour éteindre ou réduire les compétitions dont elles vivent ».

    L'image que se fait l’A.F. du fascisme avant la guerre est donc singulièrement restrictive et strictement nationale, mais, s'en tenant à ce point de vue, elle ne lui manifeste pas la moindre hostilité. Elle ne perçoit nulle antinomie fondamentale entre le fascisme (qu'elle distingue dit nazisme, considéré comme l'incarnation temporaire du germanisme de toujours) et sa doctrine, ne montre aucune tendance à un quelconque antifascisme, bien au contraire. Quittant la théorie, on citera les paroles d'une chanson satirique publiée par L'Action française le 2 janvier 1938. Arguant de ce que le Front populaire considère l'ouvrier non-communiste, et le petit bourgeois ruiné, amis de l'ordre, comme des fascistes, un couplet revendique le qualificatif :

    Monsieur, si les fascistes sont
    Les braves gens que nous pensons,
    Les types épris de justice,
    Ceux qui, pour tenir, se raidissent,
    Ceux qui méprisent les voleurs,
    Les assassins et les hâbleurs,
    Tous les politiciens en iste…
    Soyons fascistes.

    Revenant à la doctrine, on citera la définition que donne Maurras de son roi (« dictateur et roi »), définition étymologique qui rappelle étonnamment le contenu du titre des chefs fascistes (duce, führer ou leader) : « Comprenons bien le mot : rex, directeur et conducteur ». Il y a donc dans la position de l’A.F. une ambiguïté profitable au fascisme, ambiguïté que l'on retrouve à propos de la politique internationale.

    L'A.F. n'est pas épargnée par la vague de solidarité politique transnationale qui est l'un des éléments fondamentaux du fascisme français des années 1930. Les nationalistes, refusant tout système de pensée politique qui ne se réfère pas d'abord à la réalité nationale, sont surpris par la montée en eux d'un sentiment qu'ils ignorent, celui de la solidarité qui les unit à des militants étrangers : ils éprouvent quelque difficulté le comprendre. L'A.F., comme le fascisme italien, comme le national-socialisme allemand, prétend tour à tour que sa doctrine n'est pas un article d'exportation, et le contraire, et cette incertitude est lourde de conséquences.

    Les attitudes de l'extrême-droite française s'échelonnent selon que ses militants acceptent ou non de raisonner en termes de conflit planétaire.Le Francisme fait de l'universalisme fasciste le thème essentiel de sa politique : il prône un fascisme idéologique qui n'a plus guère de rapport avec le nationalisme. Maurras, en revanche, affecte de ne pas tenir compte du caractère international pris par le combat politique, mais y est sensible : son voyage à Burgos en 1938 le prouve. La position de JSP, et de la plupart des fascistes français, les place simplement en pointe par rapport au comportement officiel de l'Action française.

    On note le même décalage en ce qui concerne la politique intérieure. La logique interne du système qu'illustre l'image du faisceau telle que l'admet l'Action française devrait la conduire à accepter l'idée d'une rencontre des 2 camps qui divisent la France politique, voire à prôner une stratégie de la convergence de la droite et de la gauche. Or, loin d'acquiescer à une telle conception du combat politique, l’A.F. des années 1930, reniant ses propres tentatives de l'autre avant-guerre (essai de rapprochement avec le syndicalisme révolutionnaire, collaboration de disciples de Maurras avec Georges Sorel, de disciples de Sorel avec Maurras), adhère pleinement aux antagonismes du moment, qui ont pour effet d'écarteler la nation en deux blocs. Si la singularité de sa doctrine et la réalité des frictions qui l'opposent aux groupements issus d'autres traditions politiques garantissent son autonomie, la virulence de son hostilité au marxisme révolutionnaire et une relative homogénéité de politique étrangère l'associent étroitement à un camp, la droite, dont les structures datent des années 1900 et la limite passe à gauche de la Fédération républicaine.

    Quant à l'évolution des gens de JSP et de leurs lecteurs, avant et après 1940, n'est-ce pas un des plus graves échecs de l'Action française que de ne pas avoir su ou voulu faire une place en son sein, et s'attacher durablement, une des générations les plus brillantes qu'elle ait attirées ? Est-ce que l’A.F., par son vieillissement, par sa méconnaissance de la nouveauté radicale d'un phénomène comme le fascisme, ne porte pas une part de responsabilité dans les errements qui conduisirent nombre de ses anciens fidèles au poteau d'exécution ou à la prison ?

    La 2ème question est la suivante : le maurrassisme a suscité, et continue de susciter, des interprétations divergentes. Dans cette perspective, peut-on dire qu'il y a, ou qu'il y a eu, une lecture fasciste de Maurras, que le fascisme, ou plutôt un certain type de fascisme représentent un maurrassisme possible ?

    3ème question : ce qu'on appelle fascisme français valorise la Vie en soi, mais se montre, en général, avant la guerre, soucieux du bonheur individuel, hostile à l'embrigadement, à la “statolâtrie”. On peut y voir la résultante de l'influence de Charles Maurras. Mais, dans ces conditions, le fascisme français est-il véritablement fasciste ?

    4ème et dernière question, liée à la précédente : les rédacteurs de JSP se montrent attentifs à la préservation du bonheur individuel, préoccupés d'épanouissement personnel. Le Parti Populaire Français de Doriot, quant à lui, se réclame, avant la guerre, de la démocratie. Le rexisme belge enfin, toujours avant la guerre, rejette catégoriquement le totalitarisme. Ne risque-t-on pas d'être acculé à une analyse du fascisme qui abandonne le concept de totalitarisme comme fondement premier ?

    Discussion : M. Philippe Charpentier pense qu'il faut distinguer ceux qui n'utilisent qu'une partie de la pensée de Maurras et ceux qui « au contraire vivent du Maurras total… embrassant, à la longue, Maurras dans son unité et ses évolutions… On ne peut annexer Maurras à la théologie contre-révolutionnaire, sans reconnaître le caractère neuf, radicalement autre de sa pensée ».

     

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    ◘ Liens :

     

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    La mort en face

    Le procès Brasillach

     

    Brasillach

    Robert Brasillach à son procès, le 19 janvier 1945. Ne rien renier, tout assumer.

     

    Règlements de compte et prisons pleines marquent les lendemains de la libération de Paris. Très occupés, les tribunaux se montrent particulièrement rudes pour les hommes qui, par la plume, ont défendu des positions politiques autres que celles de la Résistance. Si la condamnation de Brasillach apparaît comme un symbole, cela tient à la jeunesse de l'accusé, à son talent et à son attitude particulièrement courageuse devant la mort.

    Commencé le 19 janvier à 13 heures, le procès s'est terminé à 18 heures. Il n'a comporté aucun témoin à charge ou à décharge. Malgré l'éloquence de son défenseur, Me Jacques Isorni, l'écrivain-journaliste a été reconnu coupable d'intelligences avec l’ennemi et condamné à mort. De ces cinq heures qui ont vu se jouer la vie d'un homme, tout le monde va retenir l’intensité. Par la hauteur de ses longues déclarations, l'accusé, contrairement à d'autres, a fait face avec cran. Chacun pressent que malgré sa condamnation et l'exécution probable, il vient de triompher du temps.

    Figure des lettres françaises, Brasillach n'est pas un “collabo” ordinaire. Romancier et publiciste, ce condisciple de Thierry Maulnier appartient à la brillante cohorte des normaliens fous de littérature. Nourri de Giraudoux et de Morand comme son aîné Paul Nizan, écrire a été longtemps sa seule passion. Il a 35 ans. Il n'en avait que 20 lorsque Charles Maurras l'invitait à remplacer Jacques de Montbrial pour tenir le feuilleton littéraire de L'Action Française. Le choc du 6 février 1934 a déterminé les engagements politiques de ce fils d'officier mort pour la France. Le romantisme du fascisme « immense et rouge » lui a fait prendre ensuite des distances avec Maurras. Il a rejoint l'équipe de Je Suis Partout, dont il est devenu le rédacteur en chef en 1937 (1). La plume talentueuse de ce Méridional est vive et ardente. La passion politique lui a donné souvent de redoutables inflexions polémiques.

    Il ne défend pas sa tête, mais sa vérité

    Lorsqu'il entre dans le box des accusés, Robert Brasillach porte ses grosses lunettes rondes d'écaille et une longue écharpe de laine rouge autour du cou qui fait ressortir la pâleur de son visage. Il ne se fait aucune illusion sur son sort. Dans sa cellule de Fresnes, il s'est préparé au pire en écrivant des poèmes et un essai sur André Chénier. Avant de comparaître, il a noté :

    « Dans quinze jours, je vais me présenter devant un de ces tribunaux auxquels je dénie tout droit de me juger, et pourtant il y faudra jouer son rôle dans la comédie, puisque l'essentiel est de bien se tenir, jusqu'au bout, et que le dernier mot de la morale reste l'allure. La vanité de cette tâche ne m'en apparaît pas moins comme incontestable » (2).

    Recherché comme d'autres journalistes en vue de la presse parisienne d'Occupation, Brasillach s'était constitué prisonnier dès les premiers jours de la Libération parce qu'on avait arrêté sa mère à Sens au seul motif qu'elle était sa mère. Au contraire d'un grand nombre d'écrivains et de journalistes engagés ou compromis dans la Collaboration, il avait refusé de se réfugier en Allemagne, alors même que les autorités allemandes l'en pressaient.

    À sa charge, figurent non des actes, mais des écrits en faveur d'une ligne politique. À la différence de ceux d'un Henri Béraud, les siens ont justifié ouvertement certains aspects de la politique de collaboration. Selon une technique déjà utilisée à l'encontre d'autres journalistes, le président Vidal va s'employer à extraire les phrases les plus percutantes, les plus défavorables pour l'accusé, celles qui ont été retenues par le réquisitoire de renvoi. Brasillach a compris et proteste : « On prend les phrases les plus violentes, celles que rien n'explique parce qu'on a supprimé tout ce qui pourrait les expliquer, et on dit “Jugez là-dessus” » (3).

    Tout au long de son procès, il livre les précisions pour éclairer ses écrits, déjoue les insinuations et lance des répliques qui sont autant de défis. Il ne défend pas sa tête, mais sa vérité. Il ne nie pas avoir pris parti pour la politique de collaboration franco-allemande. Il a collaboré, mais « collaborer c'était obéir au gouvernement légal de la France ». Il a cru au nouvel ordre européen. Il a soutenu la campagne de la LVF pour la lutte contre le bolchevisme aux côtés des Allemands. Il a réclamé des exécutions capitales contre les chefs communistes et des sanctions impitoyables contre les responsables de la défaite. Il n'a jamais douté de la légitimité du Maréchal. Il n'a pas pleuré le sort fait à Daladier, à Blum et à Mandel. Il ne tient pas Reynaud en haute estime.

    La violence des périodes troublées

    Oui, il a approuvé la condamnation à mort de de Gaulle. Il s'est opposé aux gaullistes :

    « Il est exact que je le ai considérés comme des traîtres, que je les ai considérés comme des rebelles à ce que je tenais pour l'autorité légitime de la France. Je ne suis pas le seul à avoir fait ainsi. Lorsqu'au moment de la révolte en Syrie, le gaullisme a commencé à gagner en Afrique du Nord en particulier ; il y a eu des ordonnances qui ont été prises pour poursuivre les traîtres gaullistes et ces ordonnances ont été signées du général de Lattre de Tassigny ».

    Brasillach ne se dérobe pas. Il reconnaît s'être comporté en partisan. Il admet avoir pu être excessif, violent, voire injuste. Ce sont, dit-il, les traits qui naissent de périodes troublées : « Au moment où la France est divisée, au moment des guerres civiles françaises, il y a des Français qui prennent parti dans un camp ou dans l'autre et qui, mutuellement, se traitent de traîtres et de rebelles, et seule l'histoire juge qui a raison ».

    Brasillach ne renie pas l'auteur de Notre avant-guerre (4) saisi par la magique ferveur du national-socialisme lors de sa visite au congrès de Nuremberg de 1937. Il ne s'excuse pas d'avoir déclaré : « Je suis germanophile et français ». Oui, il a éprouvé une passion pour l'Allemagne et le peuple allemand. Aujourd'hui, il ne craint pas de dire son admiration pour le courage allemand dans l’adversité. Oui, il a osé paraphraser Renan pour dire : « Nous sommes quelques Français de réflexion à avoir couché avec l'Allemagne et le souvenir nous en restera doux ».

    Mais il conteste catégoriquement avoir trahi la France. Jamais il n'a souhaité l'abaissement de son pays. Au contraire, son adhésion à la politique de collaboration avec l’Allemagne était fondée par le souci de rendre à la France sa pleine souveraineté. Il admet que cette politique a été une déception. S'il a rompu avec l'équipe de Je Suis Partout en août 1943, c'est qu'il ne voulait pas « mentir » sur « la relève » et qu'il se refusait à dire que l’Allemagne pouvait vaincre encore.

    Brasillach[Ci-contre : RB lors de son voyage en 1943 en Russie]

    Oui, il a participé à des manifestations pro-allemandes. Oui, il s'est rendu au Congrès international des écrivains à Weimar, avec six autres écrivains et l'accord du gouvernement. Oui, il est allé à l'Institut allemand, mais y venaient aussi Georges Duhamel et Jean Giraudoux. Oui, il a été un des administrateurs de la librairie Rive Gauche, mais celle-ci n'était pas, comme veut le croire le président, une officine réservée à la propagande allemande. Dans ses vitrines, on voyait les livres d'Aragon et d'Elsa Triolet, parus avec l'autorisation des autorités allemandes.

    Oui, il a critiqué la politique de Roosevelt, de Churchill et de Staline. C'est que les uns et les autres défendaient les intérêts de leurs pays et non ceux de la France. Oui, il a dit que Roosevelt était un « barnum du bellicisme », mais le président des États-Unis a-t-il répondu à l'appel désespéré que lui lançait Paul Reynaud, le 12 juin 1940 ? Il constate que, pendant un certain nombre d'années, l’Amérique a fait semblant d'être à nos cotés avant d'y être » et il estime avoir le droit de dire « que l’Amérique n'est entrée en guerre que le jour où le Japon l'a attaquée ».

    Oui, il s'en est pris aux maquis. Mais il a refusé de soutenir l'action de la Milice et a toujours fait la distinction entre les combattants héroïques et les bandits qui s'y trouvaient. Il salue « avec un immense respect » la mémoire de Gabriel Péri, « parce que Gabriel Péri a refusé, nous le savons maintenant, de désavouer les attentats faits contre les soldats allemands, s'il les avait désavoués, il aurait sauvé sa vie. Peut-être, au fond de lui, ne les approuvait-il pas, je n'en sais rien, mais il ne les a pas désavoués, parce qu'il ne voulait pas se désolidariser de ceux qui pouvaient, innocents ou coupables, être exécutés ». Saluer le courage de ceux qu'il a combattus, oui. Mais il ne peut taire les attentats sans aucun motif politique qui ont déshonoré les maquis.

    Au terme de son interrogatoire, Brasillach qui a parlé pendant plusieurs heures, ajoute avec une superbe insolence :

    « Sans doute la cour pourrait me demander si je regrette ce que j'ai écrit. Si je répondais que je regrette ce que j'ai écrit, vous penseriez tous que c'est pour sauver ma peau et vous me mépriseriez à bon droit. Je vous dirai donc que j'ai pu me tromper sur des circonstances, sur des faits ou sur des personnes, mais je n'ai rien à regretter de l'intention qui m'a fait agir. Je sais qu'à l'heure qu'il est, un certain nombre de Français et surtout de jeunes gens dans tous les camps, dans tous les clans pensent à moi. Il y en a qui sont prisonniers en Allemagne, il y en a qui, demain, partiront mobilisés, il y en a qui sont déjà sur le front de Lorraine — je pense à un ou deux, je pense aussi à ceux qui sont morts. Et je sais que tous ces jeunes gens savent que je ne leur ai jamais appris autre chose que l'amour de la vie, que la confiance devant la vie, que l'amour de mon propre pays, et cela, je le sais tellement que je ne puis rien regretter de ce qui a été moi-même ».

    Riche de tant de dons…

    Non sans une certaine subtilité, le commissaire du gouvernement Reboul commence par reconnaître le talent et la séduction du romancier. Il va même jusqu'à saluer « un accusé de cette qualité intellectuelle ». C'est pour mieux lui reprocher d'avoir été le séducteur malfaisant de la jeunesse : « Pourquoi cet homme riche de tant de dons, comblé de tant de succès, qui aurait pu, s'il était demeuré dans la ligne de ses aspirations premières, devenir l'un des plus éminents écrivains de notre pays, a-t-il abusé de ses dons, de ses succès, de cette autorité, pour tenter d'entraîner la jeunesse d'abord vers une politique stérile, ensuite vers l'ennemi ? »

    Le procès prend alors une autre tournure. Comme Brasillach a justifié la cohérence de ses positions politiques durant l'Occupation, le commissaire du gouvernement place son réquisitoire sur d'autres bases. Il s'en prend à la personnalité de l'accusé auquel il refuse d'emblée les circonstances atténuantes. Il incrimine « la trahison d'orgueil » de l'écrivain « lassé de la joute dans le tournoi paisible des lettres pures ». Il lui reproche d'avoir recherché « une audience, une place publique, une influence politique ». Il lui reproche l'opportunisme et la volonté de déborder la politique de Vichy, mais surtout d'avoir été le dénonciateur des collectivités hostiles à la collaboration et de l'avoir été par haine de la République. Insistant sur le caractère maurrassien des idées du journaliste-écrivain, le procureur Reboul s'exclame : « Ami-républicain, il l'est avec frénésie ! » Se tournant vers Brasillach, il lui fait grief de son ingratitude envers un régime de liberté auquel il doit sa formation : « Il ne faut pas oublier que si vous êtes devenu fasciste, c'est parce que Maurras, sous la République, pouvait écrire contre la République ». À quelques jours du procès de Maurras, Reboul veut surtout que soit condamné le « maurrassisme » qui a « infecté » l'opinion.

    Jacques Isorni, qui a défendu des militants communistes pendant l'Occupation, peut bien mettre tout son cœur à évoquer André Chénier et lire un émouvant poème de l'accusé. Il peut citer en sa faveur les témoignages de François Mauriac, de Paul Valéry et de Marcel Aymé. Il peut jouer la surprise en révélant que le président Bouchardon, qui préside la Commission d'instruction de la Haute Cour de Justice, a accordé une interview à Je Suis Partout en date du 22 juin 1944. Il peut encore s'interroger sur la question de savoir si, pendant l'Occupation, ce sont les articles des journalistes ou les sentences des juges qui faisaient des veuves, des orphelins et le jeu de l’Allemagne. Il peut enfin s'exclamer : « Assez de sang ! assez de sang français répandu par des mains françaises ! La guerre est sur notre sol et vous prononcez des réquisitoires ! » Le sort de Brasillach est scellé. Lorsque tombe la sentence, une voix crie : « C'est une honte ! » Celle de Brasillach réplique aussitôt : « C'est un honneur… » (5).

    ► Jean-Jacques Mourreau, Enquête sur l’histoire n°10, 1994.

    Notes :

    • (1) Mobilisé comme lieutenant au cours de la “drôle de guerre”, il est fait prisonnier. Libéré de son Oflag le 1er avril à la demande de l'amiral Darlan qui songeait à lui confier une mission officielle, Brasillach reprend la rédaction en chef de Je Suis Partout. Sur l'itinéraire intellectuel de Robert Brasillach, voir Paul Sérant, Le Romantisme fasciste (Fasquelle, 1959) et Les dissidents de l'Action française (Copernic, 1978). Voir aussi les Cahiers des Amis de Robert Brasillach, Case postale 909CH 1211 Genève 3, Suisse.
    • (2) Lettre à un soldat de la classe soixante suivie de Textes écrits en prison (Les Sept Couleurs, 1960).
    • (3) Cité par Jacques Isorni, Le Procès de Robert Brasillach (Flammarion, 1946). Sauf mention contraire, toutes les autres citations sont extraites de cet ouvrage.
    • (4) Plon, 1941.
    • (5) Brasillach est fusillé le 6 février 1945 au fort de Montrouge. Malgré l’intervention de François Mauriac et de nombreuses signatures [cf. lettre de remerciement de RB aux signataires], le général de Gaulle a refusé la grâce. [Lire aussi ce dialogue imaginaire sur la non-intervention de De Gaulle]


    Brasillach• Nota bene : Le sous-titre de cet article (La mort en face) fait référence au titre d'un court texte de RB du 6 février 1945 : « Si j'en avais eu le loisir, j'aurais sans doute écrit le récit des journées que j'ai vécues dans la cellule des condamnés à mort de Fresnes, sous ce titre. On dit que la mort ni le soleil ne se regardent en face. J'ai essayé pourtant. Je n'ai rien d'un stoïcien, et c'est dur de s'arracher à ce qu'on aime. Mais j'ai essayé pourtant de ne pas laisser à ceux qui me voyaient ou pensaient à moi une image indigne. Les journées, les dernières surtout, ont été riches et pleines. Je n'avais plus beaucoup d'illusions, surtout depuis le jour où j'ai appris le rejet de mon pourvoi en cassation, rejet pourtant prévu. J'ai achevé le petit travail sur Chénier que j'avais commencé, j'ai encore écrit quelques poèmes. Une des mes nuits a été mauvaise, et le matin j'attendais. Mais les autres nuits, ensuite, j'ai dormi bien calmement. Les trois derniers soirs, j'ai relu le récit de la Passion, chaque soir, dans chacun des quatre Évangiles. Je priais beaucoup et c'est la prière, je le sais, qui me donnait un sommeil calme. Le matin, l'aumônier venait m'apporter la communion. Je pensais avec douceur à tous ceux que j'aimais, à tous ceux que j'avais rencontrés dans ma vie. Je pensais avec peine à leur peine. Mais j'essayais le plus possible d'accepter ».

    • Sur le procès :

    ♦ 20 minutes pour la mort : Robert Brasillach : le procès expédié, P. Bilger, Rocher, 2011 [recension 1 - rec. 2 - rec. 3]

    ♦ Intelligence avec l'ennemi : Le procès Robert Brasillach, Alice Kaplan, rééd. Folio/Gal., 2003 [recension 1 - rec. 2] Brasillach


    ♦♦♦

    Le mystère de Brasillach

    On a beaucoup parlé de Robert Brasillach, depuis quarante ans, sans le connaître. Les uns ne voient en lui que le polémiste agressif et virulent, les autres, le romancier du bonheur et de la tendresse. L'écrivain réel nous a semblé moins caricatural, plus complexe. Il est sans doute les deux à la fois. Ses adversaires comme ses admirateurs doivent l'admettre. Le destin de Brasillach pose d'Innombrables questions.

    Pourquoi celui qui aimait tant la littérature s'est·il lancé dans la polémique jusqu'à s'engager totalement en politique ? Pourquoi ce défi fasciste face à des intellectuels attirés par l'Internationalisme et le communisme alors que, l'un des rares Français à avoir lu Mein Kampf, Brasillach est convaincu du danger hitlérien ? Son fascisme sera, en effet, inspiré de ceux de l'Italie et de l'Espagne, il ne sera jamais nazi. Dès 1933, sa correspondance inédite le montre terriblement Inquiet de la force grandissante d'Hitler et de « son racisme primaire ». Quelles sont aussi les origines de son intransigeant nationalisme qui le conduit à risquer consciemment, en 1941, une réputation littéraire à son apogée ?

    Il est des écrivains qui se cachent derrière leurs écrits, qui présentent au monde une autre face d'eux-mêmes, plus fascinante à leurs yeux. Brasillach n'est pas de ceux-là. Dans chacun de ses poèmes, de ses romans, de ses articles et de ses lettres, Il s'est révélé. L'homme était franc et direct. C'est sûrement l'une des causes de son immense notoriété de critique littéraire et du grand nombre de ses admirateurs.

    ► Anne Brassié, Robert Brasillach, Ou encore un instant de bonheur, Robert Laffont, 1987.

    • nota bene : Cette biographie d’Anne Brassié (420 p.) est reparue sous les auspices de l’Association des ARB (Genève). Commandable sur le site Chiré.

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    BrasillachQui suis-je ? Brasillach, Philippe d'Hugues, Pardès, 2005.

    Brasillach ? Pour les uns, un traître, un journaliste fasciste, condamné à mort et exécuté à la Libération. Pour les autres, un écrivain, auteur de livres inoubliables, au charme insistant, dans la tradition d’Alain-Fournier, de Larbaud et de Giraudoux. Comment concilier ces deux images contradictoires, celle du rédacteur en chef de Je suis partout et celle de l’écrivain délicat et sensible de Comme le temps passe et de Notre avant-guerre? Pourtant, il s’agit bien du même homme, celui qui a poursuivi le rêve d’une Europe qui, à vrai dire, devait moins à l’auteur de Mein Kampf qu’à Goethe et Schiller, et celui qui révérait Maurras et Claudel, Virgile et Corneilles, Shakespeare et Cervantès… Ce sont ces contradictions apparentes qui rendent passionnante la personnalité de Brasillach. Et c’est la richesse exceptionnelle d’une œuvre aussi abondante (30 volumes en 15 ans) que variée, qui fait le prix de celle-ci et situe son auteur au premier rang de sa génération, aux côtés de Jean-Paul Sartre, Marcel Aymé ou Marguerite Duras.

    Romancier (La Conquérante), critique littéraire (Portraits), spectateur infatigable (Histoire du cinéma, Animateurs de théâtre), chroniqueur de son temps (Histoire de la guerre d’Espagne, Journal d’un homme occupé), dramaturge (Domrémy, La Reine de Césarée) et avant tout poète (Poèmes de Fresnes), Brasillach s’est essayé dans tous les genres avec une égale réussite. Même s’il est permis de privilégier tel ou tel aspect de son oeuvre, l’ensemble constitue un véritable monument littéraire, qu’il est aujourd’hui impossible d’ignorer.

    Brasillach appartient au paysage littéraire français du XXe siècle et il s’y est assuré une place qu’il n’est au pouvoir de personne de lui enlever. C’est ce que, loin des passions politiques du siècle passé, le “Qui suis-je” sur Brasillach aux éditions Pardès entend établir avec une autorité sereine qu’il sera difficile de contester.

     

    AUX MORTS DE FÉVRIER

    Les derniers coups de feu continuent de briller
    Dans le jour indistinct où sont tombés les nôtres.
    Sur onze ans de retard, serai-je donc des vôtres ?
    Je pense à vous ce soir, ô morts de Février.

    Robert Brasillach à la veille de sa mort

     

     

     


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